Véganisme (A)

Comment citer ?

Giroux, Valéry (2018), «Véganisme (A)», dans Maxime Kristanek (dir.), l'Encyclopédie philosophique, consulté le ..., https://encyclo-philo.fr/veganisme-a

Publié en septembre 2018

 

Résumé

Le véganisme est généralement défini comme le mode de vie qui consiste à éviter le plus possible les produits et les services ayant nécessité le recours à l’exploitation d’un animal. S’il est souvent associé à un régime végétal ou considéré comme un excellent moyen de limiter notre empreinte écologique individuelle, le véganisme est surtout adopté par souci des animaux eux-mêmes. En effet, les considérations relevant de l’éthique animale incitent de plus en plus de gens à modifier leurs habitudes et à militer pour la libération animale ou pour les droits des animaux. Dans cette entrée, les raisons d’adopter le mode de vie végane qui sont associées à la santé et à l’environnement seront abordées brièvement, tandis que la discussion sera surtout orientée vers les justifications relevant de l’éthique et de la justice animales. Après nous être penché⋅e⋅s sur un argument pragmatique fondé sur ce qui fait déjà consensus, nous nous intéresserons à des arguments en faveur de l’égalité animale (ou de l’antispécisme). Nous poursuivrons avec un aperçu de quelques-unes des principales objections ayant été faites au véganisme comme impératif moral central et universel non pas par des adeptes du suprématisme humain, mais par des défenseur⋅e⋅s des animaux (souvent eux⋅lles-mêmes véganes) dont certain⋅e⋅s vont jusqu’à demander que l’on renonce à en faire la promotion. Nous conclurons que le véganisme compris comme mouvement social et politique d’opposition à l’exploitation animale permet d’éviter les problèmes soulevés et de mieux rendre compte de la façon dont la plupart des véganes perçoivent leur propre engagement.


 


Remarques préliminaires

Chaque année, plus de 56 milliards d’animaux terrestres sont tués pour l’alimentation humaine, sans compter ceux qui vivent dans les océans, qui sont calculés à la tonne et qui sont certainement les plus nombreux à mourir pour notre alimentation. Pour savoir plus exactement combien d’animaux périssent pour des fins humaines, il faut aussi prendre en compte le nombre d’individus tués dans le cadre d’activités sportives, scientifiques, éducatives ou récréatives.

En plus de précipiter leur mort, nous infligeons de grandes souffrances aux animaux que nous utilisons. Ils sont en effet gardés captifs au bout d’une chaîne ou dans des cages souvent si étroites qu’ils ne peuvent se retourner ou s’étirer. Ils sont gavés, mutilés (généralement sans anesthésie), inséminés de force, séparés de leurs petits, bousculés, carencés, stressés, rendus malades, négligés, abandonnés. Avec l’industrialisation des méthodes d’élevage au milieu du 20e siècle, l’exploitation des animaux pour l’alimentation humaine est devenue si violente que peu d’auteur⋅rice⋅s se risquent à essayer de la justifier, du moins dans sa forme actuelle.

Si la vaste majorité des êtres humains contribuent au massacre autant qu’au supplice des animaux, certains s’y refusent et adoptent le véganisme. Le véganisme est souvent compris comme le mode de vie qui consiste à éviter, dans la mesure du possible, les produits et services issus de l’exploitation d’animaux. Ses adeptes, bien que très minoritaires encore, sont tout de même de plus en plus nombreux⋅ses. Le véganisme est en effet passé d’un mouvement alternatif obscur et moqué, à une tendance que nul ne peut maintenant ignorer. Ses nombreux⋅ses détracteur⋅rice⋅s le prennent désormais au sérieux : il⋅elle⋅s déploient d’importants efforts pour préserver l’idéologie carniste dominante selon laquelle la consommation de produits d’origine animale est normale, naturelle et nécessaire (Joy, 2009).

Essor du véganisme

Il y a quelques années à peine, les demandes des véganes au restaurant ou dans les commerces étaient accueillies avec perplexité. Autour de la table, entre ami⋅e⋅s ou en famille, les véganes provoquaient l’étonnement et souvent même les railleries. Depuis, les choses ont considérablement changé. L’essor du véganisme est récent, mais il est incontestable.

Comment expliquer cette popularité montante du véganisme ? On peut mentionner la diffusion d’images-chocs tournées dans les fermes industrielles, les abattoirs ou les laboratoires et montrant des animaux maltraités, ou encore par les nombreuses campagnes de sensibilisation menées par les organismes de défense des animaux. Elle est sans doute aussi causée par les virus ou maladies d’origine animale qui inquiètent gravement les êtres humains ces dernières années (OMS, 2004). Cela dit, la progression du véganisme se traduit et se renforce surtout : par la multiplication des blogues et magazines consacrés à la cuisine végétalienne (parfois présentée comme une nouvelle tendance) ou aux produits et services offerts en remplacement de ceux que les véganes boycottent; par l’ouverture de restaurants et de commerces offrant des options végétaliennes ou s’affichant même comme véganes ; par l’organisation de grands festivals qui attirent autant les curieux⋅ses que les adeptes de longue date. En outre, la création de programmes universitaires comme les « vegan studies » de l’Université de Californie à Santa Barbara ainsi que le développement d’une littérature savante sur la question de nos obligations morales envers les animaux et de l’exploitation que l’on en fait donnent une légitimité nouvelle au véganisme. Enfin, avec les interventions médiatiques de plus en plus fréquentes des activistes et la publication de nombreux livres grand public sur le sujet, rares sont ceux⋅lles qui n’ont encore jamais entendu parler du phénomène végane.

À mesure que le véganisme se répand et se fait mieux connaître, les clichés sur ses adeptes tendent à s’estomper. On a longtemps perçu ces dernier⋅e⋅s comme des hippies rêveur⋅se⋅s ou des marginaux⋅les; on les associe maintenant aux bobos. Les quelques études sociologiques qui les concernent nous apprennent pourtant que les véganes appartiennent à des classes sociales et à des milieux très divers.

Qui sont les véganes ?

Le profil type des véganes est difficile à cerner. En effet, peu d’études permettent de se faire une idée précise du nombre de véganes dans le monde. On peut toutefois avancer quelques chiffres. Une étude parue récemment montre que sur 1049 Canadiens interrogés en 2018, 2,3% se disent véganes (et 7,1% végétariens) (Charlebois, 2018). Il convient toutefois de considérer ces résultats avec prudence. Une partie non négligeable de personnes se déclarant en effet végétariennes ou véganes… mangent en réalité de la viande et d’autres nourritures d’origine animale (Ruby, 2012). Plutôt que de demander aux personnes interrogées si elles sont véganes, il est plus sûr, comme le fait l’institut de sondage Harris, de poser des questions sur les habitudes de consommation au jour le jour. D’après cette méthode, 3,7 millions d’adultes seraient véganes aux États-Unis, ce qui représente 1,5% des Américains de plus de 18 ans (The Vegetarian Ressource Group, 2016). C’est donc de manière approximative que l’on évalue à un peu moins de 1% la population végane américaine (Faunalytics.org, 2014).

En ce qui concerne les autres caractéristiques des membres de la communauté végane, on estime dans l’ensemble que la proportion hommes/femmes est à peu près équilibrée. En Angleterre, par exemple, 60% des personnes qui affirment être véganes seraient de sexe féminin (Ipsos-Mori, 2016). On sait aussi que les jeunes auraient davantage tendance à renoncer aux produits d’origine animale que leurs aînés (The Vegetarian Resource Group, 2016). Pour ce qui est de la répartition relative au revenu et à l’éducation, les statistiques disponibles indiquent des tendances contraires selon les pays concernés : alors que les Américain⋅e⋅s les plus instruit⋅e⋅s et les mieux nanti⋅e⋅s auraient tendance à diminuer leur consommation de viande, ce serait l’inverse chez les Français⋅es (Rimal, 2002; TerraEco, 2016).

Les données collectées de manière scientifique ne nous permettent pas d’en dire beaucoup plus à propos des véganes. En effet, les enquêtes dont nous disposons concernent surtout les végétarien⋅ne⋅s et varient d’une société à l’autre, parfois au point de s’opposer. C’est donc à partir de témoignages individuels et d’observations faites par des petits groupes que l’on peut compléter le portrait esquissé. Et parmi les voix qui se font entendre à ce propos, certaines dénoncent le fait que le mouvement végane est trop « blanc », c’est-à-dire que les différentes communautés culturelles y sont insuffisamment représentées (veganvoicesofcolor, 2017). En réponse à cela, les véganes issu⋅e⋅s des minorités ethniques s’organisent et proposent des paradigmes du véganisme qui reflètent mieux leurs particularités culturelles. On peut notamment penser au développement récent du « black veganism » (Harper, 2010; Ko et Ko, 2017). De même, des véganes appartenant à diverses minorités religieuses (The Vegan Muslim Initiative, 2018) ou culturelles (Robinson, 2015) prennent la parole pour présenter un véganisme sensible aux diverses attentes et exigences auxquelles sont soumis⋅es les membres de leurs communautés. Grâce à ces nouvelles perspectives, la population végane tend à se diversifier.

Ce qui caractérise peut-être le plus clairement les membres de la communauté végane est d’ordre psychologique. Les véganes (cela est vrai surtout pour les hommes, faut-il préciser) auraient tendance à éprouver plus d’empathie que les autres. C’est du moins ce qui ressort d’une étude menée par le neurologue Massimo Filippi et son équipe : « De manière systématique, les végétariens et véganes subissent une plus grande activation des zones de l’empathie lorsqu’il⋅elle⋅s visionnent des scènes de violence, et ce indépendamment de l’espèce à laquelle appartiennent les individus qui en sont les victimes (Filippi et coll., 2010). » Et ces observations faites en laboratoire seraient corroborées par des enquêtes en psychologie sociale (Preylo et Arikawa, 2008). Ensuite, les véganes auraient moins tendance que les autres à hiérarchiser non seulement les animaux de diverses espèces, mais également les êtres humains entre eux (Dhont, Hodson et Leite, 2016; Costello et Hodson, 2009). Finalement, on notera que le véganisme, en particulier aux États-Unis, est fortement associé à la gauche politique, c’est-à-dire aux valeurs progressistes d’égalité, de justice sociale, de protection de l’environnement, etc. (Ruby, 2012)

L’ampleur du véganisme est telle qu’il ne peut plus être simplement ignoré ni rangé dans la catégorie des styles de vie alternatifs ou des modes passagères. Si la communauté végane comprend sans doute des adeptes de la frugalité ou des dernières tendances, elle est aujourd’hui constituée d’une diversité considérable de personnes. Mais au-delà de leurs caractéristiques sociologiques et psychologiques, les véganes sont surtout liés par des convictions éthiques et politiques communes.

Les fondements éthiques du véganisme

Le véganisme découle principalement de préoccupations morales, à savoir d’un souci de justice envers les animaux sensibles non humains. C’est en cela qu’il se distingue du végétalisme.

Le végétalisme pour la santé ou l’environnement

Le véganisme est parfois compris comme le mode de vie de ceux⋅lles qui excluent de leur alimentation les nourritures d’origine animale — comme la viande, les produits laitiers et les œufs. Si cela n’implique pas la renonciation aux vêtements fabriqués à partir de cuir ou de laine, ou aux activités comme la visite au cirque ou au zoo, le véganisme est alors entendu comme un synonyme de végétalisme, c’est-à-dire de régime alimentaire à base de végétaux (les champignons de même que certaines bactéries et minéraux n’en sont cependant pas exclu⋅e⋅s). Cette tendance à réduire le véganisme au végétalisme s’explique peut-être par le fait que certaines personnes se disent véganes pour des raisons de santé exclusivement. C’est qu’une diète végétale diminue semble-t-il le risque de maladies coronariennes, de diabète de type II et de certains cancers (Craig, 2009). Notons toutefois que les considérations hygiéniques n’offrent aucune raison d’écarter des aliments qui sont bons pour la santé humaine. Elles pourraient donc inciter des personnes qui se disent par ailleurs végétaliennes à consommer occasionnellement des produits d’origine animale, comme certains poissons dont la chair serait riche en acide gras oméga-3.

De plus en plus de personnes se disent également véganes par souci pour l’environnement. Il faut savoir que l’élevage est responsable d’environ 14,5 % des émissions de gaz à effet de serre, ce qui est plus important que l’ensemble des transports individuels et collectifs. C’est aussi l’une des principales dépenses en eau, l’une des premières causes de la déforestation, de la pollution des sols et des rivières, et de la dégradation de la biodiversité (FAO, 2013). Les personnes qui affirment être véganes pour des raisons écologiques viseront principalement l’abandon des pratiques nuisibles pour l’environnement. Il s’ensuite que les quelques produits d’origine animale dont la fabrication et l’utilisation ont une empreinte écologique neutre pourraient donc continuer à être utilisés. Et ceux qui polluent moins que leurs équivalents « véganes » pourraient même être favorisés : on peut penser, par exemple, aux produits provenant d’élevages où le bétail se nourrit de végétaux impropres à la consommation humaine ainsi que de déchets dont nous aurions autrement du mal à nous débarrasser (Fairlie, 2010).

On le voit, ni les préoccupations médicales ni les considérations écologiques ne peuvent à elles seules expliquer le choix de renoncer à tous les aliments d’origine animale et autres produits ou services que l’on tire des animaux (comme le cuir, la fourrure, le cirque, l’équitation, etc.). Par conséquent, il vaut probablement mieux éviter de parler de véganisme lorsqu’une diète végétale est adoptée pour des raisons uniquement prudentielles ou environnementales. Les dictionnaires de langue française définissent d’ailleurs le véganisme comme le « mode de vie alliant une alimentation exclusive par les végétaux (végétalisme) et le refus de consommer tout produit (vêtements, chaussures, cosmétiques, etc.) issu des animaux ou de leur exploitation » (Le Petit Larousse illustré, 2015), et le végane comme la « personne qui exclut de son alimentation tout produit d’origine animale (végétalien) et adopte un mode de vie respectueux des animaux (habillement, transports, loisirs…) » (Le Petit Robert, 2015). Sans nier que le véganisme est bon pour la santé humaine et pour l’environnement, il n’en reste pas moins que c’est le souci des animaux qui demeure son principal fondement.

Le véganisme pour les animaux

Dans le monde occidental, c’est au moins depuis l’Antiquité que nos devoirs moraux envers les animaux conduisent des individus à renoncer aux nourritures et autres produits d’origine animale, de même qu’aux services tirés d’animaux (Larue, 2015). On a de bonnes raisons de penser que, déjà au 6e siècle av. J.-C., l’illustre Pythagore condamnait la chasse, refusait les sacrifices sanglants et évitait le cuir et la laine. En effet, au 3e siècle, le philosophe néoplatonicien Jamblique rapporte qu’on disait des pythagoriciens que « leurs vêtements et les couvertures de leurs lits étaient en lin, car ils n’avaient pas recours à la laine » (Jamblique, 1996). Selon le témoignage de Philostrate, les chaussures de Pythagore étaient faites d’écorces d’arbre (Philostrate, 1995). Ce n’est que depuis peu de temps, toutefois, que ce rejet des fruits de l’exploitation animale n’est plus en Occident le fait hétérodoxe de quelques penseurs isolés ou petites communes. Il fallut en effet attendre le 19e siècle pour voir apparaître des petites communautés souhaitant « libérer tout ce qui vit, tout ce qui est sensible et souffre de l’injustice, de l’iniquité, de l’abus, de la perversion des hommes » (Rimbault, 2014). Et ce n’est qu’au 20e siècle, avec la création de la Vegan Society en Angleterre, que le mouvement végane – opposé non seulement à la consommation de chair, mais à toute exploitation animale (Cross, 1949) – prenait la forme qu’on lui connaît aujourd’hui. Les fondements éthiques de cette position favorable à la libération des animaux du joug humain peuvent se limiter à l’intuition largement partagée selon laquelle il est mal de faire souffrir des individus lorsqu’on peut l’éviter. Ils peuvent aussi correspondre à la posture résolument égalitariste selon laquelle tous les êtres sensibles (ou leurs intérêts similaires) ont une égale valeur morale ou méritent la même considération.

Un argument consensuel

Le point de départ de la réflexion éthique portant sur nos obligations morales à l’endroit des animaux est la reconnaissance de leur sensibilité (sentience). Parmi les animaux que les êtres humains utilisent pour leurs fins, nombreux sont ceux qui sont au moins capables d’éprouver de la douleur et de ressentir du plaisir. C’est ce que les études scientifiques en éthologie et en neurosciences confirment. Les mammifères, les oiseaux et même certains invertébrés comme les pieuvres « possèdent les substrats neuroanatomiques, neurobiochimiques et neurophysiologiques des états conscients, ainsi que la capacité de se livrer à des comportements intentionnels » (Low et coll., 2012). Le cas des insectes et celui des bivalves sont moins certains (Eisemann et coll., 1984; Crook et Walters, 2011; Klein et Barron, 2016), mais la sensibilité des poissons est bien établie (Braithwaite, 2010). Ces animaux ont non seulement un système neurologique tel qu’ils peuvent détecter les stimuli nociceptifs risquant d’endommager les tissus de leurs corps, mais ils possèdent également les capacités cognitives ou psychologiques leur permettant de faire l’expérience consciente et aversive de la douleur.

Il est vrai que l’existence d’une sensibilité non humaine n’a été que rarement niée au cours de l’histoire des idées. Mise à part l’exception cartésienne, peu de philosophes ont sincèrement cru que les animaux étaient incapables d’états mentaux ou d’affects. Néanmoins, les implications morales de la sensibilité animale n’ont pas toujours été reconnues. C’est surtout avec la publication de l’ouvrage de Peter Singer, La libération animale (Singer, 1993 [1975]), que celles-ci commencèrent à être prises au sérieux. Depuis, les publications dans le champ de l’éthique animale se sont multipliées. Et si les auteur⋅rice⋅s défendent des positions fort diverses, l’interdiction de causer des torts aux animaux lorsqu’il n’est pas nécessaire de le faire semble faire à peu près l’unanimité.

À partir du moment où un individu est sensible, il a un point de vue subjectif sur le monde. Il peut être affecté consciemment par ce qui lui arrive. Il a des intérêts et un bien-être prudentiels : il peut subir le type de torts qui nous semblent moralement pertinents lorsque des êtres humains sont concernés (Sumner, 1996). La sensibilité représente donc un point de bascule où, de sujets de considération morale exclusivement indirecte, les individus deviennent des sujets de considération morale directe. Ils intègrent alors la communauté morale, ce qui signifie qu’ils comptent moralement pour eux-mêmes, qu’ils ont une valeur inhérente ou finale (c’est-à-dire qui n’est pas dérivée d’autre chose). Les dommages causés aux êtres sensibles sont graves parce qu’ils sont graves de leur propre point de vue. À moins que cela ne soit justifié, leur infliger de la douleur ou les priver des choses bonnes dont ils auraient autrement pu faire l’expérience en mettant prématurément fin à leurs jours est moralement condamnable.

La capacité de nombreux animaux à souffrir et la pertinence morale de cette sensibilité ont été évoquées par de nombreux⋅ses auteur⋅rice⋅s, de Maupertuis à Jeremy Bentham, en passant par Jean-Jacques Rousseau. Et c’est sans doute ce qui explique que le droit de plusieurs États interdit d’infliger « sans nécessité » des mauvais traitements ou la mort à un animal (Code pénal français, art. R.654-1 et R.655-1; C.cr. canadien, art. 444 à 447). Puisque la souffrance et la mort des animaux comptent moralement, elles ne sont justifiées qu’en tant que « mal nécessaire ». En l’absence de nécessité, comme le note le moine bouddhiste et auteur Matthieu Ricard, cette souffrance et cette mort sont un mal tout court (Ricard, 2014).

Le critère de la nécessité est bien accepté et se trouve maintenant au fondement de nos lois de protection des animaux et de celles qui interdisent la cruauté ou la négligence à leur endroit. Cela dit, il est toujours socialement accepté et légalement permis d’infliger de la douleur à des animaux et de les tuer dans le cadre d’activités comme la chasse sportive, la fabrication de vêtement, le spectacle ou l’élevage pour l’alimentation humaine. Parmi les pratiques qui sont douloureuses pour les animaux, seules celles qui s’éloignent des normes de l’industrie concernée sont prohibées par la loi. La douleur qu’elles causent est alors jugée non nécessaire, alors que celle qui est entraînée par les pratiques courantes est au contraire présumée nécessaire. Le problème, comme le soutient le juriste américain Gary L. Francione (Francione, 2015 [2010]), est que nous n’avons aucune bonne raison de limiter ce critère de la nécessité aux seules pratiques employées au sein de celles-ci. Les activités ou les industries elles-mêmes ne sont pas nécessaires. Francione observe que la chasse et la pêche sont dans bien des cas de simples loisirs; les animaux acteurs, les courses ou les combats d’animaux, les zoos, les cirques ou encore les aquariums sont des activités de pur divertissement; la laine, le cuir ou la fourrure servent surtout la mode vestimentaire; les œufs, la viande et les laitages sont consommés par recherche de plaisir gustatif ou par attachement aux traditions. À l’exception de la recherche biomédicale destinée à sauver des vies ou à améliorer la santé humaine, c’est parce qu’il est plaisant ou commode d’utiliser les animaux que nous acceptons de les faire souffrir. Or, remarque Francione, le plaisir ou la convenance ne peuvent raisonnablement être assimilés à la nécessité. Si le juriste a raison, l’intuition commune selon laquelle il est mal de causer de la douleur ou de tuer des animaux lorsque ce n’est pas nécessaire devrait nous conduire à exiger l’abolition de presque toutes les formes d’exploitation animale et à adhérer au véganisme. Cela dit, des raisons supplémentaires laissent penser qu’il faut aller plus loin et nous opposer à l’exploitation d’animaux sensibles même lorsque celle-ci pourrait être utile à la santé humaine.

L’antispécisme ou l’égalité morale des animaux sensibles

Quand on s’intéresse à la justice – à la justice comparative, plus précisément – on peut difficilement éviter la notion de discrimination arbitraire tant elle tient un rôle important dans l’application du principe de justice selon lequel il faut donner « à chacun son dû » (Platon). Bien sûr, toutes les formes de discrimination ne paraissent pas injustes. En premier lieu, discriminer entre les pommes et les oranges, lorsqu’il s’agit simplement de distinguer les premières des secondes, cela ne concerne pas la justice. Mais le terme « discrimination » est polysémique. Et c’est quand il renvoie au traitement préjudiciable d’individus ou de groupes d’individus qu’il intéresse la morale, la politique et le droit. Or, même en ce dernier sens, la discrimination n’est pas nécessairement injustifiée. En effet, on peut raisonnablement soutenir qu’il est juste de réserver le droit de vote aux personnes qui ont plus de 18 ans tout en le refusant aux autres, ou encore de ne permettre qu’aux gens qui ont étudié la médecine de la pratiquer. Et ce, même si d’autres personnes pourraient avoir intérêt à voter ou à exercer la profession de médecin. Sans doute peut-on même soutenir que certains types de discrimination fondés sur de simples préférences personnelles ne sont pas moralement problématiques. Pourquoi serait-il injuste de choisir ses ami⋅e⋅s de manière aléatoire ou capricieuse ? De même, chacun⋅e de nous semble moralement autorisé⋅e à traiter les autres de façons différenciées lorsqu’il s’agit de choisir à qui offrir un cadeau ou léguer un objet précieux. Cela dit, les caprices ou les simples préférences personnelles ne peuvent justifier toutes les différences de traitement entre individus ou groupes d’individus.

Lorsque l’on traite différemment les un⋅e⋅s et les autres, il semble nécessaire de le faire sur la base d’un critère pertinent. Discriminer entre les hommes et les femmes lorsqu’il s’agit de choisir un partenaire sexuel est certainement permis d’un point de vue moral : cela s’explique par le fait que les préférences sexuelles de l’agent semblent être pertinentes dans ce contexte bien précis. En revanche, recourir à ce même type de caractéristique pour justifier une différence de traitement dans l’accès aux soins de santé ou dans l’embauche pour un poste de professeur⋅e à l’université serait inapproprié et échouerait à justifier la discrimination en question. Pour cibler, voire dénoncer, certaines des formes injustes sous lesquelles se présente la discrimination, on parle de racisme, de sexisme, d’âgisme, de capacitisme, de classisme, etc. Le critère de la couleur de la peau ou de l’appartenance ethnique, celui du genre ou du sexe, celui de l’âge, celui des capacités du corps ou de l’esprit, ou encore celui de la classe sociale ne peuvent justifier toutes les discriminations, à commencer par celles qui affecteraient l’octroi d’un statut moral. Puisque ces caractéristiques n’ont aucune pertinence au regard de l’attribution d’une valeur morale aux individus, on estime que tous les êtres humains, quelles que soient ces caractéristiques, sont moralement égaux.

Par analogie avec ces formes particulières de discrimination injustifiées, le psychologue britannique Richard Ryder proposait au tout début des années 1970 le terme « spécisme » pour renvoyer à la discrimination faite en fonction de l’appartenance à l’espèce (Ryder, 1992 ; Jaquet, 2018). C’est toutefois au philosophe australien Peter Singer que l’on doit d’avoir popularisé ce terme grâce à son fameux livre La Libération animale (Singer, 1993 [1975]). La notion de spécisme allait ensuite inspirer le développement de toute une littérature, à commencer par Les Cahiers antispécistes lyonnais (devenus depuis Les Cahiers antispécistes), et s’imposer comme l’un des principaux – sinon le principal – piliers conceptuels du mouvement de libération animale. On peut définir plus précisément le spécisme en disant qu’il « est à l’espèce ce que le racisme et le sexisme sont respectivement à la race et au sexe : la volonté de ne pas prendre en compte (ou de moins prendre en compte) les intérêts de certains au bénéfice d’autres, en prétextant des différences réelles ou imaginaires, mais toujours dépourvues de lien logique avec ce qu’elles sont censées justifier. » (Les Cahiers antispécistes)

L’idée est que l’espèce, pas plus que les autres caractéristiques biologiques, n’a la pertinence qui permettrait d’établir une hiérarchie morale entre les individus. L’expérience de pensée mise en avant par John Harris illustre bien cela. Harris imagine que les êtres humains sont confrontés à des extraterrestres s’estimant supérieurs à eux (comme nous nous estimons aujourd’hui supérieurs aux animaux terrestres non humains), et se demande si les êtres humains leur concéderaient le droit de les élever et de les tuer pour se nourrir. Harris cherche ainsi à convaincre ses lecteur⋅rice⋅s qu’il est injustifié de manger de la viande (Harris, 1972). Mais dans le même temps, il montre que la simple appartenance à une espèce ou à une autre n’est pas nécessairement une raison valable de discriminer entre les individus.

Le spécisme peut aussi se présenter sous une forme « indirecte » : plutôt que de se fonder sur l’espèce biologique en tant que telle, la discrimination injustifiée peut avoir pour fondement des caractéristiques typiquement associées à l’espèce (Rachels, 1990; Horta, 2010). Une analogie avec un autre type de discrimination indirecte permet de saisir la différence. On qualifierait de sexiste la décision d’écarter les femmes d’une profession sous prétexte qu’elles ne sont pas suffisamment fortes, si les compétences nécessaires pour exercer convenablement cette profession n’incluaient pas la force, ou encore si de nombreuses femmes – contrairement à ce qui est supposé – disposaient en réalité de la force requise pour accomplir parfaitement le travail en question. De manière comparable, on peut penser qu’il est spéciste de discriminer les animaux non humains sous prétexte qu’ils sont moins intelligents que les êtres humains, ou qu’ils sont incapables de réciprocité, c’est-à-dire incapables d’honorer des obligations légales ou morales. On peut penser que cette discrimination est spéciste ou bien parce que les animaux disposent de capacités cognitives plus complexes que ce que l’on a longtemps cru, ou encore parce que ces capacités typiquement associées à l’humanité n’ont pas davantage de pertinence morale que l’appartenance à l’espèce humaine elle-même. Pour appuyer cette dernière affirmation, les auteur⋅rice⋅s en éthique animale ont souvent recours à « l’argument des cas marginaux » (Dombrowski, 1997).

Cet argument consiste à rappeler que de nombreux êtres humains, comme les enfants en bas âge, les personnes en situation de handicap intellectuel ou les personnes séniles, ne disposent pas plus que les animaux non humains des capacités mentales auxquelles certain⋅e⋅s sont tenté⋅e⋅s d’attribuer une importance morale décisive. Tou⋅te⋅s ceux.lles selon qui ces personnes sont également dignes de respect doivent alors reconnaître que les facultés cognitives sophistiquées ne sont pas réellement ce qui se trouve au fondement de la valeur morale des individus ou de leur statut moral. La seule chose qu’ont en commun tous les êtres humains considérés comme des égaux est la sensibilité. Or, des animaux d’autres espèces l’ont aussi. Par conséquent, il semble injustifié de refuser d’étendre l’égalité morale à tous ces animaux.

Il convient alors de se demander en quoi consiste, plus précisément, cette égalité. Pour Singer, il s’agit surtout pour chacun de jouir d’une égale considération de ses intérêts. D’autres auteur⋅rice⋅s remarquent que, comme certains des intérêts des êtres humains sont protégés par des droits, le principe de l’égale considération des intérêts exige que nous élargissions à tous les êtres porteurs des intérêts en question les droits qui ont pour fonction de les protéger. Et parmi les intérêts que tous les animaux sensibles (humains et non humains) ont en commun, on trouve l’intérêt de ne pas souffrir (Singer, 1993 [1975]), mais aussi celui de ne pas mourir prématurément (Regan, 2013 [1983]) et celui de ne pas subir de contraintes externes ou de domination (Giroux, 2017). Par conséquent, nous devons au moins étendre les droits les plus fondamentaux de la personne à tous les êtres sensibles (Cavalieri, 2001), et possiblement même d’autres droits, comme le droit à un territoire (Hadley, 2016), le droit aux fruits de son travail (Dunayer, 2004), ou encore des droits politiques (Donaldson et Kymlicka, 2016 [2011]). Bien entendu, la reconnaissance de droits moraux ou l’octroi de droits juridiques aux animaux non humains ne serait pas sans conséquence sur les agents pris individuellement autant que collectivement. L’égale considération des intérêts de tous les individus et l’extension de certains droits à laquelle elle conduit nous obligent avant toute chose à cesser d’exploiter des animaux sensibles pour les divers usages que nous en faisons. Cela signifie abolir leur exploitation institutionnelle et interdire les comportements individuels qui portent atteinte aux droits des animaux. En d’autres termes, il faut imposer le véganisme.

Objections au véganisme et réponses

Le véganisme est sévèrement critiqué par les tenant⋅e⋅s de l’humanisme ou du suprémacisme humain dont la perspective anthropocentrique est pleinement assumée. Ce qui est plus étonnant est qu’il l’est également par certains antispécistes selon qui nous avons tort d’y accorder autant d’importance. Certain⋅e⋅s parmi eux⋅lles vont même jusqu’à réclamer l’« abolition du véganisme ».

Le véganisme ne fait aucune différence pour aider les animaux

Les intérêts fondamentaux de nombreux animaux sont incontestablement violés par les industries qui exploitent leur corps pour produire des aliments ou des objets, ou pour offrir certains services. Puisque la consommation de produits d’origine animale et le recours aux services tirés des animaux augmentent la demande pour ces produits et services et donc la production d’animaux destinés à être ainsi exploités, les véganes pensent qu’il faut s’abstenir de consommer ces produits et services, et promouvoir le véganisme. Nombre de campagnes en faveur du véganisme insistent sur l’efficacité de ce mode de vie pour épargner des animaux. L’organisme People for the Ethical Treatment of Animals (PETA), par exemple, affirme que chaque végane contribue à éviter la mort de 100 animaux par année (PETA, 2013). Mais les véganes ont-il⋅elle⋅s raison de croire qu’en boycottant les fruits de l’exploitation animale, chacun d’eux⋅lles peut changer les choses pour des animaux ?

Plusieurs auteur⋅rice⋅s ont émis des doutes au sujet de l’efficacité réelle du véganisme pour réduire l’exploitation animale. Dans le cas de l’élevage pour l’alimentation humaine, leur critique se fonde sur l’idée que l’industrie agro-alimentaire est beaucoup trop complexe pour être affectée par les actes de consommation d’un⋅e seul⋅e consommateur⋅rice. Ceux⋅lles qui sont opposé⋅e⋅s à l’exploitation d’animaux non humains pour des fins humaines ne pourraient rien faire pour l’empêcher ni même la réduire. Les intérêts fondamentaux des animaux seront bafoués peu importe les décisions des consommateur⋅rice⋅s pris⋅es individuellement. Il serait par conséquent inutile que ceux⋅lles-ci se privent de savourer la chair des animaux, leurs œufs, leurs sécrétions ou les plats préparés à partir de ces ingrédients (Norcross, 2004).

Évidemment, cette objection de l’inefficacité du véganisme ne contredit aucunement la nécessité d’abolir entièrement l’exploitation animale et d’être véganes. Collectivement, nos choix de consommation ont bel et bien un effet dommageable sur les animaux et cela signifie que nous devons, en tant que groupe, éviter de consommer les produits d’origine animale et les services tirés de leur exploitation. Ce qui est visé par cette objection est notre responsabilité individuelle : nous n’aurions pas à adhérer au véganisme dans un contexte où peu de gens le font.

Dans la littérature consacrée à ce problème, une grande attention est accordée à la solution dite du seuil ou du point de bascule. Des chercheur⋅se⋅s soutiennent que l’effet escompté de nos achats individuels de produits d’origine animale correspond à l’effet moyen de tous les actes comparables (Singer, 1980; Kagan, 2011). Leur explication peut être résumée de la façon suivante. Les marchés sont certes largement insensibles aux comportements individuels des consommateur⋅rice⋅s. Il faut donc plusieurs achats d’un même produit, provenant d’un même fournisseur et faits dans un court laps de temps pour que l’offre s’ajuste à la demande. Cela dit, il y a nécessairement un certain nombre n d’achats qui aura pour effet de déclencher un nouveau niveau de production. Parce que les marchés sont complexes et parce qu’un gaspillage considérable dans la chaîne de production est anticipé et pris en compte, ce nombre n risque d’être élevé. Supposons par exemple que 10 000 poulets doivent être vendus avant que l’industrie ne réagisse en produisant (c’est-à-dire en élevant pour les tuer) 10 000 poulets de plus, ou encore que 10 000 poulets soient invendus en une courte période de temps pour que l’industrie ajuste sa production en la diminuant de 10 000 oiseaux. Plus le nombre n d’achats nécessaires est élevé, plus petites sont les chances pour un⋅e consommateur⋅rice individuel⋅le d’avoir un effet sur la production de poulets. En revanche, – et c’est ce sur quoi insistent les auteur⋅rice⋅s auxquel⋅le⋅s je référais –, plus ce nombre est élevé, plus le nombre d’animaux qui seraient « sauvés » ou « sacrifiés » en raison de ce choix individuel spécifique serait lui aussi élevé. En résumé, une toute petite probabilité pour un⋅e consommateur⋅rice d’avoir un effet sur la production est compensée par l’importance que cet effet pourrait avoir s’il était déclenché. Chaque fois qu’une personne décide d’acheter (ou pas) 1 poulet, elle court le risque (ou la chance) d’affecter la vie d’exactement 1 poulet (n X 1/n). L’utilité marginale serait équivalente à l’utilité moyenne.

Si cette explication en a convaincu plusieurs, elle a été récemment critiquée par le philosophe Mark Budolfson. S’appuyant sur des considérations économiques, il ne s’est pas contenté de montrer que les chances pour un⋅e seul⋅e consommateur⋅rice d’avoir un effet sur la production sont en réalité infinitésimales, mais que nous n’avons en outre aucune raison de supposer que cet effet, s’il devait y en avoir un, serait important (Budolfson, à paraître). Selon lui, nous ne pouvons présumer que cet effet serait de n poulets (ou de 10 000 poulets). Il pourrait être considérablement moindre. Budolfson va même jusqu’à suggérer que l’effet escompté d’un geste d’achat individuel, dans ce contexte, serait à ce point insignifiant que nous pourrions, d’un point de vue utilitariste, avoir l’obligation morale de consommer des produits d’origine animale : si nous en tirions ne serait-ce qu’un tout petit plaisir gustatif, cette consommation pourrait être plus avantageuse que désavantageuse pour le bien-être général.

Reconnaissant la force de la critique de Budolfson, plusieurs philosophes ont proposé de contourner l’objection de l’inefficacité en fournissant des raisons non instrumentales d’être véganes, c’est-à-dire des raisons indépendantes des effets du comportement individuel (Driver, 2016; Martin 2015; McPherson, 2015). Ces auteur⋅rice⋅s dénoncent la participation volontaire à ce qui, collectivement, cause du tort à quelqu’un, même si cette participation n’a aucun rôle causal (ou aucun effet) dans la production du tort en question. Ce qui est soutenu est qu’il est mal de s’associer à ceux.lles qui élèvent, tuent et vendent des êtres sensibles, ou même au groupe de consommateur⋅rice⋅s qui – en signalant une demande pour les produits et services issus d’animaux non humains – est responsable de leur assujettissement. Ces auteur⋅rice⋅s soutiennent qu’il est mal de profiter de l’exploitation d’animaux sensibles, en mangeant leur chair par exemple. Il⋅elle⋅s pensent en outre qu’il est mal de ne pas joindre les groupes qui militent pour l’abolition des industries injustes .

Plutôt que d’opter pour des raisons de type déontologique comme celles-ci, d’autres chercheurs⋅ses s’appuient sur l’idée que nos actions individuelles ont bel et bien un effet concret sur la production animale. Steven McMullen et Matthew Halteman soutiennent que le marché des produits d’origine animale est beaucoup plus sensible à la demande que ce que pense Budolfson. Selon eux, « les gros systèmes de distribution se sont imposés précisément parce qu’ils sont efficaces. Les incitatifs qu’ils incluent, aussi pervers soient-ils au regard du bien-être animal, conduisent les producteurs à réagir le plus possible aux changements dans la demande des consommateurs et à minimiser le gaspillage. » (McMullen et Halteman, à paraître) Que ces auteurs aient ou non raison, il semble que l’argument de l’utilité escomptée tel qu’il est présenté ne soit pas l’unique – ni la meilleure – manière d’approcher le problème. Contrairement à ce qui est supposé, il n’y a sans doute pas lieu d’attribuer l’entière responsabilité de l’effet d’une action collective à la dernière personne ayant agi avant que le seuil ne soit atteint. Il serait dès lors préférable de ne pas insister sur la probabilité qu’un individu exécute le 10 000e achat précisément, alors que chacun des 10 000 actes de consommation contribue – le premier autant que le dernier – à atteindre le point de bascule et à affecter le nombre de poulets qui seront produits pour l’alimentation humaine (pour un raisonnement analogue, voir Goldman, 1999). Au moment d’agir, la question à se poser n’est sans doute pas « quelles sont les chances que mon geste soit précisément celui (le 10 000e) qui déclenche un certain niveau de production ? », mais plutôt « quel est le risque que mon action contribue de manière causale à l’atteinte du seuil en question ? ». Or, la probabilité qui sera donnée en réponse à la seconde question est beaucoup plus élevée que 1/n (elle sera en fait de 1). À partir d’un raisonnement semblable, d’autres philosophes préfèrent présenter la solution au problème de manière dynamique et parler d’un effet consistant à devancer ou à retarder, par nos décisions individuelles, le moment où le fameux seuil sera atteint (Gruen, 2015). Au bout d’un certain temps, chacun de nos choix peut considérablement influencer le nombre d’animaux exploités pour nous nourrir.

Une telle conception de la causalité permet de comprendre que chacun⋅e de nous peut contribuer de manière causale à épargner des animaux. En devenant végane, comme l’explique la philosophe Julia Nefsky, un individu n’affecte peut-être pas par ses seuls gestes le sort d’animaux, mais il peut néanmoins « aider à ce qu’un bon résultat soit produit » ou « accomplir un geste significatif vers un changement désirable » (Nefsky, 2016). Un changement qui, bien sûr, ne se produira que si de nombreuses autres personnes agissent de manière comparable. Or, les choix individuels des véganes ne devraient pas être appréhendés isolément. Les choix de consommation des véganes ne sont pas faits en vase clos : en adhérant au véganisme, les individus n’ont pas l’ambition d’affecter directement et immédiatement la production d’aliments ou de services tirés des animaux. Ce qu’ils font surtout, c’est joindre un groupe qui, lui, pourrait faire une différence considérable pour les animaux. Ils s’engagent à être véganes en espérant que d’autres feront de même.

On peut donc dire que, collectivement, les véganes ont de grandes chances d’affecter la production en raison de la force (grandissante) de leur nombre. Et individuellement, chaque végane (qui, faut-il le rappeler, évite les produits d’origine animale plusieurs fois par jour tout au long de sa vie) a de bonnes chances de jouer un rôle causal direct dans la vie d’animaux en aidant le groupe qui fera en sorte que la production d’animaux destinés à être exploités et tués diminue. Cela ne signifie pas que les véganes n’ont qu’un rôle causal direct sur la production. Il⋅elle⋅s ont aussi un rôle indirect parce qu’il⋅elle⋅s influencent par leurs achats le comportement des autres consommateur⋅rice⋅s. C’est ce que le philosophe Ben Almassi appelle le mécanisme de la « contagion sociale » (Almassi, 2011). Lorsque la demande pour les produits de remplacement de la viande, des produits laitiers et des œufs augmente, leur prix diminue et ils obtiennent plus de visibilité sur les menus des restaurants et sur les étagères des épiceries, ce qui favorise plus encore leur popularité. On peut également s’attendre à ce que les compagnies soient de plus en plus intéressées à investir dans le développement de produits similaires plutôt que dans celui de produits à base de viande, de laits ou d’autres ingrédients dérivés d’animaux. Plus la variété et la qualité des produits alternatifs augmentent, plus les consommateur⋅rice⋅s non véganes sont susceptibles de consommer ces produits ; et moins les personnes qui envisageaient de devenir véganes sont rebutées par des difficultés d’ordre pratique.

Autrement dit, pour estimer le rôle causal des véganes sur la production d’animaux pour l’alimentation et pour d’autres usages, il ne faut pas seulement tenir compte de la probabilité que leur comportement individuel ait un effet direct sur la production. Il faut aussi tenir compte de l’effet indirect qu’il⋅elle⋅s peuvent avoir, via l’influence qu’il⋅elle⋅s exercent sur les choix des autres consommateur⋅rice⋅s. Et lorsque leur comportement s’accompagne d’un discours moral et politique, cet effet est considérablement amplifié.

En effet, lorsque les véganes mangent ou consomment en public divers produits de remplacement, il⋅elle⋅s sont parfois mis⋅es en demeure de s’expliquer, de justifier leurs choix. Il⋅elle⋅s se retrouvent donc très souvent à parler d’exploitation animale et des raisons qui les poussent à refuser de l’encourager. Plusieurs véganes cherchent même activement des occasions de faire du marché une arène politique, dans le but de changer les pratiques institutionnelles et commerciales qu’il⋅elle⋅s condamnent. Dans la littérature consacrée aux tactiques employées par les mouvements sociaux, on considère que les stratégies de consommation comme les boycottages et les buycottages (l’achat de certains produits de compagnies socialement responsables) ont une efficacité relativement limitée (Koku, 2012). Toutefois, c’est beaucoup moins le cas lorsque les motivations politiques qui sous-tendent les choix en question sont publiquement exposées (Micheletti et Stolle, 2015). Quand des véganes portent des t-shirts sur lesquels on peut lire des inscriptions comme « McCruelty » ou « Murder King », leur refus de manger dans les chaînes de restauration rapide peut être compris comme une objection de conscience face à la manière dont ces compagnies traitent les animaux qu’elles exploitent. Et cette objection peut faire en sorte que d’autres personnes se rendent compte qu’il est moralement problématique de consommer des produits issus de l’élevage industriel.

Les choix de consommation des véganes peuvent avoir une influence réelle sur la production d’animaux qui seront exploités. Lorsque l’on tente d’évaluer l’efficacité du véganisme pour les animaux, il faut tenir compte non seulement des individus qui seront épargnés directement par les véganes, mais également de ceux qui le seront de manière indirecte, grâce à leur influence sur le comportement des autres. De surcroît, il faut considérer les effets à long terme du mode de vie végane sur les animaux. Or, comme nous le verrons plus loin, les véganes participent à la construction d’un mouvement social et politique qui pourrait avoir un jour – si ses efforts étaient couronnés de succès – des effets extrêmement bénéfiques pour les animaux. Pour ces raisons, il semble raisonnable de rejeter la critique de Budolfson et de conclure que les véganes ont de bonnes chances d’être efficaces et de réellement contribuer à ce que de nombreux animaux soient épargnés.

Le véganisme n’est qu’une quête de pureté personnelle

Les véganes sont parfois accusé⋅e⋅s de faire du véganisme une question de pureté personnelle. Le reproche consiste à suggérer que, si leur objectif est de minimiser la souffrance infligée aux animaux ou d’épargner le plus d’individus possible, il⋅elle⋅s devraient alors chercher à améliorer les conditions de leur exploitation massive et à convaincre un grand nombre d’omnivores de réduire ne serait-ce qu’un peu leur consommation de produits d’origine animale, plutôt que d’essayer de convertir une poignée de gens au véganisme. Lorsque ce n’est pas ce qu’il⋅elle⋅s font, les véganes sont soupçonné⋅e⋅s d’accorder plus d’importance à leur propre vertu ou à celles des agents qui les entourent qu’au sort des animaux victimes de la domination humaine.

Qui plus est, lorsqu’il⋅elle⋅s lisent attentivement les étiquettes pour éviter toute trace d’ingrédients dérivés d’animaux ou quand il⋅elle⋅s refusent de consommer un produit d’origine animale qui irait de toute manière à la poubelle, les véganes peuvent sembler se soucier davantage de ce qu’il⋅elle⋅s mettent dans leur corps que de l’effet réel de leur comportement sur d’autres animaux. En détournant l’attention des animaux vers eux⋅lles-mêmes, il⋅elle⋅s contribueraient à donner l’impression que le véganisme est une question de préférences personnelles plutôt qu’un problème de justice. Cela contribuerait à dépolitiser la cause animale et, par conséquent, à en réduire l’efficacité. Pire, le comportement des véganes qui se soucient des moindres détails de leur consommation serait contre-productif. En présentant le véganisme comme un absolu, les véganes décourageraient les personnes qui auraient été prêtes à essayer, mais qui ne sont pas certaines de parvenir à respecter ce mode de vie sans jamais faillir. Après tout, à quoi bon fournir le moindre effort si le résultat promet d’être le même que celui qui attend ceux⋅lles qui n’en font aucun, c’est-à-dire l’exclusion du groupe des « vrai⋅e⋅s » véganes ? Cette objection de la pureté est présentée par certain⋅e⋅s activistes de la libération animale qui, de manière provocatrice, vont jusqu’à revendiquer « l’abolition du véganisme » (Bonnardel et Sigler; Phelps, 2013). Selon eux⋅lles, la stratégie de la conversion au véganisme tend à éclipser les tactiques plus collectives, publiques et politiques, qui peuvent pourtant elles aussi servir – et servir plus efficacement – la lutte antispéciste.

Cette critique mène à des demandes opposées. D’un côté, certain⋅e⋅s activistes soutiennent qu’il faut réclamer moins que le véganisme. On juge préférable d’inciter les gens non pas à abandonner la consommation de produits d’origine animale, mais simplement à la réduire. L’idée étant que, si tou⋅te⋅s les omnivores diminuaient ne serait-ce qu’un peu leur consommation de nourritures animales, bien plus d’animaux seraient épargnés que si quelques personnes se convertissaient au véganisme. Dans cet ordre d’idée, on estime que toutes les raisons sont bonnes pour motiver les gens à baisser la proportion de viandes, d’oeufs ou de laitages de leur alimentation : si les arguments médicaux ou environnementaux fonctionnent, il ne faut surtout pas hésiter à y recourir. D’un autre côté, certain⋅e⋅s pensent qu’il faut réclamer plus que le véganisme. Boycotter/buycotter certains produits ou services serait nettement insuffisant. L’activisme doit dépasser le simple mode de consommation individuel; il faut politiser la cause et viser des changements collectifs et institutionnels. Ces militant⋅e⋅s, parce qu’il.elle⋅s espèrent qu’un véritable mouvement politique pour les animaux se développe, sont parfois méfiant⋅e⋅s à l’égard des stratégies fondées sur la promotion d’intérêts humains, comme la santé ou l’environnement pour les générations futures. Selon eux⋅lles, la libération animale passera par un changement dans la manière dont les animaux sont perçus. Et cela requiert qu’ils soient placés au cœur des revendications.

Une manière de répondre au premier volet de l’objection serait de rappeler que ce qui est le plus efficace pour réduire la souffrance, le nombre de mises à mort et l’exploitation des animaux est une question empirique. À l’heure actuelle, personne n’est encore parvenu à y répondre avec certitude. C’est que les études menées sur le sujet ne tiennent pas toujours compte des effets indirects, ou encore des effets à moyen ou long termes des différentes stratégies pour en comparer l’efficacité respective. Plusieurs enquêtes ont bien montré que les demandes modérées ont plus de chances d’être accueillies favorablement que celles qui sont plus exigeantes (Cooney, 2011; Leenaert, 2017). Cependant, les tactiques qui ont le plus grand taux de succès immédiat ne sont pas nécessairement celles qui donneront, en fin de compte, les meilleurs résultats. Une demande tout de suite écartée parce que jugée trop ambitieuse pourrait, à force d’être répétée (et de l’être par différentes personnes), faire son chemin dans l’esprit des gens à qui elle est présentée et susciter de moins en moins leur hostilité. Sans compter qu’un discours idéaliste pourrait inciter les individus à faire un premier pas vers cet idéal, puis un deuxième, et ainsi de suite. Peut-être qu’un tel discours n’est pas moins encourageant qu’un discours modéré, qui présente chacun de ces premiers pas comme l’objectif ultime à atteindre (Francione, 2010). Lorsque Gregory Lewis utilise les données de l’organisme Animal Charity Evaluators pour soutenir qu’être végane pendant une année n’aide pas davantage les animaux que donner 46 centimes à l’organisme caritatif The Humane League (Lewis, 2015), il ne considère pas tous les facteurs pertinents. Dans le calcul (et cela rejoint la conclusion de la section précédente) ne sont pas inclus les bénéfices à long terme de la création d’un mouvement végane qui, avant d’avoir atteint un certain niveau de développement, pourrait n’avoir eu que très peu d’effets concrets sur leur bien-être.

Parce que beaucoup d’incertitudes entourent l’efficacité des différentes stratégies militantes, certain⋅e⋅s activistes sont d’avis que le mieux est d’avoir recours à une grande variété d’entre elles. Ceux⋅lles qui privilégient les tactiques modérées ou anthropocentrées justifient leur choix par le fait que, si les études dont nous disposons ne sont pas parfaitement concluantes, elles indiquent tout de même que ces méthodes rencontrent plus de succès que leurs concurrentes (Mercy for Animals, 2016). Ceux⋅lles qui préfèrent les stratégies ambitieuses expliquent que, puisque tous les gens dont l’idéal est modéré présentent des demandes modérées, les abolitionnistes (qui visent l’abolition de toutes les formes institutionnalisées d’exploitation animale) devraient privilégier les méthodes qui tendent à véhiculer un message explicitement libérationniste. Il⋅elle⋅s remarquent que les personnes qui, sans s’opposer à l’exploitation animale en tant que telle, dénoncent les méthodes d’élevage intensives, pensent qu’il faudrait revenir à des petits élevages traditionnels et sont favorables à une réduction de la consommation de viande (personnes que l’on qualifie de welfaristes) sont beaucoup plus nombreuses que celles qui espèrent l’abolition de l’exploitation animale et qui adhèrent au véganisme. S’il est souhaitable qu’une grande variété de tactiques soient déployées, sans doute vaudrait-il mieux que les abolitionnistes s’en tiennent à un discours et à des actions qui expriment clairement leur idéal.

Le second volet de l’objection portait sur l’erreur consistant à accorder plus d’importance à l’excellence morale des agents qu’aux animaux victimes d’exploitation. Bien entendu, s’efforcer de s’améliorer et développer ses vertus morales est un objectif louable. Consentir les efforts nécessaires pour éviter d’encourager (même indirectement) les pratiques que l’on condamne n’est certainement pas une mauvaise chose. Cela dit, il est aussi raisonnable d’exiger que le souci de pureté individuelle n’en vienne pas à supplanter le plus important, soit le sort des animaux. Lorsque des véganes donnent l’impression de se sentir supérieur⋅e⋅s aux autres, lorsqu’il⋅elle⋅s adoptent un ton moralisateur pour critiquer les comportements imparfaits dont il⋅elle⋅s sont témoins, lorsqu’il⋅elle⋅s critiquent les tentatives personnelles infructueuses des uns et des autres en direction du véganisme, il.elle⋅s s’apparentent à une « police végane » qui exaspèrent leur entourage. En outre, il⋅elle⋅s peuvent avoir tendance à sous-estimer les répercussions dommageables de leurs propres habitudes de consommation. En effet, la production de nombreux articles étiquetés « véganes » implique en réalité l’exploitation d’animaux ou a des conséquences catastrophiques pour les animaux, humains et non humains. Pensons à certains produits dont la récolte implique l’utilisation d’animaux; aux « faux cuirs » fabriqués à partir de matières plastiques dommageables pour l’environnement et pour les animaux sauvages; à l’huile de palme dont la production cause énormément de torts aux orangs-outans; ou encore aux téléphones dont les piles contiennent du cobalt extrait par des enfants ou par d’autres travailleurs soumis à des conditions s’approchant de celles de l’esclavage.

Cela dit, si les véganes donnent parfois l’impression d’exagérer ou même d’être obsédé⋅e⋅s par des détails, c’est peut-être parce qu’il⋅elle⋅s prennent la question de l’exploitation animale au sérieux. Après tout, pourquoi s’assureraient-il⋅elle⋅s d’éviter tous les produits et les services qui en sont issus s’il⋅elle⋅s n’étaient pas motivé⋅e⋅s par des raisons relevant de l’éthique ou de la justice animale ? Nous avons vu précédemment que les motivations hygiéniques ne peuvent fonder le véganisme. Pas davantage que les raisons écologiques. En faisant preuve de zèle et en cherchant à convaincre les autres d’adhérer au véganisme, la plupart des véganes se soucient sans doute bien davantage du sort des animaux que de pureté individuelle.

Pour un grand nombre de véganes, le véganisme est une pratique ancrée dans un système de valeurs, dans un engagement à se comporter de manière conforme à l’idée selon laquelle il est injuste d’exploiter des animaux pour des fins humaines. L’objectif n’est pas autant de se donner bonne conscience que de contribuer à ce que cette exploitation soit un jour interdite par la loi et que les animaux soient enfin libérés du joug humain.

La justice animale n’implique pas le véganisme

Certain⋅e⋅s philosophe ont soutenu que le véganisme n’est pas en soi un idéal de justice. Katherine Wayne, notamment, soutient qu’il faut rejeter un véganisme de principe parce que la récupération, la consommation ou la vente de certains produits d’origine animale peuvent, à certaines conditions, être moralement acceptables (Wayne, 2013). Cette possibilité est également envisagée par des auteurs⋅rices comme Sue Donaldson et Will Kymlicka, selon qui toutes les formes d’utilisation des animaux ne constituent pas de l’exploitation (Donaldson et Kymlicka, 2016 [2011]). D’abord, d’un point de vue pathocentrique (Giroux et Larue, 2015), si certains animaux ne sont pas sensibles – comme c’est le cas sans doute des éponges de mer, et peut-être de certains insectes ou coquillages (Rowan et DeGrazia, 1991) – ils n’ont pas d’intérêts individuels et nous n’avons donc aucun devoir moral direct envers eux. Par conséquent, leur utilisation ne constitue pas nécessairement une forme moralement problématique d’exploitation.

Par ailleurs, certains usages impliquant de recourir à des animaux sont peut-être moralement légitimes. Dans certaines circonstances, tondre la laine pour la vendre ou consommer des œufs peut être fait dans le respect des intérêts et des droits des moutons, des poules ou des autres animaux concernés. On peut imaginer, par exemple, une société juste dans laquelle les moutons seraient considérés comme des citoyens à part entière et se verraient accorder le droit de contribuer à la société par leur travail ou par ce qu’ils produisent (Donaldson et Kymlicka, 2016 [2011]). Dans la mesure où cela peut se faire de manière bienveillante et dans le respect de l’agentivité, des besoins et des préférences de ces citoyens ovins, il pourrait alors être permis de tirer un profit commercial de la vente de la laine des moutons de certaines races dont le bien-être exige de toute manière qu’ils soient tondus (Wayne, 2013).

Autrement dit, il faut envisager la possibilité que la justice animale n’exclue pas forcément le recours à des produits issus d’animaux ou à des services qu’on peut en tirer. Pour autant, et contrairement à ce que Wayne soutient, cela ne signifie pas qu’elle n’implique pas le véganisme. Car le mode de vie végane bien compris consiste à éviter le plus possible les produits et les services obtenus de l’exploitation d’animaux sensibles (en présumant que la consommation de tels produits et services encourage cette exploitation et contribue à causer du tort à des êtres sensibles) (Giroux et Larue, 2017). Ainsi entendu, le véganisme n’interdit pas tout ce qui provient d’animaux non humains, mais plus restrictivement ce qui provient du traitement injuste de ceux-ci. De manière tautologique, le véganisme consiste à éviter les produits et les services obtenus injustement, si bien que la justice animale implique nécessairement le véganisme. Dans une zootopia telle que la zoopolis de Donaldson et de Kymlicka par exemple, le véganisme serait donc nécessairement généralisé. Les produits d’origine animale et les services tirés des animaux qu’on y trouverait seraient considérés comme véganes.

L’impératif du véganisme est injuste pour certains êtres humains

On reproche parfois aux promoteur⋅rice⋅s du véganisme de ne pas suffisamment tenir compte des situations particulières dans lesquelles les individus peuvent se retrouver. S’il est relativement facile pour certain⋅e⋅s de suivre un mode de vie végane, cela peut représenter un défi bien plus important pour d’autres. Par conséquent, il serait injuste de présenter le véganisme comme un impératif moral absolu et universel. Certain⋅e⋅s féministes véganes préfèrent parler de « véganisme moral contextuel » afin d’insister sur l’importance d’éviter les prescriptions morales universelles insensibles aux divers contextes économiques, culturels et religieux particuliers dans lesquels se trouvent les individus (Adams et Gruen, 2014).

On dit parfois des véganes qu’il⋅elle⋅s essaient « d’imposer des normes dictées par les Blancs de classe moyenne à des personnes appartenant à des cultures où la viande est consommée par nécessité ou par respect d’autres normes qui leur sont propres » (Kheel, 2004). À cela, l’écoféministe Marti Kheel répond qu’inviter les gens à reconnaître des idéaux moraux n’équivaut pas à imposer ses convictions à autrui. Elle ajoute que, lorsque ce sont des gens de cultures orientales comme les Boudhistes ou les Jains défendent avec insistance le végétarisme (les propos s’appliquent tout aussi bien au véganisme), « on ne leur reproche pas leur manque de considération pour les autres cultures ». Si Kheel concède que la sensibilité aux différences ethniques et culturelles qui s’estt développée chez les féministes et autres théoricien⋅ne⋅s ces dernières années est essentielle, elle ajoute qu’elle ne doit pas servir d’alibi pour taire l’idéal végétarien (ou végane) qui n’est pas en soi oppressif.

Certes, le problème consistant à déterminer ce qui est universellement juste ou injuste ne concerne pas spécialement la question du véganisme. En cas de conflit de valeurs, il est parfois difficile de trancher. Le mouvement pour les droits humains fait lui aussi face à ce problème : on suspecte parfois ses défenseurs⋅ses de s’appuyer sur des valeurs typiquement occidentales qu’il⋅elle⋅s chercheraient à imposer à ceux⋅lles qui adhèrent plutôt à d’autres valeurs, plus communautaristes peut-être. Il est souvent compliqué, voire impossible, de surmonter des désaccords fondamentaux ; les obstacles épistémiques devraient inciter les collectivités à faire preuve de prudence avant de critiquer les valeurs et les pratiques des autres. Notons que cette prudence semble particulièrement de mise pour les sociétés occidentales qui se sont montrées coupables dans un passé relativement récent des pires formes de colonialisme et d’impérialisme.

Il n’y a toutefois pas lieu d’empêcher les membres d’un groupe de présenter de manière respectueuse leurs convictions morales à un autre groupe. Le dialogue entre les communautés peut aider les un⋅e⋅s et les autres à mieux se comprendre et à améliorer leurs normes respectives. Il ne serait certainement pas souhaitable que les véganes se censurent et évitent de parler de véganisme aux gens appartenant à d’autres communautés culturelles que la leur. En revanche, les véganes devraient s’efforcer de comprendre les situations complexes auxquelles il⋅elle⋅s sont absolument étranger⋅e⋅s et de reconnaître les revendications de justice liées à ces contextes spécifiques (Kim, 2015). Il⋅elle⋅s devraient s’adresser aux autres avec une certaine humilité, en se rappelant que c’est précisément dans les sociétés occidentales que s’est le plus largement imposé l’élevage industriel et où les animaux non humains sont le plus gravement maltraités.

Par ailleurs, au sein même des divers groupes religieux ou culturels, émergent des sous-groupes favorables au véganisme. C’est, par exemple, le cas dans les communautés autochtones, comme celle des Mi’kmaq du Canada (Robinson, 2010), mais aussi chez les chrétiens (Lindzey, 1987; The Christian Vegetarian Association), les juifs (Yanklowitz, Shamayim V’Aretz Institute) ou les musulmans (Vegan Muslim Initiative). Lorsque les membres de ces sous-groupes s’adressent à leurs pairs, il⋅elle⋅s ont une plus grande légitimité que les autres militant⋅e⋅s véganes. Sans interdire à ces dernier⋅e⋅s de participer aux discussions, il semble avisé d’accorder en priorité la parole à ceux⋅lles qui connaissent de l’intérieur les sources potentielles de conflits ou les défis particuliers auxquels certaines communautés font face.

Dans le même ordre d’idée, il faut reconnaître que se conformer aux exigences du véganisme relève dans certaines circonstances de l’héroïsme. Bien sûr, il est facile de choisir le lait de soja plutôt que le lait de vache lorsqu’ils sont tous les deux offerts à l’épicerie. Et les difficultés de s’en tenir à une diète végétale dans certains coins du monde sont probablement exagérées : les légumineuses et les pommes de terre se trouvent à peu près partout et coûtent généralement moins cher que les produits laitiers et la viande. Il n’empêche que les déserts alimentaires existent bel et bien et qu’il peut être extrêmement difficile dans certaines régions du globe de s’en tenir à un mode de vie végane. C’est notamment le cas dans certains quartiers pauvres des grandes villes américaines comme Atlanta ou Chicago (Business Insider, 2011). Peut-on concevoir le véganisme comme un impératif moral universel tout en reconnaissant qu’il ne peut être respecté aussi facilement par tout le monde ?

En éthique, on dit souvent que « devoir implique pouvoir » ou qu’« à l’impossible nul⋅le n’est tenu⋅e ». Lorsque nous n’avons pas les moyens d’atteindre un idéal moral, nous ne sommes pas coupables de ne pas y parvenir. Par analogie avec le droit criminel, une entorse à l’injonction de véganisme dans de pareilles circonstances pourrait être considérée comme « involontaire » et ne saurait être imputée aux contrevenant⋅e⋅s. On pourrait ainsi juger qu’il est « justifié » lorsqu’on se trouve dans une telle situation d’enfreindre les prescriptions du véganisme, ou d’être « excusé⋅e » de le faire. Si les moyens de défense qui valent en droit criminel trouvaient leurs équivalents dans la sphère morale, peut-être suffirait-il alors d’atténuer le blâme assigné à ceux⋅lles qui ont montré quelques écarts de conduite plutôt que de diluer nos obligations de justice envers les animaux ou de renoncer à l’impératif moral du véganisme.

Cette proposition quant à la manière de penser la responsabilité individuelle ne fournit bien sûr aucune raison d’accepter le statu quo. Ce sont souvent des facteurs sociaux, politiques et institutionnels qui font en sorte que certaines personnes se trouvent dans une situation où il est difficile d’éviter de contribuer à l’exploitation d’animaux. La solution à ce problème devrait donc être du même ordre, c’est-à-dire qu’elle devrait relever moins des individus et davantage de la collectivité. Nous avons le devoir de faire en sorte qu’il soit aussi facile pour tout le monde de respecter un mode de vie végane. Et cela vaut pour des raisons qui relèvent de la justice animale autant que pour des raisons qui relèvent de la justice humaine. En effet, nous avons la responsabilité collective d’éliminer les déserts alimentaires où les citoyen⋅ne⋅s n’ont pas accès à des aliments sains comme des légumes, des fruits, des graines, des légumineuses, des noix et des céréales. Tout le monde devrait pouvoir se procurer ces aliments à proximité et à prix abordables. Chacun⋅e devrait avoir les moyens de se nourrir et de nourrir ses proches correctement. Plutôt que de renoncer à l’idéal végane, il paraît plus raisonnable de lutter contre les graves problèmes de justice distributive à l’origine des déserts alimentaires.

Personne n’est véritablement végane

Dans le contexte actuel, il est en pratique impossible d’éviter absolument tout ce qui contient des produits d’origine animale ou ce qui a indirectement impliqué, à un moment ou un autre, l’exploitation d’êtres sensibles. On retrouve en effet des traces de produits animaux dans l’asphalte de nos routes, dans le caoutchouc des pneus de nos véhicules, dans la colle utilisée pour la fabrication des objets de notre quotidien. Même nos fruits et nos légumes sont le plus souvent cultivés avec du fumier, du purin, du lisier, du guano ou du compost confectionné à partir de résidus organiques provenant d’animaux; ils sont aussi aspergés de divers pesticides, poussent dans des champs labourés, et sont récoltés par des machines qui tuent au passage les petits animaux comme les rats, les taupes, les lièvres et les oiseaux. Considérant cela, les personnes qui se disent véganes ne devraient-elles pas renoncer à ce statut ? Cette épithète n’est-elle pas malhonnête lorsqu’on a recours à des biens ou à des services dont la production ou l’obtention a causé du tort à certains animaux sensibles ? Surtout, n’est-il pas arbitraire ou injuste de refuser cette qualification à ceux⋅lles qui ont recours à d’autres produits d’origine animale ou à d’autres services tirés d’animaux ?

Certain⋅e⋅s poussent même plus loin leur questionnement : puisque les véganes se soucient de la souffrance animale, ne devraient-il⋅elle⋅s pas privilégier l’élevage de gros animaux en pâturage extensif, ou encore la chasse si cela permettait d’éviter les torts plus graves et plus nombreux qui sont causés à des petits animaux par l’agriculture maraîchère (Davis, 2003) ? Autrement formulée, la question consiste à se demander s’il est pire de causer du tort aux animaux en les exploitant que de leur causer un tort comparable ou supérieur en refusant d’abandonner les pratiques qui ont indirectement cet effet. Pour répondre à cette objection, le philosophe Andy Lamey cherche à montrer que, du point de vue moral, il n’y a pas que les torts subis par les victimes qui comptent. Les intentions des agents doivent également être évaluées Et pour ce faire, Lamey invoque la doctrine du double effet. Selon lui, cette doctrine permet d’expliquer pourquoi il est plus grave – du point de vue déontologique, mais peut-être également de celui de l’utilitarisme de la règle et de celui de l’éthique de la vertu – d’exploiter un animal sensible que d’adopter des pratiques qui peuvent avoir sur lui des effets dommageables anticipés, mais non désirés (Lamey, à paraître).

Lamey suggère deux modifications à la conception traditionnelle de la doctrine du double effet. D’abord, il amende la version qu’il attribue à des auteurs déontologistes (aux “déontologistes californiens” comme il les appelle) pour expliquer que nous n’avons aucune bonne raison de limiter sa portée aux personnes et qu’elle devrait concerner tous les animaux sensibles. Ensuite, Lamey entreprend de dépasser la difficulté, voire l’impossibilité, de séparer les effets intentionnels des actions et leurs effets simplement anticipés (closeness problem). À cette fin, il propose de distinguer, à la suite d’autres auteurs⋅rices, entre l’action directement dommageable et l’action indirectement dommageable. Cette distinction, explique-t-il, permet de ne plus avoir à découvrir si l’agent avait bel et bien l’intention de causer du tort à des innocents, et de se contenter de déterminer si l’agent a ou non délibérément impliqué des innocents en les traitant comme des moyens d’atteindre ses fins. Alors que les véganes n’instrumentalisent pas les animaux qui se trouvent dans les champs où poussent des céréales (les animaux en question ne jouent aucun rôle dans la production céréalière et ne font malencontreusement que subir les effets d’une pratique qui se déroulerait de la même manière, avec ou sans eux), l’omnivore et le⋅a chasseur⋅se utilisent délibérément des animaux d’élevage où des proies sauvages comme moyens d’épargner d’autres individus.

À moins de montrer que les torts causés à des animaux non humains par les véganes sont beaucoup plus importants que ceux qui le sont par les omnivores ou les chasseur⋅se⋅s (condition de proportionnalité) ou encore d’adopter un utilitarisme de l’acte, la doctrine du double effet offre une réponse intéressante à l’objection soulevée. Elle permet en effet d’expliquer pourquoi on peut raisonnablement soutenir qu’il est moralement pire d’exploiter des animaux non humains sensibles que de leur causer certains torts de manière indirecte. Et elle permet peut-être ainsi de justifier le maintien d’une distinction entre ceux⋅lles qui sont véganes et ceux⋅lles qui ne le sont pas.

Il n’empêche que cette objection devrait conduire les véganes à se soucier davantage de leur propre contribution aux dommages subis par les autres animaux et à se demander s’il⋅elle⋅s n’encouragent pas même parfois leur exploitation. Les véganes ont certainement raison de supposer que leur mode de vie cause généralement moins de torts aux animaux non humains que les modes de vie concurrents (cela explique d’ailleurs pourquoi l’utilitarisme de l’acte prescrit généralement lui aussi le véganisme). Néanmoins, il⋅elle⋅s peuvent avoir du sang sur les mains. Lorsque certain⋅e⋅s d’entre eux⋅lles reprochent avec mépris ou dégoût aux gens qui les entourent de ne pas être véganes, ou encore à ceux⋅lles qui le sont de ne pas l’être assez strictement, il⋅elle⋅s sous-estiment parfois leur propre complicité dans l’ensemble des torts causés aux animaux non humains. En effet, il⋅elle⋅s devraient certainement se méfier des pratiques de marketing qui, comme l’écoblanchiment (greenwashing) peuvent s’avérer trompeuses. Certains des produits étiquetés « véganes » ou « sans cruauté » proviennent – nous l’avons vu – d’usines de misère où des animaux humains sont gravement exploités. Les membres des sociétés hyperconsuméristes devraient faire preuve de prudence dans leurs achats et reconnaître qu’il n’y a peut-être pas lieu de faire une différence catégorique entre leur comportement et celui des gens de leur entourage.

Il n’en demeure pas moins que, même si tracer une ligne précise entre ce qui convient aux véganes et ce qui ne leur convient pas est une entreprise délicate, cela ne signifie pas qu’elle est arbitraire. La complicité de chacun⋅e à l’égard du mal causé aux autres animaux est une question de degrés. Elle peut dépendre de la force du lien causal entre une action et le mal en question. Ou encore du nombre d’options offertes à l’individu qui s’apprête à agir. Elle peut aussi dépendre du fait que certains sous-produits animaliers se retrouvent insidieusement en tout chose, ce qui les rend plus difficiles à éviter que d’autres (Driver, 2016). Face à ce spectre de difficultés à respecter un mode de vie végane, on peut adopter une forme de gradualisme en matière de responsabilité morale individuelle. Sans doute certains produits sont-ils à peu près inévitables : dans ce cas, l’obligation morale individuelle pourrait se limiter à fournir des efforts raisonnables pour les éviter. Mais lorsqu’il s’agit de viande, de produits laitiers, d’œufs, de vêtements en cuir ou d’activités comme la chasse ou le cirque – alors qu’est offerte une grande variété de produits de remplacement –, le fait d’encourager ces industries revient à collaborer avec ceux⋅lles qui causent directement du tort à des animaux, et cela engage une plus grande responsabilité morale. Autrement dit, quand il est raisonnablement facile d’éviter ces produits et services, le devoir moral de chacun⋅e n’est plus d’essayer de s’en passer, mais d’y parvenir.

Les philosophes Lorie Gruen et Robert C. Jones ont par ailleurs suggéré de penser le véganisme non pas comme un état, mais comme « un idéal vers lequel tendre activement » (Gruen et Jones, 2015). Ces deux auteur⋅rice⋅s nous invitent à concevoir le véganisme comme la participation d’un individu à la création d’un monde dans lequel il y aurait moins de violence, d’exploitation et d’oppression. Et « participer » signifie d’abord changer ses propres habitudes de vie de manière à les rendre le plus conformes possible à cet idéal. Selon Gruen et Jones, le véganisme est politique par nature. Ce « n’est pas un choix alimentaire, mais plutôt une vision engagée du monde intégrant les animaux sensibles non humains dans les dimensions théoriques et pratiques de la justice sociale » (Gruen et Jones, 2015). Cette conception du véganisme comme un idéal vers lequel tendre rend compte du fait que nul⋅le ne peut être parfaitement végane. En revanche, elle n’évacue pas toute exigence concrète : « se présenter comme un végane politique tout en continuant à agir, en toute connaissance de cause et sans nécessité, de manière à encourager l’exploitation animale […] reviendrait à s’approprier malhonnêtement le statut de végane […], à manquer d’authenticité et à agir de mauvaise foi. » (Jones, 2016) Dans le même ordre d’idée, le philosophe Tristram McPherson défend une conception du véganisme qui, bien que modeste, reste suffisamment exigeante pour vouloir encore dire quelque chose. Selon lui, le véganisme, dans des circonstances normales, exclut au moins les produits obtenus par le recours à l’exploitation d’animaux d’élevage (McPherson, 2015).

Dans un monde où personne ne peut respecter ce mode de vie de manière parfaitement rigoureuse, les stratégies évoquées visent à maintenir néanmoins la pertinence de l’étiquette ou du statut de végane. Si de tels ces efforts sont déployés, c’est notamment parce que l’identité commune joue un rôle central dans les nouveaux mouvements de justice sociale. L’identité végane, comme nous allons le voir, est une raison d’affirmer que ceux⋅lles qui la partagent forment un véritable mouvement social et politique.

La dimension politique du véganisme

Nous l’avons vu, les choix des véganes sont motivés par des considérations de justice. Le véganisme est donc une prise de position morale et politique qui conduit ceux⋅lles qui y adhèrent à adopter un mode de vie conforme à leurs convictions et à résister à l’idéologie dominante. C’est ce que soutiennent les professeures de science politique Michele Micheletti et Dietlind Stolle, selon qui « les véganes […] rejettent tous les produits d’origine animale (boycottage), il⋅elle⋅s achètent des produits ‘sans cruauté’ (buycottage), il⋅elle⋅s poussent leur entourage à opter pour des aliments de remplacement et à reconnaître des droits aux animaux (consommation politique discursive), et il⋅elle⋅s adoptent même un mode de vie allant à contre-courant de celui qui est dominant dans la société pour vivre conformément à leurs convictions. » (Micheletti et Stolle, 2015). Selon Micheletti et Stolle, les véganes forment un mouvement qui met à mal la pensée et les structures politiques, sociales, économiques et culturelles en place pour proposer une nouvelle conception du monde. Il⋅elle⋅s s’attaquent à l’hégémonie carniste.

Hégémonie carniste

À l’anthropocentrisme – cette conception philosophique selon laquelle l’humanité se situe au centre de l’univers et est supérieure au reste de la nature – se rattachent les notions de spécisme et de carnisme. Comme on l’a vu, le spécisme renvoie au système de croyances selon lequel les individus ont une valeur morale différente en fonction de l’espèce à laquelle ils appartiennent, l’espèce humaine siégeant au sommet de cette hiérarchie. Le carnisme, quant à lui, est un terme proposé par la psychologue américaine Melanie Joy pour désigner la sous-idéologie du spécisme qui nous conduit plus précisément à tenir pour normal, naturel et nécessaire l’utilisation des autres animaux pour nos fins (Joy, 2009). Souvent même sans que nous nous en rendions compte, cette sous-idéologie nous conditionnerait à appréhender les autres animaux en fonction des usages qui en sont faits. Si le spécisme peut en rester au niveau des axiomes philosophiques ou des positions de principe, le carnisme qui en découle prendrait la forme de dispositions psychologiques ou d’attitudes à l’égard des animaux, expliquant que nous percevions certains d’entre eux comme nos protégés, mais d’autres comme des sources d’aliments ou de matières diverses (Gibert et Désaulniers, 2014).

Joy soutient que ce n’est pas au spécisme, mais au carnisme que le véganisme s’oppose plus exactement. En effet, il n’est pas nécessaire de rejeter entièrement le spécisme pour condamner l’exploitation d’autres animaux sensibles. On peut renoncer à exploiter les animaux non humains, sans pour autant mettre sur un pied d’égalité leurs intérêts et ceux des êtres humains. Ce que réclament les véganes n’est pas nécessairement la reconnaissance de l’égalité morale entre tous les êtres sensibles, mais plus modestement l’abolition de leur assujettissement. C’est ainsi contre le système de croyances selon lequel nous sommes autorisé⋅e⋅s à exploiter les autres animaux que les véganes mènent leur lutte. Selon ces dernier⋅e⋅s, il faut éviter l’exploitation d’êtres sensibles, autant de ceux qui n’appartiennent pas à l’espèce humaine qu’à ceux qui y appartiennent.

Le carnisme occupe depuis toujours en Occident une position hégémonique. Les critiques qui lui ont été adressées au cours de l’histoire n’ont aucunement menacé sa domination en Occident. Cela dit, le passé n’est pas garant de l’avenir. Grâce à la découverte de la vitamine B12 en 1948 (Véron, 2017) et à la disponibilité grandissante des options végétales sur le marché, la consommation d’aliments d’origine animale est maintenant plus souvent un choix qu’une nécessité. Et cela permet, sans doute pour la première fois dans l’histoire, d’envisager un véritable renversement de l’ordre en place.

Bien sûr, la force des habitudes est grande. Et celle des mécanismes psychologiques qui permettent de nier les problèmes moraux entourant le traitement que nous réservons aux autres animaux ou encore de surmonter notre dissonance cognitive l’est tout autant (Gibert, 2015). On ne doit pas non plus oublier la formidable détermination des industriel⋅le⋅s à défendre leurs sources de profit, tout comme celle de certain⋅e⋅s intellectuel⋅le⋅s à légitimer l’exploitation animale (Lepeltier, 2017). On sait enfin combien le⋅la législateur⋅rice tend à protéger le statu quo. Pour autant, depuis quelques années, l’adhésion au carnisme s’effrite (Giroux et Larue, 2017). Et elle s’effrite à mesure que les véganes se regroupent et s’organisent au point de former un véritable mouvement de justice sociale.

Le véganisme comme mouvement social

En recoupant les définitions proposées par plusieurs spécialistes du sujet (Tilly, 2004; Diani, 2008; Tarrow, 2015), on peut dire qu’un mouvement social est un réseau informel d’acteur⋅rice⋅s suffisamment nombreux⋅ses et ayant une identité ainsi que des valeurs communes, qui mènent de manière plus ou moins organisée, mais néanmoins continue des actions collectives visant certains changements sociaux. En outre, ces acteurs⋅rices adressent leurs revendications à des opposant⋅e⋅s identifié⋅e⋅s de diverses manières (généralement des groupes dominants), sans se limiter aux canaux institutionnels officiels. Il⋅elle⋅s ont recours à un répertoire varié d’actions militantes : coalitions, veillées, manifestations,marches de protestation, pétitions, distributions de tracts, conférences publiques, interventions dans les médias, etc. Le plus souvent, il⋅elle⋅s se soucient de présenter le mouvement auquel il⋅elle⋅s se sentent appartenir sous un jour favorable de manière à le rendre respectable et crédible et cherchent à donner une impression générale d’unité ou de cohésion parmi ses membres. Or, il y a de bonnes raisons de penser que les véganes satisfont ces conditions.

En 1949, une membre de la Vegan Society, Leslie J. Cross, proposait d’interpréter le véganisme comme « le principe d’émancipation des animaux de l’exploitation par l’être humain », principe qui « cherche à mettre fin à l’utilisation d’animaux par les êtres humains pour l’alimentation, la production de biens de consommation, le travail, la chasse, la vivisection et tous les autres usages impliquant l’exploitation des animaux par les êtres humains » (The Vegan Society, en ligne). Depuis, le véganisme est apparu – nous l’avons vu – dans les principaux dictionnaires de langue française où il est défini comme un mode de vie respectueux des animaux. Or, l’adoption d’une définition du véganisme établit les valeurs qui unissent les membres du mouvement. Elle témoigne en effet d’un certains consensus quant à l’objectif dont il est saisi : rejeter la consommation de produits d’origine animale et de services issus de celle-ci, de manière à contribuer à l’abolition de l’exploitation des animaux.

En outre, les véganes font la promotion du véganisme de manière soutenue depuis maintenant plusieurs décennies. Certes, certains observateur⋅rice⋅s mettent en doute le caractère continu de leurs actions collectives parce que le nombre de véganes ne semble pas augmenter ou parce qu’il augmente lentement (Maurer, 2002). Nous aurions pourtant tort de supposer que seul un accroissement du nombre de véganes témoigne de la durabilité ou même du succès du mouvement. En effet, il est possible que l’influence de ses membres se fasse ressentir dans la population générale qui est de plus en plus familière avec le véganisme, ou chez les omnivores qui diminuent leur consommation de produits d’origine animale (Joy et Tuider, 2016). Il se pourrait aussi que le travail des véganes ait un effet sur l’industrie qui cherche de plus en plus à rassurer des consommateurs⋅rices quant à la manière dont sont traités les animaux qu’elle exploite. Il touche en outre les gouvernements qui proposent des politiques publiques qui tiennent compte des intérêts des animaux non humains, et même le⋅a législateur⋅rice qui prévoit des peines plus sévères en cas de cruauté ou de négligence envers ces animaux. S’il est vrai que peu de gens encore sont strictement véganes en dépit des circonstances plus que jamais favorables à l’adoption de ce mode de vie, il est aussi vrai que les véganes n’ont jamais été aussi proches de voir leurs efforts fructifier.

En ce qui a trait aux cibles des revendications des acteurs⋅rice⋅s du mouvement végane, il faut rappeler que les véganes ne se contentent généralement pas de s’abstenir, dans la sphère privée, de certains produits et services. Il⋅elle⋅s expriment publiquement leurs revendications en faveur des animaux non humains : il⋅elle⋅s communiquent leurs demandes aux individus qui ne sont pas véganes ou qui ne s’opposent pas à l’exploitation animale, aux industries qui exploitent les animaux, aux institutions qui encouragent l’idéologie carniste et aux gouvernements responsables des politiques publiques et des lois et règlements en vigueur. Et cela se manifeste notamment par la formation de groupes, d’organisations ou d’associations voués à l’avancement de l’idéologie (ou de la contre-idéologie) végane – pensons à PETA, à la Vegan Society, à L214 Éthique et animaux, au Vegan World Network, à Vegan Outreach et à tant d’autres. Les membres de ces regroupements promeuvent le véganisme de différentes manières : en organisant des festivals, des foires de rue, des ateliers populaires; en mettant en ligne des sites web consacrés aux aspects pratiques (blogues culinaires, etc.); en distribuant des tracts aux passants pour les informer des fondements du véganisme et du traitement des animaux destinés à la consommation; en lançant des pétitions pour obtenir plus d’options végétaliennes dans les cantines ou une révision des guides alimentaires officiels; en dénonçant la cruauté et les abus dans les fermes et les abattoirs; en militant pour un renforcement des protections accordées aux animaux domestiqués ou sauvages; en négociant avec l’industrie qui exploite des animaux dans le but de les convaincre d’améliorer leurs méthodes; en saisissant les tribunaux pour faire condamner les pratiques les plus inhumaines. Bref, les véganes recourent à tout un éventail de tactiques pour promouvoir la libération animale.

De surcroît, même les véganes peu attirés par le militantisme ne vivent pas leur véganisme de manière entièrement privée. En effet, quiconque refuse de consommer, de porter ou d’utiliser des produits d’origine animale ou encore d’avoir recours à des services ayant impliqué l’exploitation d’animaux sera fréquemment amené⋅e à justifier ses choix. En s’expliquant à leur famille, leurs collègues de travail, leurs ami⋅e⋅s, voire à des inconnu⋅e⋅s, les véganes contribuent à déstigmatiser et à normaliser l’opposition à l’exploitation animale. Surtout, les véganes incarnent leur mode de vie de manière préfigurative (Boggs, 1977) : il⋅elle⋅s démontrent à leur entourage que cela n’est pas utopique, qu’il est possible d’être végane tout en étant en bonne santé et en ayant même une vie agréable (Melucci, 1985). Une telle démonstration a l’avantage d’atteindre les personnes peu susceptibles de consulter la littérature scientifique et donc de savoir que le végétalisme ne menace pas la santé humaine. Rencontrer des véganes qui ne correspondent pas aux stéréotypes du végétarien blême, carencé et à tendance hippy peut certainement faire tomber des préjugés.

Finalement, beaucoup de véganes s’identifient et s’affichent comme tels. Il⋅elle⋅s se réunissent sous cette bannière à l’occasion de regroupements publics ou portent des insignes ou de t-shirts promouvant le véganisme. Si plusieurs adoptent un ton contestataire lorsqu’il⋅elle⋅s dénoncent publiquement le type d’oppression qui leur paraît injuste, nombreux⋅ses sont les véganes qui s’efforcent de présenter leur mode de vie de manière positive afin de convaincre le plus de gens possible à venir grossir les rangs de leur mouvement. Dans cet ordre d’idée, les personnes qui se réunissent à l’occasion de grands festivals ou de foires véganes ne cherchent pas seulement à créer et à maintenir une solidarité entre les membres du mouvement ou un sentiment d’appartenance au groupe. Il⋅elle⋅s ne se contentent pas d’offrir le soutien psychologique et la motivation nécessaire à ceux⋅lles qui risqueraient autrement de se laisser décourager par les défis familiaux ou sociaux qu’il⋅elle⋅s peuvent rencontrer, notamment en raison de la végéphobie ambiante (Cole et Morgan, 2011). Par les activités festives qu’il⋅elle⋅s organisent, les véganes s’attachent à rendre leur mode vie attirant parce qu’il⋅elle⋅s estiment que plus leur mouvement comptera de membres, plus leur voix et leurs revendications seront entendues.

Pour toutes ces raisons, les véganes ne font pas qu’appuyer le mouvement en faveur de la libération animale, mais en constituent un rouage essentiel (Véron, 2016).

Le monde végane : quelques débats contemporains

Les véganes recourent à diverses tactiques pour resserrer leurs rangs et faire avancer la cause de la libération animale. Mais il⋅elle⋅s ne s’entendent pas toujours sur les meilleures manières de conduire leur activisme. Alors que certain⋅e⋅s privilégient des approches progressives qui visent un enchaînement d’avancées modestes ayant, jugent-il.elles, de grandes chances de succès, d’autres voient dans l’adoption de stratégies welfaristes une forme de trahison ou de lâcheté par rapport aux idéaux abolitionnistes (Francione, 1996). Certain⋅e⋅s estiment que toutes les méthodes permettant d’attirer l’attention sur le sort des animaux sensibles non humains sont bonnes. D’autres, au contraire, se soucient des effets pervers de certaines campagnes, comme celles qui alimentent le sexisme en exhibant le corps de femmes (Adams, 2011), ou encore celles qui contribuent à la xénophobie en ciblant les pratiques de minorités ethniques comme l’abattage rituel, la viande de chien en Corée, etc. Il⋅elle⋅s se méfient également des conséquences sur des personnes vulnérables du recours à certains arguments, comme l’argument dit des « cas marginaux », qui concerne les êtres humains en situation de handicap intellectuel, (Taylor, 2017). Ces véganes tiennent à ce qu’on évite de déshabiller Pierre pour habiller Paul et en appellent à une convergence des diverses luttes contre l’oppression. S’opposant à la hiérarchie des différentes revendications pour plus de justice sociale, les féministes intersectionnelles en particulier soutiennent que les diverses formes d’oppression doivent être combattues simultanément. Cela exige notamment de faire la promotion du véganisme d’une façon respectueuse de tous les individus et de veiller à ne pas contribuer à l’oppression de groupes humains marginalisés. Les véganes soucieux⋅ses d’une justice plus globale cherchent ainsi à éviter d’alimenter le sexisme, la xénophobie, le capacitisme, l’âgisme, le racisme, etc. Selon eux⋅lles, le véganisme doit être compris comme « l’engagement à minimiser la violence contre toute vie animale (humaine ou non humaine) » (Jenkins et Stanescu, 2014).

De nombreux⋅ses auteur⋅rice⋅s insistent, quant à eux⋅lles, sur l’importance de combattre le capitalisme : d’une part, pour libérer les animaux de leur statut de biens susceptibles d’appropriation ; d’autre part, pour protéger les habitats des animaux sauvages. Il⋅elle⋅s dénoncent le rôle coercitif de l’État dans la protection des intérêts des industries au détriment de ceux des animaux non humains; il⋅elle⋅s soulignent les liens historiques et matériels entre la domination des animaux et l’oppression des femmes et d’autres groupes marginalisés. Les chercheurs⋅ses en études animales critiques sont d’avis qu’on ne peut espérer libérer les autres animaux et créer un monde plus juste, plus durable et plus paisible sans se débarrasser de la violence structurelle du système économique capitaliste fondé sur la domination et la marchandisation (Gruen, 1993; Nibert, 2002; Noccella II, Sorenson, Socha et Matsuoka, 2014; Castricano et Simonsen, 2016). Nombre de ces auteur⋅rice⋅s reprochent au mouvement végane de ne pas suffisamment tenir compte des profondes injustices socio-économiques et d’adopter insidieusement la perspective des privilégié⋅e⋅s.

Il existe aussi des désaccords sur les implications de l’idéal à poursuivre. Le monde végane que certain⋅e⋅s imaginent est divisé de manière à ce que les êtres humains et les autres animaux aient le moins d’interactions possible. Par pessimisme peut-être, il⋅elle⋅s craignent que le maintien d’une proximité physique entre les uns et les autres ne mènent inévitablement à des abus et à des rapports de domination. Il⋅elle⋅s pensent que l’institution de la domestication doit disparaître. Et cela implique non seulement de cesser l’élevage, mais également d’empêcher les individus qui existent déjà de se reproduire, que ce soit par leur stérilisation ou, de manière moins invasive, par l’administration de contraceptifs oraux. L’extinction des espèces domestiquées n’est pas perçue comme un problème parce que la plupart de ces espèces ont été créées par des êtres humains et ne contribuent pas au maintien de la biodiversité. Surtout, la perspective pathocentriste privilégiée en éthique animale se fonde sur le postulat selon lequel une espèce en tant que telle n’a aucun intérêt dont il faudrait se soucier. Seuls ses membres en ont (un individu peut souffrir et peut être affecté consciemment par ce qui lui arrive, par exemple, mais pas une espèce). Or, on peut douter du fait que les individus qui existent déjà aient intérêt à ce que des représentants de leur espèce existent dans le futur. Seul l’intérêt à exercer une certaine autonomie reproductive ou à vivre la parentalité pourrait être frustré par les mesures extinctionnistes proposées. Mais quand bien même cet intérêt existerait, il ne ferait sans doute pas le poids devant la gravité des torts causés aux animaux non humains qu’on laisse autrement naître dans nos sociétés humaines. Selon cette perspective, la meilleure manière d’éviter l’exploitation animale est donc de nous assurer qu’il n’y ait plus d’animaux domestiqués.

Plus optimistes sans doute, d’autres théoricien⋅ne⋅s imaginent une alternative (Donaldson et Kymlicka, 2016 [2011]). Selon les philosophes, un monde juste serait constitué de sociétés mixtes humaines/non humaines, dans lesquelles des animaux d’espèces ayant été domestiquées seraient considérés comme des citoyen⋅ne⋅s à part entière et pourraient donner naissance à des petit⋅e⋅s qui auraient alors droit à leur juste part des ressources disponibles. Dans ces sociétés mixtes, une certaine gestion des naissances des animaux non humains par des êtres humains demeurerait nécessaire pour pallier l’absence des mécanismes naturels de régulation des populations (prédation, rareté de la nourriture, maladies, parasites, etc.). Néanmoins, l’objectif serait de traiter les animaux domestiqués de la manière la plus conforme possible à celle dont on traite les citoyen⋅ne⋅s humain⋅e⋅s. Selon Sue Donaldson et Will Kymlicka, nos devoirs de justice envers les autres animaux ne se limitent pas à des obligations négatives consistant à ne pas les exploiter. Dans leur fameux livre Zoopolis, ils montrent que nous avons également des obligations positives, se traduisant par les droits de ces individus à certaines choses, comme un territoire, des soins de santé, des ressources de base, une socialisation adéquate, etc. Pour Donaldson et Kymlicka, un monde végane resterait injuste s’il se contentait de refuser l’assujettissement des animaux autres qu’humains en écartant la possibilité d’une vie paisible aux côtés des animaux domestiques.

Une autre pomme de discorde entre les philosophes préoccupés par la justice animale porte sur la question de nos devoirs d’intervention dans la nature pour réduire la souffrance des animaux sauvages (Bonnardel, Lepeltier et Sigler, 2018). Alors que le véganisme exige seulement que nous cessions d’exploiter des animaux sensibles pour nos fins, les activistes soucieux⋅ses du sort de tous les êtres sensibles pensent qu’il ne suffit pas de cesser de causer nous-mêmes des préjudices aux animaux, que ce soit de manière directe en les exploitant pour nos divers usages, ou de manière indirecte en leur faisant subir les effets de notre comportement – pensons à nos pratiques agricoles, à la colonisation de leurs habitats naturels, mais aussi et surtout à nos pratiques de consommation qui entraînent de désastreux changements climatiques (Pepper, à paraître). Selon eux⋅lles, nous avons de surcroît le devoir d’assister les animaux en détresse ou en danger lorsque nous pouvons le faire sans trop de sacrifices, et cela même lorsque nous ne sommes pas responsables de ces préjudices. Vif est le débat qui porte sur l’opportunité (la permissibilité ou l’obligation) d’intervenir dans la nature non pas seulement pour prêter main-forte à quelques individus rencontrés occasionnellement, mais pour réduire les préjudices immenses que subissent les animaux sauvages en raison de la maladie ou des parasites qui ravagent leurs corps, de la soif et la faim qui les accablent, ou de la peur et la fatigue devant les prédateurs qui les pourchassent (Reus, 2018). Lorsqu’il⋅elle⋅s insistent surtout sur ce qu’il nous est possible de faire aux animaux sensibles plutôt que sur ce qu’il nous est possible de faire pour prévenir ce qui peut leur arriver, les véganes ont-il⋅elle⋅s une vision étriquée de nos obligations morales envers les animaux ? Ont-il⋅elle⋅s au contraire raison de considérer que les torts causés injustement sont pires que ceux qui le sont de manière accidentelle (Nagel, 2008), si bien que les premiers devraient avoir la priorité ?

On ne sait pas si des vaches, des poules, des cochons et des chiens fouleront un jour le sol d’un monde végane. On ne sait pas non plus si les proies seront placées à l’abri des prédateurs, dorénavant stimulés par le jeu et nourris par des substituts végétaux. Ce que l’on sait, en revanche, c’est qu’un monde végane ne connaîtrait pas l’exploitation d’êtres sensibles pour des fins humaines. Et en cela, il serait largement préférable moralement au monde carniste.

Conclusion

Le véganisme est parfois associé à une diète végétale motivée par des considérations anthropocentrées. Il est pourtant préférable de le distinguer du simple végétalisme en insistant sur sa dimension idéologique et politique en faveur de la libération animale. Ce qui distingue les véganes, c’est qu’il⋅elle⋅s fondent leurs convictions sur des arguments relevant de la philosophie morale. Nombre d’entre eux⋅lles se revendiquent de l’antispécisme et croient à l’égalité morale de tous les êtres sensibles. Cela dit, c’est plus modestement à l’hégémonie carniste que s’attaquent les véganes en contestant la légitimité de l’exploitation animale pour des fins humaines. Par le mode de vie qu’il⋅elle⋅s adoptent, les véganes sapent petit à petit les bases culturelles de l’idéologie dominante selon laquelle il est naturel, normal et nécessaire d’utiliser des animaux non humains pour nos divers usages et préparent le terrain en vue d’un renversement politique des institutions qui maintiennent les animaux autres qu’humains sous le joug de l’humanité. Parce que les véganes ont une identité et des revendications communes et parce qu’il⋅elle⋅s forment un véritable mouvement de justice sociale, les objections liées à l’inefficacité du véganisme paraissent injustifiées. En raison du caractère collectif et persistant de leurs actions, les véganes ont sans doute raison d’espérer un monde dans lequel les animaux non humains seront émancipés.

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Valéry Giroux
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