Plaisir (A)

Comment citer ?

Broi, Antonin (2020), «Plaisir (A)», dans Maxime Kristanek (dir.), l'Encyclopédie philosophique, consulté le ..., https://encyclo-philo.fr/plaisir-a

Publié en janvier 2020

Résumé

Quand nous lisons un livre passionnant, quand nous passons une bonne soirée avec des amis ou quand nous dégustons des mets raffinés, nous nous trouvons parfois dans un état de plaisir. La notion de plaisir traverse de nombreux champs de recherche en philosophie. Une question centrale reste sans doute celle de sa nature : qu’est-ce donc que le plaisir ? Pour y répondre, une comparaison avec d’autres entités mentales plus familières se révèle fructueuse, et permet de mettre à jour ses spécificités propres. La définition du plaisir doit rendre compte de sa diversité, puisque le plaisir semble toujours se présenter sous des formes multiples : qu’y a-t-il de commun parmi toutes les instances de plaisir ? Par ailleurs, le plaisir semble souvent avoir un objet, ce qui soulève une série de questions : Quel type de chose peut être un objet du plaisir ? Dans quelle mesure l’objet du plaisir constitue-t-il le plaisir lui-même ? Plus généralement, quelle est la nature du lien entre le plaisir et son objet ? Ces questions seront abordées dans la Section 1.

Au-delà de ces questions définitionnelles, des questions plus spécifiques se posent concernant la manière dont on peut rendre compte du plaisir dans une optique naturaliste : dans quelle mesure le plaisir est-il une entité qui s’intègre dans une image unifiée du monde dans lequel on vit ? Puisqu’il est généralement entendu que la science manifeste cette ambition unificatrice, comment peut-on rendre compte du plaisir de manière scientifique ? La Section 2 est dédiée à ces questions.

Une des principales difficultés rencontrées est que le plaisir ne semble pas neutre. Il paraît plutôt avoir une valeur affective positive, dans un sens qui reste bien sûr à éclaircir. Cette valeur se manifeste d’abord dans le fait que le plaisir est susceptible d’orienter nos actions et réactions : nous sommes typiquement attirés par le plaisir, de la même manière que nous cherchons à éviter la souffrance. C’est l’aspect motivationnel du plaisir. La valeur affective du plaisir semble cependant aller au-delà de son rôle motivationnel, pour donner lieu à des caractéristiques normatives. Non seulement le plaisir motive certaines actions, mais il les justifierait aussi, en fournissant des raisons d’agir qui semblent valides. Plus encore, le plaisir semble bon pour nous, ou nous faire du bien. Il semble donc avoir une valeur prudentielle, en ce qu’il contribuerait à rendre notre vie meilleure. Cela pourrait alors justifier son intégration dans le domaine de la morale. Ces considérations seront l’objet de la Section 3.

Avant de commencer à explorer les facettes du plaisir, quelques précisions terminologiques s’imposent. Si, en français, le plaisir, attribué à une personne, peut faire référence à ce qui plairait à cette personne de faire (« à votre bon plaisir »), c’est le plaisir comme état affectif d’une personne qui va nous intéresser ici. Il faudra donc aussi prendre garde à ne pas confondre ce dernier avec les plaisirs, qui désignent plutôt un ensemble d’activités, celles dans lesquelles on prend plaisir, c’est-à-dire celles qui causent, ou qui donnent typiquement lieu à des états affectifs de plaisir chez la personne qui se livre à ces activités. Cette acception semble donc faire référence aux objets du plaisir.

Dans le reste de cet article, nous prendrons pour acquis que le plaisir fait référence à l’état de plaisir, c’est-à-dire le plaisir qu’on prend, et non à ce qui donne du plaisir. Cependant, comme déjà mentionné, la question du rapport entre le plaisir et ses objets rendra indispensable une analyse des objets du plaisir.


Table des matières

1 Qu’est-ce que le plaisir ?

a. La diversité du plaisir
b. Le plaisir, disposition ou épisode ?
c. Le plaisir comme sensation
d. Le plaisir comme attitude

2 Le plaisir dans la nature

a. Les approches réductionnistes du plaisir
b. Le plaisir dans le cerveau
c. Le rôle du plaisir

3 L’hédonisme

a. Le plaisir et l’action : l’hédonisme psychologique
b. Tous les plaisirs sont-ils bons pour le sujet ?
c. Le plaisir est-il la seule chose bonne pour le sujet ?

Bibliographie


1 Qu’est-ce que le plaisir ?

a. La diversité du plaisir

Le plaisir semble multiple. Cette multiplicité se vérifie d’abord par un simple aperçu linguistique. Le champ lexical du plaisir est en effet très riche, et des expressions aussi diverses que l’amusement, la joie, la béatitude, la sérénité, la gaieté, la satisfaction, le contentement, la jouissance, semblent toutes référer à des états qu’on qualifierait de plaisants.

Cette diversité linguistique n’est pas qu’apparente, puisqu’elle correspond bien à une diversité d’états du sujet. Considérez par exemple les états de plaisir associés à une caresse, l’écoute d’une musique agréable, un orgasme, la dégustation d’un gâteau, l’épanchement de la soif par de l’eau fraîche, la lecture d’un poème, la contemplation d’une idée philosophique, une activité de méditation, la nouvelle que notre équipe de football favorite a gagné ou qu’une longue guerre dans un pays étranger s’est terminée, et la pratique d’un jeu vidéo passionnant ou d’un sport.

Si l’on cherche ce qui unit cette multiplicité d’états, on trouve d’abord que l’état de plaisir semble toujours associé à quelque chose d’autre, qu’on pourrait considérer comme constituant son objet. Laissons de côté pour l’instant la question du statut métaphysique de cet objet : peut-être fait-il du plaisir un état nécessairement intentionnel, dont il serait alors le contenu, mais il est aussi envisageable qu’il ne soit associé au plaisir que de manière contingente, par exemple en étant sa cause ou sa source. Quoi qu’il en soit, le type d’objet de l’état de plaisir semble varier selon les cas (la discussion la plus approfondie des objets du plaisir reste sans doute celle de Duncker, 1941) : dans la dégustation d’un gâteau, c’est la sensation associée à l’ingestion du gâteau qui me procure d’abord du plaisir, tout comme c’est la sensation douce sur ma peau qui paraît être l’objet du plaisir que je prends dans une caresse. L’activité donnant lieu à cette sensation semble secondaire. À l’inverse, ce n’est pas la sensation associée à la lecture d’un poème qui est l’objet de mon plaisir, mais plutôt le contenu de ce que je lis, ou bien l’activité de lecture elle-même. Plus précisément, les sensations ne jouent pas de rôle notable dans l’occurrence de ces plaisirs, si ce n’est par l’information qu’elles transmettent (c’est bien par le biais des sensations visuelles qu’un lecteur peut effectivement lire un livre). Plutôt qu’une sensation, ces plaisirs semblent avoir pour objet une activité (dans le cas du sport, de la lecture, de la philosophie ou des jeux vidéo) ou un état de fait (dans le cas du plaisir à l’annonce d’une bonne nouvelle), qui semblent être appréciés par le sujet. Dans ces derniers cas, où le sujet semble se réjouir d’un état de fait, on parle parfois de plaisirs propositionnels (Feldman, 1988, 2004). Ces derniers semblent plus intellectuels dans la mesure où ils requièrent la possession de certaines capacités cognitives relativement élaborées : prendre plaisir dans la victoire de mon pays au concours de l’Eurovision implique que je croie que mon pays a gagné le concours, par exemple. De même, le plaisir pris à jouer à un jeu vidéo, ou, a fortiori, à philosopher, nécessitent un vaste arrière-plan de connaissances : on ne prend pas plaisir à jouer à un jeu vidéo si on ne sait pas y jouer, et l’activité de philosopher requiert certainement la maîtrise de nombreux concepts.

Cette distinction entre plaisirs sensoriels et plaisirs intellectuels semble aussi pertinente d’un point de vue normatif, puisque beaucoup de philosophes ont vu dans les plaisirs sensoriels des plaisirs de moindre valeur (notamment Platon, La République, 580d-588a, Mill, 2010 [1861]).

La question de l’éventualité d’un plaisir sans objet reste ouverte. Peut-être le plaisir de la bonne humeur, ou celui associé à un état de sérénité (qui semble plutôt aller de pair avec un vide intérieur) en seraient des exemples.

Le plaisir qu’on prend dans la contemplation esthétique semble spécifique à bien des égards. On peut être tenté de le réduire à un simple plaisir sensoriel, dans la mesure où les sensations y jouent un rôle bien plus important que dans les plaisirs intellectuels vus précédemment. Pour autant, dans le cas de l’art, les sensations induites semblent toujours avoir une signification qui les dépasse, de sorte que le plaisir esthétique n’y est pas réductible au plaisir sensoriel. Il faudrait alors reconnaître une spécificité du plaisir esthétique. Ainsi, selon Kant, le plaisir associé au jugement esthétique est différent des plaisirs sensoriels : ces derniers dérivent d’une attitude intéressée envers leurs objets (2000 [1790]), alors que le jugement esthétique est désintéressé, il est indifférent à l’existence de l’objet qui est jugé beau.

Une autre manière de catégoriser les plaisirs distingue ceux qui semblent résulter d’un désir ou d’une pulsion préalable, et qui se superposeraient à la satisfaction du désir, des autres. Épancher sa soif ou finir la lecture d’un livre palpitant tard dans la nuit (malgré la longue journée de travail qui nous attend le lendemain) sont des exemples de plaisirs qui semblent coïncider avec la satisfaction d’un désir impérieux ; se relaxer en prenant un bain chaud ou manier avec virtuosité des concepts philosophiques complexes n’en sont pas. Cette distinction est particulièrement intéressante dans la mesure où elle peut servir à éclaircir les rapports entre plaisir et désir, chaque catégorie de plaisirs illustrant une vision distincte de ces rapports. Duncker (1940) développe ainsi en détail une distinction entre la vision hédoniste et hormique du plaisir. Selon la vision hédoniste, on désire quelque chose en vertu du plaisir qu’elle procure. Selon la vision hormique, on prend du plaisir dans quelque chose en vertu du fait qu’on désire cette chose. On peut trouver des traces de cette vision dans les écrits de nombreux philosophes au cours de l’histoire, notamment chez Platon et Aristote. McDougall (1949 [1923]), un des défenseurs de la vision hormique, explique ainsi que « le plaisir et la douleur […] sont déterminés par l’effort [striving] ; le plaisir, quand l’effort atteint son but naturel ou progresse vers lui ; la douleur, quand l’effort est contrecarré ou obstrué et échoue à accomplir, ou à progresser vers son but » (p. 269). Plus récemment, plusieurs auteurs semblent avoir renoué avec cette conception désidérative du plaisir (Davis, 1981, Heathwood, 2006, 2007), développée plus en détail dans la Section 1.d.

Cette distinction peut être rapprochée de celle faite par Épicure entre les plaisirs catastématiques et les plaisirs cinétiques (Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres, Livre X). Les premiers sont des plaisirs stables, de repos. Ce sont ceux qu’Épicure associe aux états d’ataraxie et d’aponie, respectivement la tranquillité de l’âme et celle du corps, que l’éthique épicurienne nous invite à poursuivre. Les seconds sont des plaisirs en mouvement, qui impliquent un changement d’état, la satisfaction d’un besoin naturel. Contrairement à Épicure, Aristippe et les Cyrénaïques ne reconnaissaient l’existence que des plaisirs cinétiques. La vie de plaisir qu’ils promouvaient ne visait donc pas la tranquillité de l’âme et du corps, mais plutôt une jouissance corporelle active (Diogène Laërce, Livre II).

Le constat de la diversité des plaisirs est central dans la littérature philosophique sur le plaisir. Deux positions philosophiques peuvent émerger à partir de ce constat (Goldstein, 1985). D’un côté, la position moniste soutient que malgré cette diversité apparente, il y a bien une unité de l’expérience de plaisir. Au fond, il n’y aurait qu’un seul type de plaisir. Il existe cependant une grande diversité de positions monistes, en fonction de la manière dont on caractérise l’unité du plaisir. De l’autre côté, la position pluraliste soutient que cette diversité n’est pas qu’apparente, et que ce qui la sous-tend est une véritable pluralité de phénomènes, si bien que les états de plaisir n’auraient en commun que le fait de s’appeler plaisir (Perry, 1967, adopte ainsi explicitement une position pluraliste). La position pluraliste peut se décliner de multiples manières, en fonction des types de plaisir qu’on identifie et des critères de catégorisation utilisés, mais elle est bien sûr mise en difficulté par la simple observation que dans la vie quotidienne la diversité des plaisirs ne semble pas poser de problème particulier. Ainsi, pour Brandt, cette position se résoudrait à laisser inexpliquée la capacité qu’on a à utiliser correctement les concepts de « plaisir » et de « plaisant » dans notre vie quotidienne (1979, p. 37). Des positions intermédiaires sont naturellement envisageables. Ainsi, selon Edwards (1979) différents plaisirs correspondent à des qualités phénoménales différentes, mais elles ont tout de même en commun un air de famille.

Plus récemment, le constat de la diversité des plaisirs a souvent été interprété comme donnant lieu au problème dit de l’hétérogénéité du plaisir, qui prend aussi comme point de départ la question suivante : qu’y a-t-il de commun à tous les états de plaisir ? Plus précisément, si l’on considère deux états de plaisir très différents, comme celui associé à la dégustation d’un gâteau et celui associé à l’annonce d’une bonne nouvelle, et qu’on essaie de focaliser notre attention sur un éventuel élément ressenti de plaisir qui serait commun à ces deux états, il semble que l’on n’en trouve aucun. Ainsi, rien dans la totalité de notre expérience subjective ne correspondrait au plaisir. Ce problème contraint la manière dont on rend compte du plaisir : toute théorie satisfaisante devra expliquer cette apparence d’hétérogénéité. De plus, il joue un rôle dialectique considérable en motivant le passage à des conceptions selon lesquelles les différents plaisirs n’ont rien en commun d’intrinsèque. Ainsi Sidgwick, dans un passage célèbre, s’en sert pour motiver l’idée que la nature du plaisir consiste simplement en son caractère désirable :

Devrons nous alors dire qu’il y a une qualité ressentie mesurable exprimée par le mot « plaisir », qui est indépendante de sa relation à la volition, et strictement indéfinissable dans sa simplicité ? – comme la qualité ressentie exprimée par « sucré » dont nous sommes conscients à des degrés d’intensité variables. Cela semble être la vision de certain auteurs : mais, pour ma part, quand je réfléchis à la notion de plaisir – en utilisant ce terme dans son sens inclusif que j’ai adopté afin d’inclure la gratification intellectuelle et émotionnelle plus raffinée et subtile aussi bien que les plaisirs sensoriels, qu’ils soient plutôt vulgaires ou raffinés – la seule qualité en commun que je peux trouver semble être cette relation au désir et à la volition exprimée par le terme général « désirable ». (1981 [1907], Chapitre II)

Il est important de ne pas confondre la question de l’hétérogénéité des plaisirs avec d’autres questions portant sur la comparabilité ou la quantification des plaisirs. La thèse de la comparabilité des plaisirs affirme que tous les plaisirs peuvent être comparés entre eux, et que de deux plaisirs il est toujours vrai que l’un est supérieur à l’autre ou bien qu’ils sont équivalents en intensité. La thèse de la quantification des plaisirs va plus loin, puisqu’elle fonde la légitimité d’affirmations comme « tel plaisir est 2,8 fois plus intense que tel autre plaisir », ou « la différence d’intensité entre ces deux plaisirs est identique à celle entre ces deux autres plaisirs ». Cette dernière thèse joue un rôle crucial dans la justification de l’utilitarisme moral, qui requiert de pouvoir quantifier totalement les plaisirs et les peines, mais aussi dans certains programmes de recherche récents en science : si le plaisir doit servir à fixer la valeur d’un ensemble de stimuli afin d’informer la prise de décision des sujets (par exemple, Dickinson et Balleine, 2009, Damasio et Carvalho, 2013), il est nécessaire que les différentes occurrences de plaisir puissent être comparées.

Des résultats récents de neuroscience peuvent être mobilisés pour éclairer les questions de l’hétérogénéité et de la comparabilité des plaisirs. Si on accepte le physicalisme, c’est-à-dire l’idée que tous les états mentaux sont identiques ou réductibles à des états physiques, alors il est probable qu’à la diversité des états de plaisir devrait correspondre une diversité des états physiques qui les implémentent. Par exemple, peut-être que différents types de plaisir seraient associés à différents circuits neuronaux. Cette hypothèse semble plutôt infirmée par les études sur les substrats neuronaux des plaisirs, selon Berridge et Kringelbach (2013, 2015) et Crisp et Kringelbach (2018), ce qui pèse en faveur de l’unité des plaisirs, et donc en faveur d’un monisme hédonique.

b. Le plaisir, disposition ou épisode ?

Le plaisir est généralement considéré comme un état mental occurrent et conscient, ce qui signifie que dans la vie mentale du sujet, le plaisir se manifeste dans un intervalle de temps bien délimité et qu’il appartient à l’expérience subjective du sujet, c’est-à-dire qu’il est ressenti par le sujet.

Historiquement, cette position intuitive du plaisir comme état mental occurrent conscient a été défiée par une autre position selon laquelle le plaisir a en fait des caractéristiques qui le rapprochent des dispositions. Une entité mentale est dispositionnelle quand il existe des conditions dont la satisfaction déclenche l’occurrence de certaines manifestations spécifiques associées à cette entité mentale (Choi et Fara, 2018). Par exemple, en affirmant qu’un verre est fragile, on attribue au verre une propriété dispositionnelle, puisque sa fragilité est une disposition à se casser si certaines conditions sont satisfaites ; par exemple, si on le laisse tomber par terre. Dans le cas des entités mentales, il est généralement accepté qu’il y a des croyances qui ne sont pas occurrentes mais dispositionnelles : je crois que Berlin est la capitale de l’Allemagne, mais ce n’est pas une croyance que j’ai de manière consciente à tout moment. La plupart du temps, elle est présente seulement en tant que disposition. Si certaines conditions sont remplies, par exemple si on me demande quelle est la capitale de l’Allemagne, cette croyance dispositionnelle deviendrait occurrente.

À quel type de disposition le plaisir correspondrait-il ? Pour Ryle, le principal défenseur d’une telle conception du plaisir, le plaisir serait un type d’attention dispositionnelle (plus précisément, dans The Concept of Mind (2009b [1949]), il distingue encore deux utilisations du terme « plaisir », le plaisir comme sentiment (feeling) et le plaisir comme attention dispositionnelle, mais l’approche attentionnelle est ensuite généralisée (2009a [1971])). Prendre du plaisir dans quelque chose, ce serait alors être disposé à continuer l’activité en cours si rien ne vient nous perturber, montrer des signes d’agacement si d’autres stimuli dans notre environnement perturbent notre activité, ne pas réagir quand d’autres stimuli me sont présentés, etc. Ryle prend comme exemple paradigmatique le plaisir pris par un promeneur pendant sa balade.

Bien que contre-intuitive, cette position est particulièrement attrayante dans une perspective béhavioriste, c’est-à-dire si l’on cherche à réduire tous les états mentaux à leurs manifestations comportementales. En effet, si le plaisir est une disposition à agir de certaines manières, alors il n’est plus un événement privé, accessible uniquement par le sujet qui en fait l’expérience, mais un événement public, observable par tous.

Bien que Ryle soit animé par une motivation béhavioriste, il justifie avant tout cette position en montrant que les positions alternatives sont invraisemblables (2009a [1971], p. 339-342). Pour défendre sa vision du plaisir comme disposition, Ryle cherche donc à rejeter les théories qui font du plaisir un épisode mental conscient.

Il commence par identifier les différences qui empêchent de penser le plaisir comme l’équivalent positif de la douleur, cette dernière étant entendue comme une sensation. Par exemple, alors qu’une douleur peut être localisable dans le corps, le plaisir, au moins dans les cas évoqués précédemment, ne pourrait pas. De plus, contrairement à la plupart des sensations corporelles, il est difficile de décrire le plaisir qu’on prend dans quelque chose sans décrire ce dans quoi on prend plaisir. Ryle rejette aussi l’idée que le plaisir est une sorte d’émotion : on peut être assailli ou distrait par une émotion, mais le marcheur n’est pas assailli ou distrait par son plaisir. Enfin, le plaisir ne peut pas être une humeur (comme l’irritabilité, la gaieté, etc.), car les humeurs ne font que prédisposer le sujet à avoir des épisodes émotionnels, comme l’énervement ou la joie, et n’ont par ailleurs aucun objet en particulier. Ryle en conclut donc que le plaisir n’est pas un état mental occurrent conscient, et suggère qu’il s’agirait plutôt d’un type d’attention portée à quelque chose. En plus de rendre compte des caractéristiques précédentes, cela expliquerait aussi pourquoi il est si difficile d’introspecter son plaisir sans le faire disparaître.

À la fin des années 1950, la thèse développée par Ryle a relancé le débat philosophique sur la nature du plaisir dans la philosophie anglophone et a fait l’objet de nombreuses critiques. D’abord, sa défense de la thèse que le plaisir diffère significativement des autres sensations semble défectueuse (voir par exemple Penelhum (1957) pour une discussion critique détaillée de l’argumentation de Ryle). Pour ne prendre qu’un exemple, le plaisir associé à un massage semble bien avoir une localisation dans le corps, tout comme il y a des cas où un plaisir peut venir me distraire. Par ailleurs, une différence significative entre le plaisir et l’attention en général est que l’attention fait l’objet d’un effort conscient et actif, alors que le plaisir semble la plupart du temps être involontaire et impliquant un sujet passif (Penelhum, 1957).

En fait, il paraîtrait plus charitable de comprendre Ryle comme rendant compte d’un type spécifique de plaisir, celui qui accompagne une activité, comme dans les exemples du plaisir pris dans la lecture ou dans les jeux vidéos de la Section 1.a. Dans ce cas le plaisir apparaît en effet comme secondaire, en ce qu’il est tourné vers une activité, et ne pouvant pas être introspecté (puisque cela stopperait la continuité de l’activité, et donc la continuité du plaisir qu’on y prend). Ce type de plaisir est à rapprocher du flux (flow), cet état d’attention intense qu’a étudié Csikszentmihalyi (1991), et plus généralement du plaisir comme enjoyment qu’un nombre important d’auteurs ont évoqué (von Wright, 1963,, Perry, 1967, Heathwood, 2007, entre autres). Par ailleurs, en mettant l’accent sur les comportements observables auxquels le plaisir donne lieu, Ryle ouvre la voie à de nombreuses théories qui vont aussi les mobiliser pour caractériser le plaisir, comme la théorie fonctionnaliste (voir Section 2.a).

Plus généralement, on peut aussi attaquer les velléités dispositionnalistes et béhavioristes de Ryle. Celles-ci étaient avant tout sémantiques, c’est-à-dire qu’elles visaient à déterminer ce qu’on veut dire quand on utilise le terme « plaisir ». Alors que nos concepts mentaux tels que celui de plaisir semblent faire référence à des états privés, seulement accessibles aux sujets qui en font l’expérience, Ryle veut mettre l’accent sur le rôle des comportements observables dans notre apprentissage de ces concepts. En effet, dans la mesure où je n’ai pas d’accès direct aux états mentaux des autres individus, mais seulement à leurs comportements observables, ce que je veux dire quand j’emploie ces concepts, et notamment quand je les emploie pour qualifier d’autres individus, doit impliquer avant tout des comportements observables. La thèse béhavioriste de Ryle pourrait donc être mise à mal en démontrant le rôle central de l’introspection dans notre apprentissage et notre utilisation du concept de plaisir (Place, 1954) : ce n’est pas en observant des comportements que j’apprendrais à identifier les instances de plaisir, mais plutôt par un accès direct et immédiat avec mon plaisir.

Brandt (1979, p. 41-42) reprend ce débat en défendant l’idée que l’approche dispositionnelle est bien capable de rendre compte de notre type d’accès épistémique à nos états mentaux. D’abord, en montrant que la connaissance de notre disposition à continuer notre activité serait elle aussi, sinon immédiate, du moins relativement directe : boire une gorgée d’un mauvais vin me pousserait à cesser d’en boire, et j’en déduirais alors que ce vin n’est pas bon, et que je ne prends pas plaisir à le boire. Deuxièmement, l’immédiateté supposée de notre accès à nos états mentaux plaisants serait à relativiser. Nous pouvons en effet nous tromper sur la nature du plaisir qu’on prend :

Supposez que vous êtes en train de parler à quelqu’un pendant un cocktail et souhaitez poursuivre la conversation. Vous vous demandez : ‘Qu’est-ce qui est plaisant ?’ Cela pourrait être les idées inventives que la personne exprime, sa personnalité pleine d’entrain, ou le fait qu’elle vous flatte, ou simplement une attraction sexuelle. Votre opinion sur cette question est une hypothèse qui peut être testée. (Brandt, 1979, p. 42)

c. Le plaisir comme sensation

Supposons à partir de maintenant que le plaisir est bien un état occurrent conscient. De quel type d’état s’agit-il ? Pour y voir plus clair dans la multitude des conceptions du plaisir, nous proposons de les organiser en deux pôles théoriques contrastés, même si cette opposition binaire est loin d’épuiser la richesse des débats et qu’il existe une grande diversité au sein même de chaque pôle. Dans cette section et la suivante, j’aborderai successivement ces deux pôles théoriques.

D’un côté, le pôle qu’on peut qualifier d’internaliste (la terminologie nous vient de Sumner, 1996, p. 87-91). Le plaisir a ici une qualité phénoménale : cela fait quelque chose au sujet d’avoir une expérience plaisante, il y a un ressenti subjectif caractéristique du plaisir. Il est similaire à une sensation, non-intellectualisé, et non-conceptuel. Il peut ou non être localisable dans le corps, représenter ou non des stimuli, des objets ou des événements extérieurs. Il peut constituer une sensation à part entière, au même titre que les sensations perceptuelles (couleurs, odeurs, etc.) ou corporelles (fourmis dans les jambes, démangeaisons, etc.) ou bien seulement accompagner d’autres sensations.

De l’autre côté, le pôle qu’on peut qualifier d’externaliste. Le plaisir a ici une intentionnalité, c’est-à-dire qu’il est à propos de quelque chose d’autre : un objet physique, une partie du corps, une proposition, une sensation, etc., dont le caractère plaisant est extrinsèque. Le plaisir est donc associé à une attitude, qui peut ou non donner lieu à une certaine phénoménologie. Parmi les attitudes proposées pour rendre compte du plaisir, on trouve un désir, une appréciation, un jugement (notamment moral), ou une attitude sui generis comme « prendre du plaisir dans ». Certaines de ces attitudes requièrent des capacités cognitives élaborées.

Commençons dans cette section par le pôle internaliste. Si le plaisir est souvent considéré comme étant similaire, ou identique, à une sensation, la définition d’une sensation à son tour est floue. Parmi les exemples paradigmatiques, on trouve l’expérience subjective associée à la dégustation d’un gâteau, au toucher d’une surface lisse et froide, au parfum d’une rose, etc. Quelles sont les différences entre ces sensations typiques et le plaisir ?

D’abord, il est courant d’associer à chaque sensation un organe sensoriel et un sens correspondant. Ces sens sont extéroceptifs, c’est-à-dire informant le sujet à propos de stimuli extérieurs. Ainsi, les sensations tactiles sont associées au toucher et à la peau et les sensations gustatives au goût et à la langue. En revanche, il n’y a aucun sens, ni aucun organe sensoriel extéroceptif, associés au plaisir.

Le plaisir ne semble fournir aucune information sur le monde, et on ne peut associer ni le plaisir, ni son intensité, à des entités et des quantités physiques extérieures (Aydede, 2018, p. 6). En revanche, l’idée selon laquelle le plaisir serait un sens intéroceptif, comme la proprioception, semble plus plausible. Le plaisir viserait à informer le sujet de l’état physiologique de son corps. On est cependant confronté au problème que certains plaisirs peuvent être associés à une dégradation corporelle. Par exemple, se gratter quand cela nous démange fait plaisir, mais peut endommager la peau et causer plus de démangeaisons dans le futur.

Enfin, les régions du système nerveux qui donneraient lieu à des expériences de plaisir semblent être clairement séparées des zones associées aux sens (Berridge et Kringelbach, 2013).

Malgré ces différences, il existe quand même des points communs entre sensations et plaisirs. D’abord, il semble possible de localiser au moins certains plaisirs dans le corps. Le plaisir associé à une caresse semble être localisé à l’endroit de cette caresse, de la même manière qu’une douleur peut usuellement être localisée dans le corps. Ces plaisirs sont alors à distinguer d’autres états mentaux non-localisables, comme les humeurs ou les pensées.

Par ailleurs, le plaisir semble souvent non-conceptuel : une expérience plaisante comme la dégustation d’un gâteau n’implique pas la manipulation de concepts, et il est concevable d’envisager que les plaisirs de la lecture ou de la philosophie ne sont pas plus conceptuels : les activités que le plaisir accompagne sont certes conceptuelles, pourrait-on arguer, mais le plaisir lui-même ne l’est pas.

Ceci étant dit, le principal point commun entre les sensations et le plaisir est sans doute l’existence d’un caractère phénoménal, c’est-à-dire le fait que cela « fasse quelque chose » au sujet d’en faire l’expérience (Nagel, 1974). À l’inverse, les pensées sont des entités mentales dont l’existence d’un caractère phénoménal semble plus douteuse. L’idée que le plaisir donne lieu à un certain caractère phénoménal peut être considérée ou bien comme évidente, ou bien comme extrêmement controversée, en fonction de ce qui est précisément entendu par « caractère phénoménal ». Ainsi des doutes quant à la phénoménalité du plaisir ont souvent été émis, par exemple par Feldman (2004) et Bain et Brady (2014). Si le caractère phénoménal manifesté par des sensations extéroceptives paradigmatiques comme les couleurs ou les sons est érigé en modèle à l’aune duquel tout autre caractère phénoménal présumé doit être mesuré, on peut effectivement raisonnablement douter de l’existence d’un caractère phénoménal du plaisir. Mais on pourrait très bien nier que le caractère phénoménal du plaisir appartienne à la même catégorie phénoménologique que celui des sensations précédentes. Quoi qu’il en soit, le caractère phénoménal supposé du plaisir ferait l’objet d’une connaissance immédiate de la part du sujet. Ainsi, Broad parle du plaisir comme une qualité « que nous ne pouvons définir mais avec laquelle nous sommes parfaitement accointés » (1930, p. 229).

Supposons pour l’instant qu’il soit justifié de ranger le plaisir du côté des sensations, sur la base de l’existence d’un ressenti phénoménal propre au plaisir. Différentes articulations peuvent encore être envisagées entre plaisir et sensations. Selon une classification en usage, apparemment issue de Feldman, on distingue d’un côté les conceptions qui font du plaisir une sensation ou un sentiment distinct, à part entière (distinctive feeling), qui aurait le même statut métaphysique que les autres sensations comme le goût d’un gâteau ou le toucher d’une caresse, et de l’autre côté les conceptions qui font du plaisir une sensation qui en accompagne d’autres, un ton ou une tonalité hédonique (hedonic tone), et qui n’a donc pas d’existence indépendante de celles qu’il accompagne.

Présentons successivement ces deux conceptions. Selon la conception du plaisir comme sentiment distinct, notre vie mentale serait constituée d’une variété d’entités phénoménales différentes, et l’une d’entre elles serait le sentiment de plaisir. Selon cette conception, quand on est plongé dans un film qu’on apprécie, en plus des sensations visuelles, auditives, mais aussi des états cognitifs ou des émotions comme la curiosité, la surprise, la compassion, que l’on peut avoir, on a aussi un sentiment distinct de plaisir. De même, quand on sent le parfum d’une rose, il y aurait d’un côté une sensation associée à l’odeur de la rose, et de l’autre un sentiment de plaisir. Historiquement, il s’agit d’une conception repoussoir, dont toutes les autres ont voulu s’écarter, car le problème de l’hétérogénéité du plaisir la met gravement en doute. En effet, si cette conception était vraie, on pourrait s’attendre à ce qu’il soit aisé de focaliser notre attention sur ce sentiment, de la même manière qu’il est aisé de focaliser notre attention sur les diverses sensations dont on fait l’expérience. Comment pourrait-on expliquer notre difficulté à identifier ce sentiment que tous les plaisirs sont pourtant censés partager ?

Hume (2009 [1738]), Locke (2002 [1689]), mais aussi G. E. Moore (1998 [1903]) semblent avoir défendu cette conception, mais la défense contemporaine la plus développée est sans doute celle de Bramble (2013). Son argumentation est avant tout basée sur le rejet des autres conceptions, mais il tente quand même d’expliquer notre difficulté à identifier ce sentiment de plaisir. Pour Bramble, « il doit s’agir du type de sentiment qui survient en quantités extrêmement réduites et à des emplacements discriminables de manière très fine dans notre champ expérientiel, de telle manière qu’il arrive dispersé dans tout notre champ expérientiel » (2013, p. 210). La dispersion du sentiment de plaisir rendrait alors difficile la focalisation sur celui-ci de notre attention.

Selon la conception du plaisir comme ton hédonique, le plaisir, plutôt que de constituer une entité mentale à part entière, indépendante des autres entités de notre vie mentale, serait plutôt une sorte d’enduit, de vernis, qui viendrait s’appliquer sur d’autres éléments. C’est la conception la plus commune actuellement (adoptée par Wundt, 2004 [1896] ; Broad, 1930 ; Kagan, 1992 ; Crisp, 2006 ; Smuts, 2011 ; Labukt, 2012 ; Moen, 2013), mais il existe plusieurs manières de lui donner corps, en se basant sur des analogies différentes.

Selon Kagan (1992), mais c’est une position aussi défendue par Moen (2013), le plaisir est une dimension de nos expériences subjectives. Le plaisir est à nos expériences ce que le volume sonore, tel que ressenti par le sujet, est à nos expériences auditives. Ainsi, il est impossible de faire l’expérience d’un volume sonore sans avoir une expérience auditive complète, et il est impossible de parfaitement isoler le volume sonore du reste de notre expérience auditive. Cela expliquerait nos difficultés à focaliser notre attention sur la dimension plaisante de notre expérience. Par ailleurs, une expérience auditive a toujours un volume sonore. De la même manière, pour les partisans du ton hédonique, toutes nos expériences subjectives sont toujours teintées de plaisir ou de son opposé, la souffrance. Ce ton hédonique varie dans le temps, si bien qu’on pourrait en théorie représenter graphiquement l’évolution dans le temps de ce ton, positif quand nos expériences sont plaisantes, et passant dans le négatif quand elles deviennent déplaisantes. Il y a cependant des différences nettes entre plaisir et volume sonore. Bramble (2013) remarque qu’un son ne peut pas avoir de volume sonore nul, alors qu’une expérience peut très bien être neutre affectivement, et en conclut que cela rend l’analogie caduque. Par ailleurs, on peut encore nier que la théorie du ton hédonique rend vraiment compte de l’hétérogénéité du plaisir. Si le plaisir est toujours une dimension de notre expérience, arrive-t-on vraiment, sinon à focaliser notre attention directement dessus, du moins à reconnaître cette dimension comme étant commune à toutes nos expériences, de la même manière que l’on peut reconnaître le volume sonore comme une dimension nécessaire de notre expérience auditive ?

Une autre proposition vise plus directement à répondre à ce défi de l’hétérogénéité du plaisir, entendu comme ton hédonique. Selon Crisp (2006), repris par Smuts (2011), Labukt (2012) et Lin (2018), les expériences plaisantes sont des expériences qui font toutes du bien (feel good), et cette propriété de faire du bien peut être comparé à la couleur. Rien ne peut être coloré sans avoir une couleur spécifique : rouge, bleu, vert, etc. Dans le langage philosophique, on dit que la couleur est un déterminable qui a plusieurs déterminés : rouge, bleu, vert, etc. Dans le cas du plaisir, l’idée est tout simplement que les plaisirs qui intuitivement nous semblent hétérogènes sont autant de déterminés d’un même déterminable : la propriété de faire du bien. De la même manière que le rouge et le bleu sont similaires en ce qu’ils sont tous deux des couleurs sans pour autant qu’il soit possible de focaliser mentalement notre attention sur leur caractère coloré commun, les différents plaisirs seraient similaires en ce qu’ils possèdent le même déterminable, sans qu’on puisse focaliser notre attention sur leur propriété de faire du bien.

d. Le plaisir comme attitude

Passons maintenant au pôle externaliste des conceptions du plaisir. Selon ces conceptions, les états de plaisir sont au moins partiellement constitués par certaines attitudes du sujet envers l’objet du plaisir. Ces conceptions permettent donc de rendre compte du fait que beaucoup de plaisirs semblent avoir un objet, c’est-à-dire être à propos de quelque chose, de manière nécessaire et non contingente. Ces conceptions sont aussi particulièrement intéressantes pour résoudre le problème de l’hétérogénéité des plaisirs, puisqu’elles permettent de soutenir que les plaisirs n’ont aucun élément intrinsèque en commun, ce qui expliquerait alors notre incapacité supposée à l’identifier. Par là-même, elles permettent aussi de rendre compte de l’intuition selon laquelle la même expérience phénoménale peut être plaisante ou déplaisante en fonction des circonstances. Par exemple, une même sensation de chaleur pourra être considérée comme déplaisante en été et plaisante en plein hiver, en fonction des attitudes que le sujet a envers cette sensation. Toute la question est alors d’identifier le type d’attitude qui pourrait donner lieu aux expériences de plaisir. Plusieurs candidates ont été proposées.

L’attitude qui semble la plus intuitive pour caractériser le plaisir est sans doute le désir, en raison de l’aspect motivationnel indiscutable du plaisir. En effet, si une expérience procure du plaisir, il semble que nécessairement cette expérience donne lieu à un désir, ce dont les conceptions en termes de ressenti phénoménal vues précédemment avaient des difficultés à rendre compte. La difficulté pour une sensation à rendre compte de nos raisons d’agir a notamment été notée par Anscombe (2000 [1957]). Un autre avantage présumé de cette conception motivationnelle du plaisir serait sa parcimonie, puisque l’on réduirait le plaisir à une entité qu’on connaît déjà. La justification intuitive de cette conception réside dans le constat que certains plaisirs semblent intuitivement nécessiter la satisfaction d’un désir. C’est le cas des plaisirs hormiques vus dans la Section 1.a, comme le plaisir associé à la réception d’une bonne nouvelle ou à la réussite d’un niveau difficile dans un jeu vidéo. Mais toute satisfaction d’un désir ne génère pas de plaisir de cette manière. Par exemple, je peux avoir reçu la promotion que j’attendais depuis des années et, au lieu d’en ressentir une plaisante satisfaction, être soudainement pris d’une anxiété intense vis-à-vis des nouvelles responsabilités que je vais endosser. Il semble donc difficile d’identifier directement le plaisir avec la satisfaction d’un désir, bien que Davis (1981) et Heathwood (2006) semblent soutenir une telle conception.

La plupart des théories qui fondent le plaisir sur le désir postulent plutôt que l’objet du désir en question doit concerner l’expérience subjective du sujet, et non un objet extérieur comme une promotion ou la réussite du niveau le plus difficile d’un jeu vidéo. On peut alors définir le plaisir comme suit : une expérience actuelle est un plaisir si et seulement si le sujet désire que l’expérience se prolonge (une variante de cette conception est proposée par Brandt, 1979, p. 40). Cette conception simple est sujette à des contre-exemples. Je peux vouloir que mon expérience actuelle se prolonge pour des raisons qui intuitivement n’ont rien à voir avec le caractère plaisant de l’expérience. Par exemple, je peux ressentir de la faim et vouloir que cette sensation se prolonge, parce que cela m’indique que je parviens à suivre le régime alimentaire sévère que je me suis fixé. Il faut donc caractériser le plaisir comme un désir de poursuivre l’expérience seulement en vertu du ressenti de cette expérience, et indépendamment des conséquences de la continuation de cette expérience. Je dois la désirer intrinsèquement (Carson, 2000).

Mais d’autres problèmes apparaissent: intuitivement, il y a certains plaisirs dont on ne souhaite par la prolongation. Par exemple, on pourrait argumenter qu’il y a des odeurs qui nous sont plaisantes pendant un bref instant, mais dont la prolongation nous serait écœurante, et donc déplaisante (cas traité dans Crisp, 2006, qu’il emprunte à Gosling, 1969). Par ailleurs, cette définition semble impliquer un décalage temporel entre le moment de plaisir, par exemple quand mangeant quelque chose de succulent je désire le prolongement de cette expérience, et le moment de la satisfaction de mon désir, c’est-à-dire le moment qui suit directement ce plaisir. Ce décalage temporel justifie le choix d’une autre définition du plaisir en termes de désir : une expérience est un plaisir si et seulement si on désire intrinsèquement que cette expérience ait lieu au moment même où elle a lieu (Kagan, 1992, Heathwood, 2007). De manière plus sophistiquée, selon Heathwood et pour le cas des plaisirs sensoriels, « une sensation S, ayant lieu à l’instant t, est un plaisir sensoriel si et seulement si le sujet de S désire, de manière intrinsèque et de re, à l’instant t, que S ait lieu à l’instant t. ». Que l’expérience doive être désirée de manière de re signifie que l’objet du désir est exactement la sensation qu’on a au moment t, et non le souvenir de cette sensation, par exemple.

Cette position présente encore des difficultés. Certains cas de plaisir pourraient ne pas satisfaire la caractérisation proposée par Heathwood. D’abord, le cas classique du masochisme, où le sujet semble désirer intrinsèquement une sensation déplaisante, semble constituer un contre-exemple. Pour rendre compte du plaisir masochiste, il est courant de le considérer, non pas comme un plaisir sensoriel, mais plutôt comme un plaisir qu’on prend à l’idée d’avoir une sensation qui fait l’objet d’une aversion (c’est-à-dire d’un désir négatif). Il s’agirait donc d’une sorte de désir de second ordre, mais cette proposition court le risque de sur-intellectualiser la nature du plaisir masochiste.

Un autre contre-exemple est fourni par Feldman (1988, 2004), qui évoque un sentiment de vertige que l’on rechercherait initialement par curiosité, et qui au fur et à mesure deviendrait une sensation qu’on rechercherait intrinsèquement. Cette sensation remplirait les critères pour constituer un plaisir, mais Feldman argue que cette sensation pourrait très bien ne pas être plaisante.

Smuts (2011), quant à lui, propose l’exemple de l’art douloureux : les tragédies et les films dramatiques ne sont pas plaisants à voir, mais on pourrait argumenter qu’on a bien un désir intrinsèque de les voir. Ainsi, « [s]’il est plausible de penser que le public désire parfois, de manière intrinsèque et contemporaine, des expériences douloureuses en réponse à l’art, alors avoir un désir intrinsèque et contemporain envers une expérience ne suffit pas pour obtenir du plaisir » (Smuts, 2011, p. 6).

Par ailleurs, si tant est que le désir nous fait un certain effet, c’est-à-dire a une phénoménologie, celle-ci semble très différente de celle du plaisir. La phénoménologie du désir ne semble pas nécessairement plaisante, elle est parfois vécue comme un manque, générateur de stress. Pourquoi le simple fait que le désir soit satisfait, dans les conditions énoncées par exemple par Heathwood, modifierait la phénoménologie du désir au point de donner lieu à une phénoménologie plaisante ?

Enfin, le problème dit d’Eutryphon affecte n’importe quelle conception désidérative du plaisir (Smuts, 2011). Il tire son nom du problème évoqué par Platon dans le dialogue du même nom, où Socrate interroge son interlocuteur : une chose est-elle juste parce qu’elle est aimée par les dieux, ou bien est-elle aimée par les dieux parce qu’elle est juste ? De la même manière, la conception désidérative du plaisir semble se tromper dans l’ordre explicatif du plaisir et du désir. Intuitivement, si on nous demande pourquoi on désire une expérience, on répondrait que c’est parce qu’elle est plaisante. Or, selon la conception précédente, c’est l’opposé qui est vrai : c’est parce qu’on désire une expérience qu’elle est plaisante. Ce résultat contre-intuitif fait émerger un point aveugle de la conception désidérative: elle est incapable d’expliquer pourquoi est-ce qu’on désirerait une expérience intrinsèquement. Faut-il considérer ce désir comme une sorte de fait brut, primitif ?

Cela semble être un lourd prix à payer, notamment parce qu’on tend plutôt à penser les désirs comme des attitudes qui sont corrigibles et susceptibles d’évoluer à la lumière de nos autres désirs et de nos croyances. Nos désirs sont en effet mobilisés dans notre délibération pratique, et ils servent à justifier nos actions. À l’inverse, on ne peut pas se rendre compte, après réflexion, que ce qu’on ressent n’est pas plaisant ! Son caractère plaisant s’impose à nous.

La conception désidérative du plaisir réduit le plaisir à une entité bien connue, le désir. Mais il est possible de mobiliser d’autres pro-attitudes que les désirs. Ces attitudes peuvent être sui generis, c’est-à-dire propres au plaisir (comme celles théorisées par Meinong, 1906 ou Feldman 1997, 2004), ou bien partagées avec d’autres états mentaux. Le problème d’Eutryphon pourrait motiver le passage à une attitude d’appréciation (liking) plutôt que de désir (Parfit, 2011), car, contrairement au désir, l’attitude d’appréciation envers une expérience ne peut pas être rationnelle ou irrationnelle : on ne peut pas avoir des raisons d’avoir ou de ne pas avoir une expérience de plaisir. D’autres auteurs ont identifié cette pro-attitude de plaisir comme une attitude d’enjoying (Robinson, 2006) ou d’évaluation ressentie (Helm, 2002). Enfin, Feldman (1997, 2004) propose l’attitude propositionnelle sui generis « prendre plaisir dans » (take pleasure in). Tous les plaisirs pourraient être décrits de la manière suivante : un sujet prend plaisir intrinsèquement dans le fait que X, où X est une proposition, et « intrinsèquement » signifie que le plaisir pris dans le fait que X ne dépend pas du plaisir pris dans autre chose. Les plaisirs sensoriels sont considérés comme un cas particulier de ces plaisirs attitudinaux, où le sujet prend plaisir dans le fait qu’il est en train d’avoir une certaine expérience. La théorie de Feldman est confrontée à une série de problèmes (Mason, 2007), un des plus graves étant qu’elle envisage le plaisir d’une manière excessivement intellectualisée.

De manière générale, l’application éventuelle des objections vues précédemment contre l’approche désidérative à ces conceptions du plaisir comme pro-attitude reste ouverte (Aydede, 2014). Mais il faut noter que toutes les conceptions attitudinales du plaisir semblent avoir des difficultés dans leur traitement de la phénoménologie du plaisir. En effet, elles semblent attrayantes parce qu’elles peuvent répondre au problème de l’hétérogénéité du plaisir en proposant que le seul point commun entre tous les plaisirs, c’est que ce sont des expériences qui sont l’objet, ou qui appartiennent au contenu, d’une certaine attitude de la part du sujet. En raison de l’absence supposée de phénoménalité des pro-attitudes en question, ces conceptions tiennent généralement pour acquis qu’il n’y a pas de phénoménologie propre au plaisir, ce qui est très contre-intuitif. L’hypothèse de l’absence de phénoménalité des pro-attitudes a néanmoins été rejetée par Mason (2007) et Lin (2018), ce qui leur permet d’arguer qu’on peut à la fois avoir une approche attitudinale du plaisir et accepter que le plaisir a une phénoménologie. Cette position semble donc combiner le meilleur des positions attitudinales et phénoménologiques, mais ce n’est toujours pas sûr qu’elle soit satisfaisante dans sa réponse au problème de l’hétérogénéité du plaisir. En effet, si la phénoménologie propre au plaisir correspond finalement à celle d’une attitude, pourquoi semble-t-il si difficile d’identifier par introspection cette phénoménologie caractéristique de l’attitude de plaisir ?

De manière alternative, pour dépasser l’opposition entre attitude et sensation, Aydede (2014, 2018) propose une conception adverbialiste du plaisir sensoriel, qui repose sur une approche fonctionnaliste du plaisir (cf. Section 2.a). Selon lui, le plaisir serait une modification sensorielle adverbiale, c’est-à-dire que le plaisir viendrait se surajouter à des données sensorielles non-affectives. Ainsi le plaisir ferait bien partie de notre expérience phénoménale, et le fait qu’il modifie nécessairement des données sensorielles rendrait compte de nos intuitions selon lesquelles le plaisir a un objet.

2 Le plaisir dans la nature

a. Les approches réductionnistes du plaisir

Le naturalisme, la perspective selon laquelle l’investigation philosophique doit s’inspirer des méthodes ou des résultats de la science, est une tendance majeure en philosophie contemporaine. Cela se traduit en particulier par la volonté de concevoir les entités étudiées par la philosophie –ici le plaisir– comme des entités naturelles, caractérisables d’une manière qui les inscrit dans une seule réalité empirique, à laquelle appartiendraient des entités aussi diverses que les électrons, les étoiles, les pommiers, les classes sociales, les autoroutes, la monnaie ou les rhumatismes. Le naturalisme est souvent associé au physicalisme, l’idée selon laquelle toute entité doit être ultimement réductible à des entités physiques. Le plaisir, en tant qu’état mental (en mettant de côté la conception de Ryle, cf. Section 1.b), hérite des mêmes difficultés vis-à-vis du naturalisme et du physicalisme que tous les autres états mentaux, notamment leur intentionnalité (le fait qu’ils sont à propos de quelque chose d’autre) et leur caractère phénoménal présumés. Mais s’ajoutent à celles-ci d’autres difficultés plus spécifiques au plaisir : ses aspects motivationnel et normatif.

L’approche fonctionnaliste est une approche populaire en philosophie pour rendre compte des états mentaux d’une manière compatible avec le physicalisme. Selon le fonctionnalisme, les états mentaux sont réductibles à leur rôle fonctionnel, c’est-à-dire leurs relations causales avec des données sensorielles entrant, des comportements, et les autres états mentaux. Aydede, en mobilisant des résultats scientifiques récents, développe une conception fonctionnaliste des plaisirs sensoriels (qui sous-tend sa conception adverbialiste vue dans la Section 1.d), mettant en avant l’influence qu’a le plaisir sur des processus aussi variés que l’apprentissage par renforcement, la prise de décision ou la préparation motrice. Dans l’ensemble, le plaisir sensoriel peut alors être caractérisé comme :

une modification complexe (filtrante, améliorante, biaisante, amplifiante, etc.) de l’information sensorielle entrante qui influencera causalement […] les priorités motivationnelles, cognitives, et comportementales du sujet, d’une manière telle qu’une partie de celles-ci est mise à disposition des attitudes conatives et des pensées conscientes du sujet. (Aydede 2014)

Cette caractérisation semble bien rendre compte de l’aspect motivationnel du plaisir, mais comme toute approche fonctionnaliste, elle ne semble pas adéquate pour rendre compte de ce que cela fait au sujet d’éprouver du plaisir, c’est-à-dire son caractère phénoménal.

Plus récemment, de nombreux philosophes ont développé un programme de recherche visant à rendre compte de la fonction des états mentaux dans une perspective représentationnaliste, selon laquelle les caractéristiques des états mentaux seraient réductibles à ce qu’ils représentent. Ainsi, quand j’ai le regard tourné vers le soleil, la zone très lumineuse dont je fais l’expérience dans mon champ visuel représente une propriété d’un objet extérieur, le soleil. Alors que le représentationnalisme semble plutôt adéquat pour expliquer l’intentionnalité de nos états mentaux, cette perspective est parfois mobilisée pour rendre aussi compte de leur caractère phénoménal.

La stratégie représentationnaliste semble cependant se heurter à des difficultés quand elle s’intéresse à des états mentaux dont l’aspect affectif semble primordial, et le contenu intentionnel moins évident que dans le cas d’états perceptuels (Armstrong, 1962). C’est le cas notamment des émotions, de la douleur et du plaisir (voir Corns, 2018, pour un résumé des conceptions représentationnalistes récentes de la douleur). Pour rendre compte de l’aspect affectif du plaisir, les représentationnalistes peuvent argumenter qu’il représente certains bénéfices pour l’organisme. Tye (1995) argumente que les expériences de douleur et de plaisir représentent de manière non-conceptuelle un ensemble de changements corporels, et causent certaines évaluations positives ou négatives, ainsi que certains désirs. Plus précisément, Schroeder (2001, 2004) propose l’idée que les expériences de plaisir représentent des changements positifs dans la balance de la satisfaction et de la frustration des désirs intrinsèques, si bien que « les désirs sont l’objet représentationnel du plaisir et du déplaisir » (2004, p. 31).

La position évaluativiste, quant à elle, considère que le plaisir et la douleur représentent le fait que l’expérience est respectivement bonne et mauvaise. Ainsi plusieurs philosophes, tels que Tye (2005) et Bain (2013), ont plus récemment présenté une conception évaluativiste de la douleur, selon laquelle une expérience de douleur représenterait un dommage corporel comme étant mauvais. Cette proposition présente des difficultés, car elle semble contredire certaines manières ordinaires de parler du plaisir et de la douleur. On peut en effet concevoir des plaisirs qu’on juge mauvais, de même qu’on peut envisager des douleurs qu’on juge bonnes. Si l’évaluativisme à propos du plaisir est vrai, ces jugements entreraient en contradiction avec l’expérience elle-même (Aydede et Fulkerson, 2014) !

Par ailleurs, certaines versions de l’évaluativisme semblent abandonner une idée clé du représentationnalisme, celle de la transparence de nos expériences, qui est l’idée selon laquelle quand j’introspecte mes expériences, ou que je les mobilise dans ma prise de décision, je n’aurais accès qu’aux propriétés représentées, celles à propos desquelles mes expériences m’informent. Dans le cas sensoriel, il s’agirait des propriétés de mon environnement. Comment expliquer alors que des expériences affectives puissent être recherchées pour elles-mêmes, indépendamment de ce qu’elles représentent ? L’exemple des médicaments anti-douleur est parlant : si les expériences douloureuses ne font que m’informer sur mon état corporel, pourquoi suis-je motivé à supprimer la représentation de cet état corporel en prenant des médicaments anti-douleur, plutôt qu’à supprimer l’état corporel lui-même ? Pourquoi donc est-ce que je serais tenté de « tirer sur le messager » (Jacobson, 2013) ?

Plus généralement, quand j’introspecte mes expériences affectives, je suis souvent amené à attribuer directement des propriétés aux expériences elles-mêmes, et non à ce qu’elles représentent. Ces expériences ne sont donc pas vraiment transparentes (Aydede, 2009, Aydede et Fulkerson, 2014).

Pour pallier les difficultés de cette approche évaluativiste, une nouvelle approche intentionnaliste, l’impérativisme, a été proposée, initialement pour rendre compte de la douleur (Hall, 2008, Klein, 2007). L’évaluativisme vu précédemment, ainsi que les autres théories représentationnalistes, postulent tous que le contenu représentatif est un contenu affirmatif, indicatif, qui cherche à décrire ce qui est représenté. Selon l’impérativisme, en revanche, le contenu du plaisir pourrait être impératif. Plutôt que de constater quelque chose, il donnerait un ordre au sujet, il lui commanderait de faire quelque chose. Ainsi une douleur à la cheville pourrait avoir comme contenu impératif d’arrêter de s’appuyer sur cette cheville. De même, le plaisir associé à la dégustation d’un gâteau pourrait correspondre au contenu impératif de continuer à manger le gâteau.

b. Le plaisir dans le cerveau

La section précédente essayait d’esquisser comment une perspective naturaliste physicaliste pouvait en principe rendre compte du plaisir. Or, les développements récents en neuroscience permettent d’apporter un éclairage nouveau sur ces problématiques philosophiques, grâce à l’observation et à la manipulation rendues possibles des états cérébraux. Les résultats issus de ces travaux permettent d’identifier les zones cérébrales dont l’activité est corrélée avec les expériences de plaisir, et dont certaines pourraient en constituer les substrats neuronaux. Elles permettent aussi d’éclaircir le rôle du plaisir vis-à-vis de la motivation, de l’action, et des fonctions cognitives.

Le plaisir apparaissait déjà implicitement dans les recherches sur les mécanismes d’apprentissage basés sur la récompense, qui sont un objet traditionnel d’investigation en psychologie expérimentale depuis le béhaviorisme. L’apprentissage conditionnel, classique et opérant, se basent en effet sur l’hypothèse que le sujet recherche certains stimuli, pouvant s’interpréter comme des récompenses, de manière inconditionnelle. Il est souvent entendu que ces récompenses sont recherchées en vertu du plaisir qu’elles procurent au sujet, et qu’elles participent d’un système fonctionnel plus large, appelé système de la récompense.

Avant l’essor décisif dans les années 1990 des neurosciences affectives, dont un des principaux objets d’étude est le plaisir, les travaux de Olds dans les années 1950 avaient déjà permis de découvrir des structures cérébrales importantes liées à la régulation du désir et du plaisir (Olds et Milner, 1954) : la stimulation de certaines zones cérébrales de rats par des électrodes insérés par les chercheurs s’avérait en effet provoquer des comportements hédonistes exacerbés de la part des rats. Après avoir placé un levier activant directement l’électrode dans la cage des rats, ces derniers pouvaient appuyer de manière compulsive sur le levier afin de s’auto-stimuler. C’est le circuit neuronal de la récompense qui était visiblement touché.

À la lumière de travaux plus récents, le constat initial selon lequel ces électrodes produisaient directement des expériences de plaisir chez le rat a été contesté (Berridge et Valenstein, 1991, Berridge et Kringelbach, 2015). Plutôt que des expériences de plaisir, il s’agirait plutôt d’attitudes de désir ou de pulsion, décrites comme des attitudes de « wanting » selon la terminologie en vigueur. Entendue dans ce sens, l’attitude de « wanting » est un résultat de la saillance incitative (incentive salience) attribuée par le sujet à un certain stimulus, qui focalise l’attention du sujet sur le stimulus et augmente sa motivation à le rechercher, ou à rechercher un autre stimulus-récompense dont il est un signe. En ce qui concerne ses substrats neuronaux, l’attitude de « wanting » semble être associée à l’activation du système dopaminergique mésolimbique. Quand cette attitude est consciente, elle se caractériserait par un sentiment de désir intense envers un objet (Berridge, 2009).

À l’opposé, l’expérience subjective de plaisir est associée à une autre attitude, celle de « liking », qui caractérise la réception d’un stimulus-récompense par le sujet. On peut mesurer objectivement cette attitude en observant les expressions faciales du sujet du plaisir, par exemple. Les deux attitudes de « wanting » et de « liking » sont souvent associées, mais il est intéressant de noter qu’il y aurait des cas de découplage durable, comme dans le cas de l’addiction. En effet, la prise de drogue peut entraîner une sensitisation des systèmes dopaminergiques dans le cerveau, qui entraîne une exacerbation des attitudes de « wanting » envers la drogue consommée, de sorte que des stimuli associés à la drogue vont causer un plus grand désir d’en consommer (Berridge, 2009). Mais parallèlement, l’augmentation de la tolérance envers cette drogue rend l’expérience de prise de drogue moins plaisante, c’est-à-dire diminue l’intensité de l’attitude de « liking » du sujet.

La recherche des structures cérébrales sur lesquelles surviennent les expériences de plaisir, c’est-à-dire les attitudes de « liking » conscientes, a mené à l’identification de plusieurs zones dans le cerveau dont l’activation est fortement corrélée avec les expériences de plaisir. Il est cependant ardu d’identifier les zones qui ne sont pas seulement corrélées, mais qui jouent aussi un rôle dans la production des expériences de plaisir. C’est le cas des zones dont le bon fonctionnement conditionne la possibilité d’expériences de plaisir, ainsi que des zones dont la stimulation artificielle directe génère une expérience de plaisir, celles qu’on a appelées les points chauds hédoniques (hedonic hotspots). Dans les deux cas, les recherches récentes semblent indiquer une participation importante de zones subcorticales comme les noyaux accumben et le pallidum ventral. À l’inverse, le cortex préfrontal, impliqué dans de nombreuses fonctions exécutives liées à la prise de décision, à la mémoire ou aux émotions, aurait un rôle plus secondaire, bien que son activation soit aussi corrélée aux expériences de plaisir. Les sujets qui ont un cortex préfrontal endommagé ou absent semblent en effet pouvoir éprouver du plaisir normalement (Berridge et Kringelbach, 2015).

c. Le rôle du plaisir

La question du rôle du plaisir renvoie à la place qu’aurait le plaisir dans le fonctionnement de notre vie psychique : à quoi le plaisir sert-il ? Le bon fonctionnement de notre esprit a souvent été compris dans une perspective téléologique et essentialiste, mais il peut maintenant, sous certaines réserves, être réinterprété dans une perspective évolutionniste. La question du rôle du plaisir serait alors reformulée comme suit : quelle est la fonction adaptative du plaisir ?

Platon, le premier auteur dans la tradition philosophique occidentale à consacrer une discussion approfondie à la question du plaisir et de sa définition, envisageait le plaisir comme un processus de restauration de l’équilibre naturel du sujet. Son traitement le plus extensif se trouve dans le Philèbe, mais le thème du plaisir revient dans de nombreux dialogues, notamment le Gorgias, le Timée et la République. Comme pour la plupart des auteurs antiques, l’intérêt principal guidant sa discussion du plaisir est éminemment éthique : il s’agit pour Socrate, Philèbe et son disciple Protarque de déterminer la valeur respective du plaisir et de la réflexion dans la bonne vie. Après avoir conclu que la bonne vie est nécessairement un mélange de plaisir et de réflexion, Socrate s’engage dans une analyse de différents types de plaisir, pour déterminer lesquels de ces plaisirs sont dignes d’être recherchés. La taxonomie déployée par Platon est complexe (Wolfsdorf, 2013, compte ainsi dix types de plaisir différents dans le Philèbe), mais l’idée générale est que le plaisir est une conséquence d’un processus de restauration de l’harmonie naturelle, alors que la douleur est la conséquence d’un processus de dissolution de l’harmonie. Par exemple, la soif est un manque que vient assouvir le fait de boire. La soif est donc associée à une douleur, et boire est associé à un plaisir : l’individu retrouve une harmonie stable et naturelle (32a).

La théorie aristotélicienne du plaisir se développe largement sur la base de la vision platonicienne avant de s’en écarter progressivement. Selon Aristote, le plaisir ne constitue pas une restauration d’une harmonie naturelle, car celle-ci serait un processus, un mouvement, qui pourrait donc être décomposé en parties. Or, selon Aristote, le plaisir est, à tout moment, un tout parfait : ce n’est donc pas un processus qui va dans une certaine direction. Plutôt que de restaurer, le plaisir ne fait qu’accompagner le bon fonctionnement des processus naturels de l’organisme (Éthique à Nicomaque, X, 3).

Cette idée a été modernisée en envisageant le rôle du plaisir dans les processus homéostatiques de l’organisme, c’est-à-dire les processus qui visent à maintenir certains paramètres clés de l’organisme (température corporelle, glycémie, etc.) dans un intervalle de valeurs spécifiques. Dans une perspective évolutionniste, puisque la capacité à éprouver du plaisir est coûteuse pour l’organisme (elle consomme des ressources que l’organisme pourrait affecter à d’autres fonctions), le rôle du plaisir découle de l’amélioration de la probabilité de survie et de reproduction des individus qu’il permet (LeDoux, 2012). De manière générale, selon Damasio et Carvalho (2013),

Les sentiments semblent avoir émergé, triomphé, et mobilisé cette machinerie neuronale complexe parce que la représentation directe de la nature avantageuse ou désavantageuse d’une situation physiologique en tant qu’ « expérience ressentie » facilite l’apprentissage des conditions responsables des déséquilibres homéostatiques et de leurs corrections respectives, ainsi que de l’anticipation de conditions futures adverses ou favorables. (p. 143)

Plus particulièrement, le plaisir, en tant qu’état mental conscient, joue un rôle important dans la direction des actions de l’organisme. Selon la théorie de l’interface hédonique (Dickinson et Balleine, 2009), le plaisir se situe à l’interface de deux systèmes de prise de décision, le système cognitif intentionnel, qui gouverne les croyances et les désirs du sujet (intentional psychology), et un système plus primitif de réponse au stimulus (stimulus-response psychology), au centre duquel prennent place des actions automatiques, des habitudes, ou des associations conditionnées. Alors que le second est directement orienté vers la survie de l’organisme, ce n’est pas le cas du premier, qui obéit seulement à des contraintes de rationalité. Pour pallier ce problème, le plaisir et la douleur servent à déterminer, et à ajuster si besoin, la valeur associée aux buts fixés par la psychologie intentionnelle du sujet.

Poussé à l’extrême, postuler que la fonction du plaisir est de coder les valeurs associées à chacune des actions alternatives que pourrait entreprendre le sujet mène à l’hypothèse du plaisir comme devise commune (common currency), selon laquelle ce sont les expériences plaisantes et déplaisantes attendues qui déterminent directement quelle action le sujet va entreprendre (Cabanac, 1992). Cette position peut être associée à l’hédonisme psychologique, que nous verrons plus en détail dans la section suivante.

3 L’hédonisme

a. Le plaisir et l’action : l’hédonisme psychologique

Le plaisir, comme nous l’avons vu, motive ; il contribue à orienter l’action humaine. Mais il donne aussi des raisons d’agir. Il joue donc un rôle dans la rationalité pratique, c’est-à-dire la délibération et la mise en balance de nos raisons d’agir en vue de déterminer que faire.

Selon les tenants de l’hédonisme psychologique, le plaisir aurait une place privilégiée dans notre rationalité pratique, puisque toutes les motivations se réduiraient, d’une manière qu’il resterait à préciser, à la recherche du plaisir et à l’évitement de la souffrance (parmi les principaux hédonistes psychologiques : Épicure, Locke (2002) [1689], Hume (2009) [1738], Bentham, 2011 [1789], Mill, 2010 [1861], Freud, 2009 [1911]). Bentham propose une caractérisation frappante de l’hédonisme psychologique :

La nature a placé l’humanité sous le gouvernement de deux maîtres souverains, la douleur et le plaisir. C’est à eux seuls d’indiquer ce que nous devons faire aussi bien que de déterminer ce que nous ferons. À leur trône, sont fixés, d’une part, la norme du bien et du mal, de l’autre, l’enchaînement des causes et des effets. Ils nous gouvernent dans tout ce que nous faisons, dans tout ce que nous disons, dans tout ce que nous pensons : tout effort que nous pouvons faire pour secouer le joug ne servira jamais qu’à le démontrer et à le confirmer. (Bentham, 2011 [1789], C hapitre 1)

Mais cette position se heurte à notre intuition forte que d’autres raisons, qui semblent totalement distinctes du plaisir et de la souffrance, jouent un rôle dans nos délibérations : des considérations altruistes, morales, relatives à notre statut social, etc. La position hédoniste peut être révisée en précisant que toutes nos motivations ne sont pas nécessairement hédonistes à première vue, mais elles sont ultimement réductibles à des motivations hédonistes. Ces dernières seraient en quelque sorte des motivations plus basiques que les autres.

Une autre manière d’accommoder nos intuitions anti-hédonistes est de postuler que nos motivations hédonistes émergent de mécanismes partiellement inconscients. Ainsi Freud, dans L’interprétation des rêves (2012 [1900]), fait du principe de plaisir (Lustprinzip), ou principe de plaisir-déplaisir, un des grands principes de régulation du fonctionnement psychique, tout particulièrement actif dans la partie inconsciente de notre vie psychique. Le principe de plaisir-déplaisir est confronté à des contraintes extérieures qui l’entravent, générant des déceptions. Le principe de réalité (introduit en 1911) est le principe de régulation psychique qui régulerait ces contraintes, toujours au service de la recherche du plaisir.

Dans la mesure où l’hédonisme psychologique peut être comprise comme une thèse empirique, les avancées scientifiques récentes peuvent être mobilisées pour enrichir le débat. Par exemple, le développement de la recherche sur les biais cognitifs, initiée par les travaux de Kahneman et Tversky (1979), a mené à la découverte de biais systématiques dans l’évaluation par les sujets d’expériences plaisantes ou déplaisantes passées ou futures (résumés par Kahneman, 1999). Par exemple, l’évaluation rétrospective d’un épisode déplaisant attribue un poids disproportionné au niveau de souffrance maximal atteint pendant l’épisode déplaisant et au niveau de souffrance atteint à la fin de l’épisode. Cela laisse à penser que les sujets ne prennent pas des décisions uniquement sur la base de la quantité totale de plaisir moins la souffrance qu’elle implique pour eux. Doit-on en conclure que les individus sont irrationnels, ou bien que d’autres considérations que la quantité totale de plaisir moins la souffrance entrent légitimement en compte dans les délibérations individuelles ? Kahneman opte pour l’hypothèse de l’irrationalité : en ne considérant pas la quantité totale de plaisir moins la souffrance, les sujets commettraient une erreur (Kahneman, 1999).

Par ailleurs, l’idée selon laquelle le plaisir régulerait, ou devrait réguler, les décisions des individus peut faire l’objet d’une mise en perspective historique, révélant que les modalités par lesquelles les individus poursuivent le plaisir évoluent en fonction du contexte social et culturel (Foucault, 1984).

La question de l’hédonisme psychologique qui vient d’être abordée doit être distinguée des questions liées à la valeur prudentielle et morale du plaisir, que nous développons maintenant.

b. Tous les plaisirs sont-ils bons pour le sujet ?

Dire que le plaisir, en général, est bon, semble trivial. Il est d’abord bon pour le sujet qui en fait l’expérience. Dans ce cas on peut dire que le plaisir a une valeur prudentielle : il contribue à rendre la vie de ce sujet bonne. Ainsi, dans des circonstances normales et toutes choses égales par ailleurs, le fait qu’une action cause du plaisir au sujet semble constituer une bonne raison de poursuivre cette action.

Mais en vertu de quoi est-ce que certaines expériences de plaisir, si ce n’est toutes, possèdent cette valeur prudentielle ? Une première réponse serait que le plaisir est intrinsèquement bon, il tire sa valeur prudentielle uniquement de ce qu’il est en soi. Cette affirmation est assez intuitive (pour Aydede, 2018, elle fait même partie de notre compréhension ordinaire du plaisir sensoriel), et d’autant plus convaincante si on définit d’emblée le plaisir en termes normatifs. Ainsi certains auteurs, dans le pôle internaliste (cf. Section 1.c), pensent qu’une expérience est plaisante parce qu’elle fait du bien (feels good) (Crisp, 2006 ; Smuts, 2011 ; Labukt, 2012), d’une manière qui n’est pas réductible à un désir ou à une autre entité mentale. Il s’agit plutôt d’une qualité phénoménale irréductible, une « primitive expérientielle ». Labukt, qui postule l’existence d’une multitude de tons hédoniques, les définit comme des « qualités phénoménales qui sont intrinsèquement bonnes en raison de leur ressenti » (Labukt, 2012).

La thèse du plaisir comme bien intrinsèque semble inaccessible aux tenants d’une approche attitudinale du plaisir, puisque pour eux le plaisir est défini de manière extrinsèque. Il ne peut donc être intrinsèquement bon. Le caractère bon du plaisir peut cependant être affirmé en soutenant que les objets de certaines attitudes acquièrent de la valeur simplement par le fait d’être objets de ces attitudes. Par exemple, l’attitude de désir conférerait automatiquement de la valeur à l’objet du désir, et le plaisir, en tant qu’objet de désir, serait donc bon (c’est par exemple la vision de Korsgaard, 1996).

Le débat autour de la question du plaisir comme bien intrinsèque est intimement lié à des questions plus générales sur nos raisons d’agir. Grossièrement, deux positions s’opposent sur la nature de nos raisons d’agir. Selon la conception humienne, une raison d’agir recouvre toujours au moins un désir. Par exemple, une bonne raison d’aller à la boulangerie est que je veux acheter du pain (désir), et je pense qu’il y a du pain à la boulangerie (croyance). Selon la conception opposée, certaines croyances, par exemple celles portant sur les faits moraux, peuvent directement motiver (Scanlon, 1999). Ainsi, la simple croyance qu’il est mal de tuer nous donnerait une raison de ne pas le faire.

Or, si le plaisir fournit des raisons qui motivent directement le sujet, comme ce serait le cas si le plaisir était un bien intrinsèque, alors la conception humienne de la motivation morale serait mise à mal : toute raison d’agir ne serait pas réductible à un désir, puisque la simple expérience de plaisir nous donnerait une raison d’agir (Parfit, 2011). Une manière de résister à cet assaut contre la conception humienne tout en acceptant que le plaisir est bien associé à des raisons d’agir est donc de défendre l’idée, en amont, que le plaisir est en fait réductible à un désir. Dans ce cas, le plaisir ne constituerait aucunement une anomalie à la conception humienne (Sobel, 2005).

Quand bien même tous les plaisirs seraient bons pour le sujet, il se pourrait que certains soient meilleurs que d’autres. Bien sûr, un plaisir qui dure longtemps semble certainement meilleur qu’un plaisir court. Par ailleurs, certains plaisirs sont associés empiriquement à des souffrances : en les précédant (le plaisir de la prise de drogue présage la souffrance de la dépendance), en leur succédant (un bon repas succédant à une faim tenace), ou en leur étant contemporains (le cas des plaisirs mélangés à de la souffrance, dévalorisés par Platon). Par ailleurs, certains plaisirs peuvent résulter de souffrances infligées à autrui. Voler quelque chose à quelqu’un peut procurer du plaisir au voleur aux dépens de la personne volée.

Dans les cas précédents, certains plaisirs se révèlent mauvais parce que les souffrances qui leur sont associées compensent le bien qu’ils font. Mais existe-il des plaisirs qui seraient moins bons, ou même mauvais en eux-mêmes, indépendamment des autres plaisirs et souffrances qui leur sont contingentement associées ? Il est courant de défendre l’idée que les plaisirs intellectuels sont meilleurs que les plaisirs sensoriels, et ce indépendamment de leur intensité. Par exemple, Mill affirme qu’« il serait absurde d’admettre que dans l’estimation des plaisirs on ne doit tenir compte que de la quantité », ce qui le mène à penser que « certaines espèces de plaisir sont plus désirables et plus précieuses que d’autres » (2010 [1861]). Quiconque a fait l’expérience des deux types de plaisir serait amené à reconnaître ces différences qualitatives entre plaisirs, et les conséquences qui en découlent. En particulier, selon Mill, les différences qualitatives peuvent rendre certains plaisirs infiniment supérieurs à d’autres, de telle manière qu’une quantité arbitraire de plaisir supérieur est toujours meilleure que n’importe quelle quantité de plaisir inférieur. Cela impliquerait par exemple que quelques secondes de plaisir esthétique vaudrait plus que n’importe quelle quantité de plaisir sexuel, ce qui semble contre-intuitif. Les idées de Mill ont suscité une littérature importante, à la fois interprétative et critique.

Qu’en est-il de plaisirs qui ne seraient pas moins bons, mais résolument mauvais ? Peut-être les plaisirs qui ont pour objet direct la souffrance d’autrui, comme ceux décrits par Sade, seraient véritablement mauvais. On retrouve cette idée chez beaucoup d’auteurs (parmi lesquels Platon, Aristote, Éthique à Nicomaque, X, 2, Broad, 1930, p. 234). Plus récemment, Feldman modernise cette préoccupation en nous invitant à considérer la vie d’un terroriste qui a pris beaucoup de plaisir dans la souffrance des enfants qu’il a tués (2004, p. 39). La qualité de la vie du terroriste a-t-elle été accrue par ces plaisirs ?

Un autre cas de plaisirs qui semblent avoir une valeur nulle voire négative concerne les plaisirs qui dépendent de croyances fausses de la part du sujet. Est-ce que ma joie à l’idée que la guerre est finie a de la valeur, s’il s’avère que je me trompe, et que la guerre n’est en fait pas finie ? Platon qualifierait ces plaisirs de faux (Philèbe), comme si les plaisirs eux-mêmes, et non les croyances sur lesquels ils reposent, pouvaient être véridiques, mais il s’agit bien sûr d’une idée contestable.

Enfin, on peut être tenté de restreindre la valeur prudentielle du plaisir par des considérations de mérite (Ross, 2002 [1930] ; Feldman, 2004). Un plaisir non-mérité perdrait alors de sa valeur, et ne contribuerait pas à rendre la vie du sujet bonne. Poussé à l’extrême, pour Kant seul le plaisir découlant du respect de la loi morale peut être véritablement considéré comme bon (Critique de la faculté de juger (2000) [1790]).

Toutes ces considérations peuvent aboutir à diverses recommandations sur comment mener sa vie. Les auteurs antiques, en particulier, mettent en avant des recommandations pratiques sur la base de leurs conceptions du plaisir et de leur théorie éthique sous-jacentes. Ainsi Platon valorise les plaisirs qui restaurent sans qu’il y ait un manque préalable de l’organisme. Ce sont les plaisirs purs visuels, auditifs, olfactifs, et les plaisirs purs de la connaissance (Philèbe, 50e-53c). Selon Platon, seuls ces plaisirs vrais sont bons et contribuent à la bonne vie, tandis que les autres sont des plaisirs associés à un processus de genèse et d’inévitable corruption, ce serait donc une « absurdité » de les poursuivre (55a). Selon Épicure, entre les plaisirs de mouvement, cinétiques, et ceux de repos, catastématiques (cf. Section 1.a), la personne sage doit rechercher les seconds, puisque les premiers surviennent à la suite de désirs qui peuvent être source de troubles. Il faut donc se contenter, de manière minimale, de satisfaire nos désirs qui sont à la fois naturels (ils répondent à un besoin naturel) et nécessaires (leur frustration ne serait pas source de troubles), pour pouvoir ensuite profiter des plaisirs catastématiques.

c. Le plaisir est-il la seule chose bonne pour le sujet ?

Si le plaisir contribue à la vie bonne, peut-on aller jusqu’à dire qu’il est la seule chose qui contribue à la vie bonne, c’est-à-dire la seule chose bonne pour les sujets ? Une réponse positive à cette question amènerait à la position hédoniste à propos du bien-être: seuls le plaisir et la souffrance auraient de la valeur prudentielle. Si par ailleurs, toute valeur est prudentielle (il s’agit d’une hypothèse welfariste), alors toutes les considérations morales se fondent ultimement sur des considérations relatives au plaisir et à la souffrance, et on peut qualifier cette position d’hédonisme normatif ou moral. Il s’agit d’une position défendue historiquement par Épicure, Aristippe, Locke (2002 [1689]), Hume (2009 [1738]), parmi bien d’autres, et qui sous-tend tout le courant de l’utilitarisme classique (Bentham, 2011 [1789] ; Mill, 2010 [1861] ; Sidgwick, 1981 [1907]), mais qui semble contre-intuitive à plusieurs égards.

Il est courant de penser que le plaisir n’est qu’une composante du bien-être parmi d’autres, et bien souvent une composante de rang inférieur. L’argument selon lequel le plaisir ne serait pas un bien à la hauteur de l’être humain, mais de l’animal, remonte déjà à Platon, qui réfute l’hédonisme dans plusieurs dialogues. Ainsi, dans le Gorgias, Socrate montre que, selon la logique hédoniste, la personne qui passerait son temps à se gratter pour soulager des démangeaisons intenses aurait en fait une vie exceptionnellement bonne. Dans le Philèbe, la vie réussie selon l’hédonisme, c’est-à-dire celle contenant beaucoup de plaisir et peu de souffrance, est comparée à celle d’un mollusque :

De plus, étant dépourvu de mémoire, il te serait sans doute même impossible de te souvenir que tu as joui, pas plus que le plaisir qui se produit à l’instant ne pourrait te laisser de souvenir. Ne possédant pas d’opinion vraie, tu croirais ne pas jouir au moment même où tu jouis et, incapable de raisonner, tu serais incapable de ne prévoir aucune jouissance à venir. Ce n’est pas une vie d’homme que tu vivrais, mais celle d’un mollusque ou d’un animal marin vivant dans une coquille. (2002, 21c)

La vie hédoniste ne semble nécessiter aucune capacité intellectuelle de la part du sujet, ce qui paraît absurde à Socrate dans ce dialogue, car ce sont ces capacités intellectuelles qui rendent une vie humaine bonne. La vie uniquement faite de plaisirs n’est donc pas adaptée à la nature humaine. Plus récemment, Moore reprochait aussi à l’hédonisme normatif de prescrire une vie de « bestialité » (1998 [1903]).

Une manière de contrer ces critiques serait de montrer que la maximisation des plaisirs dans notre vie ne requiert pas nécessairement de rejeter les plaisirs intellectuels. C’est pourquoi la hiérarchie stricte entre plaisirs supérieurs intellectuels et plaisirs inférieurs, envisagée par Mill, permet de résister à ces critiques. De même, Feldman utilise sa conception plus intellectuelle du plaisir (voir Section 1.d) pour revaloriser les plaisirs intellectuels et nier qu’une vie de plaisirs se réduirait à une vie bestiale.

Une autre façon d’interpréter le problème de la superficialité des plaisirs sensoriels s’éloigne fortement de l’esprit de l’hédonisme. Selon Haybron (2008), c’est parce qu’ils ont une influence trop limitée et périphérique sur la vie psychique du sujet que beaucoup de plaisirs sensoriels ne contribuent pas au bonheur du sujet, et in fine à son bien-être. Au contraire, les plaisirs qui comptent sont ceux qui touchent directement le « soi » du sujet en profondeur et qui reflètent des dispositions durables à s’engager de manière positive dans le monde qui l’entoure. C’est donc via les émotions et les humeurs positives, états mentaux plus stables et centraux dans la vie psychique du sujet, que les plaisirs contribuent au bien-être.

De manière plus générale, beaucoup de nos jugements réfléchis semblent montrer que d’autres choses sont désirables que le plaisir. Par exemple, l’expérience de pensée classique de la machine à expériences, développée par Nozick (2016 [1974]), peut être mobilisée pour attaquer l’hédonisme. Nozick nous invite à considérer la perspective de poursuivre une vie de plaisirs mais qui serait totalement illusoire, car vécue au sein d’un environnement virtuel. La position hédoniste nous recommanderait de juger positivement une telle vie, et pourtant le caractère virtuel de cette vie semble lui enlever toute valeur.

Enfin, une autre manière d’attaquer les fondations de l’hédonisme est d’envisager une vie dénuée de tout plaisir, mais qui semblerait tout de même bonne pour la personne qui la vit (par exemple, Feldman, 2004, 3.5). Une vie riche en accomplissements et jugée très satisfaisante par le sujet qui la vit, mais qui ne contient littéralement aucun plaisir, est-elle vraiment une vie sans valeur ?

La question de la contribution du plaisir à la bonne vie peut aussi être abordée depuis une perspective scientifique ; il s’agit d’un des principaux thèmes de recherche de la psychologie positive, à travers la notion d’émotion positive, qui inclut la plupart des affects que l’on qualifierait de plaisants, comme la joie, l’excitation ou la fierté (Lecomte, 2009). Pour ne prendre qu’un exemple, le modèle PERMA (Positive Emotion, Engagement, Relationships, Meaning, Accomplishments) développé par Seligman (2013 [2011]) comprend cinq composantes du bien-être, dont une correspond aux émotions positives. Alors que les philosophes apportent souvent une perspective normative sur cette question, les psychologues s’intéressent directement aux représentations des individus vis-à-vis de leur épanouissement. Ils peuvent ensuite se demander à quel point les expériences d’émotions positives dans la vie quotidienne permettent d’expliquer la satisfaction générale que les sujets éprouvent vis-à-vis de leur vie.

Accepter que le plaisir est la seule chose bonne pour les individus est une thèse qui concerne la nature du bien-être, et n’implique pas que le plaisir soit la seule chose bonne tout court, bien que les deux positions soient souvent confondues. La justice, la biodiversité, la beauté pourraient constituer des valeurs, quand bien même elles ne sont pas bonnes pour les individus (Moore, 1998 [1903], par exemple), c’est-à-dire qu’elles ne seraient pas des valeurs prudentielles. Moore prend l’exemple de la beauté, et nous invite à comparer un monde rempli des choses les plus belles à un monde où la seule chose qui existe serait un « tas de crasse » (heap of filth). Selon lui, indépendamment de l’existence de spectateurs pour apprécier ces belles choses, il semble bien que le premier soit meilleur que le second (1998 [1903], §50). L’hédonisme moral rejette cette idée : la seule chose bonne serait le plaisir, et un monde sans plaisir ni souffrance est un monde sans aucune valeur.

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Antonin Broi
Université Paris-Sorbonne
antonin.broi@gmail.com