Ethique évolutionniste (A)

Comment citer ?

Aubé Baudoin, Félix (2017), «Ethique évolutionniste (A)», dans Maxime Kristanek (dir.), l'Encyclopédie philosophique, consulté le ..., https://encyclo-philo.fr/ethique-evolutionniste-a

Publié en janvier 2017

 

Résumé 

On explore les implications de la théorie de l’évolution pour la morale depuis sa formulation par Charles Darwin et Alfred Russel Wallace au 19e siècle. L’éthique évolutionniste, au sens large, désigne les principaux usages qui sont faits des théories et des données empiriques issues de la biologie de l’évolution afin d’aborder les questions éthiques. Cela inclut le projet scientifique consistant à expliquer les origines de la morale et les projets proprement philosophiques consistant à réfléchir aux conséquences qui en découlent pour l’éthique normative et la métaéthique.


Table des matières

1. Qu’est-ce que l’éthique évolutionniste ?

2. Histoire de l’éthique évolutionniste

a. Darwin et les origines du sens moral

b. Darwinisme social et darwinisme prosocial

3. Les origines de la morale : approches contemporaines

a. La sociobiologie

b. Écologie comportementale humaine et psychologie évolutionniste

4. Éthique normative et évolution : de l’être au devoir être

a. La loi de Hume et le sophisme naturaliste de G. E. Moore

b. Les arguments évolutionnaires en faveur de théories normatives et les critiques généalogiques restreintes

5. Métaéthique et évolution

a. Les critiques généalogiques globales

i. Les pilules Napoléon

ii. Le dilemme darwinien

b. Les arguments évolutionnaires en faveur de théories métaéthiques

i. La théorie de l’erreur

ii. Le constructivisme

iii. L’expressivisme

iv. Le réalisme naturaliste

Conclusion

Bibliographie


1. Qu’est-ce que l’éthique évolutionniste ?

Le terme « éthique évolutionniste », au sens large, désigne divers usages qui sont faits des théories et des données empiriques issues de la biologie de l’évolution afin d’aborder les questions éthiques. On peut distinguer trois principaux usages, soit 1) expliquer les origines de la morale, 2) justifier ou critiquer certains principes moraux ou certaines théories éthiques normatives et 3) justifier ou critiquer certaines théories métaéthiques.

Dans le premier cas, il s’agit de rendre compte du phénomène empirique complexe qu’est la morale en utilisant les ressources de la biologie de l’évolution (et d’autres disciplines connexes). Les chercheurs peuvent s’intéresser à l’un ou l’autre des quatre grands problèmes identifiés il y a plus de cinquante ans par l’éthologiste Nikolaas Tinbergen, soit (i) la valeur adaptative, (ii) l’ontogénie, (iii) la phylogénie et (iv) le mécanisme. Ainsi, on peut se demander à propos d’un trait donné : à quoi sert-t-il ? Comment se développe-t-il durant la vie de l’organisme ? Comment a-t-il évolué au cours de l’histoire de l’espèce ? Comment fonctionne-t-il ? (Tinbergen, 1963; Bateson et Laland, 2013). Ces questions sont complémentaires. Idéalement, nous parviendrions à y répondre pour l’ensemble des comportements (entraide, partage de ressources, etc.), émotions (honte, culpabilité, etc.), capacités générales (jugement moral, intériorisation de normes, etc.), intuitions ou croyances particulières (l’inceste est mal, les tricheurs doivent être punis, etc.) que nous associons à la morale et qui sont susceptibles de recevoir une explication évolutionnaire. Les résultats de ce projet scientifique peuvent avoir des implications importantes pour l’éthique normative et la métaéthique.

En ce qui concerne l’éthique normative, il est possible, d’une part, que l’évolution soit directement une source de normes morales. Il s’agit sans doute de l’usage le plus controversé des données provenant de la biologie, à la fois pour des raisons historiques et pour des raisons proprement philosophiques. Sur le plan historique, les dérives eugénistes au cours des 19e et 20e siècles hantent encore les mémoires. Le souvenir de ces dérives passées s’accompagne sur le plan philosophique d’un débat quant à la possibilité de tirer des conclusions normatives à partir de prémisses descriptives. La « loi de Hume » et le « sophisme naturaliste » identifié par G.E. Moore sont, à cet égard, des références incontournables.

Il est possible, d’autre part, que l’évolution ait des conséquences normatives plus indirectes. Les origines évolutionnaires de certaines de nos intuitions ou croyances morales pourraient semer le doute sur leur justification, par exemple.

En ce qui concerne la métaéthique, la question qui a fait l’objet des débats les plus vigoureux est sans doute celle de savoir si les origines évolutionnaires de la morale remettent en question la possibilité qu’il y ait des vérités morales objectives. Les théories métaéthiques réalistes, qui défendent l’existence de telles vérités, ont été la cible d’arguments à cet effet. De nombreux philosophes ont également suggéré que les considérations relatives à l’évolution offraient un certain soutien à leurs théories métaéthiques de prédilection. On constate d’ailleurs que presque « toute la gamme des positions métaéthiques imaginables a été défendue » de cette façon (Clavien, 2009, p. 1269).

2. Histoire de l’éthique évolutionniste

a. Darwin et les origines du sens moral

L’idée selon laquelle l’éthique peut bénéficier de l’apport de la biologie n’est pas nouvelle. On trouve déjà chez Aristote des réflexions qui vont en ce sens (Salkever, 1990). Ce n’est toutefois qu’à partir du milieu du 19e siècle, avec la formulation de la théorie de l’évolution par la sélection naturelle par Charles Darwin et Alfred Russel Wallace, que se développa l’éthique évolutionniste proprement dite. Darwin était conscient que sa théorie avait des implications majeures pour l’espèce humaine, y compris en ce qui concerne la morale. Le caractère controversé du sujet l’incita toutefois à faire preuve de retenue au moment de la publication de L’Origine des espèces (1859). Il fallut attendre 1871, et la publication de La filiation de l’homme, avant qu’il ne rende publiques ses réflexions sur le sujet. Il se concentra surtout sur la question des origines de notre « sens moral » (Lewens, 2007).

L’un des problèmes qui lui posait le plus de difficultés consistait à expliquer les comportements altruistes observés dans la nature. Si la sélection naturelle élimine progressivement toutes les variations qui sont délétères pour un organisme, comment expliquer que certaines castes d’insectes sociaux (abeilles, fourmis, etc.) soient stériles, mais qu’elles consacrent néanmoins leurs efforts à aider leurs semblables, souvent même au péril de leur vie ? Les hommes courageux qui étaient prêts à se rendre au front afin de protéger les leurs n’auraient-ils pas péri en plus grand nombre que les autres, laissant les couards et les traîtres proliférer à leurs dépens ? La solution de Darwin au problème de l’altruisme fut d’invoquer ce que l’on appelle aujourd’hui la « sélection de groupe » : les groupes qui sont composés d’individus altruistes bénéficient d’un avantage en matière de survie et de reproduction par rapport aux groupes qui sont composés d’individus égoïstes. Les instincts sociaux, la sympathie en particulier, aurait ainsi été acquis afin de profiter à la communauté. Darwin était d’avis que toute créature dotée de tels instincts dont les facultés intellectuelles atteindraient le niveau de développement qu’elles atteignent chez les humains posséderait dès lors un sens moral (Darwin, 1871; Gayon, 1992).

b. Darwinisme social et darwinisme prosocial

Dès sa formulation, nombreux sont ceux qui se sont appuyés sur la théorie de l’évolution afin d’élaborer leurs théories éthiques et politiques ; les uns afin de supporter le « crédo du conflit », les autres celui de la coopération (Clavien, 2009, p. 1262). L’un des exemples les plus célèbres du premier type d’usage est le darwinisme social, défendu entre autres par Herbert Spencer, William Graham Sumner et Hernst Haeckel. Les darwinistes sociaux estimaient que « la loi de la survie du plus fort » à l’œuvre dans la nature, dans la mesure où elle est une source de progrès, devrait aussi guider les affaires humaines. Cela impliquait notamment que l’État s’abstienne de venir en aide aux plus démunis, puisque cela aurait favorisé la survie et la reproduction de groupes perçus comme faibles.

Un cousin de Darwin, Francis Galton, se consacra pour sa part à étudier la possibilité d’améliorer l’espèce humaine par la reproduction sélective des individus jugés supérieurs et par la limitation de la reproduction des individus jugés inférieurs. Dans Inquiries into Human Faculty and its Development (1883), il proposa le terme « eugénisme » afin de décrire ce programme de recherche. Les idées de Galton connurent un succès considérable au cours de la première moitié du 20e siècle, une période au cours de laquelle de nombreux États adoptèrent des politiques eugénistes. Des stérilisations forcées eurent lieu par milliers, notamment aux États-Unis, en Suède, en Norvège, en Suisse et au Canada. C’est toutefois en Allemagne, sous le régime nazi, que survinrent les pires excès. Pas moins de 400 000 stérilisations furent pratiquées sur des personnes atteintes de « maladies » que l’on croyait héritables (alcoolisme, schizophrénie, etc.) (Gillham, 2001).

Notons que du point de vue du rôle de l’État, le darwinisme social et l’eugénisme prescrivaient des conduites contraires. Dans le premier cas, l’État devait se contenter de laisser la compétition faire son œuvre (sélection naturelle), tandis que dans le second, l’État devait intervenir directement afin de guider la reproduction des meilleurs éléments et d’empêcher celle des mauvais (sélection artificielle). Les deux mouvements étaient toutefois en partie motivés par une même crainte, répandue à l’époque, soit celle d’une éventuelle dégénérescence de la race humaine. En effet, Darwin et plusieurs de ses contemporains étaient d’avis que « la sélection naturelle n’agissait plus dans les sociétés modernes étant donné que les plus faibles n’étaient pas éliminés » (Paul, 2003). Les traits désavantageux de ces individus, incluant des traits acquis dont on croyait à tort qu’ils étaient héritables, risquaient donc de se répandre, ce qui menaçait à plus ou moins long terme la lignée.

Les propositions des darwinistes sociaux et des eugénistes découlaient d’une conception de la théorie de l’évolution qui été remise en question, sinon abandonnée depuis. Pensons, par exemple, à l’idée selon laquelle l’évolution est un phénomène essentiellement « progressiste », à la conception lamarckienne de l’hérédité des caractères acquis ou encore aux présuppositions malthusiennes au sujet de la croissance des populations (Richards, 1987). Notons que plusieurs penseurs de l’époque s’opposaient vivement à la « conception gladiatoriale » de l’évolution mise de l’avant par les darwinistes sociaux (Dugatkin, 1997). Darwin lui-même, bien qu’il partageât dans une certaine mesure la crainte que l’espèce humaine puisse dégénérer, estimait que le remède consistant à ne pas s’occuper des plus faibles était pire que la maladie. La sympathie que nous éprouvons à l’égard des plus vulnérables était selon lui une manifestation des plus nobles aspects de la nature humaine (Lewens, 2007). Le célèbre prince anarchiste Pierre Kropotkine, qui était un naturaliste aguerri, considérait pour sa part que la meilleure arme dans la lutte pour la survie était en fait l’entraide. La leçon à tirer de l’évolution n’était pas de laisser libre cours à la compétition, mais bien plutôt de l’éviter à tout prix (Harman, 2014).

3. Les origines de la morale : approches contemporaines

a. La sociobiologie

Darwin et ses contemporains ont défendu des conceptions de l’hérédité qui n’ont plus cours aujourd’hui. Certaines avancées dans les sciences biologiques ont depuis permis de repenser à nouveaux frais le problème de l’altruisme évoqué précédemment. La solution de Darwin à ce problème, rappelons-le, faisait appel à la sélection de groupe. Or les modèles de ce type firent l’objet de critiques assez virulentes au cours des années 1960 (Williams, 1966) et ils furent abandonnés au profit de modèles centrés sur les gènes. Avant de présenter plus en détail ces travaux, il convient d’introduire une distinction importante entre l’altruisme biologique et l’altruisme psychologique.

Un comportement est altruiste au sens biologique s’il impose un coût à celui qui le manifeste et qu’il bénéficie à un ou plusieurs autres organismes. Les coûts et les bénéfices sont mesurés en fonction de leur contribution à la valeur sélective des organismes concernés. Le comportement des fourmis ouvrières est altruiste en ce sens : elles renoncent à tout succès reproductif au profit de la reine, dont la principale fonction est la reproduction. Cependant, il est pour le moins improbable que les fourmis ouvrières agissent ainsi parce que le bien-être de la reine leur tient à cœur. Autrement dit, elles ne font pas preuve d’altruisme au sens psychologique. L’altruisme psychologique requiert la présence de motifs (intentions, jugements, etc.) ou de motivations (émotions, désirs, etc.) qui témoignent d’un souci envers autrui. Il est plausible que les humains, et peut-être d’autres animaux, soient capables d’altruisme en ce sens. Les travaux scientifiques peuvent chercher à expliquer l’une ou l’autre de ces formes d’altruisme, voire les deux, mais il est essentiel de ne pas perdre de vue qu’elles sont (relativement) indépendantes. Du point de vue de la philosophie morale, c’est sans doute l’altruisme psychologique qui présente le plus grand intérêt (Clavien, 2010).

À partir de l’élaboration de la théorie synthétique de l’évolution, qui devint dans les années 1950 la « version moderne accréditée du darwinisme » (Gayon, 2009, p. 323), on pense l’évolution en termes de changements de fréquences alléliques. Cela explique en partie l’insistance sur les modèles génocentrés dans les années subséquentes. La théorie de la sélection de parentèle du biologiste William D. Hamilton (1964), qui s’inscrit dans cette veine, fut l’une des contributions les plus importantes à la résolution du problème de l’altruisme. Elle permit d’expliquer la stérilité des castes ouvrières chez les insectes sociaux sans faire appel à la sélection de groupe. En raison d’une particularité du mode de reproduction de certaines espèces, les sœurs ouvrières sont davantage apparentées entre elles (≈75%) qu’elles ne le seraient avec leurs propres filles (≈50%). En aidant leurs consœurs, elles ont donc davantage de chance d’augmenter la représentation de leurs gènes dans les générations subséquentes qu’en se reproduisant.

Un fort degré d’apparentement est, en principe, une condition susceptible de favoriser l’évolution de comportements altruistes quelle que soit l’espèce considérée. C’est ce qu’exprime la règle de Hamilton : pour que l’altruisme biologique soit évolutionnairement viable, il faut que rB-C > 0, où r représente le coefficient d’apparentement entre un acteur et un bénéficiaire, B le bénéfice obtenu et C le coût encouru par l’acteur. Chez les humains, certains estiment encore aujourd’hui que la sélection de parentèle est « presque certainement responsable de l’émotion prosociale basique qu’est la sympathie », qui se serait développée dans le contexte d’interactions parents-enfants (Tomasello, 2016; pour une critique récente de la théorie de la sélection de parentèle, voir Nowak et al. 2010).

Robert Trivers élabora pour sa part la théorie de l’altruisme réciproque (1971), qui permit d’expliquer l’évolution de la coopération entre individus non-parents. Si les individus interagissent fréquemment et qu’ils sont en mesure d’ajuster leurs comportements en fonction de leurs expériences passées – en coopérant avec les coopérateurs et en évitant les tricheurs par exemple – ils seront susceptibles d’en retirer des bénéfices considérables à long terme. Trivers suggéra que sa théorie pouvait rendre compte des mécanismes psychologiques régulant les comportements altruistes chez l’humain. Il mentionna entre autres l’amitié, l’inimité, la gratitude, la confiance, la suspicion et la culpabilité.

C’est également au cours de cette période que l’on commença à explorer les possibilités offertes par la théorie des jeux. John Maynard Smith introduisit la notion de stratégie évolutionnairement stable afin de décrire les stratégies qui, lorsqu’elles sont suivies par la plupart des membres d’une population, ne sont pas susceptibles d’être renversées par des mutants (des individus adoptant une autre stratégie). Ces nouvelles méthodes permirent d’étudier de manière formelle les conditions auxquelles la coopération pouvait évoluer et se maintenir dans une population.

À la fin des années 1970, une époque où les ordinateurs en étaient encore à leurs balbutiements, Robert Axelrod organisa un tournoi virtuel. Il invita des chercheurs de tous horizons à soumettre des programmes informatiques déployant diverses stratégies lors de dilemmes du prisonnier réitérés. Le programme qui l’emporta, soumis par le psychologue Anatol Rapoport, était de loin le plus simple. Il ne comportait que quatre lignes de code. La stratégie qu’il employait, tit-fot-tat, consistait à coopérer à la première rencontre et à répéter ensuite ce que l’autre joueur avait fait au tour précédent (faire défection si l’autre joueur avait fait défection et coopérer s’il avait coopéré). La même stratégie l’emporta à nouveau lors d’un second tournoi comptant davantage de participants. Ces résultats étonnants ont incité de nombreux chercheurs à étudier les multiples facettes du dilemme du prisonnier et à développer des modèles toujours plus réalistes (p. ex. : en incorporant du bruit, la possibilité de choisir ses partenaires, etc.) afin d’éclairer les origines de la coopération dans la nature (Axelrod, 1984; Nowak, 2011).

Edward O. Wilson synthétisa les travaux sur les comportements sociaux des animaux dans un ouvrage majeur publié en 1975 : Sociobiology : The New Synthesis. Le dernier chapitre, qui était consacré aux applications possibles de la sociobiologie chez l’humain, engendra une controverse majeure (au point de figurer en page couverture de Time Magazine) qui dura plusieurs années. Wilson fut accusé, souvent à tort, de défendre le déterminisme génétique, le sexisme, le racisme, l’eugénisme, les inégalités économiques et sociales, l’esclavage, le génocide, etc. (Pinker, 2002). Le souvenir des dérives eugénistes des 19e et 20e siècles, et plus généralement les risques qui sont associés aux tentatives de biologiser la culture et la nature humaine, expliquent en partie la forte opposition à l’ambitieux projet de Wilson de « retirer temporairement l’éthique des mains des philosophes et de la biologiser » (Wilson, 1975, p. 562).

En raison de cette controverse, peu de chercheurs de nos jours se réclament ouvertement de la sociobiologie (bien qu’ils continuent d’étudier le comportement social animal de la même manière sous d’autres appellations disciplinaires). En ce qui a trait à l’étude du comportement social humain, plusieurs approches évolutionnaires contemporaines sont issues de la sociobiologie. L’écologie comportementale humaine et la psychologie évolutionniste, entre autres, ont donné lieu à des travaux forts intéressants en lien avec l’évolution de la morale.

b. Écologie comportementale humaine et psychologie évolutionniste

L’écologie comportementale humaine et l’anthropologie évolutionnaire sont des branches de l’anthropologie qui étudient l’évolution de traits comportementaux héritables au sein de différents types d’environnements. Une prémisse centrale de ces disciplines est que les stratégies adoptées dans différents environnements, que ce soit sur le plan de l’approvisionnement en nourriture, du mariage ou de la reproduction, sont adaptatives. Certains ont suggéré, par exemple, que la polyandrie pratiquée dans certaines régions du Tibet est adaptative dans un contexte où les terres agricoles sont rares. Les frères maximiseraient leur succès reproductif en se mariant à la même femme et en exploitant ensemble une même ferme (Crook et Crook, 1988; Laland et Brown, 2002). D’autres auteurs ont avancé que la coévolution gène-culture (que l’on traite parfois comme une approche évolutionnaire distincte) offre la meilleure explication de l’ubiquité des normes prosociales. Ils défendent une forme de sélection de groupe dite culturelleselon laquelle les groupes qui ont de telles normes prospèrent davantage que les autres. Ils insistent tout particulièrement sur le rôle clé que joue la punition dans le maintien celles-ci (Boyd et Richerson, 1992; Henrich and Boyd, 2001; Fehr et Fischbacher, 2003; Gintis et al., 2008).

Plutôt que de se concentrer sur les comportements, la psychologie évolutionniste s’intéresse aux mécanismes psychologiques qui les produisent. Il s’agit sans doute de l’approche la plus populaire. On associe souvent cette discipline aux thèses défendues par « l’école de Santa Barbara », dont les figures principales sont Leda Cosmides et John Tooby. Selon ces derniers, l’esprit humain comprendrait de nombreuses adaptations qui auraient évolué en réponse à des problèmes récurrents dans l’environnement ancestral (le Pléistocène). Puisque les mécanismes psychologiques évoluent lentement, l’esprit humain n’aurait pas subi de changements majeurs depuis cette époque. Notre boîte crânienne abriterait, en quelque sorte, un « esprit de l’âge de pierre » (Cosmides et Tooby, 1997, p. 85). Pour cette raison, on peut s’attendre à ce que les comportements humains soient souvent maladaptatifs dans un environnement moderne. De nombreuses études menées dans cette perspective portent sur la cognition morale. Cosmides et Tooby ont avancé, par exemple, que l’esprit humain est doté d’une machinerie spécialisée dans la compréhension des échanges sociaux qui faciliterait entre autres la détection des tricheurs (Cosmides et Tooby, 1992). Plus récemment, Jonathan Haidt a développé un modèle selon lequel la morale repose sur six bases psychologiques ayant des origines évolutionnaires distinctes : 1) souffrance/soin, 2) réciprocité/tricherie, 3) loyauté/trahison, 4) autorité/subversion, 5) sainteté/dégradation et 6) liberté/oppression. Les individus et les cultures diffèreraient en ce qui concerne l’importance qu’ils accordent à l’une ou l’autre de ces dimensions, mais certaines intuitions morales seraient à peu près universelles (Haidt, 2012).

Une caractéristique importante des travaux scientifiques sur l’évolution de la morale est leur interdisciplinarité. Aux contributions de la biologie proprement dite s’ajoutent celles de la psychologie, de l’anthropologie, des neurosciences, etc. Cela est manifeste en ce qui concerne l’étude de l’évolution de la coopération et de l’altruisme, des sujets qui, on l’aura remarqué, ont reçu énormément d’attention. Des chercheurs ont :

  1. développé des modèles mathématiques permettant d’étudier les conditions favorables à l’évolution de la coopération et de l’altruisme (Hauert, 2013)
  2. proposé une reconstruction des principales étapes historiques ayant conduit à leur évolution (Tomasello, 2016)
  3. étudié le comportement d’individus provenant de tous les coins de la planète lors de jeux économiques (jeu de l’ultimatum, jeu du dictateur, etc.) impliquant le partage de ressources (Ensminger et Henrich, 2014)
  4. étudié des peuples de chasseurs-cueilleurs dont le mode de vie est vraisemblablement similaire à celui de nos ancêtres (Bohem, 2012)
  5. comparé les comportements d’enfants humains et de primates non-humains dans diverses tâches coopératives (Warneken, 2013)
  6. étudié les mécanismes qui sous-tendent les comportements prosociaux sur le plan neurobiologique (Numan, 2014)
  7. etc.

Ainsi, bien que la tâche de fournir une généalogie de l’altruisme et de la coopération comporte son lot de difficultés et demeure en partie spéculative, des progrès importants ont été réalisés ces dernières années. On peut en dire autant en ce qui concerne certaines émotions morales (l’empathie, la culpabilité, la honte, etc.), certaines tendances évaluatives particulières (favoriser les membres de la famille ou du groupe d’appartenance, éviter l’inceste, etc.) et certaines capacités plus générales (jugement moral, intériorisation de normes, etc.) qui ont aussi retenu l’attention des chercheurs. Présenter en détail l’ensemble de ces travaux exigerait de trop longs développements. D’autres résultats d’études empiriques et, surtout, l’interprétation qu’en ont offerts les philosophes, seront introduits en temps opportun. L’aperçu offert dans la présente section devrait néanmoins fournir une base suffisante à l’exploration des liens possibles entre le projet scientifique consistant à expliquer les origines de la morale et les projets philosophiques que sont l’éthique normative et la métaéthique. Ce sera l’objet des deux prochaines sections.

4. Éthique normative et évolution : de l’être au devoir-être

L’éthique normative s’intéresse aux questions morales de premier ordre. Que devons-nous faire ? Devons-nous chercher à maximiser le bonheur, agir par devoir ou encore développer nos vertus ? Or on peut se demander en quoi les travaux scientifiques sur l’évolution de la morale, qui visent à décrire ce qui est, sont pertinents lorsqu’il s’agit de déterminer ce qui doit être. La célèbre « loi de Hume » ne suggère-t-elle pas qu’il est impossible de tirer des conclusions évaluatives à partir de prémisses descriptives ? Par ailleurs, les tragiques exemples du darwinisme social et de l’eugénisme, dont il a été question précédemment, ne devraient-ils pas avoir servi de leçon à ceux qui seraient tentés de contrevenir à cette loi ? La plupart des philosophes contemporains sont sensibles à ce genre d’objections et ils acceptent par conséquent que « la prudence et le faillibilisme devraient être les mots d’ordre de l’éthicien évolutionniste » (Casebeer, 2003, p. 67). Cela dit, plusieurs demeurent convaincus que la biologie de l’évolution et l’éthique normative peuvent et doivent aller de pair.

a. La loi de Hume et le sophisme naturaliste de G. E. Moore

Les ouvrages d’éthique normative et de métaéthique qui adoptent une perspective évolutionnaire abordent presque invariablement la question des rapports entre le domaine empirique et le domaine normatif. Les deux arguments les plus discutés sont la loi de Hume et le sophisme naturaliste identifié par G.E. Moore (voir entre autres Casebeer, 2003 chapitre 2; Joyce, 2007, chapitre 5 et Kitcher, 2011, chapitre 7). Cela s’explique essentiellement par le fait que ces arguments offrent des raisons a priori de croire que les deux domaines ne font pas bon ménage. S’ils étaient décisifs, le projet de développer une éthique évolutionniste (ou toute autre forme d’éthique naturaliste) serait d’emblée voué à l’échec.

Dans un passage bien connu du Traité de la nature humaine (1740, p.65), Hume fait observer qu’il est fréquent que les auteurs qui élaborent des systèmes de morale, après avoir établi l’existence de Dieu ou avoir fait des observations sur les affaires humaines, glissent sans offrir d’explication vers des propositions qui sont reliées par doit ou ne doit pas plutôt que par les copules usuelles est ou n’est pas. Il lui paraissait inconcevable que cette nouvelle relation puisse être déduite des autres puisqu’elle en est entièrement différente. Il y a matière à débat quant à l’interprétation qu’il convient de faire de ce passage. Une interprétation influente, voire dominante, est que Hume y établi qu’il est logiquement impossible de déduire des conclusions normatives à partir de prémisses purement descriptives. C’est ce que l’on appelle parfois la loi de Hume (Hare, 1952) ou la guillotine de Hume (Black, 1964).

On attribue souvent ce même argument à G.E Moore en faisant référence à sa critique du « sophisme naturaliste » dans son œuvre majeure, Principia Ethica (1903). Or le sophisme naturaliste, tel que l’entendait Moore, ne consiste pas, du moins à première vue, à déduire une conclusion normative de prémisses descriptives. Ce qu’avance Moore, c’est que toute tentative de définir le bien en termes naturels est vouée à l’échec. Il reproche à plusieurs philosophes qui l’ont précédé, notamment les éthiciens évolutionnistes Herbert Spencer et Jean-Marie Guyau, d’avoir cherché à le faire. En effet, selon Moore, Spencer était manifestement influencé par les thèses selon lesquelles « meilleur » signifie « plus évolué » et « bien » signifie « plaisant ». Il admet néanmoins que les travaux de Spencer n’offrent pas « l’exemple le plus clair de l’utilisation du sophisme naturaliste afin de soutenir l’éthique évolutionniste » (Moore, 1903, p. 46).

Moore avance deux arguments visant à remettre en cause la possibilité d’offrir une définition ou une analyse du bien en termes naturels, soit l’argument de la question ouverte et l’argument de l’ajout de sens. Selon le premier argument, si « bien » signifiait vraiment « plaisant », la question « x est plaisant, mais x est-il bien ? » paraîtrait étrange aux yeux d’un locuteur compétent. Considérons la question suivante : « x est célibataire, mais x est-il non marié ? ». De toute évidence, celui qui se pose cette question est confus ou ne maîtrise pas très bien le concept « célibataire ». Pour tout locuteur compétent, il s’agit d’une question fermée. La question « x est plaisant, mais x est-il bien ? », par contraste, est une question qui demeure ouverte.

Selon le second argument, si « bien » signifiait « plaisant », affirmer que « ce qui est plaisant est bien » n’offrirait aucune information nouvelle. Cela reviendrait à affirmer que « ce qui est bien est bien ». Il semble pourtant qu’affirmer « ce qui est plaisant est bien » ne soit pas une simple tautologie. La conclusion que tire Moore est que « bien » est une propriété simple, non naturelle et inanalysable (Casebeer, 2003).

Les tenants de l’éthique évolutionniste peuvent offrir diverses réponses à ces objections. Il s’agit dans tous les cas de montrer que ni l’une ni l’autre ne représentent des obstacles insurmontables à leurs projets. Une manière d’y répondre consiste à rejeter la distinction entre jugements analytiques et jugements synthétiques sur laquelle elles semblent reposer. William Casebeer, en s’appuyant sur les arguments développés par W.O. Quine dans son célèbre article « Two Dogmas of Empiricism » (1951), adopte cette approche. Un inconvénient notable de cette manière de procéder est qu’elle fait appel à plusieurs thèses controversées. Il faut établir que les deux objections reposent effectivement sur la distinction analytique/synthéthique et montrer que cette distinction ne tient pas la route. Il est sans doute plus aisé de mettre en évidence d’autres limites bien connues des arguments de Hume et de Moore.

On sait, par exemple, que la loi de Hume, du moins telle que présentée ci-haut, admet des exceptions. Autrement dit, il est logiquement possible de dériver une conclusion normative à partir de prémisses purement descriptives. Les deux arguments suivants, bien qu’ils soient plutôt étranges, sont valides :

P1 : Ottawa est la capitale de Canada

Donc : Ottawa est la capitale du Canada ou tu ne devrais pas tuer ton prochain

Et :

Ottawa est la capitale du Canada et ce n’est pas le cas qu’Ottawa est la capitale du Canada

Donc : tu ne devrais pas tuer ton prochain

Le premier argument emploie la règle de l’introduction de la disjonction, tandis que le second emploie le principe d’explosion selon lequel on peut déduire n’importe quoi d’une contradiction. (Joyce, 2007, p. 153; Prior, 1960).

On pourrait objecter que les termes normatifs n’apparaissent pas de manière essentielle dans la conclusion de ces arguments. C’est-à-dire que l’on pourrait les remplacer par n’importe quel autre terme du même type grammatical et les inférences demeureraient valides. Considérant cela, peut-être que la loi de Hume devrait être amendée : on ne peut déduire une conclusion où des termes normatifs apparaissent de manière essentielle de prémisses purement descriptives. Il est toutefois possible de produire des exemples où les termes normatifs semblent figurer de manière essentielle. Philip Kitcher propose l’exemple suivant :

P 1 : Certains juifs (ceux qui ont reçu la croix de fer lors de la Première guerre mondiale) ont servi l’Allemagne avec honneur

Donc : Si nous devons respect et protection à ceux qui ont servi l’Allemagne avec honneur, il y a certains juifs à qui nous devons respect et protection.

Sans être décisifs, de tels contre-arguments montrent qu’il est difficile de formuler la loi de Hume d’une manière qui soit « à la fois précise et vraie » (Kitcher, 2011, p. 254-255). Par ailleurs, plusieurs ont fait remarquer que les philosophes qui adoptent une approche évolutionnaire ne cherchent pas forcément à déduire des conclusions normatives. Un argument tel que « les humains n’aiment pas être tués, donc on ne doit pas tuer des humains » n’est pas une déduction valide. On peut néanmoins l’envisager comme un enthymème dont la prémisse implicite est « on ne doit pas faire aux humains ce qu’ils n’aiment pas ». Cette prémisse, bien entendu, est elle-même normative. La question, comme le souligne Owen Flanagan, est de savoir si elle peut être défendue. Enfin, l’interdiction de recourir à la déduction n’interdit pas le recours aux inférences ampliatives qui sont employées couramment dans les autres domaines du savoir (Flanagan et al., 2014, p. 216-217).

Quant aux arguments de Moore, un contre-exemple classique est celui de l’eau et de H2O. Il est clair que les deux termes désignent la même substance. Néanmoins, la question « x est de l’eau, mais x est-il H2O ? » semble ouverte. Un locuteur compétent pourrait très bien ignorer la composition chimique de l’eau (c’était d’ailleurs le cas pour tous les locuteurs avant qu’on ne découvre ce fait). De plus, il semble qu’affirmer « l’eau est H2O » ne soit pas une tautologie, et ce même si les deux termes désignent la même substance. De façon analogue, on pourrait découvrir a posteriori que « bien » désigne une propriété naturelle telle que « plaisant » ou « plus évolué ». Pour cette raison, le naturalisme synthétique semble échapper entièrement aux arguments de Moore. Même en restreignant leur cible au naturalisme définitionnel ou analytique, il n’est pas clair que ces arguments soient convaincants. En effet, de nombreuses vérités conceptuelles ou analytiques ne sont pas du tout évidentes. Imaginons, par exemple, qu’une connaissance soit une croyance vraie et justifiée. Celui qui affirme que « x est une connaissance » peut très bien douter qu’il s’agisse d’une croyance vraie et justifiée sans pour autant faire preuve de confusion (Joyce, 2001). D’ailleurs, si toute les vérités a priori étaient immédiatement évidentes, la tâche de fournir des analyses, à laquelle se consacrent tant de philosophes, serait dénuée d’intérêt (Tappolet, 2000, p. 114).

Dans « Modern Moral Philosophy », G.E.M. Anscombe notait que l’accusation de sophisme naturaliste ne l’impressionnait guère puisqu’elle trouvait les présentations que l’on faisait de ce soi-disant sophisme incohérentes (1958, p. 2). De nombreux auteurs qui adoptent une perspective évolutionnaire semblent partager ce constat. Certains vont jusqu’à soutenir que c’est en portant une telle accusation que l’on commet un sophisme (Wilson, 1999, p, 273). Quoi qu’il en soi, s’ils ont raison d’affirmer qu’il n’existe aucune raison a priori de rejeter l’éthique évolutionniste, peut-être y a-t-il bel et bien des conclusions normatives à tirer de la biologie de l’évolution.

b. Les arguments évolutionnaires en faveur de théories normatives et les critiques généalogiques restreintes

On peut distinguer au moins trois manières dont les éthiciens évolutionnistes contemporains cherchent à justifier des théories normatives ou des principes moraux à partir de la biologie, soit 1) en faisant appel à une conception de la nature humaine, 2) en considérant la ou les fonctions de la morale ou 3) en cherchant à déterminer ce qui est adapté ou adaptatif. Notons que ces trois options ne sont pas mutuellement exclusives (Clavien, 2008, p. 313).

Plusieurs philosophes néo-aristotéliciens (Larry Arnhart, William Casebeer, etc.) ont recours à de telles stratégies. La détermination des fins de la vie éthique et des moyens d’atteindre le bonheur dépendent largement du genre de créature que nous sommes et la biologie a évidemment beaucoup à nous apprendre à cet égard. Le projet de naturalisation de l’éthique auquel aspirent ces philosophes suppose entre autres de « mettre à jour » certaines thèses que défendait Aristote mais qui, dans leur forme originelle, reposaient sur des présupposés incompatibles avec la biologie de l’évolution moderne (comme, par exemple, sa conception essentialiste des espèces). L’une des caractéristiques d’une bonne théorie normative selon ces auteurs est de faire preuve de réalisme psychologique, c’est-à-dire de ne pas exiger l’impossible. Ils reprochent souvent aux théories adverses de ne pas respecter ce critère. Le degré d’impartialité exigé par le conséquentialisme et l’exercice de pure raison auquel invitent les théories déontologiques en offrent de bons exemples. Les conceptions de la nature humaine et les fonctions qui sont attribuées à la morale varient considérablement d’un auteur à l’autre. Larry Arnhart, par exemple, identifie le bien au désirable. Il recense une vingtaine de désirs universels qui seraient issus de l’évolution, notamment les soins parentaux, l’amitié, le rang social, la beauté et le plaisir. Selon lui, la satisfaction de ces désirs est le critère à partir duquel il convient d’évaluer les modes de vies, les institutions, etc. (Arnhart, 1998).

Les considérations relatives à l’évolution peuvent servir non seulement à justifier des théories ou des principes moraux, mais également à les remettre en cause. Plusieurs auteurs ont mis de l’avant ce que l’on peut appeler des critiques généalogiques restreintes. Il s’agit de cibler une classe particulière de jugements moraux et de soutenir que leurs origines évolutionnaires les rendent peu fiables, injustifiés ou encore faux.

Les travaux de Daniel Kelly et Nicolae Morar offrent un bon exemple de ce type d’argument. Ces derniers s’intéressent à l’influence du dégoût sur nos jugements. Ils sont d’avis que le celui-ci ne devrait jouer aucun rôle sur les plans moral et social (Kelly, 2011; Kelly et Morar, 2014). L’évolution du dégoût aurait procédé en deux grandes étapes. Il s’agissait initialement d’une réponse visant à éviter les poisons et les parasites. Cette émotion aurait par la suite été cooptée par l’évolution afin de jouer un rôle sur le plan social (motiver le respect de certaines normes, éviter les interactions avec les membres d’autres groupes, etc.). Or le dégoût aurait conservé un certain nombre de caractéristiques de sa fonction première même lorsqu’il opère dans le domaine social : il élicite la crainte de la contamination, suscite le désir d’éviter son objet, soulève la nausée, etc. Si ces caractéristiques intrinsèques du dégoût sont avantageuses pour un organisme lorsqu’il s’agit d’éviter les poisons, elles ont cependant pour effet, selon les auteurs, de rendre cette émotion « impropre à être dirigée envers une entité ou un organisme qui fait partie du cercle moral » (2014, p. 165).

Un autre exemple d’une critique généalogique restreinte provient des travaux de Peter Singer et de Joshua Greene (Greene, 2003; Singer, 2005). Ces derniers s’appuient sur des hypothèses évolutionnaires et sur les résultats d’expériences neuroscientifiques afin de soutenir les théories conséquentialistes (voir l’article Utilitarisme) et de remettre en question les théories déontologiques (voir l’article Kant). La plupart des gens, peut-on croire, porteraient assistance à un enfant blessé qui se trouve devant eux s’ils le pouvaient, qu’importent les coûts. Cependant, ces mêmes gens dépensent régulièrement des sommes considérables pour des biens de luxe alors que cet argent pourrait être employé à sauver des dizaines d’enfants dans des pays lointains. Selon Singer et Greene, aucune raison valable ne justifie la différence de traitement entre les deux situations : la proximité physique avec une victime n’est pas une considération moralement pertinente. Ce qui pourrait expliquer la différence, selon eux, c’est la manière dont le cerveau humain est « programmé ». Nous avons évolué dans un environnement où il était souvent possible de venir en aide à des gens qui étaient près de nous et que nous connaissions, mais pas à des étrangers à l’autre bout du monde.

Ce qui vaut pour l’assistance à autrui vaut également pour les torts que nous pouvons leur infliger. Nous avons évolué dans un environnement où il était possible d’infliger des blessures, voire de tuer, d’une manière « directe et personnelle », mais pas d’une manière « indirecte et impersonnelle ». Il semble que les intuitions que nous avons dans certains scénarios fictifs, en particulier des variantes du célèbre problème du tramway, reflètent cela. Considérons les deux cas suivants :

Version 1 : Un tramway se dirige à toute allure vers cinq travailleurs qui ne pourront l’éviter. Il vous est possible d’actionner un levier qui fera dévier le tramway sur une voie secondaire où se trouve un seul travailleur. Ce dernier ne pourra pas non plus éviter le tramway. Actionner le levier est-il moralement acceptable?

Version 2 : Un tramway se dirige à toute allure vers cinq travailleurs qui ne pourront l’éviter. Vous vous trouvez sur un pont au-dessus de la voie. À vos côtés se trouve un homme très corpulent dont le poids suffirait assurément à arrêter le tramway. Pousser le gros homme est-il moralement acceptable?

Dans les deux cas, il y a une possibilité de sauver cinq personnes au prix de la mort d’une seule. Néanmoins, la plupart des gens estiment qu’il serait acceptable d’actionner le levier dans le premier scénario, mais qu’il ne serait pas acceptable de pousser le gros homme dans le second. À l’aide de l’imagerie par résonnance magnétique fonctionnelle, Greene et ses collègues ont observé l’activité cérébrale de sujets confrontés à ce genre de dilemmes. Leurs résultats suggèrent que les zones associées à la réflexion consciente s’activent plus dans le premier type de dilemmes (actionner le levier) que dans le second type de dilemmes (pousser le gros homme), tandis que les zones associées au traitement des émotions sont plus actives dans le second type de dilemmes que dans le premier type. Cela suggère la façon de tuer une personne (directe et personnelle vs. indirecte et impersonnelle) fait varier nos intuitions sur le caractère acceptable ou non de sacrifier une personne pour en sauver plusieurs, précisément dans la mesure où certaines d’entre elles suscitent des réactions émotionnelles plus violentes que d’autres. Si les hypothèses évolutionnaires avancées par Greene et Singer sont justes, c’est donc essentiellement le fait que la façon de tuer invoquée dans les scénarios ait ou non été possible pour nos lointains ancêtres qui explique ces réactions émotionnelles et les jugements moraux correspondants. Or il ne s’agit pas, à leur avis, d’un facteur moralement pertinent.

La leçon à tirer de ces résultats est que les origines évolutionnaires de nos intuitions morales dans ce genre de cas sèment le doute sur la justification des jugements moraux correspondants. De manière générale, les théories morales qui s’efforcent de rationaliser des intuitions que leurs origines évolutionnaires rendent suspectes sont susceptibles de faire fausse route. Selon Singer et Greene, les théories déontologiques présentent souvent ce défaut.

Les critiques généalogiques restreintes ont elles-mêmes fait l’objet de critiques. Certains estiment que les travaux empiriques sur lesquels s’appuient Singer et Greene ne font aucun travail philosophique. Leurs conclusions reposent ultimement sur des jugements normatifs, formulés à partir du proverbial fauteuil du philosophe, au sujet des considérations qui sont (ou qui ne sont pas) moralement pertinentes dans diverses situations (Berker, 2009). De plus, il n’est pas clair que la distinction entre les jugements qui ont une forte valence émotionnelle et les jugements qui sont davantage raisonnés corresponde précisément à celle entre les jugements typiquement déontologiques et les jugements typiquement conséquentialistes. En effet, on peut aisément imaginer des cas où le jugement utilitariste est celui qui se présente de manière intuitive et spontanée, et dans lesquelles parvenir au jugement déontologique requiert un raisonnement complexe qui va à l’encontre de nos émotions (Blackburn, 2014, p. 236). D’ailleurs, d’autres études neuroscientifiques suggèrent que c’est plutôt le fait que les jugements soient intuitifs ou contre-intuitifs qui cause les profils d’activité cérébrale observés, et non le fait qu’ils soient déontologiques ou conséquentialistes (Kahane et al., 2012). Enfin, la méfiance envers les émotions qui semble imprégner les travaux de Singer et Greene n’est pas partagée par tous. Supposer que les jugements qui sont informés par des émotions sont en quelque sorte des jugements de moindre conséquence serait, selon Simon Blackburn, un « simple résidu d’une idéologie de méfiance envers les émotions et du culte de la « raison » en tant que vecteur ou force indépendants dans notre prise de décision » (Blackburn, 2014, p. 236). Sans surprise, le débat persiste quant aux mérites des arguments offerts de part et d’autre (voir notamment Greene, 2014 pour des réponses à quelques-unes des critiques mentionnées ci-haut).

5. Métaéthique et évolution

L’objet de la métaéthique n’est pas de déterminer ce que nous devons faire, mais plutôt de répondre aux questions de deuxième ordre au sujet de la morale. Existe-t-il des vérités morales objectives ? Les assertions morales décrivent-elles une réalité morale ou expriment-elles plutôt les attitudes non-cognitives des agents ? Quel lien y a-t-il entre le jugement moral et la motivation ? (voir l’article Métaéthique) Les travaux scientifiques sur l’évolution de la morale ont été mobilisés de deux manières principales par les métaéthiciens, soit 1) afin de remettre en question les théories métaéthiques réalistes, selon lesquelles il existe des vérités morales indépendantes de l’esprit (voir l’article Réalisme moral) et 2) afin d’appuyer diverses théories métaéthiques.

a. Les critiques généalogiques globales

Les critiques généalogiques restreintes, dont il a été question dans la section précédente, remettent en question la justification de jugements moraux relevant d’une classe particulière, ceux qui sont influencés par le dégoût ou ceux qui sont typiquement déontologiques par exemple. Or certains auteurs ont également développé des critiques généalogiques globales qui remettent en question tous les jugements moraux (du moins tels que les conçoivent les réalistes moraux). Considérons brièvement deux versions des arguments évolutionnaires contre le réalisme moral parmi les plus influentes.

i. Les pilules Napoléon

C’est bien connu, les philosophes sont friands d’expériences de pensées ou, pour reprendre l’expression de Daniel Dennett, de pompes à intuitions (2013). Richard Joyce met à profit cet outil philosophique. Il propose d’imaginer qu’il existe une pilule qui fait croire à celui qui l’ingère que Napoléon a gagné la bataille de Waterloo et une autre qui fait croire qu’il l’a perdue. Supposons aussi qu’il existe un antidote pour chacune. Si une personne croit depuis toujours que Napoléon a perdu la bataille de Waterloo, mais qu’elle apprend éventuellement qu’on lui a donné à son insu une pilule « Napoléon a perdu », quelle attitude devrait-elle adopter par rapport à sa croyance ?

Joyce soutient qu’il est évident que la croyance doit alors être placée sur la liste des croyances douteuses et que la personne, à moins qu’elle n’obtienne de nouvelles preuves que Napoléon a perdu, devrait prendre l’antidote. Les informations sur la généalogie de la croyance ne montrent pas qu’elle est fausse (en l’occurrence, elle est vraie), mais elle mine sa justification. Si on remplace les croyances au sujet de Napoléon par des croyances morales et les pilules par la sélection naturelle, la même conclusion s’ensuit selon lui. Ce n’est pas parce qu’ils décrivent des aspects de la réalité que nous avons des concepts tels que l’obligation, la culpabilité, la rétribution et l’équité. C’est plutôt parce que formuler des jugements employant ces concepts augmentait la valeur sélective de nos ancêtres en les encourageant à adopter des comportements prosociaux. Nous devrions en conséquence « prendre l’antidote » et suspendre notre jugement au sujet de toutes les croyances impliquant ces concepts (Joyce, 2007, p. 179-182).

ii. Le dilemme darwinien

Sharon Street formule pour sa part l’objection sous la forme d’un « dilemme darwinien ». Si l’on suppose qu’il existe des vérités morales indépendantes de l’esprit, comme le croient les réalistes moraux, deux possibilités s’offrent à ces derniers : ils peuvent soit nier, soit affirmer l’existence d’une relation entre les pressions évolutives et les vérités morales.

La première option, nier l’existence d’une relation, conduit au scepticisme. Imaginons un bateau qui cherche à se rendre aux Bermudes au gré des vents et des marées. Les chances qu’il atteigne sa destination sont plutôt minces. De façon analogue, si les pressions évolutives nous ont poussés dans toutes sortes de directions sans égard aux vérités morales, les chances que nos croyances reflètent ces vérités sont infimes. Si le réalisme moral implique un tel scepticisme, il y a de bonnes raisons de croire que la théorie est fausse.

La seconde option, affirmer l’existence d’une relation, exige que le réaliste explique la nature de cette relation. Or Street estime qu’aucune explication scientifique acceptable n’est disponible. Quel avantage pourrait-il y avoir, en termes de succès reproductif, à percevoir des vérités morales indépendantes de l’esprit ? L’explication la plus plausible est que les attitudes évaluatives qui étaient les plus avantageuses pour nos ancêtres sur le plan de la survie et de la reproduction se sont imposées, et ce indépendamment de leur vérité ou de leur fausseté (Street, 2006).

En simplifiant considérablement, on peut dire que la structure de base des deux arguments est la suivante :

Prémisse causale : nos croyances morales sont expliquées par l’évolution

Prémisse épistémique : l’évolution est un processus insensible aux vérités morales

Donc

Nos croyances morales sont injustifiées / Le réalisme moral est (probablement) faux

Bien que les arguments évolutionnaires contre le réalisme moral soient à première vue relativement simple, les complications sont nombreuses.

Considérons d’abord la prémisse causale selon laquelle nos croyances morales sont expliquées par l’évolution. En un sens, cette prémisse est trivialement vraie. Dans la mesure où nous sommes des créatures issues d’une longue histoire évolutive, l’ensemble de nos traits, tant sur le plan physique qu’intellectuel, sont « expliqués » par l’évolution. La prémisse, pour présenter quelque intérêt, doit sans doute être plus précise. Dans The Evolution of Morality (2006), Joyce offre un traitement détaillé, sinon exhaustif, de la littérature sur l’évolution de la morale. Il traite des théories de la sélection de parentèle de l’altruisme réciproque, de la sélection de groupe, du rôle des émotions dans le jugement moral, de la contribution essentielle du langage, de l’hypothèse selon laquelle nous avons un sens moral, etc. Street se contente pour sa part d’offrir quelques exemples de tendances évaluatives favorisées par l’évolution, notamment la tendance à faire ce qui favorisera notre survie, à promouvoir les intérêts des membres de notre famille et à aider en retour ceux qui nous ont aidé. Elle suggère, peut-être un peu rapidement, que l’évolution a exercé une influence énorme sur le contenu de nos jugements évaluatifs. Il a été mentionné dans la section consacrée aux origines de la morale que les scénarios évolutionnaires possibles sont nombreux et qu’ils sont dans une certaine mesure spéculatifs. Il s’agit d’ailleurs d’un point sur lequel les réalistes moraux cherchent à répondre aux critiques généalogiques insistent souvent (Kahane, 2011; Shafer-Landau, 2012; FitzPatrick, 2015). Une question importante est donc celle de savoir à quel point les détails empiriques sont essentiels à une formulation adéquate de ces arguments. Une réponse quelque peu insatisfaisante, mais qui rallie des auteurs des deux camps, est qu’il vaut la peine d’évaluer les implications philosophiques des scénarios évolutionnaires même s’ils devaient s’avérer faux (Street, 2006, p. 113; Vavova, 2015, p. 104).

Considérons maintenant la prémisse épistémique selon laquelle l’évolution est insensible aux vérités morales. Pourquoi devrions-nous accepter que le fait d’avoir des croyances morales vraies n’augmente pas la valeur sélective des individus ? Il semble que dans plusieurs cas, le fait d’avoir des croyances vraies soit manifestement avantageux. Celui qui formerait des croyances au sujet des objets présents dans son environnement sans égard aux vérités à leur sujet risquerait fort de se heurter contre les arbres, de marcher vers les prédateurs, de tomber du haut des falaises, etc. Une différence possible entre ce cas et celui de la morale est que nous interagissons causalement avec les objets présents dans notre environnement, mais pas avec les propriétés morales. Cependant, ce ne sont pas tous les réalistes qui acceptent l’idée selon laquelle les propriétés morales sont causalement inertes. Plusieurs réalistes naturalistes croient que les faits moraux sont des faits naturels. S’ils sont, par exemple, « des faits à propos des interactions sociales qui supportent une coopération stable », on peut croire que les pressions évolutives y étaient sensibles (Sterelny et Fraser, 2016, p. 2). Il est donc possible que certaines versions du réalisme moral échappent aux arguments évolutionnaires. Il est généralement admis que la cible la plus évidente de ces arguments est le réalisme moral non-naturaliste. En effet, la plupart des non-naturalistes considèrent que les propriétés morales sont causalement inertes (Shafer-Landau, 2003; Enoch, 2011, mais voir Oddie, 2005).

Des difficultés demeurent pour ce qui a trait à la manière dont on devrait envisager la notion de sensibilité (ou d’insensibilité) aux vérités morales. La question est souvent abordée en termes de sensibilité contrefactuelle. Affirmer que les pressions évolutives sont sensibles aux vérités morales implique que si les vérités morales avaient été différentes, nos croyances morales auraient aussi été différentes d’une manière correspondante. Inversement, affirmer que les pressions évolutives sont insensibles aux vérités morales implique que si les vérités morales avaient été différentes, nous aurions malgré tout les mêmes croyances morales. Un problème avec ce genre de formulation est que bon nombre de réalistes moraux soutiennent que « les vérités qui unissent les propriétés morales aux propriétés naturelles sont métaphysiquement nécessaires » (Clarke-Doane, 2012, p 320). Par conséquent, si les vérités morales étaient différentes, les propriétés naturelles le seraient aussi. Et si les propriétés naturelles changeaient, nos croyances morales ne seraient plus les mêmes contrairement à ce qu’affirme la proposition contrefactuelle au sujet de l’insensibilité.

Afin d’éviter cette difficulté, on peut envisager la modalité pertinente comme étant la possibilité conceptuelle plutôt que la possibilité métaphysique. Ainsi comprise, l’idée est que, sur le plan conceptuel, les vérités morales auraient pu être à peu près n’importe quoi. Considérant l’immense espace de possibilités, ce serait une incroyable coïncidence que les pressions évolutives nous aient conduits vers les vérités morales qui existent effectivement. Une question qui se pose est donc celle de savoir s’il est conceptuellement possible que les vérités morales les plus fondamentales soient très différentes. Plusieurs réalistes moraux doutent que ce soit le cas. Russ Shafer-Landau et Terence Cuneo, par exemple, estiment que des contraintes conceptuelles limitent ce qui peut être considéré comme un système moral. Quiconque accepterait un ensemble de règles incluant l’apologie de la torture, du meurtre et du viol commettrait une erreur conceptuelle en considérant qu’il s’agit d’un système moral (Safer-Landau, 2012; Cuneo et Shafer-Landau, 2014).

Il y a plusieurs manières pour les réalistes de répondre aux critiques généalogiques globales. Une première possibilité, déjà évoquée, consiste à rejeter la prémisse causale voulant que l’évolution ait exercé une influence énorme sur le contenu des jugements moraux que nous acceptons. Une seconde possibilité consiste à identifier des jugements épistémiquement fiables et exempts d’influences évolutionnaires et à corriger à partir de ceux-ci les distorsions introduites par l’évolution. C’est ce que Shafer-Landau nomme la réponse naturelle (Shafer-Landau, 2012). Une troisième possibilité consiste à faire appel à certaines prémisses normatives. Supposons qu’il soit vrai que la douleur est mauvaise et que le plaisir est bon. Dans ce cas, il ne serait guère étonnant que l’évolution nous ait conduit à former des croyances qui coïncident jusqu’à un certain point avec les faits moraux. En effet, il y a de bonnes raisons de croire qu’éviter la douleur et rechercher le plaisir offre des avantages sur le plan de la valeur sélective (Skarsaune, 2011). C’est ce que David Enoch nomme les explications par un troisième facteur. Il s’agit sans doute du type de solution le plus populaire parmi les réalistes moraux (voir entre autres Copp, 2008; Wielenberg, 2010; Brosnan 2011, Enoch, 2011).

Le débat persiste quant aux promesses de ces solutions. La première possibilité dépend essentiellement de la résolution de questions empiriques controversées. Il paraît préférable à certains réalistes de développer une solution qui ne laisse pas leur théorie otage de la fortune empirique. Il n’est pas clair que la seconde solution permette de rendre compte de l’apparente corrélation entre les jugements moraux que nous acceptons et les vérités morales indépendantes postulées par les réalistes autrement que par un heureux hasard. En effet, même si l’on identifie certains principes moraux justifiés n’ayant pas été influencés par l’évolution, il faut également expliquer comment il se fait que plusieurs jugements que nous estimons être vrais sont le produit de telles influences (Aubé Beaudoin, 2015). La dernière solution soulève pour sa part la question de la légitimité de présupposer certaines vérités normatives dans le contexte d’une critique généalogique ciblant ces croyances. Certains y voient une pétition de principe (Street, 2008) tandis que d’autres croient que c’est acceptable (Wielenberg, 2010; Setiya, 2012).

b. Les arguments évolutionnaires en faveur de certaines théories métaéthiques

Les considérations relatives à l’évolution sont également mobilisées afin de soutenir certaines théories métaéthiques. En fait, comme il a été mentionné en introduction, presque toutes les positions métaéthiques, qu’elles soient antiréalistes, quasi-réalistes ou réalistes, ont été défendues de cette façon. Une exception notable est possiblement le réalisme moral non-naturaliste. Bien que les tenants de cette position soutiennent habituellement qu’elle est tout à fait compatible avec nos connaissances scientifiques, ils ont tendance à envisager l’éthique comme un domaine autonome ou a priori. Pour cette raison, les données empiriques, qu’elles proviennent de la biologie, de la psychologie ou de toute autre discipline scientifique, ne leur paraissent pas forcément pertinentes. Il s’agira dans cette section d’offrir un aperçu des liens possibles entre la biologie de l’évolution et diverses options métaéthiques, soit la théorie de l’erreur, l’expressivisme, le constructivisme et le réalisme naturaliste.

i. La théorie de l’erreur

Considérons en premier lieu la théorie de l’erreur, selon laquelle aucun jugement moral de premier ordre n’est vrai. Le discours moral, de ce point de vue, est comparable au discours au sujet des sorcières. Lorsque l’on affirme « cette femme est une sorcière », on lui attribue à tort certaines propriétés qui ne sont pas instanciées dans le monde (p. ex. : posséder des pouvoirs surnaturels). Lorsque l’on affirme que « tuer est mal », on présupposerait également à tort l’existence de certaines propriétés (p. ex. : être mal).

Les théoriciens de l’erreur reconnaissent habituellement qu’ils doivent expliquer comment nous en sommes arrivés à commettre systématiquement ce genre d’erreur (Mackie, 1977; Joyce, 2001; Olson, 2014). Les scénarios évolutionnaires offrent à cet égard des ressources intéressantes. Il est possible que le meilleur moyen pour la sélection naturelle d’assurer la force motivationnelle des jugements moraux, et donc de permettre aux humains de retirer les bénéfices de la coopération, soit de leur conférer une apparence d’objectivité. On peut illustrer cela à l’aide d’une analogie avec la religion. Certains estiment que les croyances religieuses sont adaptatives parce qu’elles favorisent la coopération et la cohésion sociale. Ces bénéfices ne peuvent toutefois être obtenus que si les agents croient bel et bien qu’il existe un agent surnaturel qui surveille leurs actions. L’objectivité de la morale pourrait donc être, en quelque sorte, « une illusion collective qui nous est imposée par nos gènes » (Ruse, 1986). Une manière de développer cette hypothèse consiste à défendre une forme de projectivisme moral. Selon cette position, bien que les propriétés morales semblent se situer hors de nous, dans le monde, il s’agit en fait d’une projection de nos émotions. L’idée remonte à Hume qui évoquait, dans le Traité de la nature humaine, la propension de l’esprit à se répandre sur les objets extérieurs. Selon Richard Joyce, l’un des principaux théoriciens de l’erreur contemporains, les considérations darwiniennes soutiennent cette position. La sélection naturelle aurait rendu possible le jugement moral en manipulant les centres émotionnels du cerveau (Joyce, 2007, p. 125).

ii. L’expressivisme

Le projectivisme est une position que l’on associe le plus souvent aux approches non-cognitivistes en métaéthique, notamment à l’expressivisme. Pour cette raison, les tenants de cette position peuvent très bien reprendre à leur compte le scénario qui vient d’être évoqué. Une différence importante entre les théoriciens de l’erreur et les expressivistes est que ces derniers rejettent la thèse voulant que les jugements moraux cherchent à représenter des faits. Ils tentent plutôt d’expliquer le sens des termes normatifs en décrivant les états mentaux que ces termes permettent d’exprimer. Cela implique de s’intéresser d’une manière ou d’une autre à la psychologie des agents moraux. Bien que les considérations darwiniennes ne soient pas forcément indispensables pour mener à bien un tel projet, elles peuvent néanmoins offrir des ressources pertinentes. Les travaux d’Allan Gibbard, l’un des plus éminents défenseurs de l’expressivisme, en offrent une bonne illustration. Dans Sagesse des choix, justesse des sentiments (1990), ce dernier met en évidence la fonction de coordination des jugements moraux. La capacité d’intérioriser ou d’accepter des normes serait selon lui une adaptation biologique propre aux humains. Par la discussion normative, ces derniers s’influencent mutuellement et ils parviennent à former un consensus au sujet de ce qu’il est rationnel de ressentir, de ce qu’il serait sensé de faire, etc. Les jugements moraux servent donc essentiellement à exprimer l’acceptation de certaines normes.

iii. Le constructivisme

Les constructivistes s’accordent avec les théoriciens de l’erreur et les expressivistes sur le fait qu’il n’existe pas de faits moraux indépendants de l’esprit, mais ils rejettent l’idée qu’aucun jugement moral ne puisse être dit vrai. Il y a des vérités morales, mais elles découlent du point de vue pratique des agents ou d’une certaine procédure de construction. Une question importante qui divise les constructivistes est celle de savoir si certaines conclusions morales substantielles découlent nécessairement de tout point de vue pratique. Les constructivistes kantiens répondent affirmativement à cette question, tandis que les constructivistes humiens y répondent négativement (Voir l’article Constructivisme métaéthique).

Ce sont surtout les constructivistes humiens qui mobilisent les arguments évolutionnaires. Selon Sharon Street, par exemple, l’attitude de « valoriser » (valuing) à partir de laquelle la morale est construite est un produit de l’évolution. Les pressions évolutives ont permis l’apparition de « créatures conscientes capables d’accorder de la valeur à certaines choses » (2012, p. 40) et c’est avec cette attitude qu’apparaissent également des vérités au sujet de ce qui a de la valeur. Le recours à la biologie de l’évolution permet, en principe, de tempérer le relativisme qu’implique la thèse voulant que les raisons d’agir d’un agent soit une fonction des points de départ évaluatifs contingents dont il est doté. En effet, si l’évolution a doté les humains d’un fonds de tendances évaluatives très largement partagées, on peut s’attendre à ce qu’il y ait une certaine convergence entre les points de vue pratiques des agents bien cela ne soit pas garanti par la nature même de la volonté ou de la raison pratique comme chez les constructivistes kantiens.

iv. Le réalisme naturaliste

Les trois positions dont il a été question jusqu’ici sont représentatives du consensus assez large voulant que les considérations darwiniennes profitent surtout aux théories métaéthiques antiréalistes (ou quasi-réalistes). Néanmoins, plusieurs auteurs ont soutenu que ceux qui croient que la morale est une adaptation biologique ont d’excellentes raisons d’être des réalistes moraux (Harms, 2000). Il y a, bien entendu, plusieurs manières de développer une telle suggestion. Il est possible de réduire les faits moraux à des faits fonctionnels au sujet des êtres humains(Casebeer, 2003), à des faits au sujet des besoins des sociétés (Copp, 1995), à des faits au sujet de la coopération et des pratiques et institutions qui la favorisent (Sterelny et Fraser, 2016), et ainsi de suite. Réduire les faits moraux à d’autres types de faits qui peuvent faire l’objet d’enquêtes empiriques permet de spécifier des conditions de vérités objectives pour les jugements moraux. Si x est un besoin pour une société, et que y permet de satisfaire ce besoin, le jugement « y est bien » peut être dit vrai indépendamment du point de vue quiconque. Notons que de telles approches admettent tout de même une certaine mesure de contingence : si notre histoire évolutive avait été différente, les faits moraux auraient aussi pu être différents.

Conclusion

On a parfois décrit la théorie de l’évolution comme un « acide universel » qui s’attaque à tous les concepts traditionnels et modifie ainsi profondément notre vision du monde (Dennett, 1995). La morale, bien entendu, n’y échappe pas. Notre compréhension des origines de ce phénomène a considérablement progressé depuis Darwin, bien qu’elle demeure imparfaite. Malgré les réticences de certains, les données issues de la biologie de l’évolution (et d’autres disciplines connexes) continuent, et continueront sans doute, d’être mobilisées par les philosophes qui œuvrent dans les champs de l’éthique normative et de la métaéthique afin de répondre aux questions les plus fondamentales : Avons-nous un sens moral ? Peut-on se fier à nos intuitions ? Existe-t-il des vérités morales objectives ? Cela contribue à faire de l’éthique évolutionniste un domaine foisonnant.

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Félix Aubé Beaudoin

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