Utilitarisme (A)

Comment citer ?

Jaquet, François (2016), «Utilitarisme (A)», dans Maxime Kristanek (dir.), l'Encyclopédie philosophique, consulté le ..., https://encyclo-philo.fr/utilitarisme-a

Publié en mai 2016

Résumé

L’utilitarisme est l’une des principales théories en éthique normative. Il affirme qu’une action est bonne si, et seulement si, elle maximise le bien-être total. Cette théorie peut être décomposée en trois affirmations. La première concerne la valeur des actions, qu’elle fait dépendre exclusivement de celle des états de choses qui en résultent : une action est bonne si, et seulement si, ses conséquences sont au moins aussi bonnes que celles des actions alternatives. La deuxième affirmation porte sur la valeur des états de choses : la valeur d’un état de choses se mesure à la quantité de valeur intrinsèque qu’il contient. Une conséquence est donc au moins aussi bonne qu’une autre pourvu qu’elle contienne au moins autant de valeur intrinsèque que cette dernière. La troisième affirmation concerne les porteurs de valeur intrinsèque : outre le bien-être, rien n’a de valeur intrinsèque. Cette entrée examine les objections que ces affirmations ont suscitées, ainsi que les réponses qui leur ont été adressées.

 


 Table des matières

1. Introduction

a. Un (petit) peu d’histoire b. Les trois composantes de l’utilitarisme

2. Le conséquentialisme

a. La confiance b. Implications contre-intuitives

i. Implications injustes ii. Implications exigeantes

c. La connaissance morale

3. Le maximalisme

a. Le respect des personnes b. Implications contre-intuitives

i. Justice distributive ii. Ethique de la population

4. Le welfarisme

a. L’hédonisme b. Le préférentialisme c. La théorie de la liste objective

5. Conclusion

6. Bibliographie


1. Introduction

L’utilitarisme est une théorie en éthique normative, cette branche de la philosophie qui étudie la question : « En vertu de quoi les bonnes actions sont-elles bonnes ou mauvaises ? » Selon l’utilitarisme, une bonne action est bonne parce qu’elle maximise le bien-être et une mauvaise action est mauvaise parce qu’elle ne maximise pas le bien-être. Autrement dit, une action est bonne si, et seulement si, elle produit au moins autant de bien-être que chacune des actions alternatives. Dans le cas contraire, elle est mauvaise.

a. Un (petit) peu d’histoire

L’utilitarisme n’est pas vieux comme le monde, puisqu’il n’a que deux siècles. On en trouve certes des prémisses dès la Grèce antique, mais il n’est formulé comme une théorie à part entière qu’à la fin du XVIIIème siècle, par les philosophes britanniques Jeremy Bentham (2011), William Godwin (1908) et William Paley (2004). Au cours du siècle suivant, l’utilitarisme est défendu par un disciple de Bentham dont la renommée surpassera celle de son maître : John Stuart Mill (2012). Il sert alors de fondement à de nombreuses réformes institutionnelles : à l’instar des actes, les institutions ont des conséquences qu’il est possible d’évaluer en termes de bien-être.

L’utilitarisme a sensiblement moins de succès au XXème siècle. Sous l’impulsion du tournant linguistique, les ambitions de la philosophie morale sont dans un premier temps revues à la baisse. La tâche des philosophes ne consiste alors plus à établir ce qui est bon ou mauvais, mais à analyser la signification des termes « bon » et « mauvais ». La méta-éthique a pris le pas sur l’éthique normative. Quand cette dernière revient sur le devant de la scène dans la seconde moitié du XXème siècle, l’utilitarisme fait l’objet de nombreuses critiques, notamment sous la plume du philosophe américain John Rawls, qui en fait son principal adversaire dans sa fameuse Théorie de la justice (2009). L’utilitarisme n’en demeure pas moins l’une des positions dominantes en éthique normative contemporaine.

b. Les trois composantes de l’utilitarisme

L’utilitarisme est une théorie conséquentialiste. Autrement dit, il soutient que la valeur des actions dépend entièrement de la valeur de leurs conséquences : une action est bonne si, et seulement si, les états de choses qui en résultent sont au moins aussi bons que les états de choses qui résultent des actions alternatives.

A supposer que le conséquentialisme soit vrai, on peut se demander ce qui fait que certains états de choses sont bons, d’autres mauvais et les premiers meilleurs que les seconds. L’utilitarisme fournit une réponse extrêmement simple à cette interrogation : la valeur d’un état de choses dépend exclusivement de la quantité de valeur intrinsèque nette qu’il contient. Une chose possède une valeur intrinsèque si elle est bonne en elle-même, plutôt que comme un moyen pour obtenir quelque chose de bon. Ainsi, on considère généralement que le plaisir a une valeur intrinsèque. Par contraste, l’argent est extrinsèquement bon : il est bon parce qu’il nous permet d’obtenir des choses qui sont bonnes.

La valeur intrinsèque nette d’une chose n’est autre que sa valeur intrinsèque positive à laquelle on a soustrait sa valeur intrinsèque négative. De l’avis des utilitaristes, un état de choses est donc bon s’il contient plus de valeur intrinsèque positive que de valeur intrinsèque négative, mauvais s’il contient plus de valeur intrinsèque négative que de valeur intrinsèque positive et neutre s’il contient autant de valeur intrinsèque positive que de valeur intrinsèque négative. Un état de choses A est donc meilleur qu’un état de choses B si, et seulement si, A contient plus de valeur intrinsèque nette que B. Cette idée porte le nom de maximalisme.

Elle soulève la question suivante : « En vertu de quoi un état de choses contient-il plus de valeur intrinsèque nette qu’un autre ? » Et tout dépend évidemment de ce qui possède de la valeur intrinsèque : les états de choses contiennent des choses qui ont ou n’ont pas de valeur intrinsèque, et c’est en vertu de la valeur intrinsèque des choses qu’ils contiennent que les états de choses contiennent de la valeur intrinsèque. Quelles sont donc les choses qui possèdent de la valeur intrinsèque ? A en croire les utilitaristes, il n’y en a qu’une : le bien-être, c’est-à-dire ce qui est bon pour les individus. Si une chose est intrinsèquement bonne, elle est bonne pour quelqu’un et si une chose est intrinsèquement mauvaise, elle est mauvaise pour quelqu’un. Autrement dit, une chose qui n’est bonne pour personne n’est pas intrinsèquement bonne et une chose qui n’est mauvaise pour personne n’est pas intrinsèquement mauvaise. Cette idée porte le nom de welfarisme – de l’anglais « welfare », qui signifie « bien-être ». (Comme nous le verrons, les utilitaristes souscrivent à une version particulière du welfarisme, parce qu’ils ont une conception particulière du bien-être.) Il s’ensuit qu’un état de choses A contient plus de valeur intrinsèque qu’un état de choses B si, et seulement si, A contient plus de bien-être que B.

En résumé, parce qu’ils souscrivent au conséquentialisme, les utilitaristes considèrent que l’action bonne est celle qui a les meilleures conséquences et, parce qu’ils acceptent le maximalisme et le welfarisme, ils pensent que les meilleures conséquences sont celles qui contiennent le plus de bien-être. Ce qui les amène à conclure qu’une action est bonne si, et seulement si, elle maximise le bien-être (Sen & Williams 1982 ; Bykvist 2010). Afin d’évaluer l’utilitarisme, il convient donc de mettre en balance les raisons qui plaident en faveur de ces trois théories et celles qui s’y opposent.

2. Le conséquentialisme

Pour rappel, le conséquentialisme est la thèse selon laquelle la bonté d’une action dépend exclusivement de la valeur de ses conséquences : une action est bonne si, et seulement si, ses conséquences sont au moins aussi bonnes que les conséquences des actions alternatives.

Le conséquentialisme a un certain nombre de qualités (Bykvist 2010), au nombre desquelles figure la clarté : le slogan conséquentialiste – « L’action bonne est celle qui a les meilleures conséquences » – est on ne peut plus clair. Même s’il est nécessaire de le supplémenter d’une thèse sur ce qui fait qu’une conséquence est bonne, il ne contient pas de termes obscurs ou de formules alambiquées.

Dans ce domaine, d’autres approches ne sont pas aussi exemplaires. C’est le cas des deux thèses kantiennes suivantes : (i) une action est bonne seulement si elle respecte la dignité humaine et (ii) il ne faut jamais traiter autrui comme un simple moyen. Qu’est-ce que la dignité humaine et que doit-on faire pour la respecter ? Qui est cet autrui qu’il est interdit de traiter comme un simple moyen ? Et, au passage, qu’implique le fait de traiter quelqu’un comme un simple moyen ? Le moins que l’on puisse dire est que la signification des expressions « dignité humaine », « autrui » et « comme un simple moyen » ne va pas de soi. En témoignent d’ailleurs les difficultés que rencontrent les partisans de ces théories quand ils tentent de les appliquer à des questions pratiques. Ainsi, tandis que certains jugent l’euthanasie contraire à la dignité humaine, d’autres considèrent au contraire qu’elle constitue parfois la meilleure manière de la respecter. Alors que certains condamnent l’avortement sous prétexte qu’il supposerait de traiter autrui comme un simple moyen, leurs opposants prétendent qu’il n’implique rien de tel, le fœtus n’étant selon eux pas un autrui au sens pertinent.

Outre sa clarté, le conséquentialisme brille par son élégance. C’est en vain qu’on chercherait une théorie plus simple, puisqu’il ne contient qu’un principe : l’action bonne est celle qui a les meilleures conséquences. Les théories auxquelles s’oppose le conséquentialisme sont nettement moins élégantes. Et pour cause, si elles accordent comme lui une certaine importance aux conséquences des actions, elles tiennent également compte d’autres facteurs.

Par exemple, l’éthique de la vertu soutient qu’une action est bonne à condition qu’un agent parfaitement vertueux serait disposé à l’accomplir (Hurtshouse, 1999). Cette théorie tient évidemment compte des conséquences des actions, bien qu’elle le fasse d’une manière plus indirecte que le conséquentialisme : un agent qui négligerait l’impact de ses actions sur le bien-être de ses congénères ne saurait être vertueux. C’est ce qu’illustre l’expérience de pensée suivante :

Suite à un accident de trampoline, Gédéon a perdu la vue. Son docteur a en sa possession deux médicaments. L’un permettrait de restaurer le fonctionnement de l’œil gauche de Gédéon, l’autre celui de ses deux yeux. Après un instant d’hésitation, le docteur opte pour le premier médicament et Gédéon retrouve l’usage de son œil gauche.

Bien qu’il ait aidé son patient, il va de soi que le docteur n’est pas vertueux. S’il l’était, il aurait opté pour le second médicament et Gédéon jouirait de l’usage de ses deux yeux. Or, c’est vraisemblablement parce qu’il n’a pas produit les meilleures conséquences, que le docteur n’est pas vertueux. En somme, la valeur des conséquences des actes contribue à déterminer la valeur des agents. Même en admettant que la valeur des actes dépend de celle des agents, il n’en reste donc pas moins qu’elle dépend in fine de celle des conséquences.

Reste qu’un agent vertueux ne tiendra pas compte que des conséquences de ses actions. C’est du moins ce que doit affirmer le partisan de l’éthique de la vertu, car sans cela, cette dernière se réduirait au conséquentialisme. En effet, à supposer que l’action juste est celle qu’accomplirait un agent parfaitement vertueux et qu’un agent parfaitement vertueux n’accomplirait que les actions qui ont les meilleures conséquences, l’action juste n’est autre que celle qui a les meilleures conséquences. Mais si l’agent vertueux tient compte non seulement des conséquences de ses actions mais aussi d’autres facteurs, il s’ensuit que l’éthique de la vertu est moins élégante que le conséquentialisme.

Il en va de même du déontologisme, qui affirme quant à lui qu’une action est juste à condition qu’elle satisfasse un certain ensemble de règles ou de principes, tels que « Il ne faut pas mentir », « Il ne faut pas voler » et « Il ne faut pas tuer. » Les versions plausibles de cette théorie tiennent elles aussi compte des conséquences. La liste des règles qu’une action doit satisfaire pour être bonne contiendra un principe de bienveillance : « Il faut promouvoir le bien-être général, » sans quoi le déontologisme ne permettrait pas de condamner le choix de notre docteur. La particularité des théories déontologistes n’est pas qu’elles ignorent les conséquences des actions, mais qu’elles restreignent l’application de ce principe de bienveillance. L’idée n’est pas qu’il ne faut pas se soucier du bien-être général, mais qu’il faut le promouvoir sauf quand cela implique, par exemple, de tuer, de voler ou de mentir. A l’instar de l’éthique de la vertu, le déontologisme est donc moins élégant que le conséquentialisme.

Cette différence en entraîne une autre. Parce que le conséquentialisme évalue les actions à la seule lumière de la valeur de leurs conséquences, il peut (relativement) facilement comparer les valeurs respectives de deux actions. Il lui suffit pour cela de mettre en balance la valeur de leurs conséquences. La situation est différente pour une théorie qui tient compte non seulement des conséquences des actions mais aussi d’autres facteurs. Considérons une théorie qui prend également en compte les motifs des actions. Comment une telle théorie comparera-t-elle une action au motif louable mais dont les conséquences laissent à désirer et une autre, dont les conséquences sont bonnes mais le motif douteux ? Le conséquentialiste ne rencontre pas ce problème de commensurabilité.

Un autre égard auquel il marque des points est celui de la cohérence interne, dans la mesure où il n’implique rien d’incohérent. Lorsqu’une action a de meilleures conséquences que les actions alternatives, il prescrit qu’on accomplisse cette action, et pas une autre. Comparez la théorie déontologiste selon laquelle une action est bonne si elle satisfait un ensemble de règles qui contient à la fois « Il faut toujours dire la vérité » et « Il ne faut jamais aider un criminel. » Cette théorie a, pour certains cas, des implications contradictoires. Imaginez qu’un assassin vous demande où est votre voisin. Cette théorie implique, d’une part, que vous devez indiquer à l’assassin où est votre voisin – parce que vous devez toujours dire la vérité – et, d’autre part, que vous ne devez pas indiquer à l’assassin où est votre voisin – parce que cela reviendrait à aider un criminel. En termes de cohérence interne, elle souffre donc la comparaison avec le conséquentialisme.

S’il est cohérent avec lui-même, le conséquentialisme l’est également avec notre pratique morale. En effet, quand nous émettons un jugement moral à propos d’une action ou d’un type d’action, nous sommes en principe disposés à le justifier en faisant appel aux conséquences de cette action ou de ce type d’action. Ainsi, dans les débats auxquels donne lieu l’adoption par des couples homosexuels, tout le monde semble s’accorder sur le fait que sa moralité dépend crucialement de l’impact qu’elle aurait sur la psychologie des enfants, voire sur la stabilité de la société dans son ensemble. De même, tant les partisans des OGM que leurs opposants semblent considérer que la moralité de leur usage dépend dans une large mesure de ses conséquences sur la santé des consommateurs, sur l’environnement et en termes de justice sociale.

De manière plus intéressante, nous cherchons à justifier nos jugements moraux en termes conséquentialistes même quand les chances sont nulles que cette stratégie s’avère payante. Lorsqu’on présente à un ensemble de sujets un scénario dans lequel un frère et une sœur ont un rapport sexuel dont il est précisé qu’il n’a que de bonnes conséquences, la plupart des sujets jugent que les protagonistes ont mal agi (Haidt 2001). De prime abord, on pourrait y voir une difficulté pour le conséquentialisme. Seulement voilà, les sujets en question tentent invariablement de justifier leur jugement en attribuant de mauvaises conséquences au comportement des protagonistes. Il semble donc que nous soyons fortement disposés à aborder les questions morales en termes conséquentialistes.

Le conséquentialisme présente un dernier avantage : sa complétude. Il offre une réponse à toutes les questions morales que nous sommes susceptibles de nous poser. L’usage d’OGM, le piratage informatique et la gestation pour autrui, par exemple, ont des conséquences, qui sont soit bonnes soit mauvaises. Selon la valeur de ces conséquences, le conséquentialisme sera donc soit favorable soit défavorable à ces pratiques. En comparaison, certaines théories déontologistes font pâle figure. La théorie selon laquelle une action est bonne à condition qu’elle satisfasse les dix commandements, par exemple, semble inappropriée pour aborder des problèmes tels que l’usage d’OGM, le piratage informatique et la gestation pour autrui. En effet, les dix commandements demeurent assez silencieux quant à la moralité de ces pratiques.

Les principales vertus du conséquentialisme sont donc (i) sa clarté, (ii) son élégance, (iii) sa capacité à comparer les actions, (iv) sa cohérence interne, (v) sa cohérence morale et (vi) sa complétude. Malheureusement, il possède aussi quelques défauts, comme nous allons maintenant le constater.

a. La confiance

On reproche parfois au conséquentialisme de mettre en danger les relations humaines (Hodgson 1967). Ces relations reposent souvent sur la confiance : quand mon amoureuse me dit qu’elle m’aime, je pars du principe qu’elle me dit la vérité ; elle ne le dirait pas si elle ne m’aimait pas. De même, quand mon frère me promet d’être présent à mon anniversaire, je compte sur sa présence ; s’il s’y engage, c’est qu’il sera de la partie. L’ennui est que si les gens se mettaient à agir sur la base du slogan conséquentialiste, ils ne diraient la vérité et ne tiendraient leurs promesses que lorsque cela a de bonnes conséquences. Or, si je sais que mon amoureuse ne me dit la vérité que quand cela a de bonnes conséquences et que mon frère ne tient ses promesses que quand cela a de bonnes conséquences, je n’ai plus aucune raison de les croire quand elle me dit qu’elle m’aime et qu’il me promet d’être présent à mon anniversaire. En clair, si les gens adoptaient le conséquentialisme, nous ne pourrions plus avoir confiance en personne. Ce qui semble indiquer qu’il n’est pas satisfaisant.

Mais cette objection repose sur un quiproquo. Il est important de bien distinguer un critère du bien d’une procédure de décision (Bales 1971). Le slogan conséquentialiste – l’action bonne est celle qui a les meilleures conséquences – nous fournit un critère du bien ; il énonce la condition qu’une action doit remplir pour être bonne. On aurait toutefois tort d’en faire sa procédure de décision. La sélection d’une telle procédure étant une action (mentale), elle est soumise au critère conséquentialiste, au même titre que les autres actions. Résultat : il serait immoral de sélectionner une procédure de décision dont l’adoption aurait de mauvaises conséquences. Or, étant données les limites de notre cognition, nous sommes rarement capables de prévoir avec précision les conséquences de nos actions. Dans ces conditions, la tentation serait d’autant plus grande de favoriser nos propres intérêts au détriment de ceux de nos congénères. Par conséquent, si nous agissions constamment sur la base du principe conséquentialiste, les conséquences seraient désastreuses. Pour cette raison, le conséquentialisme implique qu’il serait immoral de faire de son slogan notre procédure de décision.

Le slogan conséquentialiste permet néanmoins de choisir une telle procédure : celle dont l’adoption aura les meilleures conséquences. Or, si nous voulons produire de bonnes conséquences, nous ferions bien d’agir sur la base d’un ensemble de principes assez simples. Et justement, il est très plausible que les principes « Il faut dire la vérité » et « Il faut tenir ses promesses » fassent partie de cet ensemble. Etant données les limites de notre cognition, le conséquentialisme exige donc de nous que nous disions la vérité et que nous tenions nos promesses. Il ne menace donc en aucune façon la confiance sur laquelle reposent les relations humaines.

b. Implications contre-intuitives

L’objection la plus souvent adressée au conséquentialisme concerne ses implications contre-intuitives. Certaines de ces implications seraient clairement injustes, d’autres beaucoup trop exigeantes (Mulgan 2007).

i. Implications injustes

Les scénarios suivants illustrent le premier cas de figure :

Un meurtre a été commis et tout le monde sauf le sheriff croit à tort que Suzette est coupable. Si le sheriff ne pend pas Suzette, des émeutes auront lieu et cinq citoyens innocents mourront. Le sheriff pend Suzette. (McCloskey 1957)

Un chirurgien a six patients. Deux d’entre eux ont besoin d’un nouveau poumon, deux autres d’un nouveau rein et le cinquième d’un nouveau cœur. Le sixième patient est en parfaite santé. Le chirurgien prélève ses poumons, ses reins et son cœur et les transplante sur les autres patients. (Thomson 1976)

Si le conséquentialisme est vrai, le sheriff et le chirurgien ont bien agi. Le sheriff a certes tué une citoyenne innocente, Suzette, mais ce faisant il a sauvé la vie de cinq autres citoyens, eux aussi innocents. Le chirurgien a certes tué l’un de ses patients, mais ce faisant il a sauvé la vie de cinq autres patients. Les conséquences des actions du sheriff et du chirurgien sont donc meilleures que celles qu’auraient eues les actions alternatives.

Ces implications du conséquentialisme sont franchement contre-intuitives. A la lecture de ces scénarios, la plupart d’entre nous jugent spontanément que le sheriff et le chirurgien ont mal agi. N’en déplaise aux conséquentialistes, ce qu’ils ont fait est injuste.

Face à cette objection, trois stratégies s’offrent au conséquentialiste. Ce dernier peut (i) nier que sa théorie ait de telles implications, (ii) nier que ces implications soient problématiques ou (iii) concéder qu’elles le sont mais ajouter que les implications des autre théories ne sont pas moins contre-intuitives.

Considérons la première stratégie. Le sheriff et le chirurgien ont mal agi parce que leurs actions ont de moins bonnes conséquences que les actions alternatives : ne pas pendre Suzette et ne pas sacrifier le patient sain aurait produit de meilleurs états de choses. Une manière de faire sens de cette idée à première vue étonnante consiste à affirmer que toutes les morts ne sont pas aussi mauvaises. Un état de choses dans lequel un citoyen innocent est condamné à la pendaison est (toute chose égale par ailleurs) pire qu’un état de chose dans lequel il meurt suite à une émeute. De même, un état de choses dans lequel un patient meurt parce que son chirurgien l’a tué pour prélever ses organes serait (toute chose égale par ailleurs) pire qu’un état de choses dans lequel il meurt parce que son cœur est défaillant. Il se pourrait que, tout bien considéré, ces mauvaises conséquences fassent pencher la balance en défaveur des actes du sheriff et du chirurgien.

Cela se pourrait, mais c’est peu probable. Même en admettant qu’un état de choses dans lequel un citoyen innocent est condamné à la pendaison soit pire qu’un état de chose dans lequel un citoyen meurt suite à une émeute, les proportions sont différentes dans le scénario du sheriff. Dans ce cas, on a d’un côté la mort d’un citoyen innocent et de l’autre celle de cinq citoyens innocents. Même si le fait que le premier a été condamné à tort importe, on a du mal à croire qu’il importe à ce point. De même, le chirurgien doit choisir entre tuer un patient et laisser mourir non pas un mais cinq patients. A moins d’accorder un poids considérable à ce genre de considérations, il est douteux que cette réponse fonctionne.

Quoi qu’il en soit, cette réponse n’est pas à la portée de l’utilitariste. Parce qu’elle repose sur l’idée que punir un innocent est pire que laisser mourir un innocent, elle suppose que l’acte de punir un innocent est intrinsèquement plus mauvais que celui de punir un coupable, et ce indépendamment de leur impact sur le bien-être de qui que ce soit. Il s’ensuit que le bien-être n’est pas la seule chose qui ait une valeur intrinsèque. Cette première stratégie n’est donc compatible ni avec le welfarisme, ni a fortiori avec l’utilitarisme.

La seconde stratégie consiste à nier que les implications contre-intuitives du conséquentialisme soient problématiques. L’objection a la forme suivante : le conséquentialisme implique que P ; or, nous avons l’intuition morale que non-P ; donc le conséquentialisme est faux. Cette objection présuppose que nos intuitions morales sont fiables. Et il faut bien admettre que cette présupposition est plausible dans les situations ordinaires. L’ennui est qu’elle l’est moins lorsque les intuitions en question portent sur des scénarios tirés par les cheveux, dont les circonstances sont très différentes de celles auxquelles nous sommes quotidiennement confrontés. En temps normal, condamner un innocent et tuer un patient pour prélever ses organes aura de mauvaises conséquences, si bien que le conséquentialisme s’accorde parfaitement avec nos intuitions morales. Qu’il s’en sépare dans des situations exceptionnelles ne pose pas de problème puisque, face à de tels cas, nos intuitions ne sont pas fiables.

Le conséquentialiste peut néanmoins affirmer ceci : même si nos intuitions ne sont pas fiables face à de tels cas, nous aurions tort de ne pas nous y fier dans de tels cas. Alors même que le sheriff et le chirurgien ont bien agi, nous aurions tort d’agir de la sorte si nous étions dans leur situation. Cette réponse s’appuie sur la distinction, introduite dans la section précédente, entre critère du bien et procédure de décision. Dans la position du juge, nous n’aurions pas pu exclure que quelqu’un découvre l’innocence de Suzette et déclenche les émeutes que nous cherchions justement à éviter. Dès lors, nous n’aurions pas dû agir sur la base du slogan conséquentialiste, mais sur la base d’un principe simple dont l’adoption a de bonnes conséquences : « Il ne faut pas condamner un innocent, » par exemple. De manière analogue, dans la position du chirurgien, nous n’aurions pas pu exclure que la nouvelle se répande que, dans notre hôpital, un chirurgien sacrifie ses patients, ce qui aurait eu pour effet de dissuader les malades d’aller s’y faire soigner. Dès lors, nous n’aurions pas dû agir sur la base du slogan conséquentialiste, mais sur la base du principe : « Il ne faut pas tuer ses patients (contre leur gré). » En somme, même si le sheriff et le chirurgien ont bien agi, nous n’aurions pas dû agir comme eux ; nous aurions dû suivre nos intuitions.

La troisième et dernière stratégie consiste à insister sur le fait qu’aucune théorie n’est compatible avec toutes nos intuitions. Les théories non conséquentialistes aussi ont des implications contre-intuitives, et il arrive au conséquentialisme d’être mieux à même de rendre justice à nos intuitions morales. C’est notamment le cas face à des scénarios tels que celui du train fou :

Un train dont le conducteur s’est assoupi se dirige à toute allure sur cinq ouvriers, occupés à réparer la voie. Par chance, le chemin de fer dispose d’une voie d’évitement, sur laquelle Simone peut détourner le train au moyen d’un levier. Malheureusement, un sixième ouvrier se trouve sur cette voie. Simone n’actionne pas le levier.

Intuitivement, il semble que Simone ait mal agi. C’est aussi ce qu’implique le conséquentialisme : en actionnant le levier, Simone aurait certes tué un ouvrier, mais elle en aurait sauvé cinq ; les conséquences de son action ne sont donc pas optimales. Une théorie déontologiste, selon laquelle il est mal de tuer même pour produire de bonnes conséquences, impliquera au contraire que Simone a bien agi, contre notre intuition. Il ne s’agit évidemment que d’un exemple. Mais force est de constater qu’aucune théorie morale n’est parfaitement conforme à toutes nos intuitions. Toutes ont des implications qui nous semblent injustes.

ii. Implications exigeantes

Considérons maintenant les implications prétendument trop exigeantes du conséquentialisme. Les deux scénarios suivants illustrent peuvent servir d’illustration :

Simone est très friande de romans policiers, qu’elle dévore par dizaines. Mais voilà, les livres ne sont pas gratuits. Par chance, Simone dispose d’un revenu raisonnable, dont elle consacre une part importante à sa passion.

Il est dix-sept heures. De retour du travail, Gaston s’installe devant son téléviseur et décide de visionner un DVD. Gaston est un grand amateur de cinéma français. A l’issue d’une longue délibération, il opte pour Taxi 4. Il regardera Bienvenue chez les Ch’tis demain.

Selon le conséquentialisme, Simone et Gaston agissent mal. Plutôt que de le consacrer à l’achat de romans policiers, Simone pourrait faire don de son argent à une organisation caritative. En agissant ainsi, elle sauverait des vies. Gaston aussi, pourrait sauver des vies, s’il ne passait pas tout son temps libre à trainer sur son canapé. En changeant d’habitudes, Simone et Gaston produiraient de meilleurs états de choses. Mais ils ne sont pas les seuls. Plus généralement, si le conséquentialisme est vrai, nous avons l’obligation morale de consacrer tout l’argent qui n’est pas nécessaire à notre survie ainsi que tout notre temps libre à des œuvres caritatives. La plupart du temps, nous faisons quelque chose de mal.

Ces implications du conséquentialisme s’accordent mal avec nos intuitions. A la lecture de ces scénarios, la plupart d’entre nous jugent spontanément que Simone et Gaston ne font rien de mal. Le conséquentialisme semble donc exiger de nous des choses qui, bien qu’elles soient admirables, ne sont pas obligatoires.

Tout en gardant à l’esprit que les autres théories ont elles aussi des implications contre-intuitives, les conséquentialistes ont tendance à contrer cette attaque en combinant les deux premières stratégies discutées ci-dessus : d’une part, ils nient que le conséquentialisme ait des implications extrêmement exigeantes ; d’autre part, ils soutiennent que la morale de sens commun – dont sont issues nos intuitions – n’est pas assez exigeante.

Si l’on reproche au conséquentialisme d’être extrêmement exigeant, la réponse est qu’il ne l’est en fait pas. En effet, comme nous l’avons vu, le conséquentialisme nous enjoint à agir sur la base de l’ensemble de principes dont l’adoption aurait les meilleures conséquences. Or, étant donnée notre constitution psychologique, il est douteux que cet ensemble contienne les principes : « Versez à des œuvres de charité tout l’argent qui n’est pas nécessaire à votre survie » et « Consacrez tout votre temps libre à aider votre prochain. » Si nous tentions d’agir sur la base de ces principes, il y a fort à parier que nous n’y parviendrions pas. Pire : nous ne tarderions pas à baisser les bras, incapables de soumettre notre conduite aux normes d’une éthique aussi exigeante. Même si le conséquentialisme exige de nous que nous consacrions une part de notre revenu et de notre temps à des causes humanitaires, il n’exige pas que nous y consacrions toutes nos ressources. Il est exigeant certes, mais il ne l’est pas à ce point.

On peut néanmoins penser qu’il l’est déjà trop : certes, il est bon de donner de son temps et de son argent pour aider son prochain, mais ce n’est pas moralement obligatoire. Parce que nous travaillons huit heures par jour, cinq jours par semaine, nous méritons notre salaire et nos week-ends. Libre à nous d’en faire ce que bon nous semble. C’est du moins ce qu’affirme dit la morale de sens commun, qui bénéficie naturellement du soutien de nos intuitions. Mais en cela, elle se heurte à toute une littérature qui soutient, de manière relativement convaincante et indépendamment de considérations conséquentialistes, que nous avons ce genre d’obligations (par exemple, Singer 1972 ; Unger 1996). Il est donc fort possible que nos intuitions en la matière soient défectueuses et que le conséquentialisme ne s’avère en définitive ni plus ni moins exigeant que n’importe quelle théorie morale satisfaisante.

b. La connaissance morale

Le conséquentialisme affirme que l’action bonne est celle qui a les meilleures conséquences. Or, compte tenu des limites de notre cognition, il est la plupart du temps impossible de savoir quelle action a les meilleures conséquences. Le conséquentialisme implique donc qu’il est la plupart du temps impossible de savoir si les actions sont bonnes ou mauvaises. C’est pour le moins ennuyeux.

Cette objection suscite trois types de réactions. La première réaction consiste à modifier le conséquentialisme. L’action bonne n’est alors plus celle qui a les meilleures conséquences, mais celle qui a les meilleures conséquences attendues. Chaque action possible a un ensemble de conséquences possibles. Chacune de ces conséquences a d’une part une valeur et d’autre part un degré de probabilité. La valeur attendue des conséquences d’une action n’est autre que la somme des valeurs multipliées par les probabilités de chacune de ses conséquences possibles. Considérons une action qui a deux conséquences possibles, A et B. La valeur de A est V(A), la valeur de B est V(B), la probabilité de A est P(A) et la probabilité de B est P(B). La valeur des conséquences attendues de cette action est donc P(A) x V(A) + P(B) x V(B). Pour peu que cette valeur soit supérieure à la valeur des conséquences attendues des actions alternatives, cette action est bonne.

S’il est vrai que nous sommes rarement en mesure d’identifier avec précision les conséquences de nos actions, nous sommes en principe capables d’attribuer des probabilités à ces conséquences. En admettant que cette forme de conséquentialisme identifie correctement le critère du bien, la connaissance morale est donc possible. Malheureusement, il n’est pas clair que cette théorie identifie correctement le critère du bien. S’il nous arrive d’expliquer l’immoralité d’une action par ses mauvaises conséquences, il est plus rare que nous l’expliquions par ses mauvaises conséquences attendues. Cette théorie s’accorde donc moins bien à notre pratique morale que la version originale du conséquentialisme.

La seconde réaction s’inquiète moins : certes, il est rarement possible d’identifier les bonnes actions, mais cela ne saurait invalider le conséquentialisme. Comme celle des théories scientifiques, la validité des théories morales ne dépend pas de ce que nous, avec nos limites et nos imperfections, soyons capables d’en tirer des implications pertinentes pour notre pratique. Il se pourrait donc que le conséquentialisme identifie correctement le critère du bien même si nous ne sommes pas en mesure d’en inférer quoi que ce soit sur le plan pratique. Et c’est là tout ce qu’il faut attendre d’une théorie en éthique normative.

L’ennui avec cette réaction est qu’on considère souvent que la recherche en éthique a au contraire pour fonction de guider notre pratique. Si elle échoue à remplir cette fonction, on voit mal à quoi elle pourrait bien servir. Une théorie satisfaisante en éthique normative doit être à même de fournir des repères à notre délibération. Mais cette objection néglige la distinction qui oppose critère du bien et procédure de décision. Il se pourrait que le conséquentialisme parvienne à nous fournir une procédure de décision même s’il implique que nous ne pouvons jamais savoir quelle action est bonne. Au moment d’agir, nous ne devons pas nous demander quelle action a les meilleures conséquences. Nous devons appliquer un principe simple, sélectionné préalablement parce que son adoption a les meilleures conséquences attendues.

La troisième réaction consiste simplement à se trouver des compagnons d’infortune. Il nous est certes difficile d’identifier avec précision les conséquences de nos actions, mais il n’en demeure pas moins que toute théorie satisfaisante doit en tenir compte. Une théorie qui ignorerait les conséquences de nos actions faciliterait indéniablement notre accès aux vérités morales, mais elle pêcherait en termes de plausibilité. En effet, comme nous l’avons vu plus haut, une telle théorie n’aurait rien à objecter au choix du docteur de prescrire à Gédéon le médicament qui ne lui permet de recouvrer l’usage que de son œil gauche. Par conséquent, si le caractère imprévisible des conséquences de nos actions devait empêcher le conséquentialisme de les évaluer, il en irait de même des autres théories morales plausibles.

3. Le maximalisme

Le maximalisme est la théorie selon laquelle la valeur d’un état de choses se mesure à la quantité de valeur intrinsèque qu’il contient : plus un état de choses contient de valeur intrinsèque, meilleur il est.

Le maximalisme est intuitivement très plausible. Si un état de choses est bon, c’est en vertu de la valeur intrinsèque qu’il contient. Dès lors, de deux états de choses, il semble absurde de préférer celui qui contient moins de valeur intrinsèque. Comme nous allons le voir, le maximalisme rencontre pourtant un certain nombre d’objections.

a. Le respect des personnes

Le maximalisme considère que la valeur d’un état de choses est déterminée par la somme de valeur intrinsèque qu’il contient. Ce qui compte, c’est le bien total. Certains philosophes lui reprochent alors de ne pas s’intéresser au bien des individus. A les écouter, le maximalisme ne se soucierait que du bien total, le bien d’un tout dont il ne concevrait les individus que comme des parties.

Mais cette objection est injuste. Si le maximalisme s’intéresse au bien total, c’est précisément parce qu’il considère qu’il est constitué des biens individuels. Fondamentalement, ce sont les biens individuels qui lui importent. (Ceci est vrai en particulier dans la version welfariste du maximalisme, à laquelle souscrit l’utilitariste : le tout n’ayant à proprement parler pas de bien-être, il va de soi que le bien-être total n’est que la somme des bien-êtres individuels.)

Mais il existe une version moins maladroite de cette objection. Le maximalisme ne tiendrait pas suffisamment compte de la distinction entre les personnes. Pour preuve, il évalue les états de choses exactement comme il convient, pour un sujet, de les évaluer d’un point de vue prudentiel. A en croire le maximalisme, le meilleur état de chose est celui qui maximise le bien de tous, de la même manière que le meilleur état de choses pour un sujet est celui qui maximise son bien. L’état de choses dans lequel Gédéon souffre un petit peu et Suzette a beaucoup de plaisir est meilleur que celui dans lequel Gédéon et Suzette ne ressentent rien, tout comme l’état de choses dans lequel Gédéon souffre un petit peu et a beaucoup de plaisir est meilleur pour lui que celui dans lequel il ne ressent rien.

Selon l’objecteur, ce parallèle ne tient pas. Lorsqu’un même sujet subit un coût et jouit d’un bénéfice, il est possible que le coût soit compensé par le bénéfice. Mais quand le sujet qui subit le coût est distinct de celui qui jouit du bénéfice, une telle compensation est impossible. Si Suzette souffre un petit peu mais a beaucoup de plaisir, il fait sens de dire que son plaisir compense sa douleur. Mais les choses sont différentes lorsque c’est Gédéon qui souffre. D’une part, Gédéon subit un coût, mais il ne jouit d’aucun bénéfice. D’autre part, Suzette jouit d’un bénéfice, mais elle ne subit aucun coût. En clair, personne n’a bénéficié d’une compensation. La douleur de Gédéon n’est donc en aucune manière compensée par le plaisir de Suzette.

Certains maximalistes rétorquent que, bien que métaphysiquement significative, la distinction entre les personnes n’est pas moralement pertinente. Contrairement à ce qu’affirme l’objecteur, le maximalisme n’implique pas que certains bénéfices compensent certains coûts. Il implique seulement que certains bénéfices dépassent certains coûts, qu’ils importent plus du point de vue moral. A proprement parler, le plaisir de Suzette ne compense pas la douleur de Gédéon. Il n’empêche que, parce qu’il est plus intense, il a plus de valeur. Si le maximalisme est coupable de quelque chose, c’est donc de mettre en balance les intérêts des différents sujets lorsqu’ils entrent en conflit. Mais voilà : toutes les théories plausibles mettent en balance les intérêts des sujets, comme l’illustre l’expérience de pensée suivante :

Au large, deux bateaux sont sur le point de couler. Un sauveteur en mer se trouve à distance égale des deux embarcations, mais il lui est impossible de sauver les deux équipages. Il fait donc face à un choix : soit il sauvera les cinq personnes qui se trouvent sur le premier bateau, soit il sauvera celle qui se trouve sur le second bateau. Après un instant d’hésitation, le sauveteur se dirige vers le second bateau et laisse mourir les cinq personnes qui sont à bord du premier.

De toute évidence, le sauveteur a mal agi. L’état de choses dans lequel les cinq passagers du premier bateau ont été sauvés est donc meilleur que l’état de choses dans lequel l’unique passager du premier bateau a la vie sauve. Et toute théorie raisonnable de la valeur des états de choses se doit de souscrire à ce verdict. Il s’ensuit donc que toute théorie raisonnable doit admettre qu’il est parfois permis de sacrifier les intérêts d’un individu au nom de ceux d’un autre.

Mais un second groupe de maximalistes va plus loin, qui argue que la séparation entre les personnes – et, plus généralement, la notion de personne – n’est pas pertinente d’un point de vue métaphysique. Certains, les réductionnistes (par exemple, Parfit, 1984), considèrent que l’identité personnelle n’est qu’une somme d’expériences qui entretiennent une certaine relation, tandis que d’autres (par exemple, Brink, 1993) défendent une conception plus holistique de l’univers, selon laquelle les personnes ne sont que les parties d’un grand tout, un peu comme les tranches temporelles d’une personne en constituent des parties. A supposer que la notion de personne, et avec elle la distinction entre les personnes, ne soit pas métaphysiquement significative, on voit mal comment elles pourraient justifier le rejet du maximalisme.

b. Implications contre-intuitives

Comme le conséquentialisme, le maximalisme se heurte parfois à nos intuitions. C’est principalement le cas dans deux domaines : la justice distributive et l’éthique de la population.

i. Justice distributive

Combiné au welfarisme, le maximalisme a en principe des implications égalitaires en matière de distribution des richesses (et des autres biens ordinaires). La raison est simple : l’argent a ce que les économistes appellent une « utilité marginale décroissante ». En clair, plus vous êtes riche moins une quantité donnée d’argent contribuera à votre bien-être. Plus vous êtes pauvre, plus elle y contribuera. Cette « loi » s’applique non seulement au niveau intra-personnel, mais également à un niveau interpersonnel : mille euros feront plus facilement le bonheur d’un doctorant que celui d’un millionnaire. Tandis que cette somme apportera X unités de bien-être au milliardaire, elle en apportera X + n (où n>0) au doctorant. Supposons que dans l’état de chose E1, le doctorant a reçu les mille euros, tandis que dans l’état de choses E2, la somme a été attribuée au millionnaire. E1 contient alors n unités de plus de bien-être que E2. Plus généralement, à quantité égale d’argent, l’état de choses le plus égalitaire sera aussi celui qui contient le plus de bien-être. C’est pourquoi le maximalisme est égalitariste en matière de distribution des richesses.

Il l’est moins lorsqu’il s’agit de distribuer du bien-être. Du point de vue maximaliste, tout ce qui compte est la quantité totale de bien-être que contiennent les états de choses. Le meilleur état de choses est toujours celui qui contient le plus de bien-être, quelle que soit la manière dont ce dernier est distribué. Si deux états de choses contiennent la même quantité de bien-être, ils ont donc la même valeur, même si le bien-être est distribué de manière très inégalitaire dans l’un et très égalitaire dans l’autre. Ce qui est pour le moins contre-intuitif.

Il n’est toutefois pas clair que nos intuitions en la matière soient fiables. Une raison de le nier est que nous ne sommes pas habitués à distribuer des objets tels que le bien-être. Les objets que nous distribuons d’ordinaire – l’argent, la nourriture, les soins, etc. – ont pour la plupart une utilité marginale décroissante. La tentation est donc grande de traiter le bien-être de la manière dont nous traitons ces objets, c’est-à-dire comme s’il avait lui-même une utilité marginale décroissante (Greene & Baron, 2001). Mais on aurait tort de céder à cette tentation. Pour peu que l’on demeure welfariste, le bien-être ne peut pas avoir une utilité marginale décroissante, puisqu’il est lui-même la mesure de l’utilité. Une quantité donnée de bien-être ne saurait contribuer plus ou moins au bien-être des individus qui en font l’expérience en fonction de leur degré de bonheur. Une quantité de bien-être n’équivaut ni plus ni moins qu’à la quantité de bien-être qu’elle est (Greene, 2013).

Certains philosophes, qu’on appelle « prioritaristes », prennent néanmoins cette intuition au sérieux (Holtug 2006). Mais plutôt que de considérer que le bien-être a une valeur intrinsèque marginale décroissante – ce qui serait absurde pour les raisons que nous venons d’évoquer – ils soutiennent que sa contribution à la valeur des états de choses est marginalement décroissante. Une quantité donnée de bien-être (c’est-à-dire de valeur intrinsèque) contribuera plus à la valeur d’un état de choses si quelqu’un de malheureux en fait l’expérience que si quelqu’un d’heureux en fait l’expérience. Plus généralement, à quantité égale de bien-être, l’état de choses le plus égalitaire sera aussi celui qui a le plus de valeur. C’est pourquoi le prioritarisme est égalitariste en matière de distribution du bien-être. Il semble donc mieux s’accorder avec nos intuitions que le maximalisme.

Mais à y regarder de plus près, rien n’est moins sûr. Comme nous l’avons vu, on reproche parfois au conséquentialisme d’être trop exigeant. L’ennui est que, combiné au prioritarisme, il l’est encore plus. En effet, si le conséquentialisme maximaliste exige de nous que nous fassions don d’une part de notre revenu à des associations caritatives, c’est uniquement parce que l’argent a une utilité marginale décroissante : compte tenu du fait que nous avons un niveau de vie relativement aisé, une quantité d’argent nous est moins utile qu’elle ne le serait aux habitants du tiers monde. Selon le conséquentialisme prioritariste, le fait que l’utilité contribue de manière marginalement décroissante à la valeur des états de choses s’ajoute à l’utilité marginale décroissante de l’argent. Par conséquent, cette théorie est encore plus exigeante que le conséquentialisme maximaliste. (Nous verrons dans la section suivante que le prioritarisme a une autre implication contre-intuitive.)

ii. Ethique de la population

La question de la distribution du bien-être concerne des cas où le nombre de personnes demeure inchangé. Deux états de choses sont comparés, dans lesquels on trouve les mêmes sujets, mais certains ont plus de bien-être dans le premier état de choses tandis que dans le second, et inversement pour les autres. Pour autant, rien ne nous empêche de comparer des états de choses qui ne contiennent pas les mêmes personnes, voire des états de choses qui ne contiennent pas le même nombre de personnes.

Puisque le maximalisme nous dit qu’un état de choses est meilleur qu’un autre dès lors qu’il contient plus de bien-être, l’état de choses A peut être meilleur que l’état de choses B soit parce que les personnes qui se trouvent à la fois dans A et dans B sont plus heureuses dans A que dans B soit parce que A contient plus de personnes (heureuses) que A. Ceci a l’implication suivante. Pour tout état de choses E, on peut imaginer un autre état de choses, E*, dans lequel les gens sont deux fois moins heureux mais trois fois plus nombreux que dans E. La quantité de bien-être contenue dans E* étant supérieure à celle que contient E, le maximalisme implique que E* est meilleur que E. En répétant ce processus, on aboutit à un état de choses dont les sujets ont un niveau de bien-être tellement faible que leur vie vaut tout juste la peine d’être vécue. Néanmoins, parce qu’ils sont extrêmement nombreux, cet état de choses contient plus de bien-être que l’état de choses actuel. Selon le maximalisme, il est donc meilleur. Cette implication est hautement contre-intuitive, à tel point que les philosophes l’appellent la « conclusion répugnante » (Parfit 1984).

Notons que le prioritarisme, dont nous avons parlé dans la section précédente, entraine une conclusion encore plus répugnante. En effet, pour tout état de choses E, on peut imaginer un autre état de choses, E*, dans lequel les gens sont deux fois moins heureux mais deux fois plus nombreux que dans E. Parce que la diminution du bien-être individuel est exactement compensée par l’augmentation de la population, la quantité de bien-être contenue dans E* est égale à celle que contient E. Mais comme les gens sont moins heureux en E* qu’en E, les unités de bien-être contenues dans E* contribuent plus à la valeur de E* que les mêmes unités ne contribuent à la valeur de E. Le prioritarisme implique donc que E* est meilleur que E. Si l’on répète ce processus, on aboutit à un état de choses dans lequel le bien-être des gens, bien qu’il soit positif, est tellement faible que leur vie vaut tout juste la peine d’être vécue. Néanmoins, parce que les gens sont extrêmement nombreux, cet état de choses contient autant de bien-être que l’état de choses actuel. Et il est meilleur selon le prioritarisme. Cette implication est encore plus contre-intuitive que la conclusion répugnante, ce qui constitue une raison supplémentaire de rejeter le prioritarisme.

Une manière d’éviter la conclusion répugnante consiste à dire que le meilleur état de chose n’est pas celui qui contient le plus de bien-être, mais celui qui contient le plus de bien-être moyen, c’est-à-dire celui qui maximise la somme de bien-être divisée par le nombre d’individus. Tant que l’on compare des états de choses qui contiennent le même nombre de personnes, cette théorie a les mêmes implications que le maximalisme. Mais elle s’en écarte dès lors que le nombre d’individus varie d’un état de choses à l’autre. C’est pourquoi elle permet d’éviter la conclusion répugnante.

Pour le voir, supposons que notre état de départ contienne six milliards d’individus ayant chacun deux mille unités de bien-être. On peut donc imaginer un état de choses qui contient un million de milliards de personnes ayant chacune une unité de bien-être. Selon le maximalisme, cet état de choses est meilleur, car il contient un million de milliards d’unités de bien-être, contre seulement douze mille milliards pour l’état de choses original. Mais il est bien pire selon notre nouvelle théorie car le bien-être moyen y est d’une unité, contre deux mille unités pour l’état de choses original. Cette théorie a donc sur le maximalisme l’avantage de ne pas mener à la conclusion répugnante.

Malheureusement, elle entraîne d’autres conclusions, qui ne le sont pas moins. Pour tout état de choses E, on peut imaginer un autre état de choses, E*, qui contient tous les individus que contient E à l’exception du moins heureux d’entre eux. Le bien-être moyen de E* étant supérieur à celui de E, notre nouvelle théorie implique que E* est meilleur que E. Si l’on répète ce processus, on aboutit à un état de choses qui ne contient que l’individu le plus heureux dans l’état de choses de départ. Néanmoins, comme le bien-être moyen de cet état de choses est largement supérieur à celui de l’état de choses de départ, cet état de choses est largement meilleur selon notre théorie. Ce qui est assez absurde.

Pour ne rien arranger, cette théorie a une autre implication hautement contre-intuitive. Imaginons deux états de choses, A et B. A contient un certain nombre d’individus, tous extrêmement malheureux. B contient tous les individus que contient A, qui y sont également malheureux, mais il contient en outre quelques individus qui, bien qu’ils soient très malheureux, le sont légèrement moins que les autres. Selon notre nouvelle théorie, B est meilleur que A. Ces deux objections semblent justifier le rejet de cette théorie.

La conclusion répugnante est un problème pour le maximalisme. Toutefois, il est probable que toutes les théories qui supposent que certains états de choses sont plus désirables que d’autres (c’est-à-dire toutes les théories normatives plausibles, comme le suggère le scénario du sauveteur) rencontrent des problèmes similaires. Il se pourrait bien que ces paradoxes soient inhérents à ce domaine de la recherche. Pour cette raison, certains maximalistes considèrent que nous devrions accepter la conclusion répugnante, même si elle nous répugne (Tännsjö, 2002).

4. Le welfarisme

Pour rappel, le welfarisme est la théorie selon laquelle la seule chose qui soit intrinsèquement bonne est le bien-être. Dans ce contexte, l’expression « bien-être » est toutefois à prendre avec des pincettes. Au sens pertinent, le bien-être n’est pas simplement une sensation ou une expérience plaisante. Le bien-être d’un individu, c’est tout ce qui est intrinsèquement bon pour lui. Le welfariste affirme donc que, nécessairement, si une chose est intrinsèquement bonne, elle est intrinsèquement bonne pour quelqu’un. Si une chose n’est intrinsèquement bonne pour personne, alors elle n’est pas intrinsèquement bonne tout court.

L’opposant du welfarisme considère que certaines choses sont intrinsèquement bonnes sans être intrinsèquement bonnes pour qui que ce soit. La neuvième symphonie de Beethoven, un écosystème millénaire ou une belle montagne seraient bons indépendamment de leur impact sur le bien-être de qui que ce soit. Un monde qui ne contient que la neuvième symphonie, un écosystème millénaire et de belles montagnes est meilleur qu’un monde vide, même s’il ne contient personne qui puisse apprécier ces choses (Moore, 1998). Parce qu’elle nie ce qu’affirme le welfarisme, cette théorie est incompatible avec l’utilitarisme.

Mais même si l’on accepte le welfarisme, il reste à formuler une théorie du bien-être. Et comme nous allons le voir, il en existe plusieurs (Griffin 1990). Les débats qui opposent ces théories sont d’une importance capitale pour l’utilitarisme, puisqu’il souscrit à une conception particulière du bien-être. Tel que le conçoit l’utilitarisme, le bien-être est une notion subjective, en ce sens que ce qui est bon pour un individu dépend essentiellement de ses états psychologiques. Or, comme nous allons le voir, des trois principales théories du bien-être, deux seulement sont subjectivistes.

Toutes les théories du bien-être ont la forme suivante : X est bon pour Y si, et seulement si, P. Elles énoncent une condition qu’elles tiennent pour nécessaire et suffisante au bien-être. Par conséquent, il est possible de les attaquer sur deux fronts. On peut leur reprocher soit d’énoncer une condition qui n’est pas nécessaires, soit d’énoncer une condition qui n’est pas suffisante. Dans le premier cas, on argumentera qu’il existe des choses qui sont bonnes pour quelqu’un bien qu’elles ne satisfassent pas la condition énoncée – bien que X soit bon pour Y, il n’est pas le cas que P. Dans le second, l’idée est qu’il existe des choses qui satisfont la condition énoncée mais ne sont pas bonnes pour l’individu en question – bien qu’il soit le cas que P, X n’est pas bon pour Y. Une théorie satisfaisante du bien-être parviendra à identifier une condition qui soit à la fois nécessaire et suffisante au bien-être.

Parmi les choses qui ne sont pas bonnes pour un individu, certaines sont mauvaises pour lui et d’autres sont neutres pour lui – elles ne sont ni bonnes pour lui ni mauvaises pour lui. Toute théorie du bien-être s’accompagne donc d’une théorie du mal-être, d’une théorie de ce qui est mauvais pour les individus. En miroir des théories du bien-être, les théories du mal-être cherchent à identifier la condition nécessaire et suffisante au mal-être. Elles ont donc la forme suivante : X est mauvais pour Y si, et seulement si, P. Et on peut leur adresser deux types de reproche : que la condition qu’elles énoncent n’est pas nécessaire – X est mauvais pour Y bien qu’il ne soit pas le cas que P – ou qu’elle n’est pas suffisante – bien qu’il soit le cas que P, X n’est pas mauvais pour Y. Les théories que nous allons maintenant examiner combinent une théorie du bien-être et une théorie du mal-être.

a. L’hédonisme

Selon l’hédonisme, une chose est bonne pour un sujet si, et seulement si, elle accroît son plaisir, et une chose est mauvaise pour lui si, et seulement si, elle accroît sa souffrance. La seule chose qui soit intrinsèquement bonne pour un individu est son plaisir, et la seule chose qui soit intrinsèquement mauvaise pour lui est sa souffrance. (Les expressions « plaisir » et « souffrance » désignent évidemment tant les expériences psychologiques que les sensations corporelles.)

L’hédonisme est à première vue assez plausible. Le plaisir est intrinsèquement bon pour celui qui le ressent, contrairement à la souffrance, qui est intrinsèquement mauvaise pour celui qui la ressent. Il semble donc que le plaisir soit suffisant au bien-être, et que la souffrance soit suffisante au mal-être. Les expériences agréables et désagréables sont-elles aussi nécessaires au bien-être et au mal-être ? A première vue, oui. Généralement, quand quelque chose est intrinsèquement mauvais pour quelqu’un, cette personne en souffre, et les gens apprécient ce qui est intrinsèquement bon pour eux. Certains philosophes ont pourtant remis en cause tant la suffisance que la nécessité du critère hédoniste.

Côté suffisance, l’hédonisme implique que tous les plaisirs sont intrinsèquement bons et que toutes les douleurs sont intrinsèquement mauvaises. On peut néanmoins penser que certains plaisirs sont intrinsèquement mauvais. Considérez le cas du sadique qui prend plaisir à faire souffrir sa victime. Certains philosophes sont d’avis que les plaisirs dont l’objet ne mérite pas qu’on y prenne plaisir ne sont pas bons, y compris pour celles et ceux qui en font l’expérience. Inversement, on peut penser que certaines douleurs sont bonnes. C’est semble-t-il le cas des douleurs que recherchent les masochistes. Le plaisir ne suffirait donc pas au bien-être, pas plus que la douleur ne suffirait au mal-être.

Face à ces objections, le défenseur de l’hédonisme répondra que le plaisir que ressent le sadique est en fait bon pour lui et que la douleur que recherche le masochiste est en fait mauvaise pour lui. Cette réponse est peut-être satisfaisante dans le premier cas – après tout, s’il est clair qu’il est mauvais pour la victime que le sadique la fasse souffrir, on voit mal pourquoi le plaisir qu’en tire le sadique ne serait pas bon pour lui. Mais elle l’est moins dans le cas du masochiste. Intuitivement, il semble que, loin d’être mauvaise pour lui, la douleur masochiste contribue même à son bien-être.

Qu’en est-il de la nécessité du critère hédoniste ? Certains scénarios la mettent également en doute. Ils suggèrent qu’une chose pourrait être bonne pour un sujet sans qu’il en tire du plaisir et qu’une chose pourrait être mauvaise pour un sujet sans qu’il en souffre. Considérons les deux expériences de pensée suivantes :

Suzette est très heureuse. A l’écouter, elle a été médaillée d’or au lancer de truelle, elle a tenu le premier rôle dans un film français et elle a découvert un vaccin contre le cancer du nez. Mais toutes ces croyances sont fausses. Suzette les entretient parce que son cerveau est branché à une « machine à expériences ». (Nozick 1988)

Extrêmement amoureux de son épouse, dont il est convaincu qu’elle lui est fidèle, Gédéon est très heureux. Mais dès qu’il a le dos tourné, son épouse le trompe avec son meilleur ami.

Intuitivement, même si Suzette n’en souffre pas, il est tentant d’affirmer qu’il est mauvais pour elle qu’elle ne soit pas médaillée d’or, qu’elle n’ait joué dans aucun film et qu’elle n’ait découvert aucun vaccin. Un état de choses dans lequel elle ne se contenterait pas de croire qu’elle a accompli toutes ces choses mais les aurait en effet accomplies serait meilleur pour elle, même s’il ne serait pas plus agréable. De manière analogue, bien que l’infidélité de sa femme n’affecte pas Gédéon, il est tentant d’affirmer qu’elle est mauvaise pour lui. Il serait bon pour lui que sa femme lui soit fidèle, même s’il n’en tirerait pas plus de plaisir.

Comme souvent, ces intuitions ne font pas l’unanimité. Néanmoins, si elles sont correctes, il s’ensuit que certaines choses sont bonnes pour les sujets sans qu’ils en tirent du plaisir et que d’autres sont mauvaises pour eux sans les faire souffrir pour autant. Le plaisir et la souffrance ne sont donc pas nécessaires au bien-être et au mal-être, contrairement à ce qu’implique l’hédonisme.

b. Le préférentialisme

Convaincu de la force de ces objections, la plupart des philosophes rejettent l’hédonisme. Certains d’entre eux, les préférentialistes, émettent le diagnostic suivant quant à la non-nécessité du critère hédoniste. Ce qui fait qu’il est mauvais pour Suzette qu’elle n’ait en fait pas décroché de médaille, qu’elle n’ait joué dans aucun film et qu’elle n’ait pas découvert de vaccin, c’est que Suzette désirait décrocher une médaille, jouer dans un film et découvrir un vaccin. Ses désirs ont été frustrés, et ce bien qu’elle n’ait pas ressenti la moindre frustration. Il aurait été bon pour elle qu’elle réalise tous ces projets parce que cela aurait satisfait ses préférences, même si elle n’en aurait tiré aucune satisfaction supplémentaire. De la même manière, ce qui fait qu’il est mauvais pour Gédéon que son épouse le trompe, c’est qu’il désire qu’elle lui soit fidèle, si bien que son désir est frustré. Il serait bon pour Gédéon que sa femme lui soit fidèle parce que cela satisferait sa préférence.

Concernant l’insuffisance du critère hédoniste, les préférentialistes font un diagnostic similaire. La douleur n’est pas mauvaise pour le masochiste parce qu’il ne désire pas ne pas souffrir – elle est même bonne pour lui, puisqu’il désire souffrir. (Les préférentialistes ne répondent pas à l’objection du plaisir sadique mais, comme nous l’avons vu, elle n’est pas très convaincante : il est douteux que le plaisir du sadique ne soit pas bon pour lui.)

De ces diagnostics, les préférentialistes tirent la leçon suivante : le bien-être n’est autre que la satisfaction des préférences et le mal-être, leur frustration. Il est intrinsèquement bon pour un sujet que ses préférences soient satisfaites et intrinsèquement mauvais pour lui qu’elles soient frustrées. Par conséquent, une chose est intrinsèquement bonne pour un sujet si, et seulement si, elle satisfait ses préférences ; elle est intrinsèquement mauvaise si, et seulement si, elle les frustre.

Les principales difficultés auxquelles se heurte le préférentialisme tiennent à la suffisance du critère qu’il propose : toutes les préférences ne sont pas bonnes à satisfaire. Il s’agit alors pour ses partisans de spécifier le sous-ensemble des préférences dont la satisfaction est bonne pour leur sujet. Ainsi, si Suzette veut ouvrir le réfrigérateur parce qu’elle a soif et qu’elle croit à tort qu’elle trouvera des bières dans le réfrigérateur, il n’est pas bon pour elle qu’elle ouvre le réfrigérateur. Son désir n’est donc pas pertinent pour son bien-être. Une théorie préférentialiste satisfaisante exclura ce type de préférences.

C’est le cas de la théorie selon laquelle une chose est bonne pour un sujet si, et seulement si, elle satisfait ses préférences informées. D’après cette idée, ce qui fait que le désir de Suzette n’est pas pertinent pour son bien-être, c’est qu’il est basé sur la fausse croyance qu’elle trouvera une bière dans le réfrigérateur. Cette théorie n’est toutefois pas très satisfaisante. Supposons qu’il y avait en fait une bière dans le réfrigérateur, si bien que le désir de Suzette était informé. Cette théorie implique donc qu’il est intrinsèquement bon pour Suzette d’ouvrir le réfrigérateur. Intuitivement, il semble en effet qu’il aurait été bon pour Suzette d’ouvrir le réfrigérateur. Mais cela aurait été bon extrinsèquement, bon parce que cela lui aurait permis d’obtenir quelque chose qu’elle aurait apprécié : une bière. En soi, Suzette se fiche d’ouvrir le réfrigérateur. Si Gédéon lui tendait une bière, elle cesserait immédiatement de vouloir ouvrir le réfrigérateur.

Il est possible d’exclure la préférence de Suzette pour une autre raison. Certains le font en précisant que seules les préférences intrinsèques sont pertinentes pour le bien-être de leur sujet. Parmi les choses que nous désirons, il en est que nous désirons comme des fins et d’autres que nous désirons comme des moyens d’obtenir ces fins. Les préférences qui relèvent de la première catégorie sont intrinsèques, tandis que les secondes sont extrinsèques. Selon cette théorie, seuls les états de choses que nous désirons comme des fins contribuent à notre bien-être. Or, si Suzette veut ouvrir le réfrigérateur, c’est seulement parce qu’elle considère que c’est un moyen au service d’un but qu’elle s’est fixé : boire une bière. D’après cette idée, c’est donc parce que la préférence de Suzette est extrinsèque qu’elle n’est pas pertinente pour son bien-être.

Soit, mais certaines préférences intrinsèques sont telles que leur satisfaction ne contribue en aucune façon au bien-être de leur sujet. C’est notamment le cas des préférences désintéressées. Considérons le scénario d’anticipation suivant :

Jusqu’à sa mort, en 1996, l’astronome Carl Sagan a ardemment désiré que les êtres humains entrent en contact avec des extraterrestres. Son vœu est exaucé une centaine de siècles plus tard quand, en l’an 9748, un premier contact est établi.

Selon toute vraisemblance, cet échange intergalactique ne contribue pas au bien-être de Carl Sagan. Il n’est pas bon pour Carl Sagan que son désir soit satisfait. D’une façon ou d’une autre, il faut donc l’exclure. On peut le faire en précisant que, pour être pertinente, une préférence doit être personnelle : elle doit porter sur celui dont elle est la préférence. En ce sens, quand Suzette désire inventer un vaccin et quand Gédéon veut que son épouse lui soit fidèle, ces préférences sont personnelles. Celle de Carl Sagan ne l’est pas, en revanche, puisqu’elle ne porte pas sur Carl Sagan. Selon cette théorie, c’est pour cette raison que sa satisfaction ne contribue pas au bien-être de l’astronome.

Evidemment, s’il avait désiré contribuer à la première rencontre avec des extraterrestres, les choses auraient été différentes. Car cette préférence-ci est personnelle au sens pertinent. A supposer que la rencontre du troisième type qui a lieu en 9748 résulte d’une certaine façon des efforts de Carl Sagan, cette théorie implique qu’elle contribue à son bien-être. Il est bon pour Carl Sagan que ses efforts aient contribué à une rencontre du troisième type, même si celle-ci n’a lieu que cent siècles après sa mort. On peut bien sûr trouver cette implication contre-intuitive, mais force est d’admettre qu’elle l’est moins que la précédente.

Admettons. Toutes les préférences intrinsèques et personnelles sont-elles pertinentes ? Certains philosophes ont mis en doute cette idée, en s’appuyant sur le fait que même ces préférences sont dans une large mesure influencées par le contexte socio-culturel de celles et ceux dont elles sont les préférences. Ainsi, il se peut qu’une femme ait intégré la norme selon laquelle la place des femmes est au foyer, à s’occuper des enfants et des tâches ménagères, au point d’abandonner toute ambition professionnelle. Sa préférence principale est désormais d’être une bonne femme au foyer. Pour autant, est-il bon pour elle qu’elle soit une bonne femme au foyer ? Ne serait-il pas meilleur pour elle qu’elle consacre son énergie à des projets plus ambitieux et à des activités plus épanouissantes ? Pour prendre un exemple plus extrême, imaginons un esclave ayant perdu le goût de la liberté, dont le souhait principal serait d’être un bon esclave. Serait-il bon pour un tel sujet d’être un bon esclave ? La liberté ne serait-elle pas meilleure pour lui ?

Ces exemples mettent en évidence à la fois le fait que la condition énoncée par cette théorie n’est pas suffisante et le fait qu’elle n’est pas nécessaire. Elle n’est pas suffisante parce qu’il n’est pas bon pour la femme au foyer qu’elle se cantonne aux tâches ménagères et il n’est pas bon pour l’esclave résigné d’être un bon esclave même si c’est ce qu’ils désirent intrinsèquement et personnellement. Cette condition n’est pas nécessaire parce qu’il serait bon pour la femme au foyer qu’elle diversifie ses activités bien qu’elle ne désire rien de tel et parce que la liberté serait bonne pour l’esclave résigné même s’il a cessé de la désirer.

On peut espérer atténuer cette difficulté en faisant appel aux préférences idéales. D’après cette suggestion, ce qui est intrinsèquement bon pour un individu n’est pas la satisfaction de ses préférences, fussent-elles intrinsèques et personnelles, mais la satisfaction des préférences (intrinsèques et personnelles) qu’il aurait s’il était parfaitement rationnel et informé. Ce qui compte, ce sont les préférences d’une version idéalisée du sujet, une contrepartie qui n’est pas victime des biais qu’engendrent, par exemple, son éducation, sa culture, son genre et sa situation socio-économique.

Il n’est toutefois pas clair que cette théorie parvienne à résoudre tous les problèmes. D’une part, qu’est-ce qui nous garantit que notre femme au foyer aliénée aurait des préférences très différentes une fois informée des raisons pour lesquelles elle désire se cantonner aux tâches ménagères, dût-elle en tenir compte dans ses délibérations ? D’autre part, il se pourrait que des versions idéales de nous-mêmes aient des préférences tellement éloignées des nôtres que la satisfaction de ces préférences ne nous apporterait aucune satisfaction. Le cas échéant, est-il vraiment plausible de dire que la satisfaction de ces préférences serait bonne pour nous, et non seulement pour ces versions idéalisées de nous-mêmes ?

c. La théorie de la liste objective

Selon certains philosophes, ce qui pêche tant dans l’hédonisme que dans le perfectionnisme, c’est que ces théories font dépendre le bien-être de nos états psychologiques dans une mesure trop importante. Non seulement, il est mauvais pour Gédéon que son épouse lui soit infidèle même s’il n’éprouve rien de désagréable, mais il serait bon pour la femme au foyer aliénée qu’elle s’épanouisse dans la réalisation de projets plus diversifiés, quand bien même une version idéalement rationnelle et informée d’elle-même ne désirerait rien de tel. Ces philosophes rejettent donc les conceptions subjectivistes du bien-être, auxquelles ils préfèrent la théorie dite de la liste objective.

Selon cette théorie, le bien-être est la satisfaction d’un ensemble de critères, dont certains au moins sont objectifs. Ce qui est bon pour un sujet, ce sont non seulement les expériences agréables et la satisfaction de ses préférences, mais aussi la liberté, l’autonomie, la connaissance, l’éducation et l’amitié (entre autres choses). Et ces choses sont bonnes pour lui qu’elles lui plaisent ou non, qu’elles satisfassent ses préférences ou non.

Si elle peut paraître plus satisfaisante que les théories subjectivistes sous certains aspects, la théorie de la liste objective présente aussi quelques inconvénients. Pour commencer, elle fait face au dilemme suivant. Soit la liste des éléments qui contribuent au bien-être varie selon les individus, soit elle est la même pour tout le monde. Dans le premier cas, on peut se demander en quoi la liste est objective et en vertu de quel critère certains items seront bons pour un individu mais pas pour un autre. Dans le second cas, on pourrait accuser la théorie de la liste objective de paternalisme. D’où tire-t-elle cette autorité qui lui permet d’affirmer que l’amitié est bonne pour un individu qu’elle n’intéresse pourtant pas ?

Par ailleurs, en comparaison des théories subjectivistes, la théorie de la liste objective est nettement moins élégante. Les théories subjectivistes se contentent d’énoncer un critère unique – le plaisir pour l’hédonisme et la satisfaction des préférences pour le préférentialisme. Selon la théorie de la liste objective, le plaisir et la satisfaction des préférences sont bons pour les individus, mais ils ne constituent que deux des items qui figurent sur la longue liste des critères du bien-être.

Cet inconvénient en entraîne un autre. On voit plus ou moins comment comparer les états de choses en termes de plaisir – l’un sera plus agréable pour le sujet que l’autre – ou de satisfaction des préférences – l’un satisfera mieux les préférences du sujet que l’autre. A l’inverse, il n’est pas clair que la valeur respective des états de choses soit commensurable si la théorie de la liste objective s’avère correcte. Comment comparer la valeur d’un état de choses dans lequel le sujet est autonome mais ignorant et un état de choses dans lequel il est aliéné mais informé ? Vaut-il mieux être éduqué et solitaire ou illettré mais entouré de nombreux amis ? A moins de disposer d’un étalon de mesure, on voit mal comment mettre en balance des choses aussi différentes que l’autonomie, la connaissance, l’amitié et l’éducation. Les subjectivistes disposent d’un tel étalon : selon l’hédonisme, la connaissance, l’amitié et l’autonomie sont bonnes dans la mesure où le sujet en tire du plaisir ; selon le préférentialisme, elles le sont dans la mesure où elles contribuent à la satisfaction de ses préférences.

Tout compte fait, il n’est donc pas clair que la théorie de la liste objective s’en tire mieux que l’hédonisme et le préférentialisme.

5. Conclusion

Les utilitaristes souscrivent à trois thèses :

  1. Une action est bonne si, et seulement si, ses conséquences sont au moins aussi bonnes que les conséquences des actions alternatives.
  2. Une conséquence A est au moins aussi bonne qu’une conséquence B si, et seulement si, A contient au moins autant de valeur intrinsèque que B.
  3. Une conséquence A contient au moins autant de valeur intrinsèque qu’une conséquence B si, et seulement si, A contient au moins autant de bien-être que B.

Ils en concluent qu’une action est bonne si, et seulement si, elle maximise le bien-être. Comme nous l’avons constaté, chacune de ces trois thèses soulève des objections. Elles sont néanmoins très séduisantes sous certains aspects. Tout dépend en définitive des qualités dont font montre les théories concurrentes. Or, bien que l’éthique normative soit un domaine extrêmement fécond, aucune théorie ne s’est jusqu’ici clairement détachée du lot.

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François Jaquet

Université de Genève

francois.jaquet@unige.ch