Réalisme moral (A)

Comment citer ?

Rochelau-Houle, David (2017), «Réalisme moral (A)», dans Maxime Kristanek (dir.), l'Encyclopédie philosophique, consulté le ..., https://encyclo-philo.fr/realisme-moral-a

Publié en mars 2017

 

Résumé

Le réalisme moral est une famille de théories métaéthiques très importante, principalement du point de vue de l’influence qu’elle a eue sur les débats métaéthiques contemporains. En métaéthique, les réalistes moraux soutiennent qu’il existe des vérités morales objectives et que ces vérités correspondent à des faits ou des propriétés qui existent indépendamment de ce que les agents pensent ou croient. En d’autres mots, pour un réaliste moral, les actions sont réellement bonnes ou mauvaises, et ceci indépendamment de ce que nous pensons, croyons, ou disons. L’objectif de cette entrée est de proposer une définition inclusive du réalisme moral, d’introduire les différentes versions du réalisme moral et de donner au lecteur une vue d’ensemble des positions réalistes sur les questions fondamentales qui définissent le champ d’étude de la métaéthique. La première section de cette entrée est une introduction au réalisme moral. La deuxième section porte sur l’ontologie morale, et c’est dans cette section que les différentes versions du réalisme sont introduites : le réalisme non naturaliste, le réalisme naturaliste non réductionniste et le réalisme naturaliste réductionniste. La troisième section porte sur la psychologie morale, où le débat sur le lien entre morale et motivation est introduit. La quatrième section introduit les débats en sémantique morale concernant le descriptivisme et le minimalisme sémantique. La cinquième et dernière section porte sur l’épistémologie morale et introduit certains arguments inspirés du scepticisme contre le réalisme moral.


Table des matières

1. Introduction

a. Le réalisme moral est une thèse métaéthique

b. Le réalisme moral en quelques mots

c. Les principaux types de questions métaéthiques

2. Ontologie morale

a. Moore et l’argument de la question ouverte

i. Une limite importante à l’argument de la question ouverteii. Propriétés morales : propriétés étranges ?

b. Le réalisme naturaliste

i. Qu’est-ce qu’une propriété naturelle ?

ii. Le réalisme naturaliste non réductionniste

iii. Le réalisme naturaliste réductionniste

c. Le réalisme non naturaliste 2.0

3. Psychologie morale

a. Quelle relation entre moralité et motivation ?

b. Moralité et motivation : un argument antiréaliste ?

c. Réalisme moral et externalisme

4. Sémantique morale

a. Énoncés moraux et descriptions du monde

b. Réalisme moral et minimalisme sémantique

5. Épistémologie morale

a. Défi sceptique I : la justification des croyances morales

b. Défi sceptique II : le problème du désaccord moral

Conclusion

Bibliographie


1. Introduction

Le réalisme moral est une famille de théories métaéthiques qui cherche à préserver certaines caractéristiques intuitives de notre discours moral ordinaire. On dit souvent que les réalistes moraux prennent notre discours moral « au pied de la lettre ». Plus spécifiquement, les réalistes moraux soutiennent qu’il existe des faits moraux (il y a dans le monde des actions qui sont réellement bonnes et d’autres, réellement mauvaises) et que le discours moral décrit ces faits. Les défenseurs du réalisme moral sont ainsi motivés par l’idée qu’il existe des vérités morales et que leur position métaéthique est la plus à même d’expliquer l’existence de ces vérités. En effet, il est important de ne pas définir le réalisme moral comme étant uniquement la position métaéthique selon laquelle il existe des vérités morales, car même certains auteurs anti-réalistes soutiennent qu’il existe des vérités morales (par exemple, les constructivistes moraux). Le réalisme moral est la position selon laquelle ces vérités dépendent de l’existence de faits. Dire que les vérités morales décrivent des faits, plus spécifiquement de faits « indépendants de l’esprit », est, pour les réalistes moraux, la meilleure façon d’expliquer le statut « ontologique » de ces vérités.

a. Le réalisme moral est une thèse métaéthique

Bien qu’il n’y ait peut-être pas de démarcation franche entre la métaéthique et l’éthique normative, il est important de spécifier que le réalisme moral est une théorie métaéthique. Pour reprendre une explication courante, l’éthique normative s’intéresse à des questions de premier ordre, tandis que la métaéthique s’intéresse à des questions de second ordre. Le réalisme moral n’est pas une théorie normative, au sens où le déontologisme de Emmanuel Kant ou l’utilitarisme de John Stuart Mill sont des théories normatives. Pour donner un exemple, les réalistes moraux ne cherchent pas à répondre à la question « est-il bien de donner la moitié de son revenu annuel à Oxfam ? », mais plutôt à la question « qu’est-ce que la nature du bien ? » Les réalistes moraux ne cherchent donc pas, du moins pas directement, à spécifier ce qu’il est bon ou mauvais de faire. Ils cherchent plutôt à spécifier la nature du bon et du mauvais, en affirmant que le bon et le mauvais sont des propriétés objectives des choses.

b. Le réalisme moral en quelques mots

Parce que le réalisme moral vient en plusieurs versions qui peuvent varier radicalement, il peut être difficile d’identifier correctement ce qui unit les différents défenseurs de cette option métaéthique. C’est pourquoi le but de la présente section n’est pas tant de proposer une définition que tous les réalistes moraux accepteraient nécessairement que de présenter une version paradigmatique du réalisme moral que la plupart des réalistes sont susceptibles d’accepter. C’est dans ce contexte nécessairement insatisfaisant, étant donné le risque de laisser certains réalistes moraux de côté, que l’on peut tenter de comprendre les réalistes moraux comme étant les métaéthiciens qui acceptent les deux thèses suivantes (Finlay 2007, 820-821) :

(1) Certains jugements moraux ont une valeur de vérité objective, c’est-à-dire que la valeur de vérité de ces jugements n’est pas déterminée par les attitudes que certains individus ou agents ont envers ces jugements.

(2) Certains jugements moraux sont vrais en vertu du fait qu’ils décrivent de manière appropriée des faits, des entités, des relations, ou des propriétés (ces faits, entités, relations, ou propriétés peuvent être naturels ou non naturels).

En acceptant ces deux thèses, les réalistes moraux acceptent aussi le cognitivisme moral, soit la thèse selon laquelle les jugements moraux expriment des croyances morales qui peuvent être vraies ou fausses. Cette thèse se distingue du non-cognitivisme, selon lequel les jugements moraux expriment des états mentaux autres que des croyances ; par exemple des désirs ou d’autres attitudes conatives, qui ne sauraient être vraies ou fausses. En effet, si j’ai le désir de devenir un astronaute, il semble difficile d’affirmer que ce désir puisse être vrai ou faux, bien qu’il puisse être farfelu ou irréalisable. Mais si je crois que je suis un astronaute, il est possible de dire que cette croyance est vraie ou fausse. Les réalistes moraux soutiennent que les jugements moraux expriment des croyances, et non pas des désirs (thèse qui peut aussi être appliquée aux autres jugements normatifs). Il est toutefois important de noter qu’il est possible d’accepter le cognitivisme sans accepter le réalisme moral, comme le font les théoriciens de l’erreur et les constructivistes.

Aussi, pour bien comprendre la position réaliste, il est important de préciser la façon dont les réalistes moraux entendent la position selon laquelle « la valeur de vérité des jugements moraux n’est pas déterminée par les attitudes que certains individus ou agents ont envers ces jugements, » ou autrement dit : la thèse selon laquelle la valeur de vérité des jugements moraux est « indépendante de l’esprit ». En soutenant cette thèse, ce que les réalistes cherchent entre autres à faire, c’est nier que la valeur de vérité des énoncés moraux dépend causalement, contre-factuellement ou constitutivement de l’esprit (Clarke-Doane 2012, 316-317). Pour ne donner qu’un exemple, prenons le cas des constructivistes moraux pour qui un énoncé moral est vrai seulement s’il est le résultat d’une certaine procédure ou délibération rationnelle (Clarke-Doane 2012, 316 ; Korsgaard 1996). Pour les constructivistes, la vérité morale est constituée par ce qui est impliqué par le point de vue pratique d’un agent rationnel ; la valeur de vérité des énoncés moraux est donc dépendante de l’esprit, au sens où elle est constituée par l’esprit (ou par une délibération rationnelle). C’est ce genre de position que les réalistes rejettent en soutenant que la valeur de vérité des énoncés moraux est indépendante de l’esprit.

À propos du langage moral, les réalistes moraux acceptent le descriptivisme. Appliqué au discours moral, le descriptivisme est la thèse selon laquelle les énoncés moraux décrivent des faits du monde. Intuitivement, il semble y avoir une certaine parité entre les énoncés « cette tasse est bleue » et « cette action est moralement inacceptable, » dans la mesure où ces deux énoncés cherchent à décrire (ou décrivent, s’ils sont vrais) des faits du monde. L’énoncé « cette tasse est bleue » décrit le fait que cette tasse est bleue, et, pour les réalistes, l’énoncé « cette action est moralement inacceptable » chercherait, tout comme le premier énoncé, à décrire un fait. Ce fait serait que cette action est moralement inacceptable. Pour les réalistes, cet aspect descriptif du discours moral est au cœur de celui-ci et il doit être préservé et expliqué.

Il est toutefois important de noter que les réalistes ne sont pas les seuls à accepter le descriptivisme. Les théoriciens de l’erreur, pour qui il n’existe pas de faits moraux, acceptent aussi le descriptivisme. En effet, les réalistes moraux et les théoriciens de l’erreur s’accordent sur le fait que les énoncés moraux ont pour but de décrire des faits du monde, et qu’ils ont ainsi une valeur de vérité (au sens où ils peuvent être vrais ou faux). Toutefois, contrairement aux réalistes moraux, les théoriciens de l’erreur ne croient pas qu’il existe des faits moraux qui pourraient rendre vrais même certains énoncés ou jugements moraux. Pour les théoriciens de l’erreur, parce qu’il n’existe aucun fait moral, tous les énoncés moraux sont faux. Mais ce n’est pas la conclusion à laquelle arrivent les réalistes moraux, pour qui certains énoncés moraux sont vrais dans la mesure où ce qu’ils décrivent du monde est effectivement le cas : si c’est un fait que cette action est moralement inacceptable, alors l’énoncé moral « cette action est moralement inacceptable » est vrai. Bref, les réalistes moraux, contrairement aux théoriciens de l’erreur, croient qu’il existe des faits moraux.

c. Les principaux types de questions métaéthiques

La métaéthique est orientée autour de quatre principaux types de questions : des questions d’ordres ontologique, psychologique, sémantique et épistémologique (à ce sujet, voir aussi l’entrée grand public sur la métaéthique). Dans cette section, on présentera ces différents types de questions avant de voir les réponses que les réalistes y apportent, en insistant tout particulièrement sur l’ontologie morale.

Les questions d’ordre ontologique concernent, par exemple, l’existence de faits moraux indépendants de l’esprit. Si de tels faits existent, sont-ils, comme les faits physiques, naturels ? Ou ne sont-ils pas plutôt irréductiblement normatifs, c’est-à-dire ni réductible ni identique aux faits naturels ? Sont-ils alors non naturels ? Quelle est la différence entre un fait naturel et un fait non naturel ?

Les questions d’ordre psychologique concernent la relation entre jugements moraux et motivation. Plus précisément, certains métaéthiciens considèrent que les jugements moraux doivent motiver les agents à agir. Par exemple, si je crois qu’il est mal de torturer un chaton par pur plaisir, alors je devrais être motivé – ou disposé – à ne pas effectuer ce genre d’action ; si je juge qu’il est bien de donner 5% de mon revenu annuel à des organismes de charité, je devrais être motivé à effectuer ce genre d’action. Évidemment, il ne s’agit pas ici de soutenir que je réaliserai les actions que je considère bonnes en toutes circonstances, mais que je serai tout au moins disposé à accomplir ces actions. Il semble donc exister un lien entre nos jugements moraux et la motivation à agir en conformité avec ces jugements. L’affirmation de cette relation est parfois appelée « l’internalisme motivationnel » ou « l’internalisme du jugement. » Si les réalistes acceptent l’existence de cette relation, ils doivent l’expliquer ; s’ils la rejettent, ils doivent nous donner des raisons de croire qu’elle n’existe pas.

Les questions d’ordre sémantique concernent la signification des énoncés moraux et la possibilité qu’ils soient vrais ou faux. Un débat majeur en sémantique morale, très important pour le réalisme moral, est celui de savoir si les jugements moraux décrivent des faits moraux ou s’ils sont l’expression d’émotions qui prescriraient ou condamneraient certaines actions au lieu de décrire des faits moraux. Ce débat oppose, entre autres, le réalisme à l’expressivisme.

Les questions d’ordre épistémologique concernent l’existence et la possibilité d’une connaissance morale. Comment pouvons-nous être justifiés à croire que, par exemple, il est mal de torturer des chatons par pur plaisir ? Ce genre de questions est, il faut le souligner, tout particulièrement important pour les réalistes moraux qui croient qu’il est possible de savoir qu’une action est bonne si elle est bonne ou qu’une action est mauvaise si elle est mauvaise.

2. Ontologie morale

a. Moore et l’argument de la question ouverte

Dans ses Principia Ethica (Moore 1903), George Edward Moore présente ce qu’il appelle « l’argument de la question ouverte », qui aurait pour conclusion que le bien est une propriété « sui generis » qui n’est pas analysable en des termes non moraux. L’élément central de l’argument de Moore consiste à montrer qu’aucun candidat possible au titre d’analyse du bien ne peut véritablement constituer une analyse de cette propriété. Moore maintient cette dernière affirmation en faisant remarquer que toute question concernant le bien est condamnée à demeurer « ouverte », dans la mesure où la réponse à celle-ci ne saurait être déterminée par la signification des termes de la question.

Supposons que nous croyons qu’une action est bonne si elle maximise l’utilité. Ainsi, nous pourrions dire que, lorsque nous soutenons que x est une action bonne, nous soutenons en fait que x est une action qui maximise l’utilité. Selon cette thèse, le bien serait analysable en termes de maximisation de l’utilité.

Pour Moore, l’analyse du bien en termes de maximisation de l’utilité pose problème parce que la question suivante reste ouverte : certes, x maximise l’utilité, mais x est-elle une action bonne ? Cette question est ouverte car il est possible d’admettre que x maximise l’utilité sans admettre que x est une action bonne, et ceci sans se tromper dans la compréhension des concepts en jeu. De plus, si le bien pouvait être analysé en termes de maximisation de l’utilité, la question « est-ce que x est une action bonne ? » devrait être équivalente à la question « est-ce que x maximise l’utilité ? » Toutefois, ces deux questions ne sont pas équivalentes. Par exemple, répondre « oui » à la deuxième question ne semble en rien nous contraindre à répondre également « oui » à la première. C’est pourquoi il ne serait pas possible d’analyser le bien en termes de maximisation de l’utilité, et c’est pourquoi la question « l’action x est-elle bonne ? » restera une question ouverte, et ceci même s’il est le cas que x maximise l’utilité.

Dans le but de rendre l’argument de Moore plus clair, il est important de considérer ce qu’est une question fermée ; saisir ce dernier élément devrait en effet rendre plus compréhensible la notion de question ouverte. Par exemple, la question « Félix est un célibataire, mais est-il non marié ? » sera considérée fermée dans la mesure où, du fait même de la définition de « célibataire » et « non marié », il n’est pas possible pour Félix d’être un célibataire sans être aussi non marié. La question est considérée fermée, car de la signification même des concepts ou termes en jeu, il n’est pas possible d’y répondre autrement que par « oui », à moins que nous trompions ou que nous ignorions ce que veut dire « célibataire » ou « non marié. » Mais, selon Moore, tel n’est pas le cas lorsqu’il est question du bien. En effet, on peut tout à fait affirmer que, même si l’action x maximise l’utilité, elle n’est pas bonne pour autant. Ou, tout du moins, la réponse à la question « x est une action qui maximise l’utilité, mais est-elle bonne ? » n’est pas donnée par la signification des concepts « maximisation de l’utilité » et « action bonne. »

L’argument de la question ouverte de Moore généralise ce constat à toutes les analyses du bien. En effet, Moore dit qu’il sera toujours possible, pour toute analyse actuelle et possible du bien, de considérer les questions concernant le bien comme des questions ouvertes. La conclusion que Moore tire de cet argument est que le bien ne peut pas être défini ou analysé en d’autres termes que lui-même ; c’est en ce sens que le bien (tout comme, vraisemblablement, les autres propriétés morales) est une propriété sui generis. L’affirmation que le bien est une propriété sui generis est une thèse caractéristique du non-naturalisme moral, et c’est en ce sens qu’il est approprié de dire que Moore est un non-naturaliste.

i. Une limite importante à l’argument de la question ouverte

L’argument de la question ouverte de Moore a certaines limites et celles-ci ont été soulignées par plusieurs métaéthiciens, même si certains continuent d’utiliser cet argument (Cuneo 2013; Darwall, Gibbard et Railton 1992). La limite principale est que Moore semble présupposer qu’un énoncé moral du genre « x est bon si et seulement si x maximise l’utilité » ne peut constituer une analyse du bien que s’il est analytique, c’est-à-dire qu’un énoncé ne peut constituer une analyse correcte du bien que s’il est vrai en vertu même de la signification des concepts, des termes ou des prédicats impliqués (rappelons l’exemple du célibataire non marié). De l’impossibilité de trouver un tel énoncé analytique (justement parce que toute question concernant le bien sera une question ouverte), Moore conclut que le bien ne peut pas être analysé en d’autres termes. C’est en ce sens que le bien est une propriété sui generis.

Toutefois, certaines relations entre concepts ou prédicats ne sont pas analytiques, mais synthétiques. Un exemple maintenant classique est la relation entre les concepts « eau » et « H2O ». Il est pour le moins douteux que nous puissions découvrir, par simple analyse conceptuelle ou sémantique, que ce qui est de l’eau est aussi de l’H2O. Pourtant, c’est bien le cas que tout ce qui est de l’eau est aussi de l’H2O. De cet exemple, nous pouvons conclure que, bien que les concepts ou prédicats « eau » et « H2O » ne soient pas identiques, ils référent tous deux à la même chose (peu importe le nom que nous donnons à cette chose). En d’autres termes, la propriété d’être de l’eau est la même propriété que la propriété d’être du H2O, même si la question « x est de l’eau, mais est-ce du H2O ? » est, au sens de Moore, une question ouverte. Il pourrait en être de même de la propriété d’être bon qui, malgré la présence de questions ouvertes, pourrait être identique à la propriété de maximiser l’utilité. Cette relation d’identité pourrait être synthétique, au sens où elle ne pourrait pas être découverte seulement par analyse conceptuelle ou sémantique. Il s’agit ici d’une limite importante à l’argument de Moore.

ii. Propriétés morales : propriétés étranges ?

Une critique généralement partagée contre la position de Moore et contre le réalisme non naturaliste est que, si cette position est vraie, elle implique l’existence de propriétés étranges (« queer »). C’est exactement l’idée que J.L. Mackie (1977) a développé avec « l’argument de l’étrangeté. » En effet, pour Mackie, si les propriétés morales devaient exister telles que Moore les décrit, elles seraient étranges, c’est-à-dire différentes de toutes les autres propriétés du monde qu’il nous est possible de connaître.

La raison pour laquelle Mackie considère que les propriétés morales telles que Moore les conçoit devraient être considérées étranges est que, si une action devait être bonne ou mauvaise, alors il faudrait que cette action puisse avoir un « doit-être-fait » ou « ne-doit-pas-être-fait » intrinsèque à elle-même, qui pourrait constituer une raison d’agir indépendante de notre psychologie. Pour Mackie, les faits du monde sont pourtant neutres : s’ils nous motivent, c’est parce que nous avons certains désirs. Par exemple, le fait que la cafétéria de mon université sert de la poutine végane le mercredi midi peut être une raison d’aller à la cafétéria le mercredi midi, mais il semble que ce fait ne constitue une raison d’agir qu’à la seule condition que j’aie aussi le désir de manger une poutine végane. Sans ce désir, pourquoi irais-je à la cafétéria pour manger de la poutine végane ? En effet, il semble que, sans ce désir, je n’aurais pas de raison de me déplacer vers la cafétéria de mon université. Toutefois, à en croire l’interprétation que fait Mackie de la position de Moore, il semblerait que les faits moraux sont en mesure de constituer des raisons d’agir indépendamment nos désirs ou notre psychologie, et c’est – entre autres – pour cette raison que Mackie et les théoriciens de l’erreur considèrent que les faits moraux (l’expression « valeurs objectives » étant aussi parfois utilisée) n’existent pas.

b. Le réalisme naturaliste

Ce qui distingue les réalistes non naturalistes tels que Moore des réalistes naturalistes est que, pour les seconds, les propriétés morales ne sont pas des propriétés sui generis, appartenant à leur propre genre métaphysique et distinct des propriétés naturelles. Bien que les réalistes naturalistes puissent défendre que les propriétés morales sont irréductibles à tout autre type de propriétés naturelles (par exemple, aux propriétés chimiques, physiques, psychologiques, sociologiques, etc.), il n’empêche que, pour eux, il n’est pas nécessaire de postuler une nouvelle catégorie métaphysique pour être un réaliste moral. Il est tout à la fois possible de défendre que les propriétés morales existent et qu’elles sont naturelles et ainsi de s’abstenir de défendre que les propriétés morales sont sui generis.

i. Qu’est-ce qu’une propriété naturelle ?

Bien que cette question puisse paraître simple, les caractéristiques qui font d’une propriété une propriété naturelle sont toujours débattues en philosophie, ce qui rend la réponse à la question « qu’est-ce qu’une propriété naturelle ? » plus complexe qu’il n’y parait au premier abord. La meilleure façon de déterminer ce qui fait d’une propriété une propriété naturelle est d’établir une liste de caractéristiques qui rendraient inévitablement une propriété qui les possède naturelle. On peut ainsi penser à certaines caractéristiques, comme pouvoir faire partie d’une relation causale, pouvoir être connue seulement a posteriori, être l’objet d’étude des différentes sciences empiriques, etc. L’option la plus intéressante est probablement de partir d’un exemple paradigmatique de propriété naturelle et de déterminer les caractéristiques essentielles de cette propriété. On pourrait prendre comme exemple la propriété d’être un proton : en étudiant les caractéristiques de cette propriété, nous pourrions ainsi déterminer les caractéristiques essentielles de toute propriété naturelle.

Parce que la liste des caractéristiques qui fait d’une propriété une propriété naturelle est hautement spéculative et très débattue, je n’en dirai pas davantage sur les caractéristiques spécifiques que devraient avoir la propriété d’être un proton et, par extension, les propriétés morales pour être des propriétés naturelles. L’important pour le moment est de noter que, pour les naturalistes, peu importe ces caractéristiques : si les propriétés morales sont des propriétés naturelles, alors elles auront ces caractéristiques. De cette manière, peu importe les caractéristiques qu’une propriété doit avoir pour être une propriété naturelle : si nous voulons défendre que les propriétés morales sont des propriétés naturelles, il nous suffira de défendre que les propriétés morales partagent les caractéristiques essentielles qui font d’une propriété une propriété naturelle.

ii. Le réalisme naturaliste non réductionniste

Pour les réalistes naturalistes non réductionnistes, les propriétés morales, bien que naturelles, restent néanmoins des propriétés qui ne sont pas réductibles aux autres types de propriétés naturelles. Ce qui distingue les réalistes naturalistes non réductionnistes des réalistes non naturalistes est que les réalistes naturalistes non réductionnistes n’acceptent pas la thèse non naturaliste selon laquelle les propriétés morales ne peuvent pas être des propriétés naturelles. En effet, bien que les non-réductionnistes partagent certaines intuitions avec les non-naturalistes, les premiers acceptent que les propriétés morales partagent les caractéristiques essentielles des propriétés naturelles, alors que les seconds nient que tel est le cas. Pour reprendre les propos de Dancy, il est possible d’identifier cette famille de réalistes comme étant celle qui défend que tous les faits moraux sont des faits naturels, même s’il n’est pas possible de reporter ces faits au moyen d’autres termes que les termes moraux (Dancy 2006, 127).

La thèse principale des non-réductionnistes est que les propriétés morales sont à la fois connues de manière empirique et qu’elles peuvent faire partie de relations causales, comme c’est le cas pour les propriétés naturelles paradigmatiques. Les propriétés morales sont ainsi des propriétés naturelles, mais cela n’implique pas que les propriétés morales sont réductibles à d’autres propriétés naturelles, que les concepts moraux sont réductibles à des concepts non-moraux, ou que les termes moraux peuvent être remplacés par des termes non-moraux. Comme l’affirme Sturgeon, le fait que les propriétés morales sont causalement efficaces représente une raison de croire qu’elles sont naturelles, et ceci même s’il n’est pas possible de réduire ces propriétés à d’autres propriétés naturelles (Sturgeon 2006, 101). Les propriétés morales seront causalement efficaces si elles peuvent expliquer causalement des phénomènes du monde et plus spécifiquement certaines de nos croyances morales. En effet, pour les non-réductionnistes, les propriétés morales sont une catégorie particulière et distincte de propriétés naturelles (Kirchin 2012, 50).

 Réalisme naturaliste non réductionniste et explications

Un réaliste naturaliste non réductionniste comme Sturgeon soutient que les propriétés morales (ou les faits moraux) sont, tout comme les propriétés naturelles, nécessaires à la meilleure explication de certains phénomènes du monde et de certaines de nos expériences. Sturgeon fait aussi partie d’une famille de réalistes non réductionnistes communément appelée le « réalisme de Cornell ». Cette famille de réalistes porte ce nom pour la simple raison que ses principaux défenseurs ont soit enseigné soit étudié à l’Université Cornell (Boyd 1988 ; Brink 1989 ; Copp 2003 ; Sayre-McCord 1996 ; Sturgeon 1988).

L’argument des réalistes de Cornell pour l’existence des propriétés morales, tel que reconstruit par Miller, est le suivant (Miller 2013, 145) :

  1. P est une propriété réelle si, et seulement si, P fait inévitablement partie de la meilleure explication de notre expérience.
  2. Les propriétés morales font inévitablement partie de la meilleure explication de notre expérience.
  3. Donc les propriétés morales sont réelles.

(À cet argument, et dans le but de soutenir le réalisme naturaliste, il faut aussi ajouter les thèses selon lesquelles les explications pertinentes sont causales et les propriétés causalement efficaces sont nécessairement naturelles.) La première prémisse énonce un critère d’existence, selon lequel il est possible d’affirmer qu’une entité existe si, et seulement si, elle fait partie de la meilleure explication de notre expérience, où la meilleure explication de notre expérience sera une explication causale. Sturgeon donne quelques exemples pour soutenir la deuxième prémisse. En voici un (Sturgeon 1988, 232 ; Miller 2013, 149) :

Le fait qu’Hitler était moralement vicieux explique – parmi d’autres facteurs – pourquoi il a fait les actions x, y, et z ; le fait qu’il ait commis les actions x, y, et z explique pourquoi un agent A croit qu’Hitler était moralement vicieux ; le fait qu’Hitler était moralement vicieux explique – parmi d’autres facteurs – pourquoi l’agent A croit qu’Hitler était moralement vicieux.

Selon les réalistes de Cornell, il conviendrait de conclure de cet exemple qu’une propriété morale (ou un fait moral) entre inévitablement dans la meilleure explication des croyances morales que l’agent forme à propos des actions d’Hitler. Toute explication de cette expérience qui ne ferait pas mention de cette propriété morale aurait un pouvoir explicatif moindre et, ainsi, ne constituerait pas la meilleure explication de cette expérience.

Évidemment, il est loin d’être évident que les propriétés morales doivent faire partie de la meilleure explication de notre expérience. La possibilité que les propriétés morales ne fassent pas partie de la meilleure explication de notre expérience – ce que nous pouvons appeler « le problème de l’explication », d’abord introduit par Harman (1977) – représente une difficulté importante pour les réalistes de Cornell. De façon brève, Harman soutient qu’il n’est pas nécessaire de faire référence aux propriétés morales ou aux faits moraux pour expliquer – par exemple – nos croyances morales. Pour reprendre l’exemple du paragraphe précédent, il serait possible de dire que d’autres faits que les faits moraux peuvent tout aussi bien expliquer pourquoi l’agent A croit qu’Hitler était moralement vicieux. Par exemple, certains faits psychologiques ou sociaux peuvent expliquer pourquoi l’agent A a cette croyance. Harman pourrait ainsi dire que le fait social qu’il n’est pas admis dans notre société de commettre les actions x, y et z explique pourquoi l’agent A a cette croyance. Pour Harman, faire référence à un fait psychologique ou social plutôt que moral ne crée aucune perte explicative. Si c’est le cas, alors l’argument cité plus haut n’est pas fondé. Ce débat, concernant le concept de « meilleure explication » est complexe et il n’est pas possible ici de faire le tour de la question ; le lecteur est toutefois invité à l’explorer plus en détail (Cuneo 2006; Harman 1977; Majors 2003; Sturgeon 1988).

Réalisme naturaliste non réductionniste et survenance

En métaéthique, on tient généralement pour acquis que les propriétés morales « surviennent » sur d’autres propriétés. En effet, le principe de la survenance fait l’objet d’un large consensus en métaéthique, et pas seulement chez les réalistes moraux. En quelques mots, le principe de la survenance implique, d’abord, qu’il ne peut y avoir de différence au niveau moral sans y avoir de différence au niveau non moral. Certains métaéthiciens, particulièrement les réalistes moraux, préfèrent comprendre le principe de la survenance comme étant l’idée que les propriétés morales dépendent d’autres propriétés pour exister (plus spécifiquement, pour être instanciées par un objet ou un état de choses). Appelons pour le moment ces autres propriétés des propriétés descriptives : une propriété est descriptive s’il est possible de la désigner sans employer de prédicat normatif (bien qu’imparfaite, il est préférable d’utiliser l’expression « propriété descriptive », car elle rend claire la distinction entre les propriétés morales et les autres propriétés naturelles). Le principe de la survenance implique, ensuite, que tout individu (ou objet, état de choses, évènement) qui a exactement les mêmes caractéristiques descriptives qu’un autre individu qui avait en plus une certaine propriété morale (par exemple : la propriété d’être bon) aura lui aussi la même propriété morale. Par exemple, si nous jugeons que Saint-François est un homme bon, nous devrions aussi dire que tout homme qui a exactement les mêmes propriétés descriptives que Saint-François est aussi un homme bon.

Est-il possible pour les réalistes naturalistes non réductionnistes d’expliquer ce phénomène de la survenance sans pour autant nier leur engagement envers le non-réductionnisme ? Plus spécifiquement, pourquoi deux individus qui ont exactement les mêmes propriétés descriptives devraient-ils aussi avoir les mêmes propriétés morales, si les propriétés morales ne sont pas réductibles aux propriétés descriptives ? Pour répondre de manière satisfaisante à ces questions, il ne suffit pas de dire que les propriétés morales sont des propriétés naturelles, il faut aussi expliquer comment ces propriétés peuvent être instanciées par des états de choses ou par des individus.

Le problème se pose avec encore plus de force si on considère que les propriétés morales ne semblent pas être des propriétés fondamentales du monde, comme pourraient l’être les propriétés microphysiques. Elles semblent plutôt être des propriétés d’ordre supérieur, c’est-à-dire que ce ne sont pas des propriétés que les objets, individus ou états de choses ont sans avoir d’autres propriétés. Pour reprendre les propos de Mackie (1977, 41) :

Quelle est la relation entre le fait naturel qu’une action est délibérément cruelle – parce que, disons, elle, cause de la douleur par pur plaisir – et le fait moral que cette action est mal ? Il ne peut s’agir d’une relation nécessaire d’implication, logique ou sémantique. Pourtant ce n’est pas suffisant de dire que les deux propriétés se produisent en même temps. La propriété d’être mal doit, d’une manière ou d’une autre, être une conséquence des propriétés naturelles ou survenir sur ces propriétés ; cette action est mal parce qu’elle est délibérément cruelle. Mais qu’est-ce qui, dans le monde, est signifié par ce « parce que » ?

Les réalistes naturalistes non réductionnistes doivent donner une explication de cette relation entre propriétés morales et descriptives, mais il est loin d’être évident que cela peut être fait sans renoncer au non-réductionnisme.

Une stratégie que les réalistes non réductionnistes peuvent adopter consiste à prendre comme exemple les différentes relations métaphysiques avancées en philosophie de l’esprit pour rendre compte de la relation entre les propriétés physiques et les propriétés mentales, comme les relations de réalisation ou de constitution. Nous n’en dirons pas plus ici sur cette, car cela nous conduirait trop loin. Il reste toutefois important de noter que la survenance des propriétés morales représente un défi important pour les réalistes naturaliste non réductionnistes.

iii. Le réalisme naturaliste réductionniste

Dans cette section sur le réductionnisme, nous allons nous concentrer sur un seul exemple de réalisme naturaliste réductionniste, soit la version proposée par Frank Jackson (1998). Néanmoins, avant de nous pencher sur l’analyse réductive des propriétés morales telle que proposée par Jackson, il convient de passer en revue les différentes forme de réductionnisme.

Il existe au moins deux grandes options ouvertes au réductionniste qui voudrait défendre la réduction des propriétés morales à d’autres propriétés (pour le bien de l’exposé, il sera tenu pour acquis que les réductionnistes veulent réduire les propriétés morales aux propriétés descriptives, bien qu’il existe en théorie d’autres possibilités). D’abord, il est possible de réduire une propriété morale à une propriété descriptive simple. Un exemple serait de réduire la propriété d’être bon à la propriété de maximiser l’utilité. C’est ce genre de réduction que les utilitaristes pourraient proposer.

Cette option ne semble toutefois pas très populaire dans la littérature métaéthique. Une raison qui pourrait expliquer pourquoi est qu’il est souvent tenu pour acquis, même par certains réductionnistes, que les propriétés morales peuvent survenir sur différentes propriétés descriptives. Ceci revient à soutenir que certaines actions, même si elles ne maximisent pas le plaisir, peuvent être bonnes ; ou, pour le dire autrement, que plusieurs choses qui ne partagent pas les mêmes propriétés descriptives peuvent être bonnes. C’est ce qui pourrait expliquer pourquoi la plupart des réductionnistes semblent préférer la deuxième option, selon laquelle une propriété morale serait réductible à une propriété descriptive complexe telle une propriété disjonctive.

Une autre distinction importante lorsqu’il est question du réductionnisme est qu’il est possible d’accepter soit le réductionnisme analytique soit le réductionnisme synthétique. Pour les réductionnistes analytiques, il existerait, pour tous les faits moraux, une façon de décrire ce fait en termes moraux et une façon de décrire ce même fait en termes descriptifs (i.e. non moraux), et ces deux descriptions seraient synonymes l’une de l’autre. De plus, selon les réductionnistes analytiques, il nous serait possible de connaître ces relations d’identité entre faits moraux et faits descriptifs par analyse conceptuelle ; il n’est donc pas nécessaire de faire usage de méthodes empiriques pour connaître ces relations d’identité. Pour les réductionnistes synthétiques, il existerait, pour tout fait moral, une manière morale et une manière descriptive de rapporter ce fait, mais, contrairement aux réductionnistes analytiques, ces réductionnistes ne croient pas que ces deux manières de décrire le même fait sont analytiquement équivalentes. De plus, cette relation d’identité entre faits moraux et descriptifs devra être découverte de manière empirique. Bien que les réductionnistes synthétiques partagent certaines intuitions avec les réalistes de Cornell, ces derniers ne croient pas qu’une telle réduction soit possible. Pour les réalistes de Cornell, les termes moraux demeureront irréductibles. Il ne serait donc pas vrai que, pour tout fait moral, il existe un fait descriptif qui lui soit équivalent, ce que les réductionnistes – analytiques et synthétiques – défendent.

Dans la suite de cette section, l’option réductionniste de Jackson (1998) sera introduite, qui est mieux décrite comme étant une défense du réductionniste analytique. Pour Jackson, les propriétés morales (ou ce que Jackson appelle les propriétés évaluatives) sont réductibles et identiques aux propriétés descriptives. Mais Jackson ne croit pas qu’une propriété morale puisse être réduite à une propriété descriptive simple, il croit plutôt qu’une propriété morale doit être réduite à une propriété descriptive complexe, en l’occurrence à une propriété descriptive disjonctive. Il est préférable de présenter l’argument de Jackson en deux étapes. La première est censée établir qu’une propriété morale donnée est coextensive avec une propriété descriptive disjonctive, la deuxième que ces deux propriétés sont identiques.

Par exemple, si nous essayons de faire une analyse réductionniste de la propriété d’être bon, nous pouvons d’abord dire que, pour toute action bonne, il sera possible de donner une description purement descriptive de cette action sans faire référence à cette propriété morale. Par exemple, plutôt que de dire que l’action x est bonne, il serait possible de dire que l’action x maximise l’utilité, la propriété de maximiser l’utilité étant la propriété descriptive sur laquelle la propriété morale d’être bon survient. Nous pouvons ainsi appeler la deuxième description, celle où le vocabulaire moral est éliminé, D1. Et pour toute action qui aura la propriété morale être bon, il sera possible de faire la même chose ; nous devrions donc avoir les descriptions D1, D2, D3, etc., où toutes ces descriptions feront uniquement référence à des propriétés descriptives. Parce que D1, D2, D3, etc. sont purement descriptives, la disjonction de toutes ces descriptions (D1, ou D2, ou D3, ou…) sera aussi descriptive, c’est-à-dire que cette disjonction ne fera usage d’aucun vocabulaire moral.

Nous pouvons appeler la disjonction de D1, D2, D3, etc., tout simplement D. Dans la mesure où la disjonction D est complète, elle fait référence à toutes les propriétés descriptives sur lesquelles la propriété d’être bon survient ; D fait ainsi référence à toutes les propriétés descriptives que peuvent avoir les actions qui ont la propriété morale d’être bon. De plus, la propriété morale d’être bon implique (« entails ») D, et D implique la propriété morale d’être bon. En effet, à chaque fois qu’une action aura la propriété morale en question, cette action aura aussi D, car elle aura une des propriétés qui instancie D. De plus, si une action a D, elle aura nécessairement la propriété morale d’être bon, car D fait référence à toutes les propriétés descriptives sur lesquelles la propriété morale survient (et que la thèse de la survenance implique que si deux entités sont identiques d’un point de vue descriptif, elles sont aussi moralement identiques). La propriété morale d’être bon et D sont donc nécessairement coextensives : à chaque fois qu’une action aura l’une, elle aura nécessairement l’autre. Malgré tout, est-ce le cas que la propriété d’être bon est réductible et identique à ?

C’est le cas si on accepte la conception des propriétés défendue par Jackson, selon laquelle une propriété doit pouvoir permettre de faire une distinction entre différentes possibilités. Autrement, une propriété est redondante au sens où, justement, elle ne permet pas de distinguer entre différentes possibilités (Brown 2011, 210). Pour Jackson, il n’existe pas de propriétés redondantes (ou du moins ces propriétés ne doivent pas être considérées comme étant réelles). Ainsi, si deux propriétés ne permettent pas de distinguer deux possibilités différentes, alors ces deux propriétés sont identiques. Voici deux exemples qui permettent de mieux comprendre comment des propriétés peuvent distinguer deux possibilités différentes. Le premier est la propriété d’avoir trois angles et la propriété d’être une figure fermée à trois côtés. Le deuxième est la propriété d’être le nombre 2 et la propriété d’être un nombre entier pair. Pour chaque exemple, les propriétés sont identiques car elles ne permettent pas de distinguer deux possibilités différentes. En d’autres termes, les propriétés concernées sont coextensives. Les propriétés morales sont ainsi identiques aux propriétés descriptives parce que les propriétés morales ne sont pas nécessaires pour faire des distinctions entre différentes possibilités qui ne pourraient pas être rendues par les propriétés descriptives. Ainsi, toute distinction entre possibilités que la propriété d’être bon pourra permettre de faire pourra être aussi faite par D (Jackson 1998, 123). Pour Jackson, ceci implique que la propriété morale d’être bon pourra être réduite à D, qui est une propriété descriptive complexe. Ces deux propriétés sont donc identiques. De manière plus formelle, voici l’argument de Jackson, appliqué à la propriété d’être bon :

  1. Si toute action qui possède une propriété morale possède aussi nécessairement une propriété descriptive (en vertu du principe de la survenance), alors la propriété morale et la propriété descriptive sont coextensives.
  2. Si deux propriétés sont coextensives, alors elles sont identiques.
  3. Toute action qui possède la propriété morale d’être bon possède aussi nécessairement la propriété descriptive D.
  4. Donc la propriété morale d’être bon est identique à la propriété descriptive D.

Bien entendu, il sera possible d’appliquer cet argument à toutes les propriétés morales, et pas seulement à la propriété d’être bon.

c. Le réalisme non naturaliste 2.0

Avant de conclure cette section sur l’ontologie morale, il est nécessaire de dire quelques mots supplémentaires sur le réalisme non naturaliste, qui a fait un retour important en métaéthique ces dernières années. L’objectif n’est pas ici de présenter en détail les théories non naturalistes après Moore, mais plutôt de souligner qu’il existe toujours des non-naturalistes. Les non-naturalistes contemporains acceptent avec Moore que les propriétés morales sont sui generis, c’est-à-dire ont leur propre genre métaphysique. Là où les non-naturalistes contemporains se démarquent de Moore c’est qu’ils tentent d’apporter de nouvelles raisons de croire que les propriétés morales sont sui generis, au-delà du simple argument de la question ouverte. Dans cette section, je vais me limiter à présenter une seule de ces raisons : les propriétés morales sont tout simplement trop différentes des propriétés naturelles pour être des propriétés naturelles (Enoch 2011; Huemer 2005).

Voici cet argument, tel que formulé par Michael Huemer (2005, p. 94) :

  1. Les propriétés morales sont radicalement différentes des propriétés naturelles.
  2. Si deux propriétés sont radicalement différentes, l’une n’est pas réductible à l’autre.
  3. Donc, les propriétés morales ne sont pas réductibles aux propriétés naturelles.

Pour Huemer, les propriétés morales semblent complètement différentes des propriétés naturelles. Par exemple, la propriété morale d’être mal est complètement différente de la propriété naturelle de peser cinq kilogrammes. Soutenir que ces deux genres de propriétés (moral et naturel) ne sont pas radicalement différents représenterait, en quelque sorte, une erreur de catégorie.

Pour Enoch aussi, les propriétés morales (ou les propriétés normatives) sont tout simplement trop différentes des propriétés naturelles pour être considérées comme étant des propriétés naturelles. Les propriétés morales auraient donc des caractéristiques que les propriétés naturelles ne pourraient tout simplement pas avoir du fait même qu’elles sont des propriétés naturelles. Pour ne nommer qu’une seule de ses caractéristiques, il serait possible de dire que les propriétés morales constituent des raisons catégoriques d’agir, ce qui ne serait pas le cas pour les propriétés naturelles. Pour faire référence à un exemple utilisé plus tôt : étant donné que le fait que la cafétéria de mon université sert de la poutine végane le mercredi midi est un fait naturel, il est clair qu’il ne peut pas constituer une raison catégorique d’agir d’une manière ou d’une autre. Ceci ne veut pas dire que ce fait naturel ne peut pas constituer une raison d’agir (ce serait le cas si, par exemple, j’avais le désir de manger une poutine végane), mais cette raison ne sera pas catégorique.

Pour les non-naturalistes, il n’est pas possible de dire la même chose à propos des faits moraux et des propriétés morales. Le fait qu’il est mal de torturer des chatons par pur plaisir constitue une raison catégorique de ne pas s’engager dans ce type d’action, et ceci peu importe notre psychologie, nos désirs, ou la situation dans laquelle nous nous trouvons. Cette raison sera ainsi dite catégorique, au sens où elle s’applique à tous. Voilà donc, disent les non-naturalistes, une caractéristique qu’un fait moral ou une propriété morale peut avoir, mais qu’un fait naturel ou une propriété naturelle ne peut pas avoir. Si cela est vrai, nous aurions une raison de croire que les propriétés morales ne sont pas des propriétés naturelles ; elles seraient plutôt, selon les non-naturalistes, des propriétés sui generis, c’est-à-dire qu’elles auraient leur propre genre métaphysique (Dancy 2006).

Tout comme il est possible de dire que les propriétés morales ont des caractéristiques que les propriétés naturelles ne peuvent pas avoir, il est possible de dire que les propriétés naturelles ont certaines caractéristiques que les propriétés morales ne peuvent pas avoir. Un exemple serait le fait que les propriétés naturelles peuvent être étudiées en utilisant les méthodes des sciences empiriques, alors que ceci ne peut pas être le cas pour les propriétés morales. Cette dernière raison ferait ainsi référence au fait que l’éthique semble jouir d’une certaine autonomie par rapport aux sciences empiriques. Dire que l’éthique est autonome revient plus spécifiquement à affirmer que les conclusions morales (« il est bien de faire x », « il est mal de faire y », etc.) ne peuvent pas être découvertes ou déduites par des raisonnements ou par des arguments qui ne comprennent pas, minimalement, une prémisse morale. Une prémisse morale pourrait être un standard moral, qui serait un énoncé moral universel tel que « il est toujours mal de causer de la douleur par pur plaisir à un être sensible. » Ce serait parce que certains standards moraux existent qu’il est possible d’arriver à certaines conclusions morales particulières ; et c’est en ce sens que l’éthique jouirait d’une autonomie par rapport aux sciences empiriques et faits naturels. Il faudrait donc conclure que les propriétés morales ne sont pas des propriétés naturelles.

3. Psychologie morale

a. Quelle relation entre moralité et motivation ?

Selon plusieurs métaéthiciens, les jugements moraux entretiennent une relation privilégiée avec la motivation à agir. Comment expliquer, si elle existe, cette relation privilégiée ? Cette question est encore plus brûlante si, comme le soutiennent les réalistes moraux, les jugements moraux expriment des croyances et si, comme plusieurs le pensent, les croyances sont incapables de nous motiver à agir. En effet, il est généralement accepté, du moins en métaéthique et en philosophie de l’action, que les croyances ne sont pas suffisantes pour nous motiver à agir ; les désirs sont nécessaires pour nous motiver à agir. Cette idée nous vient de David Hume, pour qui les passions (ce que les philosophes appellent aujourd’hui les désirs) sont ce qui nous meut (il est important de noter que ce qui est dit dans ce paragraphe ne représente pas nécessairement la philosophie de Hume, mais plutôt la façon dont certains métaéthiciens se sont inspirés de ce philosophe). Les croyances nous guident dans l’action, mais elles ne sont pas la force qui nous pousse à agir. Pour reprendre un exemple précédent, mon désir de manger de la poutine végane ce midi est ce qui me motive à me déplacer vers la cafétéria de mon université, bien que le fait que je me dirige en direction de la cafétéria doit aussi être expliqué par ma croyance que la cafétéria de mon université sert de la poutine végane. En l’absence d’une telle croyance, mon désir ne me dirait pas spécifiquement comment agir, mais il n’en demeure pas moins la force qui me pousse à passer à l’acte ; sans ce désir, point d’action. En effet, ma croyance que la cafétéria sert de la poutine végane ne me motivera pas par elle-même à agir ; je dois aussi avoir le désir de manger une poutine végane. Ainsi, s’il est vrai qu’il existe une relation privilégiée entre jugements moraux et motivation, les réalistes moraux doivent trouver une manière d’expliquer cette relation qui ne les oblige ni à renier leur engagement envers le cognitivisme moral, ni à rejeter l’idée selon laquelle les jugements moraux expriment des croyances.

b. Moralité et motivation : un argument antiréaliste ?

Certains antiréalistes moraux présentent la question de la relation entre jugements moraux et motivation comme étant une raison de rejeter le réalisme moral, et ainsi d’accepter l’antiréalisme moral. Ceci est rendu possible par la thèse acceptée par ces antiréalistes sous le nom de « l’internalisme motivationnel » ou de « l’internalisme des jugements », soit la thèse selon laquelle il existe une connexion nécessaire entre jugements moraux et motivation. Pour les antiréalistes, si nous nions cette relation nécessaire entre moralité et motivation, nous changeons le sujet de la discussion, le faisant passer de la moralité à autre chose.

Il est possible de donner des exemples pour justifier l’internalisme motivationnel, la plupart de ces exemples faisant appel à certaines intuitions que nous aurions à propos de la moralité. Imaginez un cas où un agent considère qu’il est moralement obligatoire de faire un certain type d’action, tel que donner 5% de ses revenus annuels à des organismes de charité. Si nous croyons que cet agent est sincère, nous nous attendrons aussi à ce qu’il agisse lui-même de manière à respecter ce qu’il considère moralement obligatoire. Imaginons maintenant que nous lui posons la question suivante « si cela était possible pour vous, est-ce que vous donneriez 5% de vos revenus annuels à des organismes de charité ? » et que sa réponse est « bien sûr que non ! » Devant son refus d’agir d’après ce qu’il considère lui-même comme étant moralement obligatoire, une des options qui nous sont offertes est de conclure que son jugement moral n’était pas réellement sincère. Pour les internalistes, c’est la conclusion que nous devrions accepter. Si un agent n’est pas disposé à agir selon ses jugements moraux, alors cet agent n’était pas sincère.

En effet, si nous éliminons la possibilité que cet agent ait une bonne raison de ne pas donner 5% de ses revenus annuels à des organismes de charité (une bonne raison pourrait être qu’il doit aider financièrement sa mère qui vient de perdre son emploi), il nous semble douteux que cet agent juge sincèrement et réellement que nous sommes dans l’obligation morale de faire une telle action, puisqu’il n’est pas lui-même disposé à accomplir cette action. Pour les antiréalistes, le fait que nous soyons prêts à conclure que l’agent ne juge pas sincèrement que nous avons le devoir d’accomplir une telle action s’il n’est pas lui-même disposé à accomplir cette action prouve que nous croyons qu’il existe une relation privilégiée entre moralité et motivation. C’est justement cette intuition que le principe de l’internalisme motivationnel tente de capturer.

Pour certains antiréalistes, si l’internalisme motivationnel est vrai, alors la seule manière de défendre le réalisme moral est de conclure que les propriétés morales ont un certain pouvoir motivationnel intrinsèque. Mais comment des propriétés peuvent-elles avoir un pouvoir motivationnel intrinsèque ? Et si toutes les autres propriétés n’ont pas ce pouvoir intrinsèque, pourquoi seules les propriétés morales l’auraient ? Pour ces antiréalistes, il faut éviter à tout prix de défendre que les propriétés morales ont un pouvoir motivationnel intrinsèque, car il s’agit d’une thèse métaphysique farfelue. Les réalistes moraux pourrait en réponse rejeter l’internalisme motivationnel, mais, parce que nous avons des intuitions très fortes envers la véracité de l’internalisme motivationnel, cette option ne semble pas très intéressante.

C’est dans cette mesure qu’il semble que l’internalisme motivationnel pose problème pour le réalisme moral. Dans tous les cas, il faudrait, à tout le moins, que les réalistes moraux nous donnent quelques raisons soit de croire que l’internalisme motivationnel est compatible avec le réalisme moral (Enoch 2011; Smith 1994), soit de croire que l’internalisme motivationnel est faux (Brink 1986; Shafer-Landau 2000).

Certains réalistes, dans le but de montrer que l’internalisme motivationnel et le réalisme moral sont compatibles, rejetteront la conception humienne des croyances et de la motivation (Nagel 1970). Selon cette conception, je le rappelle, les croyances sont inaptes à nous motiver à agir ; seuls les désirs peuvent remplir ce rôle. En rejetant la conception humienne des croyances et de la motivation, ces réalistes rejetteront ainsi la thèse que les croyances sont inertes d’un point de vue motivationnel, du moins en ce qui concerne les croyances morales. Ils peuvent ainsi soutenir que les croyances morales sont suffisantes pour nous motiver à agir. L’internalisme motivationnel ne poserait donc pas de problème au réalisme moral, car il est possible d’accepter l’internalisme motivationnel et de rejeter la conception humienne des croyances et de la motivation.

Les réalistes moraux peuvent aussi conserver la conception humienne et soutenir que les croyances morales ne sont pas des croyances ordinaires, qu’elles sont plutôt des états mentaux complexes ou hybrides, à la fois cognitif et conatif. Du fait de cette complexité ou de ce caractère hybride, les croyances morales pourraient ainsi nous motiver à agir (ce qui ne serait pas le cas, par exemple, pour nos croyances sur le monde microphysique). Cette dernière idée revient à affirmer que les croyances morales ont les deux « directions d’ajustements » que les états mentaux pourraient avoir. Parler de direction d’ajustement est utile pour mettre au clair la différence fondamentale entre les croyances et les désirs (ou entre les états cognitifs et conatifs).

Les croyances ont généralement une direction d’ajustement esprit-monde, c’est-à-dire qu’elles doivent s’ajuster au monde. Par exemple, si je réalise que ma croyance que je suis un astronaute est fausse (parce que je ne suis pas un astronaute), alors je devrais ajuster ma croyance dans le but qu’elle corresponde à l’état du monde selon lequel je ne suis pas un astronaute. Les désirs ont, de leur côté, une direction d’ajustement monde-esprit, au sens où le monde doit s’ajuster à nos désirs. Par exemple, si j’ai le désir de devenir un astronaute (et que je ne suis pas déjà un astronaute), je dois agir de façon à modifier le monde pour qu’il corresponde à mon désir. Ainsi, je devrai entreprendre une série d’actions qui me permettra de devenir un astronaute, et ainsi j’aurai modifié le monde à l’image de mon désir.

Certains réalistes, dans le but d’expliquer la relation privilégiée entre moralité et motivation, diront que les croyances morales ont les deux directions d’ajustements (il est généralement tenu pour acquis qu’un état mental ne peut avoir qu’une seule direction d’ajustement), ce qui rend ces états mentaux tout à fait uniques (je conserve le terme de « croyance » pour parler de ce type d’état mental, bien que le terme « besire » – un amalgame entre belief et desire – ait été proposé dans la littérature) (Zangwill 2008). Si cette position peut être défendue, alors il est possible d’expliquer comment nos croyances morales peuvent nous disposer à agir, et c’est le cas parce que les croyances morales sont, comme les désirs, des états motivationnels (parce qu’elles partagent la même direction d’ajustement que les désirs, en plus d’avoir la direction d’ajustement, par exemple, des croyances empiriques). Cette position, en plus d’être compatible avec l’internalisme motivationnel, permettrait aussi de préserver les thèses essentielles au réalisme moral, entre autres que les jugements moraux expriment des croyances qui peuvent être vraies ou fausses.

c. Réalisme moral et externalisme

Certains réalistes optent pour une stratégie différente et rejettent plutôt l’idée d’une relation nécessaire entre moralité et motivation, ce qui ne veut toutefois pas dire qu’il n’existe pas de relation contingente entre ces deux éléments. Ces réalistes sont des externalistes, au sens où ils ne croient pas, justement, qu’il existe un lien « interne » entre jugements moraux et motivation.

Pour les externalistes, cette relation est contingente, au sens où elle dépend des désirs que l’agent a déjà, de ses traits psychologiques, etc. L’idée essentielle est que rien, du seul fait qu’un agent énonce de manière sincère un jugement moral, ne peut être déduit avec certitude sur la disposition de cet agent à agir. En effet, la relation entre jugement moral et motivation n’est pas nécessaire, mais contingente. L’avantage de défendre l’externalisme est que les réalistes moraux pourraient ainsi conserver la conception humienne des croyances et de la motivation, selon laquelle – je le rappelle encore – les croyances ne sont pas suffisantes pour motiver un agent à agir. Les externalistes n’ont pas à rejeter cette conception humienne, seulement l’idée selon laquelle il y a une relation intime entre moralité et motivation. Un agent peut donc sincèrement dire qu’il faut faire x sans être motivé à faire x, la relation entre son jugement moral et sa motivation étant contingente. Aussi, il est bon de noter que les externalistes peuvent toujours défendre que la plupart des agents sont disposés à agir selon les jugements moraux qu’ils expriment sincèrement ; ils peuvent donc soutenir qu’il existe une relation entre moralité et motivation, mais cette relation est contingente plutôt que nécessaire.

4. Sémantique morale

a. Énoncés moraux et descriptions du monde

Lorsqu’il est question de sémantique morale, il est approprié de dire que tous les réalistes moraux acceptent que les énoncés moraux peuvent être vrais ou faux, et que la valeur de vérité d’un énoncé moral est indépendante de l’esprit des agents. De plus, les réalistes acceptent généralement que la valeur de vérité des énoncés moraux est déterminée par l’état du monde, c’est-à-dire qu’un énoncé moral sera vrai dans la mesure où il décrit de manière appropriée un fait moral. Ainsi, les réalistes soutiennent que les énoncés moraux sont descriptifs.

Il est possible de rappeler un exemple donné plus tôt dans cette entrée, où une certaine similarité entre les énoncés « cette tasse est bleue » et « cette action est mauvaise » était suggérée. Pour les réalistes moraux, il n’existe pas seulement une similarité de surface entre ces deux énoncés, mais aussi de fond : ces deux énoncés ne seront vrais que s’ils correspondent au monde. Les réalistes se démarquent ainsi de certains antiréalistes moraux, pour qui il existe une asymétrie entre les énoncés « ordinaires » qui expriment des attitudes cognitives (telle que l’énoncé « cette tasse est bleue ») et les énoncés moraux, qui expriment plutôt des attitudes conatives. Ces antiréalistes s’appuient sur l’intuition que, lorsque nous disons, par exemple, qu’une action est mauvaise, nous évaluons le monde plutôt que nous ne le décrivons. Les énoncés moraux seraient plutôt utilisés pour évaluer nos propres actions et celles des autres, pour influencer les actions de nos proches, etc. Ils ne seraient donc pas des descriptions du monde ; Ils auraient un rôle différent de celui des énoncés sur le monde.

Les réalistes, en réponse à ces antiréalistes, soutiennent que leur position a certains avantages, entre autres son pouvoir explicatif. En effet, en soutenant que le discours moral est relativement similaire aux autres types de discours, le réalisme moral semble avoir un avantage certain lorsqu’il est question d’expliquer, par exemple, comment les énoncés moraux peuvent faire partie d’inférences, au prix de laisser quelque peu de côté l’aspect pratique du discours moral. Ainsi, de cette façon, les réalistes auraient l’avantage de pouvoir expliquer simplement pourquoi les énoncés moraux partagent les mêmes caractéristiques que les énoncés ordinaires.

b. Réalisme moral et minimalisme sémantique

Au niveau sémantique, un problème potentiel pour les réalistes moraux est que le minimalisme sémantique puisse être vrai. Selon les minimalistes, dire que certaines énoncés sont vrais est identique au simple fait d’affirmer ces énoncés, ce qui permettrait ultimement d’accepter une conception « déflationniste » des faits moraux et des propriétés morales. Pour les minimalistes, il n’existe pas de différence entre l’énoncé « il est mal de torturer des chatons par pur plaisir » et l’énoncé « il est vrai qu’il est mal de torturer des chatons par pur plaisir ». Le deuxième énoncé n’est qu’une réaffirmation du premier. De même, selon la conception déflationniste des faits moraux, l’énoncé « c’est un fait qu’il est mal de torturer des chatons par pur plaisir » n’a aucune implication métaphysique : il est identique à l’énoncé « il est mal de torturer des chatons par pur plaisir. » La vérité des propositions morales n’implique donc pas l’existence de faits moraux, au sens où les réalistes moraux comprennent l’existence de ces faits. C’est exactement la stratégie qu’empruntent les quasi-réalistes, et plus spécifiquement Simon Blackburn (1993 ; 1998). Si le minimalisme peut être défendu de manière satisfaisante, et sans impliquer de problèmes sémantiques importants, alors nous sommes en droit de nous demander ce qui justifie l’engagement ontologique des réalistes moraux envers les faits moraux. Toutefois, il n’est pas dans l’objectif de cette entrée d’évaluer la véracité du minimalisme en sémantique morale. Les détails de ce débat seront donc laissés de côté.

5. Épistémologie morale

Il est juste d’affirmer que, pour une très grande majorité de réalistes moraux, la connaissance morale est possible, c’est-à-dire qu’il nous est possible, d’une manière ou d’une autre, de connaître certaines vérités morales. Bien qu’il soit logiquement possible de soutenir que les faits moraux existent sans que nous puissions les connaître, cette option ne semble pas très intéressante pour les réalistes moraux. En effet, il ne semble pas suffisant, pour réellement endosser le réalisme moral, de soutenir que les faits moraux existent de manière indépendante de l’esprit, sans que nous puissions aussi connaître ces faits. Ce que les réalistes veulent réellement, c’est que les faits moraux existent et que nous puissions les connaître. Évidemment, soutenir que la connaissance morale est possible soulève la question de savoir comment il nous est possible de connaître les faits moraux.

Il existe au moins deux options, lesquelles semblent opposer, tant sur le plan métaphysique que le plan épistémologique, les réalistes naturalistes et non-naturalistes : soit il nous est possible de connaître les faits moraux de manière empirique, soit nous devons les connaître de manière a priori. Selon la première option, l’expérience est nécessaire pour connaître les faits moraux, tout comme l’expérience est nécessaire pour connaître les autres propriétés naturelles. Il va de soi que les réalistes naturalistes acceptent cette option, étant donné que pour eux ils n’existent pas de différence importante entre les propriétés morales et les autres propriétés naturelles. En effet, toutes ces propriétés sont naturelles. Évidemment, même si c’est l’option qu’ils sont le plus susceptibles d’accepter, les réalistes naturalistes ne sont pas contraints à accepter une telle option. Par exemple, un naturaliste analytique, qui croit que les prédicats moraux sont synonymes aux prédicats naturels, pourra soutenir que la connaissance morale est a priori.

Du côté des réalistes non naturalistes, il est fort probable qu’ils décident de s’éloigner de toute analogie avec les sciences empiriques, entre autres parce qu’ils croient que les propriétés morales appartiennent à une autre catégorie métaphysique que les propriétés étudiées par les sciences empiriques. Les réalistes non naturalistes sont ainsi plutôt susceptibles d’accepter que les faits moraux peuvent être connus de manière a priori, c’est-à-dire que l’expérience empirique n’est pas nécessaire pour découvrir les faits moraux. Il serait possible, en effet, de découvrir les faits moraux et les vérités morales par pure réflexion ou par analyse conceptuelle. Plutôt qu’une analogie entre la moralité et les sciences empiriques, il existerait une différence fondamentale entre ces deux domaines : alors que l’expérience empirique est nécessaire pour connaître les faits scientifiques, la pure réflexion est suffisante pour découvrir les faits moraux. Plus récemment, on a pu voir certains réalistes proches du non-naturalisme défendre une analogie entre la moralité et les mathématiques (Scanlon 2014).

a. Défi sceptique I : la justification des croyances morales

Le réalisme moral, autant dans sa version naturaliste que non naturaliste, suggère qu’il nous est possible de connaître les vérités morales, et donc que, fort probablement, certaines de nos croyances morales sont vraies. Il semble que, pour qu’elles soient vraies, ces croyances doivent aussi être justifiées. Cela veut dire, du moins selon la compréhension standard de cet enjeu, que nous devons avoir de bonnes raisons de croire qu’une croyance particulière est vraie. Par exemple, il n’est pas suffisant que je croie qu’il est mal de torturer des chatons, et que ce soit un fait qu’il est mal de torturer des chatons, je dois aussi être justifié à croire qu’il est mal de torturer des chatons. Les métaéthiciens sceptiques envers le réalisme moral ou qui ne croient pas que la connaissance morale soit possible pourraient dire que nous ne sommes jamais justifiés à croire qu’une croyance morale est vraie.

À cet égard, les naturalistes et les non-naturalistes proposeront des réponses différentes. En effet, les naturalistes sont plus susceptibles de proposer une réponse au défi sceptique qui s’articulera autour du cohérentisme (Sayre-McCord 1996), alors que les non-naturalistes sont plus susceptibles de proposer une réponse qui s’articulera autour de l’intuitionnisme (Huemer 2005). Évidemment, il ne s’agit pas ici de soutenir que les naturalistes ou les non-naturalistes doivent accepter ces réponses.

Le cohérentisme moral affirme qu’une croyance morale particulière n’est justifiée que dans la mesure où elle est membre d’un ensemble de croyances maximalement cohérent. Un ensemble de croyances maximalement cohérent sera constitué de croyances qui jouissent d’une connexion privilégiée les unes aux autres, de telle manière qu’elles se supporteront mutuellement. Ainsi, c’est le fait qu’une croyance particulière est supportée par d’autres de mes croyances, et qu’elle vient à l’appui d’autres de mes croyances, qui rend cette croyance justifiée et qui fait que j’aurais des raisons d’adopter cette croyance. C’est donc la cohérence entre les croyances morales – ce que nous pourrions aussi appeler leur support mutuel – qui justifie ces croyances. Bien qu’elle puisse être acceptée par un non-naturaliste, il s’agit là d’une solution plus susceptible d’être acceptée par un naturaliste, principalement parce qu’elle est plus facilement élaborée dans un cadre où l’observation empirique et l’expérience jouent un rôle important.

L’intuitionnisme, de son côté, consiste à défendre que certaines croyances morales sont évidentes par elles-mêmes (« self-evident »), et que les croyances morales qui ne sont pas évidentes par elles-mêmes peuvent être inférées de croyances qui, elles, le sont. Dire que certaines croyances morales sont évidentes par elles-mêmes implique que, pour ces croyances, rien d’autre n’est nécessaire pour les justifier : le simple fait d’entretenir cette croyance est suffisant pour que nous soyons justifiés à l’entretenir. Toutefois, il ne faut pas ici confondre le fait que nous sommes justifiés à entretenir une croyance évidente par elle-même avec le fait que, à chaque fois que nous croyons avoir une telle croyance, nous avons réellement une croyance qui est évidente par elle-même. Nous pouvons évidemment commettre des erreurs et faillir à identifier, dans l’ensemble de nos croyances, celles qui sont réellement évidentes par elles-mêmes. Pour donner un exemple (repris de Fisher 2011, p. 149), ce n’est pas parce que quelqu’un soutient que sa croyance que le racisme est moralement acceptable est une croyance évidente par elle-même qu’il a nécessairement raison. Identifier quelles croyances sont réellement évidentes par elles-mêmes est un défi pour les non-naturalistes qui acceptent l’intuitionnisme. L’intuitionnisme est souvent associé au réalisme non naturaliste, principalement parce que plusieurs non-naturalistes l’ont endossé. Toutefois, aucune thèse sur la nature des propriétés morales ne peut être inférée du simple fait d’accepter l’intuitionnisme. Il est donc possible d’accepter à la fois l’intuitionnisme et le naturalisme (Fisher 2011, 150).

b. Défi sceptique II : le problème du désaccord moral

Selon certains métaéthiciens sceptiques envers le réalisme moral, le fait qu’il existe des désaccords moraux persistants concernant certains enjeux moraux représente un argument pour rejeter le réalisme moral, voire même un argument pour accepter l’antiréalisme moral. Ici, il est important de préciser de quel genre de désaccord nous parlons, car il n’est pas vrai que le simple fait que deux agents ne s’entendent pas sur une question morale particulière soit suffisant pour tirer quelque conclusion que ce soit. En effet, il s’agit plutôt de tenter de défendre qu’il pourrait exister, même chez les agents rationnels qui ont une connaissance parfaite – ou du moins suffisamment adéquate – des faits non moraux, des désaccords moraux insolubles (Enoch 2011, p. 207; Parfit 2011, vol. 2, p. 545; Shafer-Landau 1994, p. 332).

Par exemple, il serait possible d’imaginer deux agents rationnels – deux agents qui ne sont pas intellectuellement aveuglés par leurs émotions, qui ont des raisons de croire ce qu’ils croient, etc. – avec une connaissance adéquate des faits non moraux – ils savent, par exemple, que les chatons ont la capacité de ressentir de la douleur – et qui sont en désaccord quant à la question « est-il moralement acceptable de torturer des chatons par pur plaisir ? » Un agent dira qu’il est moralement acceptable de torturer des chatons par pur plaisir, alors que l’autre agent dira que ce type d’actions n’est pas moralement acceptable.

Sur la base de ce type d’argumentaire, certains métaéthiciens concluent qu’il est préférable d’accepter le non-cognitivisme, car nous aurions de bonnes raisons de croire que les jugements moraux ne cherchent pas à décrire des faits du monde, mais plutôt, par exemple, qu’ils expriment des émotions morales. Le fait que, par exemple, deux agents rationnels avec une connaissance adéquate des faits non moraux puissent ne pas avoir les mêmes émotions pourrait expliquer pourquoi il existe des désaccords moraux persistants. D’autres métaéthiciens, comme les théoriciens de l’erreur, préféreront conclure que les réalistes ont raisons de croire que les jugements moraux cherchent à décrire des faits moraux, mais qu’il n’existe pas de faits moraux qui pourraient correspondre à ces jugements (Mackie, 1977). Le fait qu’il n’existe pas de faits moraux auxquels les jugements moraux peuvent correspondre pourrait expliquer les désaccords moraux persistants.

Il existe au moins deux stratégies que les réalistes peuvent adopter dans le but de répondre à ce type d’argumentaire. La première stratégie consiste à nier que la situation imaginée soit possible (Shafer-Landau 2003, pp. 221-227). En effet, les réalistes pourraient défendre que, dans un cas qui nous apparaît être un cas de désaccord moral insoluble, soit un des deux agents est irrationnel (ce qui pourrait être le cas s’il commet une erreur de raisonnement ou d’inférence), soit un des deux agents n’a pas une connaissance suffisamment adéquate des faits non moraux. Dans les deux cas, il s’agit de dire que ce que certains métaéthiciens nous demandent d’imaginer n’est pas possible.

Selon la deuxième stratégie, les réalistes moraux pourraient accepter qu’il existe des désaccords moraux entre agents rationnels et avec une connaissance adéquate des faits non moraux, mais que ces désaccords ne concernent pas les questions morales les plus fondamentales, que ce ne sont que des désaccords moraux de surface qui cachent un même accord sur les questions morales les plus fondamentales (Sayre-McCord 2015). Les réalistes pourraient ainsi dire que les désaccords moraux sont possibles seulement s’il existe aussi un accord sur quels principes moraux fondamentaux sont corrects. Sans cet accord, il n’est pas possible pour deux agents de discuter du même sujet ou de la même question, au sens où cette discussion nécessite que ces deux agents s’entendent préalablement sur quelque chose. Sans cet accord, il ne serait même pas possible d’avoir des désaccords moraux ; ces derniers concernant plutôt les implications que les principes moraux fondamentaux ont ou devraient avoir. Dans les deux cas, la stratégie des réalistes moraux consiste à remettre en doute les implications de l’argument du désaccord moral, soit en soutenant que les désaccords moraux insolubles n’existent pas, soit en soutenant que les désaccords moraux concernent seulement des questions de surface et qu’ils cachent un accord important sur les principes moraux fondamentaux.

Conclusion

Le réalisme moral est une famille de théories métaéthiques. Les réalistes moraux soutiennent qu’il existe des vérités morales objectives, et que ces vérités décrivent des faits qui existent indépendamment de l’esprit et des attitudes des agents. Minimalement, le réalisme moral vient en deux versions : naturaliste ou non naturaliste. Les naturalistes et les non-naturalistes s’accordent sur le fait que les vérités morales objectives existent, mais ils sont en désaccord sur la nature ontologique de ces vérités. C’est l’opposition la plus importante au sein de la famille métaéthique qu’est le réalisme moral.

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David Rochelau-Houle

Université York

droche@yorku.ca