Parfit (A)

Comment citer ?

Salvat, Christophe (2019), «Parfit (A)», dans Maxime Kristanek (dir.), l'Encyclopédie philosophique, consulté le ..., https://encyclo-philo.fr/parfit-a

Publié en janvier 2019

Table des matières

1. Introduction

2. La théorie réductionniste de l’identité personnelle

a. L'approche néo-lockéenne de Parfit

b. La Relation R, ou l'indétermination de l'identité personnelle

c. La Proposition Extrême et l'argument évolutionniste

3. La ‘Conclusion répugnante’

4. Fondamentalisme des raisons et Triple Théorie

a. Le réalisme moral de Parfit

b. Du fondamentalisme des raisons à la Triple Théorie

5. Conclusion


1. Introduction

Bien que relativement peu connu de ce côté de la Manche, Derek Parfit est certainement l’un des plus importants philosophes de langue anglaise du XXe siècle. Publié il y a maintenant un peu plus de trente ans, son ouvrage Reasons and Persons a complètement changé notre manière de concevoir les liens entre rationalité, moralité et identité. Sa contribution à l’éthique peut se comparer à celle de Sidgwick un siècle plus tôt, ou à celle de Rawls en philosophie politique. Parfit est certes moins populaire que Rawls. Son premier ouvrage est, tout d’abord, incomparablement plus difficile à lire. Ses thèses sont, ensuite, moins consensuelles et moins réconfortantes que celles de Rawls. La lecture de Parfit est souvent frustrante, car elle nous met face à l’infinie complexité des questions traitées et aux limites de la philosophie.

Né en 1942 à Chengdu, dans la province du Sichuan en Chine, puis éduqué à Eton, Parfit s’orienta, tout d’abord, vers la poésie puis vers l’histoire moderne, dont il fut diplômé par l’Université d’Oxford en 1964. Récipiendaire d’une bourse Harkness Fellowship en 1965 et 1966, il étudie la philosophie à l’Université Columbia de New York et l’Université de Harvard (Mulgan, 2017, 404). Il est élu ‘Prize Fellow’ à All Souls College (Oxford) en 1967 où il poursuit sa carrière jusqu’à sa retraite en 2010. Il est élu à la British Academy en 1986 et reçoit le prix Rolf Schock en 2014. Il meurt à Oxford le 1er janvier 2017.

L’œuvre de Parfit est composée de nombreux articles mais seulement de deux ouvrages, Reasons and Persons, publié en 1984[1] et On What Matters, dont les deux premiers volumes furent publiés en 2011 et le troisième en 2017. Parfit prévoyait de le compléter par un quatrième volume. Le succès de Reasons and Persons fut immédiat et l’ouvrage fut très vite reconnu comme incontournable. La revue Ethics lui consacre un numéro spécial en juillet 1986. Bernard Williams, Alan Ryan, Samuel Scheffler – et bien d’autres – saluent la publication d’un livre d’exception. Très attendu par la communauté scientifique, On What Matters a fait l’objet de multiples commentaires, y compris avant sa publication.

Dans le cadre de cet article, je présenterai la théorie de l’identité personnelle de Parfit (section 2), puis sa réflexion sur l’éthique de la population (section 3), et enfin la théorie éthique et méta-éthique qu’il développe dans On What Matters (section4).

2. La théorie réductionniste de l‘identité personnelle

a. L’approche néo-lockéenne de Parfit

Premier point, le réductionnisme ontologique. Il est important pour Parfit de réaffirmer, et surtout de démontrer, l’impossibilité du dualisme ontologique. La thèse dualiste de l’identité personnelle est celle notoirement défendue par Descartes bien sûr, mais plus récemment par Richard Swinburne (Shoemaker and Swinburne, 1984) . Elle soutient que le sujet ne saurait s’identifier à son corps mais à son essence (son esprit, son âme etc) qui n’est pas matérielle. Parfit l’appelle alternativement approche simple ou non-réductionniste. Par opposition, la plupart des approches réductionnistes (à l’exception peut-être de l’animalisme) considèrent que l’identité peut être déterminée en termes de continuité physiques et/ou psychologiques. John Locke a beaucoup contribué à répandre l’idée que seule comptait la continuité psychologique. Ainsi, le fait que je puisse me souvenir de mes expériences passées conditionne l’identité à travers le temps. La version originale qu’en a donné Locke a cependant été beaucoup critiquée, par Butler et Hume notamment. La thèse de Locke présente trois faiblesses bien connues : sa circularité (Butler), le problème de la transitivité de la continuité psychologique (Reid) et la question de l’intention (Shoemaker, 2014).

L’objection de Butler à Locke est bien connue. Butler reproche à Locke de ne pas avoir réalisé que la notion de conscience qu’il emploie, et à partir de laquelle il infère l’identité, présuppose celle-ci. Je ne peux me souvenir que de mes expériences passées donc ma mémoire révèle une relation d’identité qui lui préexiste. Elle ne peut donc l’établir. Parfit reprend l’argument de Shoemaker qui introduit la notion de quasi-mémoire (Shoemaker, 1970). Contrairement à Butler, qui suppose que la mémoire reproduit nécessairement une expérience passée de celui qui l’a vécue, Shoemaker et Parfit conçoivent la (quasi-)mémoire comme la reproduction virtuelle d’évènements passés, mais non nécessairement vécus par la personne qui s’en souvient. Ainsi, pour Parfit, un souvenir ordinaire n’est qu’une forme particulière du quasi-souvenir. Il se distingue simplement par le fait que c’est moi qui ait vécu les évènements dont je me souviens. Dans ce cas-là, l’identité personnelle ne présuppose pas le souvenir, et la continuité psychologique (ou autrement dit ici, la quasi-mémoire) peut tout à fait être l’un des éléments constitutifs de l’identité.

Seconde objection possible à la version lockéenne de l’approche psychologique : la perte de mémoire ne constitue pas nécessairement une perte d’identité. Thomas Reid est le premier à avoir soulevé le problème. Il prend l’exemple suivant : un officier s’empare d’un étendard ennemi sur un champ de bataille, il se souvient avoir été fouetté lorsqu’il était petit pour avoir volé des pommes dans un verger. L’officier courageux (B) est donc bien le même que l’enfant voleur (A). Vers la fin de sa vie, l’officier, devenu général (C), se souvient avoir pris l’étendard aux ennemis mais ne se souvient pas avoir été puni pour vol lorsqu’il était petit. Selon la théorie de Locke, l’officier et le général sont une et même personne, en revanche, le général n’est plus la même personne que l’enfant qui volait des fruits sur les arbres.

C=B, B=A mais CA

Pour être acceptable, la version lockéenne de l’approche psychologique doit être révisée. Une première modification consiste à envisager la continuité psychologique comme une série indirecte de souvenirs qui se recoupent dans le temps. Le fait que je me souviens d’avoir été l’officier, qui lui-même se souvenait d’avoir été l’enfant puni, suffit à me prouver que j’ai bien été celui qui fut fouetté pour avoir volé une pomme. La transitivité de la relation d’identité est ainsi rétablie. Mais cette modification ne se fait-elle pas au détriment de l’approche psychologique de la notion d’identité personnelle ? Permet-elle de rendre compte de l’évolution ou des changements identitaires des individus ? Tout l’intérêt de la théorie de Locke était, rappelons-le, qu’elle permettait de reconnaître aux individus la possibilité d’être différents au cours de leur vie. La continuité psychologique est un marqueur identitaire, elle relate un état de proximité psychologique, qui lui-même atteste d’une relation d’identité. Le tort de Locke est certainement de l’avoir réduit à la seule mémoire. Dans son esprit, si le vieux général ne se souvient plus d’avoir été puni, c’est parce qu’il n’est psychologiquement plus la même personne. Donc s’il est vrai que

« Le fait que je me souviens d’avoir été l’officier, qui lui-même se souvenait d’avoir été l’enfant puni, suffit à me prouver que j’ai bien été celui qui fut fouetté pour avoir volé une pomme. »

Il est incorrect d’en conclure que

« Le fait que je me souviens d’avoir été l’officier, qui lui-même se souvenait d’avoir été l’enfant puni, suffit à me prouver que suis toujours celui qui fut fouetté pour avoir volé une pomme. »

La simple continuité psychologique ne suffit pas à établir l’identité des personnes dans le temps. Celle-ci doit également reposer, nous dit Parfit, sur un degré minimum de connectivité psychologique (‘psychological connectedness’). La connectivité psychologique peut être définie comme la relation directe, plus ou moins forte, qu’il existe entre deux états psychologiques. A la différence de la simple continuité, la connectivité psychologique admet des degrés, et donne ainsi la profondeur qui manquait chez Locke à la notion de continuité.

La continuité psychologique est une relation transitive qui établit que je suis lié à telle ou telle partie de mon futur en raison de toutes les parties intermédiaires de mon futures avec lesquelles je suis déjà lié. Ainsi dans la séquence i1-i2- i3 -i4 -i5 -i6- i7- i8- i9-i10, je peux dire que la personne i en temps 1 est liée à la personne i en temps 10 parce que cette dernière est psychologiquement proche de i9, qui est elle-même est proche de i8 etc… jusqu’à i1. C’est l’identité lockéenne. L’identité se fonde sur la mémoire : je sais que i10 est la même personne que i1 parce que i10 se souvient d’avoir été i9, qui se souvient d’avoir été i8 etc.. Mais il est également possible de considérer séparément les éléments de cette séquence. C’est ce que Parfit appelle la connectivité psychologique. Ainsi je peux m’interroger sur la relation entre i1 et i6 et entre i3 et i10 indépendamment l’une de l’autre. Il n’y a plus nécessairement de transitivité entre mes mois temporels, et ce n’est plus la même chose de se demander s’il y a identité entre i1 et i10, d’une part, et i3 et i6, d’autre part. Ce qui compte maintenant c’est la relation directe qu’entretient i1 avec i6 ou i3 avec i10. Or certaines éléments de cette relation tiennent à différents degrés dans le temps. Bien que les séquences (i1-i10) et (i3-i6) soient également continues, il n’y a pas nécessairement le même degré de connectivité entre i1 et i10 qu’entre i3 et i6.

L’existence de quelques souvenirs qui se recoupent dans le temps ne suffit pas à établir une relation d’identité. En revanche, l’existence de fortes proximités psychologiques, qui se succèdent et se recoupent dans le temps, permet d’envisager une telle relation. Naturellement, et j’aurais l’occasion d’y revenir ci-dessous, cette relation d’identité est d’une nature différente de celle initialement conçue. Chez Locke, comme chez la plupart des réductionnistes (et a fortiori des non-réductionnistes), l’identité est déterminée par l’existence d’un lien psychologique continu. Dans sa version stricte, ce lien est direct mais on a vu qu’il pouvait également être indirect. Dès lors que l’existence de ce lien est établie, l’identité dans le temps est assurée. L’identité personnelle est donc ‘tout ou rien’ (‘all-or-nothing’). La notion de connectivité, en revanche, repose sur une évaluation qualitative du lien psychologique (qui, lui, est toujours direct). Pour Parfit, on ne peut parler de continuité psychologique que s’il existe une série ou une chaîne de fortes connectivités, qui se chevauchent dans le temps. Rien, cependant, ne nous permet de déterminer avec précision une forte d’une faible connectivité. Lorsque les connexions directes entre deux états psychologiques sont suffisamment nombreuses, on peut parler – nous dit Parfit – de forte connectivité (RP, §78, 206).

La troisième objection soulevée contre Locke est que la mémoire ne peut raisonnablement constituer le seul élément pertinent pour juger de l’existence d’un lien psychologique. Ainsi qu’on a déjà pu le dire, l’amnésie entraîne automatiquement, chez Locke, la perte d’identité. C’est excessif. Notre rapport à nous-même ne repose pas exclusivement sur la conscience que l’on a de notre passé. Elle inclut également, entre autres, le rapport que l’on entretient avec notre futur. Le fait que l’on partage, à différentes époques de notre vie, les mêmes intentions est un élément aussi digne d’être considéré pour déterminer notre identité que celui que l’on partage, durant ces mêmes périodes, les mêmes souvenirs. Ce point est d’ailleurs généralement admis aujourd’hui. Le danger, nous rappelle Parfit, est qu’en ajoutant simplement l’intention à la mémoire, on risque de retomber dans le même piège que celui dans lequel était tombé Locke. Pour éviter tout risque de circularité, Parfit propose donc d’utiliser le concept de quasi-intention (RP, §89, 261). Une personne forme une quasi-intention lorsqu’elle se destine à accomplir les intentions d’une autre personne. Dans certains cas, mais dans certains cas seulement, cette autre personne n’est autre qu’elle-même. Ainsi dans le cas de l’intention, comme dans le cas de la mémoire, les connexions psychologiques ne présupposent pas l’identité personnelle.

b. La Relation R, ou l’indétermination de l’identité personnelle

Parfit adopte, ainsi qu’on vient de le voir, une approche psychologique de l’identité personnelle. Celle-ci se distingue de la version classique notamment par les notions de quasi-mémoire, de quasi-intention et de connectivité psychologique introduites de façon à répondre aux objections généralement soulevées contre cette approche. En cela, il se rapproche d’autres réductionnistes tels que Shoemaker. Mais, l’un des éléments les plus importants et les plus innovants de sa théorie – et que Shoemaker va contester – est que l’identité personnelle ne peut pas être rigoureusement déterminée, qu’elle est une simple question de degré. Cette affirmation, qui est très contre-intuitive, le conduira à défendre l’idée, qu’en soi, la question de l’identité personnelle importe peu.

La question de l’indétermination de l’identité personnelle se pose lorsqu’on considère des cas extrêmes voire des cas imaginaires improbables. Ces exemples fictionnels, souvent tirés de la science-fiction, sont importants car ils nous permettent de sonder nos intuitions, dont certaines sont infondées. C’est notamment le cas, pour Parfit, de l’identité personnelle. Les approches néo-lockéennes considèrent que l’identité personnelle repose exclusivement sur la continuité (et, dans le cas de Parfit, la connectivité) psychologique. Lorsque celle-ci est attestée, l’identité est déterminée. Dans l’exemple du prince et du cordonnier de Locke, dans lequel la mémoire du prince est transférée dans le cerveau du cordonnier (qui lui ne garde aucun souvenir de sa précédente vie), aucun doute n’est permis : c’est le prince qui se réveille dans le corps du cordonnier. De façon similaire, dans le cas de la téléportation, c’est bien la même personne qui renaît sur Mars, dans un corps certes absolument identique au sien, mais néanmoins dans un autre corps. Mais que se passerait-il si la mémoire (ou plus généralement l’état psychologique) d’un individu était transférée non pas à un autre mais à plusieurs autres individus ? Imaginons, nous dit Parfit – qui s’inspire ici des travaux de Wiggins (Wiggins, 1967) –, que mon corps et que les cerveaux de mes deux frères jumeaux soient irrémédiablement détruits dans un accident. Mon cerveau est séparé en deux et chaque moitié est transplantée avec succès dans chacun des corps de mes deux frères. Chacun croit être moi, semble se remémorer ma vie, possède ma personnalité et est psychologiquement continu avec moi. Etant issu de triplés, chacun a par ailleurs un corps identique au mien (RP, §89, 254-55). L’un et l’autre peuvent-ils à la fois revendiquer le fait d’être moi ?[2]

Quatre configurations sont possibles : (1) je ne survis pas, (2) je survis en tant que l’un de mes frères, (3) je survis en tant que l’autre, (4) je survis en tant que l’un et l’autre (RP, §89, 256). Parfit refuse la première possibilité. Il est possible, nous dit-il, de survivre avec une partie seulement de son cerveau. On peut donc théoriquement envisager le fait qu’une seule partie de mon cerveau soit transplantée et que l’autre soit détruite. Je survivrai alors dans le corps de la personne dans laquelle on a transplanté la moitié de mon cerveau. Mais si je peux survivre avec la moitié seulement de mon cerveau (transplanté), pourquoi ne survivrais-je pas dans le cas où la deuxième partie de mon cerveau est également transplantée au lieu d’être détruite ? Il s’agit là de deux évènements indépendants l’un de l’autre. Ma survie dans un nouveau corps, avec la moitié de mon cerveau, ne dépend pas du sort réservé à l’autre moitié de mon cerveau. De la même manière, si chaque moitié de mon cerveau est transplanté avec succès dans le crâne de l’un et de l’autre de mes frères jumeaux, pourquoi survivrais-je dans l’un plutôt que dans l’autre ? Les deux opérations étant strictement identiques et indépendantes, elles ne peuvent avoir des résultats opposés. Ne reste donc que la dernière possibilité, celle de ma survie dans l’un et l’autre corps de mes frères.

Cela peut surprendre. Notre réaction première est de refuser le fait qu’on puisse être à la fois l’un et l’autre. L’identité, telle que nous la concevons implique l’unicité, et il serait absurde d’imaginer que je puisse dialoguer avec moi-même. Certes, mais qui nous dit que nos intuitions sont vraies ? Ne confondons-nous pas identité numérique et identité qualitative (RP, §76) ? Pourquoi accepterions-nous le fait que le Prince puisse se réveiller dans le corps du cordonnier mais pas le fait que je puisse me réveiller dans le corps de mes deux frères ? Mais, plus fondamentalement, peut-être ne nous posons-nous pas les bonnes questions. L’important, nous dit Parfit, n’est pas vraiment de savoir si je suis l’un de mes frères, les deux ou aucun des deux, mais de savoir si je continue à exister à travers eux. Parfit n’affirme pas que ce qui fait l’identité d’une personne puisse être reproduit à volonté (pensez à l’exemple de la télétransportation), il montre seulement que la continuité psychologique sur laquelle repose le concept d’identité n’a pas nécessairement lieu au sein du même individu, mais qu’elle peut théoriquement avoir lieu entre deux individus, ou plus. Le fait de savoir si je serai l’un ou l’autre de mes frères, ou les deux, est une question dénuée de sens (‘an empty question’).

La vraie question n’est donc pas de savoir quelle est la meilleure description du phénomène observé mais de savoir en quoi ce phénomène nous affecte. Certaines personnes considèrent la division comme aussi mauvaise, ou presque aussi mauvaise, que la mort. Cette réaction, affirme Parfit, est irrationnelle (§90, 261). Parce qu’elle assure la continuité psychologique de l’individu, la division devrait être considérée, au contraire, comme aussi bonne que la survie ordinaire. Le fait qu’il existe entre moi et une autre entité une forte continuité et connectivité psychologique, ce que Parfit appelle une Relation R, est plus important que le fait de savoir s’il s’agit encore de moi ou non. Parfit peut donc affirmer que l’identité personnelle n’est pas ce qui importe. Ce qui compte vraiment est la Relation R, c’est-à-dire la connectivité et/ou continuité psychologique, relation qui peut soit être le fait d’une cause normale (dans le cas d’une vie ordinaire) soit le fait de n’importe quel type de cause (dans le cas de la télétransportation ou de la greffe de cerveau par exemple). Dans la plupart des cas, les cas normaux, la Relation R recouvre la notion d’identité personnelle. Parfit s’appuie donc, dans un premier temps, sur le cas de R avec le type normal de cause (‘with the right kind of cause’) (RP, §79, 215). Il la réintègre ensuite dans R comme étant simplement un cas parmi d’autres. On peut ainsi avoir l’impression que la question de l’identité est fondamentale. Elle ne l’est, dans ce cas, que par coïncidence.

c. La Proposition Extrême et l’argument évolutionniste

La section précédente a montré que, pour Parfit, le problème de l’identité personnelle est une question qui, au mieux, n’a pas de réponse, et qui, au pire, n’a pas de sens. Elle ne peut donc justifier ou motiver nos actions dans le temps. Pour un réductionniste, l’identité personnelle n’est pas une question importante. Cela ne signifie pas que les personnes n’existent pas, mais qu’il est vain de rechercher à savoir si on reste bien la même personne avec le temps qui passe. Tout ce qu’on peut dire avec certitude, c’est qu’un individu à un moment du temps entretient des continuités physiques et psychologiques plus ou moins étroites avec les individus qu’il a été dans le passé ou qu’il sera dans le futur. L’identité n’admet pas toujours de réponses définitives (telles que ‘oui, c’est toujours la même personne’ ou ‘non, celui qu’il a été a cessé d’exister’), mais doit le plus souvent s’apprécier en termes de degrés. Mais la mort, pourrait-on dire, n’est pas une question de degré. Je sais que lorsque le moment viendra je n’existerai plus, et cela doit nécessairement avoir une influence sur mes croyances et mes actions présentes. Et si la question de ma non-existence est importante pour moi, alors nécessairement la continuation de mon existence doit l’être tout autant. A cela Parfit répond que « [b]ien qu’il y aura [après ma mort] beaucoup d’expériences, aucune de ces expériences ne sera directement connectée à mes expériences présentes à travers des suites de connections directes telles que celles qu’impliquent la mémoire-expérience, ou l’accomplissement d’intentions passées. Quelques-unes de ces expériences futures peuvent être connectées à mes présentes expériences d’une façon moins directe. Il y aura plus tard quelques souvenirs de ma vie. Et peut-être y aura-t-il quelques pensées qui auront été influencées par les miennes, ou des choses réalisées grâce à mes conseils. Des relations plus directes entre mes expériences présentes et les expériences futures seront rompues par ma mort, mais un certain nombre d’autres relations ne le seront pas. La seule chose est qu’il n’y aura pas de personne vivante qui soit moi. Dès lors que j’ai compris cela, ma mort me semble moins terrible. » (RP, §95, 281).

En d’autres mots, si j’accepte le fait que mes souvenirs, mes pensées et mes intentions soient télétransportés, dans un corps et un cerveau qui n’est pas le mien, je devrais également regarder avec sympathie l’idée que quelqu’un d’autre puisse continuer à se souvenir de mes expériences passées, partager mes valeurs et se proposer d’accomplir mes projets. C’est ce que Parfit appelle la Relation R avec n’importe quel type de cause. L’implication pratique de cette thèse est énorme. Cela change, ou peut potentiellement changer, notre rapport aux autres et, surtout, à mon futur. Si j’admets, après avoir lu Parfit par exemple, que ce qui importe ce n’est pas l’identité dans le temps mais la continuité et/ou connectivité psychologique, avec n’importe quel type de cause, (Relation R), alors je pourrais être justifié (1) de préférer mon présent à mon futur et (2) de ne plus me préférer aux autres.

Pour un non-réductionniste, comme Swinburne, il est évident que la seule raison pour laquelle nous nous soucions de notre futur, est précisément qu’il s’agit de notre futur. Si, maintenant, on accepte la thèse réductionniste de Parfit, il ne s’agit plus à proprement parler de notre futur mais du futur d’une personne avec laquelle nous entretenons une continuité (et/ou connectivité) psychologique plus ou moins grande. Il est alors possible d’affirmer que, si l’on adopte une position réductionniste, alors on a plus de raison de se soucier de son futur. C’est ce que Parfit appelle la Proposition Extrême (‘The Extreme Claim’), et dont il attribue la première formulation à Butler (RP, §102, 307).

Il est important de noter, tout d’abord, que Parfit avait initialement rejeté cette proposition. Dans son article ‘Personal Identity and Rationality’ (1982), Parfit avait tout d’abord soutenu l’idée que les non-réductionnistes avaient tort de croire que le fondement du souci de soi était dans ce quelque chose de plus qui constituait selon eux l’identité personnelle. Dans une métaphore très inspirée, il comparait alors cette ‘chose profonde’ [‘deep further fact’] au Soleil qui éblouit et cache la présence constante, mais du coup moins remarquée, de la Lune, censée représenter la continuité psychologique (Parfit, 1982, 230). Sensible aux critiques de Wachsberg (Wachsberg, 1983), Parfit revient sur sa position dans Reasons and Persons, et admet que d’un point de vue non-réductionniste, il est légitime de penser – qu’en devenant réductionniste – nous perdrions toute raison de nous préoccuper de notre futur[3]. D’un autre côté, les non-réductionnistes peuvent arguer du fait qu’on se préoccupe tout aussi bien, et parfois mieux, du futur des personnes qui nous sont chères que de notre propre personne, et que ce n’est donc pas l’identité personnelle mais la Relation R qui compte dans notre relation au futur. C’est ce que Parfit appelle la Proposition Modérée (‘The Moderate Claim’). L’argument est un peu troublant. Si, en se convertissant au réductionnisme, un non-réductionniste pense devoir perdre toute préoccupation pour son futur, c’est qu’il continue à penser comme un non-réductionniste.

Comment répondre à l’objection de la proposition extrême ? Le premier argument de Parfit est que les hommes sont, dans leur très grande majorité, instinctivement non-réductionnistes. Nous avons instinctivement peur de la mort, si ce n’était pas le cas l’espèce humaine serait depuis longtemps éteinte (RP, §102, 308). Nous pouvons nous convaincre que cette peur n’est pas rationnelle, qu’elle n’est pas théoriquement justifiée, elle continuera néanmoins à nous effrayer. A tout le moins, notre conception de l’identité peut-elle dédramatiser la perspective de notre propre mort, mais elle ne pourra jamais nous rendre totalement indifférents à son égard. Nous sommes naturellement conditionnés à craindre notre mort, et par conséquent à éviter toutes les actions qui pourraient la précipiter. Cela constitue une première réponse possible à la Proposition Extrême.

Une seconde possibilité est de voir dans la prudence une norme morale plutôt qu’une norme de rationalité. Parfit suggère trois justifications morales possibles de la prudence (RP, §106). La première est d’inspiration utilitariste, la deuxième d’inspiration kantienne et la troisième, disons, d’inspiration parfitienne. Du point de vue utilitariste, les imprudences sont moralement condamnables dans la mesure où elles amoindrissent la somme totale des utilités. Or, à moins que l’imprudence d’une personne profite aux autres, c’est presque toujours le cas. En plus les désutilités personnelles qu’elle génère, l’imprudence se caractérise par de fortes externalités négatives. L’imprudence d’un individu a généralement un coût affectif et/ou financier pour les proches mais aussi pour la collectivité qui doit souvent en payer le prix (assistance médicale et/ou sociale, primes d’assurances, surcroît de réglementation etc..). D’un point de vue kantien ou plutôt néo-kantien, je ne dois pas faire de différence entre moi et les autres. On notera le retournement ironique opéré ici par Parfit. Alors que l’argument kantien est destiné à convaincre du bien-fondé de l’altruisme et du sacrifice de soi, il est utilisé ici pour justifier des actions égoïstes. Le raisonnement est le suivant : s’il n’y a pas de différence entre moi et les autres, et que je me dois aux autres, alors je me dois également à moi-même. Certes, je ne me dois pas plus à moi-même qu’aux autres, mais suffisamment pour ne pas me mettre dans des situations difficiles[4].

La troisième justification morale de la prudence est la suivante. S’il n’existe pas ou peu de connectivité psychologique entre mon moi présent et mon moi futur, alors je dois me comporter envers celui-ci comme je me comporterais envers quelqu’un qui n’existe pas encore. Autrement dit, d’un point de vue moral, il n’est pas injustifié d’affirmer que les personnes-dans-le-futur ont le même statut que les générations à venir. Donc, si nous partons du principe que nous avons un certain devoir moral envers les générations à venir, alors nous avons également un devoir moral envers notre propre futur. Le problème est que Parfit ne parvient pas à démontrer, dans la quatrième et dernière partie de Reasons and Persons, l’existence d’un devoir moral des générations présentes envers les générations futures.

Le problème est qu’il ait ici recours à un argument moral. Jusqu’à présent, Parfit a, en effet, été très attentif à ne pas mélanger les arguments d’ordre moral et ceux d’ordre logique, et à discuter la théorie de la rationalité S sur le strict plan de la rationalité. Il aurait, tout aussi bien, pu utiliser l’argument moral, qu’il considère d’ailleurs être le meilleur, dès le départ. Il s’y est refusé. Pourquoi, alors, l’utiliser à la fin, et compromettre par-là l’édifice déjà élevé ? Quant à l’argument évolutionniste, sa principale faiblesse est d’être ad hoc. Alors que l’argument moral tente de trouver des justifications possibles à la prudence, l’argument évolutionniste fait état d’une tendance à la prudence sans pour autant tenter de lui donner une justification. Or, et c’est ce qui – de mon point de vue – rend l’argument moral encore plus critiquable, l’argument évolutionniste suffisait à contrer la Proposition Extrême. Si, en effet, les individus luttent instinctivement pour leur survie, y compris lorsque le degré de connectivité psychologique avec leur futur ne le justifie pas, alors il n’y a pas de raison que cette réaction prudentielle ne tienne pas à un degré moindre pour toutes les actions qui menaceraient la bonne conservation future de l’individu. Il est donc possible d’affirmer que le réductionnisme, bien que pouvant justifier des actions contraires, ne conduit pas nécessairement les individus à commettre de ‘sérieuses imprudences’.

3. La ‘Conclusion Répugnante’

Parfit restera sans doute connu pour sa critique virulente du raisonnement utilitariste appliqué aux questions intergénérationnelles. Il dénonce notamment l’absurdité de la maximisation totale de l’utilité qui conduit à préférer des sociétés infiniment peuplées mais dans lesquelles les individus ont une utilité à vivre à peine positive aux sociétés moins peuplées mais composées de gens heureux. C’est l’argument dit de la Conclusion Répugnante, qui critique le populationnisme absurde des politiques visant à maximiser l’utilité totale sans égard à la qualité de vie des individus (Arrhenius, 2004).

La question de l’importance de la distribution des utilités se pose naturellement lorsqu’on s’interroge sur l’objet de la maximisation. Dans l’utilitarisme classique, tel que Bentham ou Sidgwick l’ont développé, la variable retenue est celle de l’utilité totale. Les économistes, à l’instar de John Harsanyi ou de Paul Samuelson, préfèrent retenir celle d’utilité moyenne. Dans la quatrième partie de Reasons and Persons, consacrée aux implications logiques du raisonnement conséquentialiste sur les générations futures, Parfit démontre les limites morales de la position utilitariste traditionnelle. Il rejette néanmoins également l’approche de l’utilité moyenne qu’il considère comme profondément injuste.

La conclusion répugnante (The Repugnant Conclusion) est un exemple fictif imaginé par Parfit, et qui a donné naissance à une vaste littérature sur ce qu’on appelle désormais l’éthique de la population. Elle peut se formuler ainsi: “Pour toute population d’au moins dix milliards d’habitants, ayant tous une très haute qualité de vie, il est possible d’imaginer une population beaucoup plus nombreuse, dont l’existence – toutes choses égales par ailleurs – serait meilleure même si elle n’était composée que d’individus dont la vie vaut tout juste la peine d’être vécue. » (RP, §131, 388).

Considérons deux populations, A et B. L’abscisse désigne le nombre d’habitants et l’ordonnée le niveau de vie des habitants. Les habitants de A sont moins nombreux que ceux de B mais plus heureux. Ajoutons maintenant à A une seconde population A+ composée d’individus moins heureux. La population totale est alors de B. Peut-on dire que A est meilleure que B ou inversement ? Du point de vue de l’utilitarisme total, tout dépend de la compensation réalisée entre quantité d’individus et qualité de vie lors du passage de A à B. Si le gain d’habitants compense la perte d’utilité moyenne générée par A+, alors l’utilité totale de B excèdera celle de A. Les utilitaristes pourront alors conclure que B est une amélioration par rapport à A. On pourrait objecter que cette conclusion ne vaut que si on n’utilise l’utilité totale comme critère de maximisation. Or, il est tout à fait possible d’utiliser l’utilité moyenne, c’est-à-dire l’utilité moyenne par habitant. Le modèle utilitariste de John Harsanyi adopte une approche fondée sur la maximisation de l’utilité moyenne (Risse 2002). Rawls lui-même considère que seul le point de vue de l’utilité moyenne est conciliable avec la théorie du contrat, qui a ses faveurs.

Parfit met en évidence les implications logiques et morales de la maximisation d’utilité lorsque celle-ci est appliquée aux populations futures. Son raisonnement est le suivant : supposons que l’on continue à ajouter de larges populations à faibles utilités moyennes à des populations plus restreintes mais à forte utilité moyenne. Que se passera-t-il ? L’utilité moyenne de la population ainsi recomposée s’amoindrira au fur et à mesure des ajouts mais son utilité totale, elle, augmentera du fait de la taille croissante des nouveaux ajouts. On obtiendra in fine une immense population à l’utilité totale maximale mais à l’utilité moyenne presque nulle. Dans le diagramme ci-dessous, il s’agit de la population Z.

On pourrait objecter que cette conclusion ne vaut que si on utilise l’utilité totale comme critère de maximisation. Or, il est tout à fait possible de l’appliquer également aux modèles fondés sur l’utilité moyenne, c’est-à-dire l’utilité par habitant, à l’instar du modèle utilitariste de John Harsanyi fondé sur la maximisation de l’utilité moyenne[5]. Ainsi que Parfit le montre très bien, l’égale répartition de l’utilité peut en soi être un critère de choix. Il le démontre par ce qu’il a appelé le paradoxe de la simple addition (‘The Mere Addition Paradox’).

Considérons les quatre populations A, A+, B- et B. Comme précédemment la largeur des barres représente la taille de la population et sa hauteur l’utilité moyenne de ses habitants. Lorsqu’on ajoute à A une population en moyenne moins heureuse que A, on obtient A+. On peut considérer que A+ est au moins aussi préférable que celle de A, puisque les propriétés de A ne sont pas altérées dans A+ par la coexistence d’une nouvelle population, dont les membres, bien qu’en moyenne moins heureux que A, sont néanmoins assez heureux pour que leur existence puisse être considérée comme positive. Intuitivement, on considèrera donc que A+ est supérieur à A. B-, ensuite, peut être considérée comme préférable à A+ puisque, pris communément, ses deux sous-populations sont en moyenne plus heureuses que celles de A+. B, enfin, est le produit de la fusion des deux sous-populations de B-. Ce qui est valable pour B- doit donc l’être pour B. On devrait donc pouvoir conclure que B est préférable à A+, qui est lui-même préférable à A. Mais lorsqu’on compare directement A et B, on est amené à conclure, si l’on retient le bonheur moyen comme seul critère d’arbitrage, que A est préférable à B puisque l’utilité moyenne de l’une est supérieure à celle de l’autre.

Ce paradoxe est cependant discutable. Le raisonnement qui le sous-tend a parfois été contesté (Temkin 1987). Comme souvent avec Parfit, on peut lui reprocher de donner trop d’importance à des intuitions qui pourraient en fait se révéler infondées (Tännsjö 2002). Il reste, néanmoins, que Parfit met bien en évidence la difficulté de raisonner en termes d’utilité moyenne en situation dynamique. Ajouter à une population une sous-population à l’utilité moyenne plus faible ne change absolument pas la situation des membres de la population initiale (ainsi que A+ l’illustre bien). L’utilité totale est augmentée, mais l’utilité moyenne de la nouvelle population est inférieure à celle de la population initiale. Est-ce là nécessairement un mal ? A supposer que les générations à venir soient en moyenne moins heureuses que les précédentes, serait-il alors préférable de les sacrifier au nom du maintien de l’utilité moyenne de la population totale ? Cela semble ridicule. De la même façon que la maximisation de l’utilité totale peut théoriquement, ainsi que l’a montré la conclusion répugnante, conduire à préférer une immense population composée d’hommes et de femmes dont la vie vaut tout juste la peine d’être vécue à une population plus restreinte mais plus heureuse, la maximisation de l’utilité moyenne peut théoriquement nous amener à préférer une population composée d’un seul homme (ou d’une seule femme) extraordinairement heureux/se à une population beaucoup plus nombreuse mais légèrement moins heureuse. On voit, par conséquent, que quel que soit le critère de maximisation retenu, le raisonnement utilitariste, lorsque sa logique est poussée à l’extrême, conduit à des aberrations.

Le mieux serait éviter les écueils de la maximisation de l’utilité totale, à savoir l’accroissement infini du nombre d’individus ayant une vie vaillant à peine le coup d’être vécu, tout en évitant les pièges de la maximisation de l’utilité moyenne. Est-ce possible ? Un certain nombre d’économistes, Charles Blackorby, David Donaldson et John Broome pour ne citer que ceux-ci, se sont posés la question après Parfit (Blackorby et Donaldson, 1984 ; Broome 1985). Parmi les réponses apportées, on peut citer notamment le développement d’un utilitarisme à niveau critique (critical-level utilitarianism), qui fait l’hypothèse d’un niveau minimum de bien-être au-dessous duquel l’ajout d’individus à une population n’est pas souhaitable (Blackorby, Bossert, Donaldson 1995 ; Broome 2004), ou qui, alternativement, pondère le bien-être individuel en fonction de son rang dans la distribution des utilités (Asheim et Zuber 2014 ; Zuber 2017). Selon Stéphane Zuber, malgré l’apport incontestable de ces différentes théories, aucune ne parvient réellement à résoudre le dilemme posé par Parfit (Zuber 2019). Le débat ne fait, cependant, que commencer. Au moins aura-t-il eu l’avantage d’alerter les économistes sur les implications éthiques de leurs critères de maximisation.

4. Fondamentalisme des raisons et Triple théorie

a. Le réalisme moral de Parfit

La publication d’On What Matters, à partir de 2011, apparaît comme un tournant dans l’œuvre de Parfit. D’un style plus académique, On What Matters s’ouvre aux considérations méta-éthiques délaissées dans Reasons and Persons. L’approche méta-éthique de Parfit peut se résumer par la formule ‘Cognitivisme Normatif Non-Naturaliste et Non-Métaphysique’ ou encore ‘Rationalisme’ (OWM 2, 486). Parfit est, tout d’abord, un réaliste moral (voir l’article ‘Réalisme Moral’), c’est-à-dire qu’il considère qu’il existe des faits moraux et qu’ils existent indépendamment des croyances et conventions humaines. Il est également cognitiviste dans la mesure où il considère que ces faits peuvent être décrits en tant que vérités morales, autrement dit que tout énoncé moral est susceptible d’être vrai ou faux. Chez Parfit, ce cognitivisme moral prend une dimension normative dans la mesure où la connaissance du bien constitue une raison suffisante de faire le bien. Au cognitivisme moral normatif, enfin, s’ajoutent deux autres propriétés, le non-naturalisme et le non-métaphysicisme. Le non-naturalisme renvoie à l’idée selon laquelle les propriétés morales sont fondamentalement distinctes des propriétés naturelles. On dit alors qu’elles sont sui generis (de leur propre genre). Selon Parfit, les propriétés naturelles ne peuvent pas seules fonder des propositions normatives. Il montre ainsi, via l’Objection de Trivialité (OWM 2, 341-356), qu’une proposition normative ne peut être que substantiellement normative que si elle est renvoie à autre chose qu’une simple propriété naturelle.

Dire, ensuite, qu’une théorie morale réaliste et cognitiviste est non-métaphysique, cela revient à dire qu’elle n’a pas d’implication ontologique, autrement dit que l’existence de faits moraux n’implique pas nécessairement que ceux-ci existent dans l’espace et le temps, au même titre qu’un objet ou une personne peuvent exister par exemple. En mathématique, on peut affirmer que la proposition ‘2 et 2 font 4’ est vraie sans avoir à se poser la question de la réalité ontologique de ces nombres. De la même manière, lorsqu’on se pose la question de la véracité de faits moraux, il n’est pas nécessaire de s’interroger sur leur statut ontologique ou métaphysique. Au final, on peut, selon Parfit, considérer qu’il existe des propositions qui sont irréductiblement normatives, dans le sens où elles impliquent des raisons (reason-involving sense), et qui sont vraies dans le sens fort du terme, mais qui n’ont pas d’implications ontologiques. La véracité de ces propositions ne dépend pas du fait que ces propriétés impliquant des raisons (reason-involving properties) existent soit en tant que propriété naturelle dans le monde spatio-temporel soit dans quelque partie extra-spatio-temporelle de la réalité (OMW 2, 486).

Deux arguments critiques lui ont été opposés. Le premier est celui du ‘dilemme darwinien’ (Evolutionary Debunking Argument). Bien que d’origine assez ancienne, il a trouvé une nouvelle formulation et une nouvelle fortune grâce aux travaux de la philosophe américaine Sharon Street (2006). S’il est prouvé, comme cela semble être le cas, que nos normes morales résultent en partie de la sélection naturelle (Sober and Wilson, 1998, Kitcher, 2009, de Waal, 2009), alors on ne peut raisonnablement soutenir, comme le font Parfit et les autres réalistes, qu’il existe des vérités morales indépendantes des attitudes évaluatives des individus. En effet, il est extrêmement peu probable que l’évolution historique des normes morales des sociétés de chasseurs-cueilleurs jusqu’à aujourd’hui, évolution propre à satisfaire la transmission des gènes humains, corresponde exactement à une évolution de nos capacités cognitives, grâce à laquelle nous serions aujourd’hui capable d’appréhender les vérités morales, conçues comme des faits naturels (i.e. indépendant de toute attitude évaluative). Le réalisme moral, selon Street, conduirait donc au scepticisme moral. Le second point soulevé est celui de « l’argument du désaccord » (The Argument from Disagreement). Celui-ci se formule assez aisément : le fait qu’il persiste des désaccords en matière morale semble infirmer l’idée d’une objectivité des normes morales.

Comment, tout d’abord, concilier l’existence de raisons normatives objectives, indépendantes des attitudes évaluatives des individus, avec la théorie de l’évolution, qui montre – au contraire – que les normes sont déterminées par leur impact sur la survie et la reproduction des individus ? Parfit, précisons-le tout de suite, ne sous-estime pas l’importance de la sélection naturelle en éthique[6]. Il admet que les normes morales qui ont résisté au passage du temps, telles que l’obligation d’aider son prochain, l’interdiction de tuer ou de mentir, présentent un certain nombre d’avantages sur le plan de l’évolution. Elles ont largement contribué à la survie et à la reproduction des communautés humaines, même si dans certains cas elles ont également nourri la compétition entre communautés. Le fait, cependant, qu’une norme soit perçue comme étant bénéfique à la survie de l’espèce humaine n’est pas incompatible avec le fait qu’elle soit vraie. En fait, nous dit Parfit, elle nous est très probablement bénéfique parce qu’elle est vraie (OWM, II, 512). L’argument de Parfit repose sur une hypothèse évolutionniste lourde bien qu’intéressante. Selon lui, si les guépards doivent leur survie à leur vitesse, et les girafes à leur long cou, les hommes doivent la leur à leur capacité à répondre aux raisons, et notamment aux raisons épistémiques (OWM, II, 528). Cette faculté cognitive a elle-même évolué au cours du temps, et cela explique, pour Parfit, que si les hommes se sont parfois trompés sur ce qu’ils croyaient être des vérités normatives, et que leurs croyances ont souvent été détournées de la vérité du fait des forces évolutionnistes, ils sont aujourd’hui beaucoup moins enclins à faire de telles erreurs (OWM, II, 538). L’altruisme pur, la condamnation des discriminations raciales ou sexuelles, voire la protection des animaux, ne s’expliquent pas – selon Parfit – par la sélection naturelle. Pourtant, ce sont là des vérités normatives. Donc, le fait que certaines normes morales puissent être expliquées d’un point de vue évolutionniste ne doit pas nous faire perdre de vue que nous sommes capables de découvrir des normes objectives comme celles qu’on vient de citer qui ne peuvent pas être expliquées directement par l’avantage du point de vue de l’évolution qu’il y aurait à s’y conformer.

Que se passerait-il, ensuite, si l’on pouvait démontrer l’existence de deux vérités normatives divergentes ? Comment croire au réalisme moral lorsqu’on ne parvient pas à se mettre d’accord sur la nature de ces vérités morales ? Ce sont les questions que pose l’argument du désaccord. Celui-ci a été formulé pour la première fois par Mackie, qui l’utilisait essentiellement pour contrer l’intuitionnisme moral (Mackie, 1977). Il a, depuis, été reformulé, notamment par Stephen Stich, qui définit ce qu’il appelle un ‘désaccord moral fondamental’ comme un désaccord qui ne saurait être dissipé, y compris dans des conditions idéales et y compris lorsqu’il y a accord sur les faits non-moraux. A ceci Parfit répond qu’il suffit de pouvoir montrer que, dans des conditions idéales, les individus auraient presque tous des croyances normatives suffisamment proches (OWM, II, 547). Or, il est possible de montrer qu’en dépit des apparences, les différences croyances morales ne se réduisent pas à des désaccords normatifs profonds. Sa Triple Théorie, qui démontre la convergence des théories utilitaristes, kantiennes et contractualistes en est un bon exemple.

b. Du fondamentalisme des raisons à la Triple Théorie

Dans On What Matters, Parfit développe une approche très inspirée du contractualisme de Thomas Scanlon. Néanmoins celle-ci ne constitue pas à ses yeux une remise en cause de l’approche conséquentialiste. Il préfère voir ces deux approches comme des méthodes complémentaires.

Pour Parfit, il existe deux types de raisons, les raisons déontiques et les raisons non-déontiques. Leur force relative dépend du degré de partialité avec lequel elles sont évaluées, qui dépend lui-même du caractère plus ou moins personnel qu’elles revêtent pour l’agent.

Les raisons déontiques peuvent être définies comme des devoirs ou des prohibitions de nature non-conséquentialiste. Il en existe deux types. Les premières sont fondées en raison. Il s’agit de principes ayant valeur universelle qui se justifient par le fait qu’ils pourraient être rationnellement choisis et/ou acceptés par tous, selon la version kantienne (the Kantian Formula), ou que personne ne pourrait raisonnablement rejeter, selon la version de Scanlon (the Scanlon Formula). Mais il peut également s’agir, non de principes, mais de devoirs ou de prohibitions prima facie, selon l’expression de David Ross (Ross, 1930), autrement dit de devoirs auxquels on doit se conformer à moins qu’on ait de meilleurs raisons de faire autrement. Ne pas mentir ou ne pas rompre sa promesse sont des exemples de raisons déontiques. A la différence de Kant, cependant, les prohibitions ou devoirs déontiques ne sont pas impératifs chez Parfit. Leur pouvoir décisionnel dépend de leur force relative. Il existe ainsi des cas où le mensonge, voire même le meurtre, peut être moralement justifié.

Les raisons non-déontiques sont de nature conséquentialiste, essentiellement hédonistes. A la différence des utilitaristes, les raisons non-déontiques, telles que la recherche de son bien-être personnel et de celui des autres, ne sont pas – ou plus exactement ne doivent pas être – systématiquement décisives. La force des raisons déontiques peut l’emporter sur celle des raisons non-déontiques. Selon la force que l’on donne aux unes et aux autres, cette théorie éthique prend plutôt une couleur conséquentialiste ou une couleur déontologique[7]. Les raisons non-déontiques ne sont pas nécessairement partiales dans la mesure où Parfit adopte une approche objective de l’hédonisme. Le bien-être des autres constitue ainsi une raison non-déontique mais impersonnelle. Sa force est a priori plus faible que les raisons non-déontiques personnelles mais rien ne nous permet de nous prononcer sur son poids par rapport aux raisons déontiques. Parfit reste en effet très évasif sur la force relative des raisons déontiques. L’essentiel de ses démonstrations porte sur la comparaison des forces entre raisons non-déontiques personnelles et impersonnelles qui sont, elles, au moins approximativement, comparables (OWM, 1, 137).

La thèse de la convergence des différentes théories éthiques permet de reconnaître la validité de chacune sans remettre en question l’existence objective de normes. Le conséquentialisme de la règle a essentiellement pour objet d’intégrer l’équation kantienne dans un modèle contractualiste, que l’on peut qualifier après Scanlon, de contractualisme du bien-être (welfare contractualism). Il lui permet également de mettre l’accent sur la dimension hédoniste des raisons que Scanlon tend, selon lui, à minimiser. Reste que le modèle des raisons déontiques et non-déontiques développé par Parfit ne peut être présenté comme un conséquentialisme de la règle dans la mesure où l’évaluation de la force des raisons est fonction des personnes auxquelles elles s’imposent. Il ne peut donc pas y avoir de systématicité de la règle dans le modèle de Parfit.

Une partie importante du premier volume est consacré à l’étude et l’interprétation de la pensée de Kant. Parfit propose une relecture de la loi universelle de Kant qu’il reformule ainsi « Chacun devrait suivre les principes dont l’acceptation universelle pourrait être rationnellement voulue par tous » (OWM, I, 342). Parfit va plus loin dans sa lecture contractualiste de Kant. Il montre que ‘les principes dont l’acceptation universelle pourrait être rationnellement voulue par tous’ sont en fait des principes optimisateurs. Cela montre, pense-t-il, qu’on a tort d’opposer la pensée déontologique de Kant et la philosophie conséquentialiste des utilitaristes. Selon Parfit, le contractualisme kantien converge logiquement vers l’utilitarisme de la règle, qui est lui-même compatible avec le contractualisme de Scanlon. Ce conséquentialisme kantien de la règle (Kantian Rule Consequentialism) est ainsi défini : « Chacun devrait suivre les principes optimifiques, car ce sont les seuls principes que chacun pourrait rationnellement vouloir devenir des lois universelles » (OWM, I, 411)[8]. Combiné au contractualisme de Scanlon, on obtient le principe de la Triple Théorie, à savoir que « Une action est mauvaise (wrong)[9] quand ce type d’action n’est pas permis par quelque principe qui est optimifique, universellement souhaitable par chacun (uniquely universally willable), et qui ne peut être raisonnablement rejeté » (OWM, I, 413). De la rencontre de ces trois théories morales, Parfit produit une ‘triple théorie’ selon laquelle un acte est mauvais si et seulement si de tels actes sont proscrits par tout principe qui a) appartient aux principes optimifiques, b) est l’un des seuls principes dont chacun pourrait rationnellement souhaiter l’universalisation et c) est un principe que personne ne pourrait raisonnablement rejeter (Parfit, 2011, 412-13). Dans la mesure où un tel principe éthique existe, on peut alors dire, avec Parfit, qu’il existe une vérité morale qui transcende les oppositions théoriques. Pour reprendre l’analogie de Parfit, Kant, les contractualistes et les conséquentialistes « escaladent la même montagne sur des versants différents » (OWM, I, 419). Le principe de la Triple Théorie par lequel s’achève le premier volume d’OWM est présenté comme l’aboutissement ultime de sa réflexion éthique.

5. Conclusion

Parfit s’est interrogé à plusieurs occasions dans On What Matters sur le fait qu’il ait pu rater sa vie en se trompant sur l’existence objective de normes morales. Larry Temkin a relevé que l’idée même de ‘rater sa vie’ impliquait l’existence de normes morales, qu’elles soient objectives ou non (Temkin, 2017). Plus important, pour notre propos, est le fait qu’un homme ayant eu l’influence de Parfit sur le développement de la philosophie contemporaine ne peut avoir totalement raté sa vie. Il est vrai que sa disparation l’a privé de la possibilité de défendre les choses qu’il considérait comme vraiment importante, comme l’altruisme ou la protection de la biodiversité. Il n’a pas eu, de ce point de vue, l’influence d’un Peter Singer ou d’un Jonathan Glover. Le travail de Parfit est toujours resté très théorique, et c’est en cela qu’il excellait. Cela ne réduit cependant en rien l’importance de sa contribution. Singer et Glover, tout d’abord, lui doivent tous les deux beaucoup. Parfit a, ensuite, fait considérablement avancer le champ de sa discipline. Sa théorie de l’identité personnelle et ses considérations sur la justice intergénérationnelle ont profondément changé la façon dont les philosophes abordent ces questions. Peu de philosophes peuvent revendiquer une telle influence.

La contribution d’un philosophe ne se mesure pas, enfin, à l’impact réel qu’il a pu avoir de son vivant. A ce jour, on ne peut que deviner l’importance que l’œuvre de Parfit aura sur les générations à venir. On peut néanmoins raisonnablement penser qu’elle sera majeure. Dans ce qui précède, on a pu voir que, selon Parfit, il existe un certain nombre de choses qui comptent objectivement, et que l’identité personnelle n’en fait pas partie. Parmi les choses qui importent vraiment, on compte le fait que la vie des gens, et notamment celle des gens encore à naître, vaille la peine d’être vécue, non pas seulement de leur point de vue, mais d’un point de vue objectif. Cela a déjà, en soi, des implications énormes. La philosophie de Parfit, auquel on a pu parfois reprocher son aridité, trouve dans les nouveaux enjeux de l’éthique, que ce soit dans les problèmes posés par le réchauffement climatique, la procréation assistée[10] ou l’effondrement de la biodiversité, un domaine d’application logique. On ne saura jamais quelles questions d’éthiques pratiques Parfit avait l’intention de traiter dans le quatrième et dernier volume d’On What Matters, et encore moins les réponses qu’il souhaitait y apporter. Nous disposons néanmoins aujourd’hui de toutes les clés théoriques pour mener à bien sa réflexion, et l’utiliser pour changer le monde. Car, tous ceux qui l’ont rencontré en attestent, Parfit n’était pas seulement un théoricien, il était d’abord motivé par ses propres convictions morales, le respect de l’autre et le désir de faire du bien.

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  1. Une traduction française de Reasons and Persons établie par Yann Schmitt devrait paraître prochainement.
  2. Un cas similaire se pose dans le cas de la télétransportation dans lequel Parfit envisage, en première instance, la destruction de mon corps sur Terre, et dans un deuxième temps, me fait communiquer avec mon clone sur Mars (Parfit, 1984, 199-200).
  3. L’argument est un peu troublant. Si, en se convertissant au réductionnisme, un non-réductionniste pense devoir perdre toute préoccupation pour son futur, c’est qu’il continue à penser comme un non-réductionniste.
  4. L’argument mériterait en fait d’être approfondi car il repose implicitement sur le postulat que le paternalisme est toujours légitime. Je suis en droit d’intervenir pour mon bien-être futur car je suis en droit d’intervenir pour le bien-être futurs des autres, et je ne suis pas différent d’eux. Mais le paternalisme n’est pas justifiable, ou l’est difficilement, chez Kant. Il y a une différence entre agir comme si je n’étais pas différent des autres et agir pour moi comme j’agirais pour les autres. Or, Parfit n’élabore pas sur cette différence.
  5. Le modèle de maximisation de l’utilité moyenne d’Harsanyi (1953, 1955) prend appui sur la théorie de l’utilité espérée de Von Neumann et Morgenstern (1944). Il construit un modèle dans lequel il est possible d’identifier une fonction d’utilité sociale (à maximiser) à partir des fonctions d’utilités individuelles Ui. Ces fonctions d’utilité sont cardinales mais également subjectives, ce qui compromet leur agrégation. Harsanyi fait alors appel à un observateur impartial qui préfigure en fait le voile d’ignorance de Rawls. Invité à se placer du point de vue de cet observateur impartial, chaque individu est appelé à ordonner les différents états sociaux possibles. Ignorant tout de ses préférences personnelles, ignorant même jusqu’à son identité, chaque agent est amené à se placer alternativement du point de vue de tous les autres. Il sait, en revanche, que chacun a une probabilité égale d’être l’individu i dans un état social x. Harsanyi montre alors que la même fonction d’utilité sociale sera partagée par tous les individus et que celle-ci pourra être définie comme la moyenne arithmétique des utilités subjectives de l’ensemble des membres de la population, c’est à dire W(x) = 1/n ∑iUi(x).
  6. Notons, que dans Reasons and Persons, Parfit adopte un point de vue beaucoup plus sévère envers les explications évolutionnistes. Le fait qu’un comportement ou une croyance morale soit le produit de milliers d’années de sélection naturelle n’a pour lui aucune incidence morale (RP, §102, 308).
  7. Parfit contesterait sans doute cette assertion arguant que sa philosophie dépasse ces distinctions.
  8. Plus exactement, il affirme que nous avons de ‘fortes raisons’ d’accepter ce principe (OWM, I, 418). Notez l’emploi ici du ‘ought’ qui joue d’une certaine ambiguïté entre l’idée de devoir rationnel (avoir suffisamment de raisons pour) et celle de devoir moral (être dans l’obligation morale de).
  9. L’usage du mot wrong semble faire du principe de la Triple Théorie une règle morale normative en contradiction avec sa théorie des raisons (voir plus bas et Jaffro 2019). Il l’abandonne d’ailleurs dans ses formulations ultérieures du principe de la triple théorie. Dans le troisième volume il écrit ainsi « qu’on devrait agir selon les principes ou règles (we ought to act on the principles or rules) qui sont optimifiques, universellement souhaitables par chacun (uniquely universally willable), et qui ne peuvent être raisonnablement rejetés » (OWM, III, 434).
  10. Pour une tentative d’application de la théorie de Parfit à la Gestion pour Autrui, voir Christophe Salvat, « La GPA face à l’éthique », Raison Publique, n°23, juin 2018.

 

Christophe Salvat
Aix-Marseille Université
christophe.SALVAT@univ-amu.fr