Duns Scot (A)

Comment citer ?

Roques, Magali (2016), «Duns Scot (A)», dans Maxime Kristanek (dir.), l'Encyclopédie philosophique, consulté le ..., https://encyclo-philo.fr/duns-scot-jean-a

Publié en mai 2016

Résumé

Jean Duns Scot (1265/66-1308) est considéré comme l’un des plus grands philosophes et théologiens du Moyen Age tardif. Du fait de sa mort précoce, le corpus demeure dans un état inachevé et désorganisé. En outre, la pensée de Scot est connue pour sa difficulté, qui lui valut après sa mort le titre de « docteur subtil ». En dépit de l’état des textes et de leur difficulté, la pensée scotiste est aujourd’hui l’objet d’un intérêt renouvelé. En effet, les sujets qui ont intéressé Duns Scot sont redevenus d’actualité en philosophie analytique : métaphysique, philosophie de l’esprit et psychologie philosophique, théorie des modalités, théorie de l’action et métaéthique. Scot s’appuie sur une méthode d’analyse des problèmes qui est sensiblement la même que celle adoptée en philosophie analytique : souci pour la forme logique, précision terminologique et conceptuelle, rigueur de l’analyse du problème. Par ailleurs, sa théologie naturelle accorde une place particulière à la question du langage religieux ; elle trouve son aboutissement dans une preuve de l’existence de Dieu qui est la plus longue et la plus complexe de toute la période médiévale. Elle est souvent considérée comme l’une des contributions les plus importantes jamais apportées à la théologie naturelle. Cette preuve se distingue par deux traits majeurs. D’abord, par sa nature a priori : il est question de déduire à partir  de la possibilité de l’existence de Dieu la nécessité de son existence. Ensuite, par le nerf conceptuel que représente la notion de dépendance ontologique qui intervient dans l’idée d’une série de causes essentiellement ordonnées les unes aux autres, pour lesquelles la régression à l’infini est impossible. Guillaume d’Ockham ne s’y est pas trompé ; il a pris Duns Scot pour source d’inspiration, mais aussi pour adversaire principal. Ce faisant, il a grandement contribué à la renommée de son prédécesseur réaliste.


Table des matières

1. Vie et œuvres

a. Vieb. Œuvres

2. Théologie naturelle

a. La possibilité d’une théologie naturelle : la thèse de l’univocité

b. La preuve de l’existence de Dieu

3. Métaphysique

a. Identité et distinctions

b. Universaux et principe d’individuation

c. Théorie des modalités

4. Philosophie naturelle

a. Hylémorphisme : la structure métaphysique de l’étant créé

b. La structure du continu

5. Théorie de l’esprit et de la connaissance

a. Théorie de l’intentionnalité

b. La réfutation du scepticisme sur les vérités empiriques

c. Connaissance intuitive et connaissance abstractive

6. Éthique et psychologie morale

a. La liberté de la volonté et la moralité

b. Moralité et loi naturelle

7. Actualité de la philosophie scotiste

a. Réception de la philosophie scotiste

b. Portée actuelle de la philosophie scotiste

8. Bibliographie

a. Œuvres de Duns Scot

i. En latin

ii. Traductions françaises

b. Littérature secondaire

i. Introductions générales

ii. Ouvrages et articles spécialisés


1. Vie et œuvres

a. Vie

Jean Duns Scot (1265/66-1308) est né dans un village écossais, d’où son surnom « Scot ». Il est ordonné prêtre dans l’ordre des frères mineurs au prieuré de Saint Andrew à Northampton en 1291. Il étudie la philosophie puis la théologie à Oxford dans les années 1280. Il commente les deux premiers livres des Sentences de Pierre Lombard – condition requise pour obtenir le titre de docteur en théologie – en 1298-1299. Il quitte Oxford pour Paris en 1302 où il recommence son commentaire des Sentences. Il est expulsé de France en juin 1303, avec huit autres franciscains, pour avoir pris le parti du pape Boniface VIII dans sa dispute avec le roi Philippe IV. Après la mort de Boniface en 1303, Scot revient en France. Il est fait docteur en théologie en 1305. Il est maître régent des franciscains à Paris en 1306-1307. Il est alors nommé au studium franciscain de Cologne, où il enseigne à partir d’octobre 1307. Il meurt à Cologne l’année suivante.

b. Œuvres

Les œuvres de Duns Scot sont séparées en deux catégories, les œuvres philosophiques et les œuvres théologiques. Au début de sa carrière, Scot a écrit des commentaires sur des textes aristotéliciens. Ces œuvres dites « philosophiques » dateraient d’environ 1295. On dispose d’un commentaire par questions sur l’Isagoge de Porphyre, ainsi que des commentaires par questions sur une partie du corpus logique d’Aristote, à savoir les Catégories, le De L’interprétation, et les Réfutations Sophistiques. Les Questions sur le De L’âme seraient probablement une œuvre précoce, de la fin des années 1280 ou du début des années 1290. On s’entend aujourd’hui pour dire que les Questions sur la Métaphysique, commencées à Oxford, ont été terminées tardivement, à Paris.

L’œuvre principale de Scot, son commentaire sur les Sentences de Pierre Lombard, est de nature théologique. Il est assez difficile de s’y repérer pour le néophyte, car elle existe en trois versions différentes. En outre, Scot a révisé son œuvre tout au long de sa carrière. La version la plus précoce, la Lectura, est le fruit de la lecture de Scot durant sa période de formation à Oxford. Lui fait suite l’Ordinatio, une version retravaillée et étendue de la Lectura, sur laquelle Scot a travaillé durant son séjour à Paris, en vue de publication. Il s’agit de l’œuvre de référence, à consulter en premier lieu. Enfin, la lecture que Scot a faite à Paris sur les Sentences a été prise en note par des étudiants. Elle est appelée pour cette raison la Reportatio Parisiensis. Une fois maître en théologie, Scot a dirigé puis retravaillé des Questions quodlibétiques, qui représentent son œuvre de maturité. Il a également écrit un traité fameux, le De primo principio. Quoique ce traité consiste en grande partie en une reprise littérale de passages de l’Ordinatio (I, distinction 2), il contient les thèses scotistes les plus importantes en théologie naturelle.

L’état des éditions est complexe. Luc Wadding a donné la première édition complète en 1639, reprise par Vivès en 1891-1895. Elle contient de nombreux textes inauthentiques et est parfois fautive. Une nouvelle édition critique est en cours, publiée à la cité du Vatican. La Lectura (livres I et II), l’Ordinatio et une partie des Reportationes Parisiensis (Reportatio I-A) ont déjà été publiées. Des éditions modernes des Quodlibets et du Tractatus de Primo Principio sont également disponibles.

2. Théologie naturelle

a. La possibilité d’une théologie naturelle : la thèse de l’univocité

Scot pense qu’il est possible d’obtenir un savoir de Dieu indépendamment de toute révélation. Comme ses prédécesseurs, il estime que tout notre savoir de Dieu part des créatures. La thèse communément partagée est que les prédicats qui s’appliquent à Dieu ne se prédiquent qu’analogiquement de Dieu et des créatures. Ainsi, comme terme analogique, le terme « étant » a des significations différentes lorsqu’il est prédiqué de Dieu et des créatures, mais ces significations sont reliées les unes aux autres. La thèse de l’analogie était perçue comme procurant un moyen pour assurer d’un côté que Dieu transcende les créatures – ce que la thèse de l’univocité ne pourrait pas assurer – et de l’autre qu’il est naturellement connaissable – ce que la thèse de l’équivocité ne pourrait pas assurer.

Scot se sépare de ses prédécesseurs et défend un point de vue radical (Boulnois, 1999 chap. V ; Honnefelder, 2002). Il affirme que, si le concept d’étant n’est pas univoque à Dieu et aux créatures, alors tant la philosophie que la théologie naturelle courraient à la ruine, puisqu’une démonstration, par définition, requiert l’univocité des termes qu’elle contient. Sans concept univoque à Dieu et à la créature, toute preuve de l’existence de Dieu serait vaine, puisque tout argument a posteriori pour l’existence de Dieu prend comme prémisse l’existence de créatures finies. Scot soutient donc qu’il existe des prédicats univoques à Dieu et à la créature, ainsi qu’à toutes les catégories de l’être, en l’occurrence le concept d’étant et certains transcendantaux (les transcendantaux étant des termes, comme « un », « vrai », « bon », qui n’entrent dans aucune des catégories de l’être). Les deux conditions pour qu’un concept soit univoque sont les suivantes : (1) l’affirmer et le nier du même sujet est suffisant pour obtenir une contradiction et (2) il peut servir comme moyen terme dans un syllogisme (Ord. I, d. 3, p. 1, qq. 1-2, n. 36, trad. O. Boulnois, 1988). Par exemple, on peut dire sans contradiction qu’Anne est venue au travail de façon volontaire (car elle voulait garder son emploi plutôt qu’être licenciée) et qu’elle n’est pas venue au travail de façon volontaire (car elle a été contrainte de le faire pour garder son emploi). Cela signifie que le terme « volontaire » ne satisfait pas la première condition et n’est donc pas un terme univoque.

Scot avance plusieurs arguments en faveur de cette thèse, le plus célèbre étant « l’argument par les concepts certains et douteux » (Ord. I, d. 3, pars 1, q. 1-2, n. 27). Supposons qu’un intellect est certain d’un concept, mais doute d’autres. Nécessairement le concept dont il est certain est distinct des concepts dont il doute. Or l’homme est certain que Dieu existe, alors qu’il peut douter s’il est infini. Donc le concept d’étant est distinct du concept d’étant infini, et il est univoque à Dieu et à la créature. La première prémisse, qui porte sur la distinction entre les concepts dont on est certain et ceux dont on doute, est posée comme évidente. La seconde prémisse est considérée comme vraie de facto, du fait que, des pré-socratiques au XIIIe siècle, les philosophes se sont interrogés sur la question de savoir si le premier principe était fini ou infini.

Par définition, le concept d’étant, étant univoque à Dieu et aux créatures, est un concept commun de Dieu. Il n’est pas un concept propre de Dieu. Il désigne autant Dieu qu’une créature. Sur terre, il est impossible à l’homme d’avoir un concept propre de Dieu, qui ne désigne que lui, car cela présuppose de connaître son essence. Connaître Dieu par le concept d’étant, ce n’est rien de plus que connaître Dieu comme on connaît une personne dont on a entendu parler mais que l’on n’a jamais vue. Une thèse centrale de la théologie naturelle scotiste est que l’on ne conçoit pas aussi distinctement que l’on parle (Ashworth, 1980). Autrement dit, on peut disposer de termes capables de désigner seulement Dieu, mais cela n’implique pas qu’on le conçoive distinctement. Scot reconnaît que l’on peut avoir un concept relativement simple de Dieu, le concept d’étant infini (Ord. I, d. 2, p. 1, qq. 1-2, nn. 142-142). Ce concept n’est pas un concept composé, comme le sont les concepts « bien suprême » ou « cause première ». En effet, l’infinité n’est pas une propriété comme les autres ; c’est un mode intrinsèque d’être, non une détermination qui viendrait s’ajouter sans la modifier à la chose qu’elle qualifie. Pour comprendre cette idée, on peut s’appuyer sur le statut de l’infinité dans la preuve de l’existence de Dieu. Mais ceci requiert d’abord d’examiner cette preuve en elle-même.

b. La preuve de l’existence de Dieu

La preuve scotiste de l’existence de Dieu est la preuve plus longue et la plus complexe de toute la période médiévale (Boulnois, 1999, chapitre VII ; Cross, 1999, chap. 2 ; Wood, 1987). Elle est souvent considérée comme l’une des contributions les plus importantes jamais apportées à la théologie naturelle. Elle existe en quatre versions et, dans sa forme la plus développée, couvre des centaines de pages et des dizaines de conclusions. Les différentes versions sont données en Lectura I, d. 2, q. 1, nn. 58-135 ; Ordinatio I, d. 2, q. 1, nn. 39-190 ; Reportatio I, d. 2, q. 1 ; De primo principio.

Sa longueur provient du fait que Scot estime qu’une preuve de l’existence de Dieu ne doit pas s’arrêter à l’existence d’une cause première, mais doit atteindre un étant actuellement infini, qui est le concept le plus éminent que l’homme peut atteindre de Dieu avec sa seule raison naturelle. C’est la raison pour laquelle la preuve scotiste comprend deux parties. Dans la première partie, on prouve une « triple primauté », à savoir qu’il existe une cause efficiente première, une cause finale première et un étant éminent le plus parfait. Scot commence avec une preuve cosmologique, fondée sur la nature de la causalité. Il estime qu’elle est insuffisante car elle part d’une prémisse contingente, le fait de l’existence des créatures. Il poursuit donc avec un argument ontologique, qui dérive de la possibilité de l’existence de Dieu la nécessité de son existence. Dans une seconde partie, on prouve que l’étant premier est infini en acte.

L’argument le plus important de la preuve est celui qui parvient à l’existence d’une cause efficiente première. Scot stipule qu’il ne s’intéresse qu’à la causalité efficiente dans son sens métaphysique de cause d’être ; il laisse de côté la causalité efficiente au sens aristotélicien de cause du mouvement, donc la preuve qu’Aristote donne, en Physique VIII, de l’existence d’un premier moteur immobile. L’argument est fondé sur la distinction entre deux types de causes, les causes essentiellement ordonnées et les causes accidentellement ordonnées (Ord. I, d. 3, p. 3, q. 2, nn. 544-545 ; De primo principio chap. 3, trad. Putallaz et alii p. 111). Dans une série de causes accidentellement ordonnées, le fait qu’un membre de la série est lui-même causé est accidentel à la propre activité causale du membre de la liste. Par exemple, un grand-père A engendre un fils B, qui engendre un fils C. Le fait que B engendre C ne dépend pas de A, puisque A peut être mort à la naissance de C. Au contraire, dans une série de causes essentiellement ordonnées, l’activité causale des membres postérieurs de la série dépend de celle des membres qui leur sont antérieurs. Par exemple, le bateau est remorqué par des hommes sur le quai, mais seulement parce que leurs bras tirent sur la corde qui les relie au bateau. Une série de causes accidentellement ordonnées peut être infinie : il peut ne pas y avoir de fin à la série des pères. Par contre, une série de causes essentiellement ordonnées ne peut pas être infinie, en vertu de ses trois caractéristiques définitionnelles, qui sont les suivantes. Premièrement, une cause postérieure dépend d’une cause antérieure pour l’exercice de son pouvoir causal. Il s’ensuit, deuxièmement, que la cause postérieure doit être d’une nature et d’un ordre différents de ceux de la cause qui lui est antérieure, car aucune cause ne dépend d’une autre de même nature pour l’exercice de son pouvoir causal. Troisièmement, toutes les causes essentiellement ordonnées doivent être présentes simultanément pour produire un effet car, dans le cas contraire, une nature causale, nécessaire pour la production de l’effet, serait manquante.

La structure de l’argument est alors la suivante (elle provient de Williams, 2015) :

  1. Aucun effet ne peut se produire soi-même.
  2. Aucun effet ne peut être produit par rien.
  3. Un cercle dans les causes est impossible.
  4. Donc un effet doit être produit par quelque chose d’autre. (De 1, 2 et 3)
  5. Il n’y a pas de régression à l’infini dans une série essentiellement ordonnée de causes.(5a) Il n’est pas nécessairement le cas qu’un étant possédant un pouvoir causal C possède C d’une manière imparfaite.(5b) Donc, il est possible que C soit possédé sans imperfection par quelque chose.(5c) S’il n’est pas possible à quoi que ce soit de posséder C sans dépendre de quelque chose d’antérieur, alors il n’est pas possible qu’il y ait quoi que ce soit qui possède C sans imperfection (puisque la dépendance est un type d’imperfection).(5d) Donc il est possible que quelque chose possède C sans dépendre de quelque chose d’antérieur. (De 5b et 5c par modus tollens)(5e) Tout ce qui possède C sans dépendre de quoi que ce soit d’antérieur est un agent premier (c’est-à-dire un agent qui ne succède pas à une cause antérieure dans une série de causes essentiellement ordonnées).(5h) Donc quelque chose est un agent premier.

Scot doit encore prouver qu’il existe un agent qui n’est pas postérieur à toute cause antérieure dans une série de causes essentiellement ordonnées :

6. Il n’est pas possible qu’il existe une série de causes accidentellement ordonnées s’il n’existe pas une série de causes essentiellement ordonnées.(6a) Dans une série de causes accidentellement ordonnées, chaque membre de la série, à l’exception du premier membre s’il y en a un, vient à l’existence du fait de l’activité causale d’un membre antérieur de la série.(6b) Cette activité causale est exercée en vertu d’une certaine forme.(6c) Donc chaque membre de la série dépend de cette forme pour son activité causale.(6d) Cette forme n’est pas elle-même un membre de la série.(6e) Donc la série de causes accidentellement ordonnées dépend essentiellement d’une cause d’un ordre supérieur.

7. Donc il existe un premier agent. (De 4, 5, et 6).

Scot est insatisfait par cette preuve, car elle part d’une prémisse contingente, le fait de l’existence de créatures produites par quelque chose. Il la reformule de manière modale, de façon à partir d’une prémisse nécessaire. La preuve part donc de la possibilité d’un effet et arrive à la possibilité d’une cause première, dont l’existence nécessaire est déduite. L’argument est le suivant. Si une première cause est possible et si elle n’existe pas, elle ne pourrait être produite que par une cause qui lui est antérieure. Mais une cause première ne peut dépendre d’aucune cause antérieure. Donc si une cause première n’existe pas, il lui est impossible d’exister, ce qui contredit la conclusion de la preuve. Donc une cause première existe. Cette formulation est sans précédent dans l’histoire des preuves de l’existence de Dieu.

Une fois ce résultat acquis, Scot montre qu’il y a une fin ultime de l’activité causale, c’est-à-dire une première cause finale et qu’il existe un étant (ens) parfaitement éminent (De primo principio, chap. 3). Il montre ensuite que ces trois primautés sont coextensives, c’est-à-dire que tout étant qui est premier dans l’une de ces trois manières est également premier dans les deux autres manières.

La preuve ne s’arrête pas là. Dans un second moment, Scot montre que l’étant qui est premier selon ces trois primautés possède un intellect et une volonté et que tout étant de ce genre est infini. Il en déduit, enfin, que cet étant est unique (De primo principio, chap. 4). La preuve de l’infinité de Dieu est particulièrement intéressante. Elle repose sur une critique de la preuve aristotélicienne de l’infinité du premier moteur, à partir de la prémisse selon laquelle le premier moteur meut le monde éternellement. D’après Scot, le fait qu’une cause soit de puissance infinie n’est pas déductible du fait qu’elle produise une succession d’effets finis dans un temps infini. Une condition nécessaire est que le premier moteur doive posséder simultanément la totalité du pouvoir requis pour produire tous les effets qui peuvent être produits en un temps infini. Cette capacité de la cause première dérive directement de sa nature car elle ne peut tenir son pouvoir de quelque chose d’autre. Une fois la preuve aristotélicienne améliorée, Scot propose sa propre preuve, qui repose sur la causalité exemplaire, c’est-à-dire sur la cause première considérée comme agent intelligent. En guise de préliminaire, Scot prouve trois thèses : (1) la cause première a un intellect et une volonté, (2) ses actes intellectuels et volitifs sont identiques à son essence et (3) elle connaît tout ce qui peut être connu à la fois distinctement et en acte. À partir de là, Scot raisonne ainsi : puisque l’intellect divin connaît distinctement et en acte tout ce qui peut être connu, il le connaît simultanément. En effet, un intellect connaît non pas simultanément mais successivement seulement s’il se meut du confus au distinct ou du savoir potentiel au savoir actuel. Or tout ce qui peut être connu est infini. Donc, puisque l’intellect de la première cause connaît une infinité de choses en acte et simultanément, il est infini en acte.

3. Métaphysique

a. Identité et distinctions

Scot pense que, pour analyser la structure de la réalité créée et comprendre la nature de Dieu, on doit disposer d’une théorie de l’identité et de différents types de distinction. La motivation pour distinguer différents types de distinction provient de la volonté des philosophes et théologiens de la fin du XIIIe siècle de trouver un fondement objectif pour des concepts coextentifs. Scot distingue quatre types de distinction : la distinction réelle, la distinction conceptuelle, la distinction formelle et la distinction modale (Adams, 1976).

Il existe une distinction réelle entre deux individus x et y si et seulement s’il est logiquement possible pour x d’exister sans y ou pour y d’exister sans x (Ord. II, d. 2, p. 1, q. 2, nn. 92-94). Autrement, l’inséparabilité est nécessaire et suffisante pour l’identité réelle (Ord. II, d. 1, qq. 4-5, nn. 200-202 pour la nécessité et Quod. III.46 pour la suffisance). Par exemple, la vache Rosie et le chat Minou sont réellement distincts l’un de l’autre, comme ma main et mon pied ou la substance Socrate et son accident la blancheur. Il n’est pas nécessaire que x et y puissent tous deux exister sans l’autre. Ainsi, Dieu et toute créature sont réellement distincts, car Dieu peut exister sans aucune créature, quoiqu’aucune créature ne puisse exister sans Dieu.

Une distinction conceptuelle est le résultat d’une activité intellectuelle et ne présuppose aucune distinction dans la chose considérée. Par exemple, Vénus peut être considérée comme l’étoile du matin et comme l’étoile du soir.

Une distinction formelle est un type de distinction intermédiaire entre la distinction réelle et la distinction conceptuelle (Lect. I, d. 8, p. 1, q. 4, nn. 172-188 ; Ord. I, d. 2, p. 2, qq. 1-4, nn. 388-410 et d. 8, p. 1, q. 4, nn. 191-217). Elle se caractérise comme une distinction qui a un fondement dans la réalité, mais qui n’implique pas la séparabilité. Par exemple, l’intellect et la volonté sont formellement distincts l’un de l’autre, tout en étant réellement identiques l’un à l’autre et inséparables l’un de l’autre. Ils sont formellement distincts car ils ne satisfont pas la même définition : la volonté est un pouvoir de l’âme qui est libre, contrairement à l’intellect. Cette différence ne se réduit pas à une manière dont on aurait de les concevoir : deux entités formellement distinctes le sont dans la chose (ex parte rei) indépendamment de toute activité de l’intellect. Par définition, x et y sont formellement distincts si et seulement si (1) x et y sont réellement identiques, (2) x a une définition (ratio) différente de celle de y et (3) aucune des deux définitions ne recoupe l’autre. Scot fait de la distinction formelle un vaste usage en philosophie et en théologie. Il estime qu’il y a une distinction formelle entre une nature commune et ce qui l’individue, entre un genre et la différence spécifique qui le détermine, entre les attributs divins et, enfin, entre chaque personne de la Trinité et l’essence divine.

Un changement dans la théorie scotiste de la distinction formelle a souvent été souligné par les chercheurs. Cette modification permet de mieux expliciter la nature de ce type de distinction. Dans la Lectura, les formalités distinctes dans une même chose sont des entités qui peuvent fonctionner comme des porteurs de propriétés. Scot peut ainsi expliquer qu’une même chose a des propriétés contradictoires F et non-F en affirmant que le porteur de F est formellement distinct du porteur de non-F. Dans certaines de ses œuvres parisiennes, comme la Reportatio (I, d. 33), au sujet de la Trinité, Scot semble avoir penché pour une interprétation de la distinction formelle ontologiquement plus parcimonieuse. La non-identité formelle dans une seule chose n’implique pas des formalités absolument distinctes dans la chose. Gelber (1974) et Adams (1976) ont suggéré que Scot a changé d’avis en réponse à des critiques élevées à Paris, selon lesquelles la théorie de la distinction formelle ruinerait la simplicité divine.

Scot reconnaît un quatrième et dernier type de distinction, la distinction modale (Ord. I, d. 8, p. 1, q. 3, nn. 138-140). Ce type de distinction concerne des entités comme la couleur rouge, le courage, qui admettent des différences de degré ou d’intensité, ainsi que l’étant, qui peut être fini ou infini. Ces entités ont une essence qui admet une variation d’intensité. L’intensité d’une essence est nommée « mode intrinsèque ». Scot explique ce qu’est la distinction modale par une distinction entre les modes intrinsèques et les différences spécifiques. Une différence spécifique a une définition différente de celle du genre qu’elle détermine. Une différence en intensité, par contre, ne modifie pas l’entité dont l’essence a changé d’intensité. Un rouge sombre et un rouge clair partagent la même définition. Plus précisément, la chose est inséparable de son mode, et inversement. Plus encore, le mode n’est pas concevable indépendamment de la chose dont il est le mode. Ainsi, la distinction modale est un type de distinction encore moins fort que la distinction formelle. Scot en fait deux usages principaux : dans son explication des variations en intensité des formes accidentelles comme la blancheur ou la vertu de courage, ainsi que dans son analyse de la distinction entre l’étant fini et l’étant infini.

b. Universaux et principe d’individuation

L’usage le plus célèbre de la distinction formelle concerne le problème des universaux. La position réaliste de Scot a acquis sa célébrité en raison de la virulente critique qu’en a donnée Ockham, bien connu pour être farouchement opposé à toute forme de distinction formelle, du moins en philosophie (Adams, 1976). Scot défend un réalisme modéré. Ce réalisme est anti-platonicien dans le sens où Scot n’admet pas l’existence d’universaux séparés, c’est-à-dire d’universaux qui ne sont pas instanciés dans des individus. Plus précisément, le réalisme scotiste est modéré au sens où Scot n’admet pas de distinction réelle entre un universel et son instanciation dans un individu : un universel comme l’humanité est réellement identique au particulier Socrate qui l’instancie. L’originalité de la doctrine scotiste consiste à affirmer qu’un universel et son instanciation dans un individu sont formellement distincts l’un de l’autre. Tout l’enjeu est alors d’expliquer en quoi consiste le rapport entre l’universel et ses instanciations. C’est pourquoi Duns Scot ne dissocie pas le problème du statut ontologique des universaux du problème de l’individuation (Bates, 2010 ; Cross, 2003 ; King, 1992 ; Tiercelin, 2004).

Scot traite du problème des universaux à l’occasion de sa discussion du principe d’individuation (Ord. II, d. 3, p. 1, qq. 1-6, trad. Sondag 1992 ; Lect. II, d. 3, p. 1, qq. 1-6). Il rejette cinq positions avant de présenter la sienne (Boulnois 1991, 1992 ; P. King, 1992 ; Tweedale 1999). L’enjeu est de répondre à la question de savoir comment quelque chose peut être un individu, c’est-à-dire une entité non répétable, telle qu’il ne peut y avoir deux entités identiques numériquement (Ord. II, d. 3, q. 1, p. 1, q. 4, n. 76). Ainsi, chercher quel est le principe d’individuation d’un singulier revient à chercher à rendre compte de son caractère unique et non répétable, de façon intrinsèque et non par comparaison avec d’autres singuliers, en s’appuyant sur une propriété que ce singulier ne partage avec aucun autre.

La première opinion discutée soutient qu’une nature spécifique comme la chevalinité ou l’humanité est par soi singulière (Ord. II, d. 3, q. 1, p. 1, nn. 5-28). Il n’y a pas à chercher de cause à la singularité, mais plutôt à l’universalité. Scot s’oppose à cette position avec deux arguments principaux. Le premier est d’ordre épistémologique. Si la nature prise en elle-même est singulière, la connaissance de la nature comme universelle est impossible. En effet, l’objet propre de l’intellect est un universel. Si la nature était singulière, l’intellect devrait la saisir sous un aspect qui n’est pas celui qu’elle possède dans la réalité. Le second argument, de nature métaphysique, est le suivant. Si la nature spécifique d’un singulier était singulière, les individus ne pourraient pas être classés dans des espèces : toutes les choses seraient disparates ou également diverses, si bien que Socrate ne serait pas moins distinct de Platon que d’une pierre. L’esprit ne pourrait pas classer les individus dans des espèces car il n’y aurait rien de commun en eux qui permettrait une telle classification (Ord. II, d. 3, p. 1, q. 1, n. 28).

Scot en conclut que la nature doit être commune. Cela ne signifie pas que la nature est un universel, car un universel est ce qui est conçu par l’esprit. Le caractère commun de cette nature est celui dont il est question dans la fameuse proposition d’Avicenne, selon laquelle « la chevalinité n’est rien d’autre que la chevalinité comme telle ; de soi, elle n’est ni une ni plusieurs, ni universelle ni singulière » (Ord. II, d. 3, p. 1, q. 1, n. 30-32). La neutralité de la nature envers la singularité et l’universalité provient de la nécessité de préserver la vérité des énoncés d’identité contenant un terme désignant la nature. En effet, le terme désignant une nature commune comme « chevalinité » peut être prédiqué d’un terme désignant un singulier, comme dans « Socrate est un homme » ou peut être le sujet dans une prédication dans laquelle un terme générique est prédiqué du terme désignant la nature commune, comme dans « un homme est un animal ». Si le référent du terme désignant la nature étant identique dans les deux propositions, alors la nature serait à la fois singulière, c’est-à-dire non répétable, et universelle, c’est-à-dire prédicable de plusieurs. En outre, la nature est antérieure à toute réalisation dans un singulier, ou à toute pensée (Ord. II, d. 3, p. 1, q. 1, nn. 11-28). Autrement dit, Scot distingue nettement l’universalité, produit d’une activité intellectuelle, de la communauté, propriété d’une nature, par soi ni singulière ni universelle. En ce sens, il importe de bien distinguer l’universel de la nature commune. L’universel est un terme mental ou parlé, tandis que la nature commune est une entité dont l’existence est indépendante du fait de la concevoir.

Scot précise les quatre caractéristiques de la nature commune de la façon suivante (Ord. II, d. 3, p. 1, q. 1, n. 32) : (1) elle est l’essence de l’objet propre de l’intellect, (2) elle est l’objet de l’enquête du métaphysicien, (3) elle est exprimée par une définition et, enfin, (4) elle est ce en vertu de quoi sont vraies les propositions par soi sur le premier mode, c’est-à-dire les propositions dans lesquelles le prédicat est une partie de la définition du sujet, comme « un homme est un animal ».

Quelle est, dès lors, la cause de sa singularité lorsque la nature existe dans la réalité ? Quatre possibilités sont proposées : la négation (thèse d’Henri de Gand), l’existence (une thèse commune, inspirée d’Aristote), la quantité (thèse de Gilles de Rome) et la matière (thèse aristotélicienne). L’individuation par la négation est rejetée au motif qu’une négation ne peut jamais être une cause ou explication ultime car une négation présuppose toujours quelque chose de positif. L’individuation par l’existence est rejetée au motif d’une incohérence interne : selon les défenseurs de cette position, l’existence est un accident ; or un accident est nécessairement postérieur à l’individuation d’une espèce dans un singulier. Le même type d’argument est employé pour rejeter l’individuation par la quantité. La quantité est un accident qui est, par définition, postérieur à la substance. Par conséquent, il ne peut individuer quelque chose qui lui est antérieur, à savoir une substance. Enfin, l’individuation par la matière est rejetée au motif que ce qui est indéterminé ne peut être un principe de distinction.

La réponse de Scot consiste à dire qu’une nature commune est individuée par une « haeccéité » (« haecceitas »). Les théories de l’individuation par l’haeccéité sont communes aujourd’hui. Elles ont été défendues, entre autres, par R. M. Adams (1979) et S. Rosenkrantz (1993), qui ne manquent pas de faire référence à Duns Scot. Par exemple, R. M. Adams soutient que ce sont des propriétés purement qualitatives, nommées « haeccéités » qui individuent les universaux. Plus exactement, il définit une haeccéité comme « la propriété d’être identique à un certain individu particulier ». Ainsi, « être identique à Vespasien » est une haeccéité, alors que « être identique à soi » ne l’est pas. Pour lui, les haeccéités sont des propriétés qui ne sont pas des parties des choses auxquelles elles appartiennent. En cela, il se distingue de Scot, qui pense que les haeccéités sont des parties des choses auxquelles elles appartiennent. Cette thèse trouve sa justification dans l’idée centrale selon laquelle le principe d’individuation doit être intrinsèque au particulier. Comme le principe d’individuation ne peut être aucune des parties intrinsèques du composé substantiel qui, toutes, sont communes, il doit s’agir d’une différence substantielle. Scot la nomme « différence individuelle », par opposition aux différences spécifiques et génériques, du fait qu’elle n’ajoute aucune propriété essentielle à la substance composée individuée.

Peut-on préciser davantage le rapport entre la nature commune et l’haeccéité ? Scot en traite en Ord. II, d. 3, p. 1, qq. 5-6, n. 188. La nature commune ne s’instancie pas dans des particuliers, puisque la nature individuée comprend des propriétés intrinsèques qui ne sont pas comprises dans la nature commune prise en elle-même, mais qui proviennent de l’haecceité. Cela s’explique par la fonction de la nature commune : elle est posée pour rendre compte de la ressemblance entre choses de même espèce, non de l’identité numérique entre différentes instanciations d’un universel (Ord. II, d. 3, p. 1, qq. 5-6, n. 170). Ce qu’ajoute l’haecceité à la nature commune est une actualisation. Elle a pour fonction de rendre la substance composée non répétable ou, dans les termes de Scot, « non divisible en espèces ». Elle n’est pas individuelle. Sa nature et la nécessité de la poser ne peuvent être expliquées que de façon négative et indirecte, car, du fait qu’elle est indéfinissable et non saisissable par un concept, elle demeure inconnaissable en soi.

c. Théorie des modalités

La théorie scotiste des modalités a été l’objet d’une attention soutenue depuis que S. Knuuttila a suggéré que Scot a été le premier, au Moyen Âge, à employer une conception dite synchronique des modalités, qui accepte des possibilités alternatives à un temps donné (S. Knuuttila, 1993, p. 143). L’enjeu est de savoir si Scot développe quelque chose d’analogue à la notion de monde possible, en particulier dans sa version leibnizienne. Deux problèmes sont au centre du débat, à savoir la nature des modalités et leur origine. Concernant la nature des modalités, il est question de savoir si Scot développe une forme de possibilité logique indépendante de toute métaphysique de la causalité. Concernant l’origine des modalités, il est question de savoir si la possibilité dépend ou non de Dieu. Scot traite de cette question au sujet de la liberté humaine et de la liberté divine, en relation avec la question des futurs contingents, ainsi que celles de la prescience divine et de la prédestination.

D’après S. Knuuttila, Scot ne réduit pas les opérateurs modaux aux opérateurs temporels, comme c’est le cas dans la tradition aristotélicienne. Aristote développe un « modèle statistique des modalités », qui repose sur le « principe de plénitude », selon lequel toute possibilité sera actualisée. D’après ce modèle qui aurait prévalu d’Aristote à Scot, la nécessité est identifiée à ce qui arrive toujours, la possibilité à ce qui arrive parfois et l’impossibilité à ce qui n’arrivera jamais. Scot s’oppose à cette conception des modalités et affirme que les modalités reposent sur la possibilité d’états de chose alternatifs au même moment (Lect., I, d. 39 ; Ord. I, d. 42-44, trad. Boulnois, 1994). Cette thèse fait partie d’un argument qui défend l’idée que, bien que Dieu connaisse le futur et le prédestine, ce qui existe est en grande partie contingent. Le nerf de l’argument consiste à dire que l’activité divine est éternellement présente et contingente. Elle a lieu dans un instant unique et indivisible qui ne devient jamais passé ; la volonté de Dieu est l’exercice d’un pouvoir des opposés tel que Dieu peut choisir le contradictoire de ce qu’il choisit au moment même où il le fait.

L’argument repose sur l’idée centrale, dans la tradition scotiste, d’instant de nature. Les instants de nature ont la propriété de se succéder dans un même et unique instant du temps. Cette succession représente un type de priorité, dite naturelle, indépendante de tout procès causal et de tout changement. Autrement dit, Dieu peut penser A, puis vouloir A, sans que rien n’ait changé. Deux exemples peuvent illustrer cette idée de nature théologique. Lorsque Dieu crée le monde, le changement n’existe pas. Pourtant, il y a un ordre de priorité entre la situation dans laquelle Dieu ne crée pas et celle dans laquelle il crée. De même, dans la Trinité, Dieu le père produit le Fils et tous deux produisent le Saint Esprit. Les productions trinitaires sont naturellement ordonnées les unes aux autres, selon des instants de nature. Pourtant, la Trinité existe hors du temps et du changement.

Dans un deuxième temps, Scot s’assure de rompre le lien établi, dans la tradition aristotélicienne, entre les modalités aléthiques et la métaphysique de la causalité. D’après les prédécesseurs de Scot, ce qui est possible est ce qui peut être produit par une puissance causale. Scot propose une analyse du possible qui repose sur la notion de compossibilité formelle. Il s’agit d’une possibilité de nature logique ; Scot parle de « potentia logica » à son sujet (Ord. I, d. 7, q. 1, n. 27). Scot glose la notion d’incompossibilité ainsi (Ord. I, d. 43, n. 18). D’abord, Dieu produit des possibles. Ces possibles sont naturellement par eux-mêmes compossibles ou pas. Ces compossibles peuvent alors être combinés pour produire des possibles complexes. Aucun objet n’est de soi impossible : l’impossibilité est une notion relationnelle, qui caractérise la relation entre deux possibles. Scot tient la compossibilité (ou « non repugnantia terminorum ») pour primitive. La compossibilité est plus large que la seule absence de contradiction ; elle est donc plus large que la possibilité logique au sens où on l’entend aujourd’hui, au sens d’absence de contradiction. Elle englobe également certains cas de contrariété (par exemple, être à la fois rouge et vert), ainsi que certaines vérités portant sur la structure des choses (par exemple, la négation d’un propre pour une chose dont la structure métaphysique l’implique). Autrement dit, elle comprend des possibilités sémantiques et métaphysiques. Par exemple, le concept de chimère est intrinsèquement incohérent au sens où les constituants métaphysiques qu’on lui prête (tête de lion, corps de chèvre, queue de serpent) ne peuvent être combinés les uns avec les autres.

S. Knuuttila a défendu l’idée que la théorie scotiste des modalités serait une anticipation de la notion leibnizienne de monde possible. Scot n’emploie pas ce terme. Cependant, certains éléments de sa théorie du possible semblent aller dans cette direction. En effet, l’intellect divin, dans un simple instant de nature, considère tous les agencements compossibles entre possibles, puis, dans un second instant de nature, la volonté divine choisit de donner une valeur de vérité à certaines possibilités contingentes et non à d’autres. Ainsi, la volonté divine détermine de façon contingente une collection maximalement consistante de propositions contingentes vraies. Cette collection pourrait correspondre à un monde possible (D. Langston, 1990). Cependant, ce rapprochement entre Scot et Leibniz a été critiqué. C. Normore (2003) insiste sur le fait que Scot n’a pas l’idée, cruciale dans la sémantique des mondes possibles, de vérité dans un monde, selon laquelle un possible est toujours relatif à un monde donné. Cela provient du fait que la notion de compossibilité à laquelle Scot recourt pour définir le possible est plus étroite que celle de concevabilité telle qu’on l’entend aujourd’hui, parce qu’elle repose sur une forme de causalité entre les éléments compossibles. En effet, une chose est compossible avec une autre si cette dernière en est la cause, ou bien si elle dépend causalement d’une autre entité comme Dieu.

4. Philosophie naturelle

a. Hylémorphisme : la structure métaphysique de l’étant créé

L’étant fini se divise en dix catégories, selon la liste donnée par Aristote dans les Catégories. Cette division est immédiate et suffisante, ce qui signifie que les catégories ne sont pas dérivables de principes plus fondamentaux et qu’elles ne se recoupent pas (In Praed. q. 11, n. 26 ; In Metaph. 5, qq. 5–6, n. 81 ; voir G. Pini, 2002). La catégorie la plus fondamentale est celle de substance : elle est nécessaire à moins de tomber dans une régression infinie d’étants dépendants (In Metaph. 7, q. 2, n. 24). Les substances sont des étants par soi : elles sont des choses indépendantes (Quodl., q. 3, n. 13). Ce sont aussi des unités par soi. Une substance est réellement identique et seulement formellement distincte de son essence (In Metaph. 7, q. 7, nn. 22–5 ; q. 16, n. 26; Ord. 2, d. 3, pars 1, q. 1, n. 32). Les parties essentielles d’une substance, en l’occurrence sa matière et sa forme, se combinent pour former un tout unifié. Les autres caractéristiques de la substantialité, en particulier la propriété d’être le substrat permanent du changement, dérivent de l’indépendance de la substance et de son unité.

Par contraste, l’accident est caractérisé par sa relation de dépendance envers une substance. Cela n’implique pas de priver l’accident de toute réalité. Scot est réaliste au sujet des catégories accidentelles : les accidents ont un être qui n’est pas réductible à celui de la substance dans laquelle ils inhèrent (In Metaph. 7, q. 4, n. 17). Pour des raisons théologiques liées au sacrement de l’Eucharistie, Scot est conduit à reconnaître une forme de réalité à l’accident beaucoup plus forte que ne le faisait Aristote : l’inhérence dans une substance n’entre pas dans la définition d’un accident (G. Pini, 2004). Plus précisément, il faut distinguer l’union actuelle d’un accident donné dans une substance donnée de l’union par laquelle tout accident, par sa nature, est uni à une substance. Une fois cette distinction faite, Scot affirme que l’union habituelle n’appartient pas à l’essence d’un accident, elle en est un simple concomitant (Pini).

L’hylémorphisme de Scot se distingue en particulier par la thèse anti-aristotélicienne selon laquelle la matière a une existence indépendamment de la forme (In Metaph. 7, q. 5 ; Lect. 2, d. 12, q.un.). L’argument en faveur de cette thèse repose sur la distinction entre puissance objective et puissance subjective (In Metaph. 7, q. 5, n. 17 ; Lect. 2, d. 12, q. un., n. 30). Quelque chose est en puissance objective s’il est simplement possible, tandis que quelque chose est en puissance subjective si l’une de ses parties – qui est un substrat – existe tandis que son terme – ce en puissance de quoi il est – n’existe pas. Par exemple, Socrate avant d’exister est en puissance objective à être, tandis que, lorsqu’il existe, il est en puissance subjective à devenir blanc, s’il ne l’est pas. Puisque tout changement nécessite un substrat, comme le montre Aristote en Physique I, 7, un substrat doit préexister au changement ; on l’appelle matière. Le substrat n’est donc pas en puissance objective, mais en puissance subjective de la forme substantielle qu’il est susceptible de recevoir (Lect. II, d. 12, q. un., n. 32). Ainsi, la matière est un étant (Lect., II, d. 12, q. un., n. 29). Plus encore, cet étant est le même spécifiquement dans toutes les substances composées. La matière première existe donc, et elle est en puissance subjective non pas à telle ou telle forme substantielle, mais à toutes les formes substantielles (Lect. II, d. 12, q. un., n. 37). L’argument principal en faveur de cette thèse est que Dieu, par sa puissance absolue, pourrait faire la matière première sans aucune forme substantielle. Par conséquent, matière et forme se distinguent réellement l’une de l’autre : une substance matérielle est composée de deux étants réellement distincts l’un de l’autre, sa matière et sa forme.

b. La structure du continu

L’une des contributions principales de Scot à la philosophie naturelle du Moyen Age tardif consiste dans les arguments qu’il apporte en faveur de la position anti-atomiste qu’Aristote propose en Physique VI (C. Trifogli, 2004 ; R. Cross, 1998, p. 116-138). On les retrouvera tout au long du débat entre atomisme et anti-atomisme qui aura lieu jusqu’au milieu du XIVe siècle, moment où Bradwardine avance une réfutation mathématique de l’anti-atomisme considérée par ses contemporains comme définitive (J. Biard et J. Celeyrette, 2005). La position anti-atomiste standard que Scot adopte se caractérise par les thèses suivantes : le temps, le lieu et le mouvement sont continus ; sont continues deux entités dont les limites sont une. Par exemple, les parties adjacentes d’une ligne partagent un point, qui est leur limite commune. Scot s’oppose à la thèse selon laquelle un continu se compose d’indivisibles, c’est-à-dire d’entités qui sont privées de toute extension – elles n’ont ni droite, ni gauche et n’occupent aucune portion d’espace – et qui sont contiguës les unes aux autres – ils ne sont séparés par aucun intermédiaire. Cela implique qu’un continu est divisible à l’infini. Autrement dit, une ligne peut être divisée en deux moitiés, et chaque moitié en deux moitiés, et ainsi de suite à l’infini.

L’argument, devenu classique au Moyen Age, qu’Aristote oppose à l’atomisme est de nature physique. Il consiste à dire qu’un point ajouté à un point ne formera jamais une grandeur continue (Physique VI, 1). L’innovation de Scot consiste à avoir avancé des arguments mathématiques qui ont, à son propre dire, une portée plus grande que tout autre argument (Ord. II, d. 2, p. 2, q. 5, n. 320). On les trouve dans une discussion sur le mode de présence des anges dans l’espace, au cours de laquelle Scot soutient qu’un ange peut se mouvoir de façon continue dans l’espace (Ord. II, d. 2, p. 2, q. 5, nn. 286-289). Ces deux arguments ont une structure commune : ils se fondent sur des projections et des superpositions, et ils procèdent tous, suivant la méthode de prédilection d’Euclide, selon une réduction apagogique, qui part de la prémisse à réfuter, à savoir « supposons que toute grandeur se compose d’un nombre fini d’indivisibles sans extension contigus les uns aux autres ».

Commençons par l’argument des cercles concentriques, souvent nommé « argument par la projection radiale » (idem, n. 320). Il vise à prouver que la théorie indivisibiliste est incompatible avec l’axiome euclidien selon lequel le tout est plus grand que sa partie. Supposons deux cercles concentriques de centre A. Prenons deux points adjacents B et C sur le cercle le plus grand et traçons deux rayons à partir d’eux. Ces rayons coupent le cercle le plus petit en deux points D et E. Par conséquent, il y a une correspondance biunivoque entre les points du plus grand cercle et ceux du plus petit cercle et, donc, les deux cercles ont le même nombre de points. Cela va à l’encontre de l’axiome selon lequel le tout est plus grand que la partie.

Prenons ensuite l’argument du carré, dans une version légèrement simplifiée que l’on trouve chez Roger Bacon (idem, n. 330). Il vise à prouver que la théorie indivisibiliste implique la négation du théorème euclidien selon lequel la diagonale est incommensurable avec les côtés du carré. Supposons un carré dont les côtés sont composés de dix points. On trace les lignes perpendiculaires à ces points d’un côté à l’autre ; on obtient dix lignes. Ces lignes coupent la diagonale du carré. Puisque les lignes horizontales sont adjacentes les unes aux autres, la diagonale contient autant de points que les lignes, soit dix points. Il en résulte que la diagonale est de même longueur que les côtés du carré, ce qui est faux.

Scot apporte une seconde contribution majeure au débat avec sa redéfinition du concept d’infinité (J. Biard, 2004). Scot occupe une place de premier plan dans l’émergence d’une conception positive de l’infini dans la nature, qui s’oppose à l’interdit aristotélicien porté à l’encontre de l’infini en acte. Thomas d’Aquin, par exemple, affirme qu’  « en Dieu l’infini est entendu de manière seulement négative, car il n’y a ni terme ni fin à sa perfection » (SCG I, 43). Scot fait de l’infini le mode d’être de Dieu (Quodl. d. 5, a. 1, trad. dans J. Biard et J. Celeyrette, 2005, p. 41-50). Scot réélabore la définition aristotélicienne de l’infini que l’on trouve en Physique III, en expliquant que cette conception quantitative de l’infini, liée à l’inachèvement, se limite à l’infini en puissance que l’on trouve dans le monde naturel, fini. Scot passe à la limite : il imagine – expérience de pensée qui aura une fortune considérable dans le débat sur le continu au XIVe siècle – que toutes les parties d’un infini quantitatif, qui par définition ne sont jamais données ensemble, sont prises ensemble, comme une totalité. Ceci, d’après Scot, est concevable ; on peut donc bien penser un infini en acte, totalité parfaite, ne laissant rien en dehors de lui, contrairement à l’infini en puissance d’Aristote. À partir de ce modèle, on peut construire un concept d’infini qui ne soit plus quantitatif, un infini « in entitate in actu », une étantité infinie, sorte de maximum qui n’est plus mathématique, mais métaphysique : c’est la plus parfaite des perfections. Il s’agit d’un infini intensif. Ce n’est que dans un second temps que cette étantité infinie, de nature intensive, est identifiée à Dieu, au sens où l’infinité devient un mode intrinsèque de son essence. Ainsi, l’infinité positive est saisie intellectuellement par voie d’une remontée à partir des étants finis.

Outre cette redéfinition de l’infini, Scot propose, dans son analyse de l’infinité en puissance des parties du continu, une série d’analyses logiques qui seront reprises et développées au XIVe siècle (Ord. II, d. 2, p. 2, q. 5). Il distingue en particulier un usage distributif et un usage partitif du pronom « tout » (« quodcumque ») qui permet de désambiguïser la proposition « il est possible qu’un continu soit divisé selon toute partie » et de distinguer un sens valide (correspondant à une division sans fin du continu) et un sens invalide (correspondant à une division achevée du continu).

5. Théorie de l’esprit et de la connaissance

a. Théorie de l’intentionnalité

Comme la plupart de ses contemporains, Scot suit l’interprétation traditionnelle d’Aristote, selon laquelle tout savoir provient des sens. Sa psychologie cognitive est cependant marquée par plusieurs innovations très influentes au XIVe siècle, en particulier par le rejet de la théorie de l’illumination divine et l’introduction d’une intuition intellectuelle. En outre, Scot occupe une place de premier plan dans les théories médiévales de l’intentionnalité, en raison du débat auquel sa position a donné lieu (D. Perler, 1994, 2004 ; R. Cross, 2014).

Scot étudie ce qu’est l’intentionnalité des actes cognitifs en analysant la genèse et la structure des actes psychiques et la relation entre ces actes et leurs objets. Ces actes se dirigent-ils directement vers des choses extra-mentales ou existe-t-il des entités intermédiaires entre les actes et ces choses ? L’apport central de Scot au débat consiste en l’idée que les actes d’ordre immatériel, intellectuel, ne peuvent pas avoir des choses matérielles pour objet (Ord. I, d. 3, p. 3, q. 1). Dans ses termes, il faut qu’il y ait un transfert du domaine du matériel au domaine de l’immatériel, « ab ordine in ordinem ». (Boulnois, 1999, p. 84 sq ; Perler, 2003, p. 107-136). Quelle est, dès lors, la nature de l’objet intentionnel d’un acte de l’intellect ?

Scot donne une réponse à cette question d’abord en contexte théologique, lorsqu’il est question des idées divines (Ord. I, d. 36, q. un.). Que pensait Dieu avant la création du monde ? Scot s’oppose à Henri de Gand, qui soutient que Dieu, avant leur création, pensait l’essence des choses. Si c’était le cas, en effet, Dieu ne penserait pas les choses individuelles mais seulement des essences universelles. En outre, cela rendrait la création ex nihilo impossible : dans son acte créateur, Dieu se contenterait d’instancier des universaux éternellement subsistants. Selon Scot, l’objet de la connaissance divine est une chose concrète ayant un « être intelligible » (« esse intelligibile ») ou un « être intentionnel » (« esse intentionale ») dans l’intellect divin. Autrement dit, l’objet de la connaissance divine est une chose intelligible. Scot affirme que cette théorie de nature théologique peut être étendue à la psychologie humaine.

Quel est la nature de cet objet intelligible ? Scot ne donne pas de réponse claire et nette à la question. On pourrait penser que, dans le cas humain, cet objet intelligible, produit de l’activité de l’intellect, est identique à l’espèce intelligible, image mentale résultant de l’activité abstractive de l’intellect à partir de l’image sensorielle traitée par les sens internes et l’imagination. Or ce n’est pas possible, car l’espèce intelligible, en tant qu’accident de l’intellect, est un objet non répétable, propre à chaque individu. En outre, l’espèce intelligible est un moyen pour connaître l’objet, non une représentation de l’objet ni l’objet lui-même (Ord. I, d. 3, p. 3, q. 3, n. 562). Autrement dit, l’espèce intelligible est un support qui a une réalité dans l’intellect, et qui est le produit d’une affection subie par l’intellect, tandis que l’objet intelligible, présent dans le support qu’est l’espèce intelligible, est le produit d’une affection d’un ordre bien particulier, que Scot nomme intentionnelle (Ord. I, d. 3, p. 3, n. 386). L’espèce intelligible n’est rien d’autre qu’un moyen par lequel l’objet devient présent et appréhensible. L’objet intelligible, c’est le contenu intentionnel ou représentationnel d’une espèce intelligible, lorsqu’elle est pensée par l’intellect.

L’introduction de cette entité sui generis qu’est l’objet intelligible semble résoudre le problème des objets fictifs, celui des objets absents et celui de l’identité de l’objet intentionnel pour tous les sujets. Cependant, elle pose des problèmes ontologiques qui ont été au centre d’un débat qui s’étendra durant tout le XIVe siècle. Dans certains textes, Scot prête une « existence objective » ou « existence diminuée » à l’objet intelligible (Ord. I, d. 36, q. un. n. 33, 36 et 37). Cette existence est diminuée au sens où elle n’existe qu’en relation à un intellect qui pense cet objet. Comment comprendre cette affirmation ?

Deux interprétations se dégagent en particulier (D. Perler, 2001). La première consiste à dire que les objets intelligibles font partie d’une catégorie sui generis, celle de l’intentionnel, irréductible à la catégorie des êtres réels et à celle des concepts. Cette catégorie ontologique n’est pas un « troisième règne » comprenant des entités séparées. Il s’agit d’une catégorie caractérisée par sa dépendance envers la catégorie des êtres réels. C’est l’interprétation de Jacques d’Ascoli. Le problème posé par cette interprétation est celui du « représentationnalisme » : si l’objet immédiat de nos actes intentionnels est une chose intelligible irréductible à une chose matérielle, alors une représentation nous sépare de l’objet matériel, et des doutes sceptiques surgissent. Puisque nous n’avons un accès épistémique qu’aux objets intelligibles, comment pouvons-nous garantir qu’ils représentent la réalité telle qu’elle est ?

Une seconde interprétation est défendue par des scotistes comme Guillaume d’Alnwick. Guillaume d’Alnwick refuse de recourir à une catégorie ontologique irréductible aux catégories du réel et de la pensée. D’après lui, Jacques d’Ascoli ne peut pas rendre compte de la production de l’objet intelligible dans l’espèce intelligible, puisque l’espèce intelligible et son contenu représentationnel, à savoir l’objet intelligible, appartiennent à des ordres ontologiques différents. Guillaume d’Alnwick s’oppose à toute forme de représentationnalisme qui introduirait des entités intermédiaires entre l’intellect et les choses matérielles. La chose intelligible n’est rien d’autre que l’espèce intelligible mise en rapport avec un objet extérieur.

b. La réfutation du scepticisme sur les vérités empiriques

Scot s’oppose à la fois au scepticisme portant sur les vérités empiriques, selon lequel la possibilité d’un savoir certain des faits empiriques ne peut être garantie, et à la théorie de l’illumination, selon laquelle l’homme a besoin d’une illumination divine spéciale pour atteindre la certitude. Il défend l’idée que l’intellect humain est capable de parvenir de lui-même à la certitude par le seul exercice de ses pouvoirs naturels. Sa position est établie lors de sa critique d’Henri de Gand, en Ord., I, d. 3, p. 1, q. 4 (trad. O. Boulnois, 1988, p. 170-201 ; commentaires dans Demange 2007, chap. 1 et chap. 3).

D’après Henri de Gand, la vérité se définit en relation à un exemplaire. Cela signifie que la vérité est le produit d’un jugement qui implique une comparaison entre deux choses. Or il existe deux exemplaires pour une même vérité, l’exemplaire divin, qui est une idée divine, et l’exemplaire créé, qui est une représentation mentale abstraite d’un universel, causée par la chose connue. L’exemplaire créé ne peut procurer un savoir certain et infaillible d’une chose, pour trois raisons. D’abord, l’objet connu est changeant, donc il ne peut être la cause de quelque chose d’immuable. Ensuite, l’âme est changeante et sujette à l’erreur, et doit se reposer sur quelque chose de moins changeant qu’elle pour atteindre la certitude. Enfin, l’exemplaire créé ne permet pas de distinguer la réalité du rêve, car son contenu est le même dans les deux cas. Donc seul un exemplaire divin peut permettre d’atteindre la certitude. Pour y accéder, une illumination divine spéciale est nécessaire.

Scot répond à Henri de Gand que l’illumination divine n’est pas suffisante pour garantir la certitude. Connaître un objet muable comme étant immuable ne procure aucune certitude (Ord. I, d. 3, p. 1, q. 4, n. 219-222).Autrement dit, la certitude de la connaissance n’est en rien liée à la corruptibilité ou incorruptibilité de son objet. En outre, puisque tout dans l’âme est muable, l’acte d’intellection produit par illumination divine est muable lui aussi. Enfin, si un exemplaire créé n’est pas suffisant pour garantir la certitude d’une connaissance, un autre exemplaire, aussi divin soit-il, ne le sera pas non plus. La conséquence est que la théorie de l’illumination d’Henri mène au scepticisme.

En réponse, Scot montre que le scepticisme est faux. Quatre types de connaissance sont possibles, par l’usage des seules facultés naturelles : (1) la connaissance des premiers principes, connus par soi, c’est-à-dire connus aussitôt que leurs termes sont connus, ainsi que la connaissance des vérités qui en sont déduites, comme « un tout est plus grand que sa partie » ; (2) la connaissance acquise par induction, fondée sur le principe d’uniformité de la nature, selon lequel des effets de même nature ont des causes de même nature ; (3) nos propres actes sensitifs, intellectifs et volitifs comme « je sens », « j’intellige » ; et, par conséquent, (4) la connaissance de certaines propositions portant sur des expériences issues des sens, dont la fiabilité est établie par induction, du fait de la répétition d’expériences semblables.

Scot garantit ainsi la possibilité de connaître des vérités analytiques, universelles (les premiers principes) ou contingentes (nos actes intérieurs), ainsi que celle de connaître des vérités empiriques, contingentes ou les généralisations qui en résultent, en vertu du principe d’uniformité de la nature. Il s’agit d’une rupture avec la théorie aristotélicienne de la science en vigueur au XIIIe siècle. Contre l’idée aristotélicienne selon laquelle il n’y a de science que de l’universel et du nécessaire, Scot affirme qu’il est possible de connaître avec certitude des vérités contingentes et particulières.

La théorie scotiste de l’induction, présentée en réponse à l’illuminationisme d’Henri de Gand, sera, au XIVe siècle, l’objet de nombreux débats, dans lesquels certains philosophes et théologiens seront accusés de défendre des positions sceptiques, comme Nicolas d’Autrécourt. Scot affirme qu’une connaissance certaine et infaillible d’une vérité d’expérience générale est possible : « A propos des connaissables connus par expérience, je dis que, même si l’on n’a pas d’expérience de tous les singuliers, mais [seulement] de plusieurs et si on ne l’a pas toujours, mais parfois, quelqu’un d’expérimenté les connaît infailliblement car il en est ainsi toujours et en tous » (Ord. I, d. 3, p. 1, q. 4, n. 235, trad. O. Boulnois, p. 180-181). Scot donne pour exemple de principe connu par l’expérience l’exemple classique des Analytiques Postérieurs : « tout corps tel qu’un autre s’interpose entre lui et une source lumineuse subit une éclipse de lumière ». L’induction est alors un raisonnement qui part de la prémisse singulière « la lune s’interpose entre le soleil et la terre » et qui, à l’aide d’une seconde prémisse « tout effet de même nature a une cause de même nature », ou principe d’uniformité de la nature, parvient à la conclusion « tout corps tel qu’un autre s’interpose entre lui et une source lumineuse subit une éclipse de lumière ». Scot soutient que le principe d’uniformité de la nature est une vérité analytique connue a priori. Cette thèse sera attaquée par des auteurs comme Nicolas d’Autrecourt, qui montre que ce principe présuppose qu’une induction a déjà été faite et qu’il n’est que conjectural, non certain et infaillible.

c. Connaissance intuitive et connaissance abstractive

L’innovation scotiste la plus importante en épistémologie est la distinction entre deux types de connaissance, la connaissance intuitive et la connaissance abstractive. D’après K. Tachau (1988, p. 81), « l’histoire des théories de la connaissance à partir de 1310 peut être vue comme un développement de cette dichotomie ». La connaissance intuitive est la connaissance d’un objet en tant qu’actuellement existant et présent à l’intellect. La connaissance abstractive est la connaissance d’un objet en tant qu’abstrait de l’existence ou de la non-existence (Ord. 1, d. 1, p. 1, q. 2, nn. 34–6; Ord. 2, d. 3, p. 2, q. 2, n. 321; Quodl. q. 6, nn. 18–19). Il peut s’agir en principe d’actes des facultés sensorielles comme d’actes de l’intellect ; on parle donc bien de la possibilité d’une intuition intellectuelle. Avec cette idée, Scot rompt avec la tradition aristotélicienne qui attribue exclusivement aux sens la possibilité de connaître l’existence des choses singulières, la connaissance réservée à l’intellect étant une connaissance de l’universel ou de l’essence. En outre, le terme de connaissance abstractive ne renvoie pas à la notion aristotélicienne d’abstraction de l’universel. L’abstraction en question est une abstraction d’un aspect d’un objet, en l’occurrence son existence.

Scot avance deux arguments en faveur de cette distinction. L’argument central de Scot en faveur de la possibilité d’une connaissance intuitive repose sur le principe selon lequel une puissance supérieure (l’intellect) peut tout ce que peut une puissance inférieure (les sens). Ainsi, puisque les sens ont une connaissance intuitive d’un particulier comme présent et existant, par parité, l’intellect l’a aussi (Quodl. q. 6, nn. 18–19; q. 13, n. 29; Ord. 2, d. 3, p. 2, q. 2, n. 320). Le second argument est un argument a fortiori : les hommes élus, au paradis, auront une connaissance intellectuelle intuitive de l’essence divine (Quodl. q. 6, n. 20; q. 13, n. 28; Ord. 2, d. 3, p. 2, q. 2, n. 322). Il en résulte qu’il est au moins possible à l’intellect de l’homme ici-bas d’avoir une forme de rapport direct et perceptif avec la réalité. Dans certains textes, Scot affirme que la connaissance intellectuelle intuitive est plus qu’une possibilité, c’est une réalité : sans elle, aucun acte intellectuel réflexif – qui prend pour objet un acte intellectuel – ne serait possible (Ord. IV, d. 49, q. 8). L’importance de la connaissance intuitive provient du fait qu’il s’agit d’un type de connaissance qui ne fait pas intervenir d’intermédiaire représentationnel, comme c’est le cas dans les psychologies cognitives aristotéliciennes (Ord. IV, d. 49, q. 12, n. 6 ; Bérubé, 1964, chap. 7 ; Day, 1947).

L’usage principal que Scot fait de la connaissance intuitive concerne la connaissance des propositions singulières et contingentes. Connaître leur objet par intuition, c’est garantir la possibilité que cette connaissance soit certaine. En affirmant cette idée, Scot est à l’origine d’un débat sur la certitude de la connaissance intuitive. La connaissance intuitive, telle que définie par Scot, suffit-elle à prémunir l’intellect des illusions et, surtout, de la possibilité que Dieu trompe l’homme sur ses propres états cognitifs ? C’est ainsi qu’Auriol et Ockham lancent explicitement le débat, en formulant la question de savoir si Dieu peut causer une connaissance intuitive d’un objet qui n’existe pas, soit parce qu’il s’agit d’une illusion d’optique (comme chez Auriol), soit parce que Dieu a supprimé l’objet sans modifier les apparences (comme chez Ockham).

6. Éthique et psychologie morale

a. La liberté de la volonté et la moralité

Scot refonde l’éthique sur d’autres bases que celles d’Aristote, en opposition explicite à la position de Thomas d’Aquin (A. B. Wolter, 1986). Scot propose une nouvelle analyse des rapports entre intellect et volonté dans sa théorie du choix libre. Cette théorie est souvent qualifiée de volontariste, en opposition de celle de Thomas d’Aquin, qualifiée de naturaliste. Certes, l’intellect joue un rôle important puisque la volonté ne peut vouloir quelque chose que l’intellect ne pense pas, ni ne peut vouloir quelque chose que l’intellect ne perçoit pas comme bon. Cependant, la volonté n’est pas déterminée par l’intellect. Ainsi, la volonté est intrinsèquement une puissance indéterminée, contrairement aux autres puissances de l’âme, comme l’intellect ou les sens. La volonté est ainsi un pouvoir des opposés, qui se détermine elle-même, spontanément (J. Boler, 1993).

Cette condition nécessaire à la liberté de la volonté n’est pas pour autant une condition suffisante : même des opérations spontanées peuvent être nécessaires. Pour que la volonté soit libre, il faut que ses actes soient contingents. La théorie scotiste de la volonté est fondée sur sa nouvelle théorie des modalités (Dumont, 1995). Scot a recours au concept d’instant de nature pour montrer que l’acte de la volonté est contingent. Au premier instant de nature N1, la volonté peut autant vouloir un acte que son opposé. À l’instant de nature N2 postérieur à N1, la volonté se détermine pour un acte plutôt que pour son opposé. À N2, la volonté a le pouvoir de choisir N1, même si elle choisit N2. En formulant une telle doctrine, Scot change les termes du débat concernant la liberté de la volonté. Il ne s’agit plus de savoir si la volonté peut agir contre ce que dicte la raison pratique, car c’est insuffisant. Il faut chercher dans la volonté elle-même ce qui rend compte de la possibilité que son choix ne soit pas déterminé par l’intellect, mais surtout qu’il ne soit pas déterminé par certains principes modaux, comme le principe de nécessité du présent.

Scot complète cette théorie de la liberté de la volonté par la doctrine bien connue des deux affections de la volonté, qui trouve sa source dans Anselme (Ord. II, d. 6, q. 2 ; Ord. II, d. 39, q. 1 ; Ord. III, d. 17, q. un. ; Ord. III, d. 26, q. un). Il s’agit de deux inclinations fondamentales de la volonté, l’« affectio commodi » (affection pour l’avantageux) et l’« affectio iustitiae » (affection pour la justice). Cette distinction se fonde sur l’idée que la volonté n’est pas seulement un pouvoir des opposés, mais également un pouvoir affectif qui est une inclination vers le bien. Scot identifie l’« affectio commodi » à l’appétit intellectuel de Thomas d’Aquin, dirigé vers le bonheur. Thomas d’Aquin soutient en effet que c’est le bonheur, fin ultime de l’homme, qui définit ce qu’est la moralité. Scot refuse d’en rester à une éthique eudémoniste qui, d’après lui, ne garantit pas la liberté de la volonté. C’est pourquoi la deuxième inclination de la volonté vise les choses bonnes du fait de leur bonté même, et non en vue du bonheur. Cette inclination tend, ultimement, vers le bien suprême, qui est Dieu. En ce sens, l’affection pour la justice explique que la volonté a la capacité de transcender la nature, c’est-à-dire le déterminisme de l’appétit naturel qui tend vers la réalisation de soi. Elle explique donc, en dernière analyse, que la volonté possède la liberté nécessaire à la responsabilité morale (Boler, 1993). Cette théorie de la double affection de la volonté a été interprétée comme une rupture significative avec les éthiques aristotéliciennes eudémonistes.

b. Moralité et loi naturelle

Le volontarisme moral de Scot a deux conséquences majeures qui marquent une rupture avec l’éthique aristotélicienne. Premièrement, Scot rejette la connexion posée ordinairement entre la prudence et la vertu morale (Dumont, 1988 ; Adams, 1996). L’argument de Scot consiste à dire que, comme la prudence peut être engendrée sans vertu morale, elles ne sont pas nécessairement reliées l’une à l’autre. En effet, quand l’intellect pratique énonce un commandement correct, la volonté est libre de ne pas le suivre et, donc, de ne pas choisir un acte conforme à cette droite raison. Comme aucune vertu morale n’est engendrée sans que la volonté n’agisse, la prudence peut être engendrée dans l’intellect par l’intermédiaire d’une succession de commandements pratiques sans que la vertu morale correspondante ne soit produite dans la volonté. Il en résulte qu’en principe, l’éthique scotiste n’est pas une éthique de la vertu : la moralité d’un acte ne s’explique pas nécessairement par le fait qu’il a été produit par un homme qui dispose de la vertu morale qui lui correspond. La moralité n’est pas une propriété intrinsèque d’un acte. C’est une relation, en l’occurrence une relation de conformité entre un acte et les caractéristiques qu’il devrait avoir, reconnue comme telle par la raison de l’agent moral (Ord. I, d. 17, p. 1, qq. 1-2, n. 60 ; Adams and Wood, 1981). C’est le jugement de la droite raison (« dictamen rectae rationis ») qui est le critère déterminant de la bonté morale. La vertu morale cède la place à la prudence comme condition suffisante de la moralité d’un acte.

Deuxièmement, il en résulte que la loi naturelle, du moins dans sa forme d’obligation morale envers les êtres créés, n’est pas nécessaire mais contingente (Boulnois, 1999, p. 62-72). Certaines vérités morales sont des vérités nécessaires que même Dieu ne peut pas modifier (Ord. III, d. 37, q. un.). Quelles sont-elles ? Ce sont des commandements du Décalogue. Les dix commandements sont ordinairement divisés en deux parties. La première tablette, comprenant les trois premiers commandements, couvre les obligations de l’homme envers Dieu. La seconde tablette, comprenant les sept autres commandements, couvre les obligations des hommes les uns envers les autres. Les trois premiers commandements sont des vérités nécessaires et analytiques, déductibles directement de la nature de Dieu. En effet, si Dieu existe, il doit être aimé par-dessus tout. Par conséquent, il est interdit absolument de haïr Dieu ; Dieu ne peut pas commander à un homme de le haïr, car cela serait contradictoire avec la raison pour laquelle l’homme obéit à ce commandement, à savoir parce qu’il aime Dieu par-dessus tout.

Les commandements de la deuxième tablette ne sont pas nécessaires : en principe, Dieu peut en dispenser les hommes, ou même les révoquer. Scot s’oppose explicitement à Thomas d’Aquin, qui soutient que les commandements des deux tablettes sont immuables. Le désaccord ne porte pas sur la définition de la loi naturelle. Thomas d’Aquin et Scot la définissent comme les premiers principes de la raison pratique ou les commandements qui en sont déduits. Le désaccord porte sur ce qui satisfait cette définition. Pour Scot, seuls les préceptes qui concernent Dieu en tant que tel sont nécessaires, car seul Dieu est nécessairement bon. Les préceptes contenus dans la seconde tablette sont nommés « loi naturelle » seulement dans un sens large, parce qu’ils sont « harmonieux » avec les préceptes de la première tablette. Ils n’en sont pas des conséquences logiques (Ord., III, d. 37, n. 6-7).

Le rapport des sept derniers commandements avec les trois premiers est en effet décrit par Scot comme étant « harmonieux » (« consonans ») avec eux (Ord., III, d. 37, n. 8). Il n’explique pas précisément ce qu’il entend par là, ce qui a donné lieu à un débat interprétatif. Cette harmonie dépend-elle d’un naturalisme fondé sur une anthropologie ou d’un volontarisme fondé sur la toute-puissance divine ? Même si les sept commandements qui constituent la loi naturelle en un sens large sont contingents, ils semblent accessibles à la raison naturelle et donc fondés dans une certaine mesure dans la nature de l’homme (Quodl. q. 18). De ce point de vue, Scot propose une théorie de la loi naturelle qui comprend des éléments naturalistes (A. B. Wolter, 1986). Cependant, dans d’autres textes (Ord. I, d. 44, n. 6), Scot semble affirmer que ce qui constitue la loi naturelle au sens large est la volonté de Dieu. C’est parce que Dieu veut que certaines propositions aient valeur de loi qu’elles sont des lois. Ainsi, un autre système de lois naturelles n’est pas une contradiction dans les termes, ni en contradiction avec la justice divine. Par exemple, dit Scot, lorsque Dieu commande à Abraham de sacrifier son fils Isaac, l’interdit originel du meurtre est supprimé et remplacé par un autre commandement correspondant à l’acte divin. Dieu peut faire tout ce qui n’est pas logiquement impossible et ce que Dieu veut est, de ce fait, bon (Rep. IV, d. 46, q. 4). De ce point de vue, Scot propose une théorie de la loi naturelle qui insiste sur son aspect volontariste (T. Williams, 1998). Ce type de théorie rencontre une difficulté bien connue, celle de savoir comment les hommes ont accès à la loi naturelle. On peut défendre l’idée que la loi naturelle demeure accessible au cœur de l’homme, mais que cette connaissance n’est pas infaillible.

7. Actualité de la philosophie scotiste

a. Réception de la philosophie scotiste

L’influence de Scot dans l’histoire de la philosophie est indéniable. En dépit de l’état du corpus à sa mort précoce, il a exercé un impact immédiat sur l’école franciscaine. Une première génération de scotistes (Guillaume d’Alnwick, Antoine Andrée, Pierre d’Auriol, François de Meyronnes) s’attache à unifier le corpus et à stabiliser l’interprétation des textes. Ockham définit une grande partie de ses positions en opposition à celles de Scot. Au XVe siècle, le scotisme devient une école, aux côtés du thomisme et du nominalisme. Cette école est particulièrement active durant la seconde scolastique, à l’âge classique (J. Schmutz, 2002).

Après une longue période d’oubli, la pensée scotiste retrouve un regain de faveur au XIXe siècle, comme en témoigne Charles Sander Peirce, qui s’est caractérisé comme un « réaliste scolastique ». Le rapport de Scot à Peirce a fait l’objet de nombreuses études depuis l’ouvrage séminal de J. Boler (1963). L’influence du réalisme scotiste de la nature commune ainsi que celle de la théorie scotiste des conséquences et des modalités a été étudiée par C. Tiercelin (1994).

L’influence sur les études scotistes de Heidegger, dont la thèse d’habilitation portait sur un traité faussement attribué à Scot, a marqué les études de la métaphysique de Scot jusqu’à nos jours. E. Gilson, auteur d’une monographie séminale sur Scot (1952) est tributaire de la thèse heideggérienne de l’oubli de l’être. E. Gilson voit dans Scot l’auteur à l’origine de l’oubli de l’être et du déclin de la métaphysique. Scot remplacerait l’être, encore au cœur de la métaphysique thomiste, par l’existence et il n’inclurait pas la théologie dans la métaphysique. Cette interprétation a été vivement critiquée.

Aujourd’hui, il n’est plus question de donner une évaluation négative de la place de Scot dans l’histoire de la métaphysique. Au contraire, il est posé comme étant à l’origine de la structure des métaphysiques modernes. Sur ce point, les travaux de L. Honnefelder (1979) occupent une place centrale. Scot serait le premier à constituer la métaphysique en science transcendantale ayant pour sujet l’étant en tant qu’étant. La refondation scotiste de la métaphysique a fait l’objet de nombreuses études, notamment par J. Aersten (2002) et Boulnois (1988, 1999). Il s’agit de montrer que Scot est au point de départ d’une tradition qui passe par Leibniz, Wolff et Baumgarten et qui aboutit à Kant. D’après O. Boulnois, Scot est à l’origine des quatre concepts fondamentaux de la métaphysique moderne, à savoir la représentation, l’être, Dieu et l’objet. D’abord, l’objet de la pensée est le représentable. Ensuite, l’être est inclus dans cette représentation, et il est univoque à tous les objets, en particulier à l’infini et au fini. En outre, Dieu est inclus dans le concept d’être, et distingué en lui par une différence additionnelle. Enfin, l’essence de Dieu est construite à l’aide de concepts a priori, tandis que son existence et son unicité sont démontrées a posteriori. En ce sens, la métaphysique est devenue une ontothéologie.

b. Portée actuelle de la philosophie scotiste

Le regain des études sur la pensée de Scot ne s’explique pas seulement par l’édition critique de ses œuvres, qui en facilite grandement la lecture. Scot s’appuie sur une méthode d’analyse des problèmes qui est sensiblement la même que celle adoptée en philosophie analytique : souci pour la forme logique, précision terminologique et conceptuelle, rigueur de l’analyse du problème.

La théorie scotiste de l’individuation est parfois citée dans les débats actuels sur les universaux et l’individuation. Sur ce sujet, l’œuvre de référence demeure M. Tweedale (1999). L’analyse de M. Tweedale permet de mettre au jour un trait qui distingue le réalisme scotiste du réalisme contemporain. Aujourd’hui, on suppose souvent qu’un universel est quelque chose de numériquement identique dans toutes ses exemplifications. Scot n’est pas de cet avis. Pour lui, une nature commune n’est pas numériquement identique dans toutes ses exemplifications. Il existe un cas exceptionnel dans lequel l’opinion actuelle peut avoir un sens dans une perspective scotiste : la Trinité. En effet, la nature divine, qui est un universel, est numériquement identique dans chacune des trois personnes (Cross, 2003).

La théologie naturelle de Scot a également connu un regain d’intérêt parmi les philosophes de la religion, notamment en ce qui concerne le sujet de la métaphysique et la question de l’univocité, au centre de la conception scotiste de la nature de Dieu et du langage religieux. (T. Williams, 2005, R. Cross, 2007). L’intérêt porté à la preuve scotiste de l’existence de Dieu, quant à elle, ne faiblit pas.

La théorie scotiste des modalités a également été le sujet de nombreuses études d’inspiration analytique, dans deux directions principales : la nature des modalités et leur origine. La question principale est de savoir si les modalités dépendent de Dieu ou non. L’article de référence à ce sujet est celui de F. Modadori (2004). Mondadori distingue trois questions : celle du statut ontologique des possibles, celle de leur statut modal et celle de leur statut formel. Mondadori estime que, d’après Scot, le statut ontologique des modalités dépend de Dieu, mais non leur statut modal ni leur statut formel.

Enfin, la psychologie cognitive de Scot a fait l’objet de nombreuses études, la dernière en date, celle de Cross (2014), présentant une interprétation selon laquelle la théorie scotiste de l’intentionnalité n’est pas tant à rapprocher des théories brentaniennes et husserliennes, comme on l’a pensé, mais de celle d’Ockham, qui réduit l’intentionnalité à la signification en s’appuyant sur l’hypothèse du langage mental. Dans l’interprétation commune, les objets immédiats de la pensée ne sont pas externes à l’esprit, car ce sont des représentations (Tweedale, 2007, Perler, 2001, Pini, 2008). Le nerf dont dépend l’interprétation est la théorie scotiste de la connaissance intuitive. Quel est son objet ? Est-ce un objet extra-mental ou bien une représentation interne ? Scot affirme qu’une condition nécessaire pour qu’une connaissance soit intuitive est que l’objet connu soit présent au sujet connaissant. Cela signifie d’abord qu’aucune entité dispositionnelle (souvenir, contenu mental stocké, etc.) présente dans l’esprit et jugée nécessaire, dans la tradition aristotélicienne, à la connaissance d’un objet, n’est requise pour ce type de connaissance. Certains interprètes, comme R. Pasnau (1997), en ont conclu qu’il n’y a aucun intermédiaire causal dans la connaissance intuitive.

Enfin, toujours concernant la connaissance intuitive, on notera l’existence d’un débat sur l’interprétation scotiste du problème de la « singular thought », qui consiste à savoir ce qu’est connaître un individu. Est-ce le connaître de re, ou seulement de modo ? King (2015) estime que la connaissance d’un individu est de re, c’est-à-dire telle qu’elle est nécessairement de tel individu plutôt que de tel autre. Pini (2008) soutient au contraire que le contenu d’une pensée singulière dépend de facteurs purement internes et, donc, que cette connaissance est seulement de dicto. Ce débat interprétatif prend place dans un débat plus général sur la sémantique de Duns Scot. On a d’abord insisté sur le fait que cette sémantique contient un élément mentaliste : les mots signifient les concepts, et les concepts représentent les choses (Pini 1999, Perler, 1999). Cependant, à la fin de sa carrière, Scot estimerait que les mots signifient directement les choses, une thèse typique de la sémantique externaliste d’Ockham (Ord. I, d. 27, qq. 1-3, n. 83 ; Perler, 2013). Le débat actuel oppose les interprétations internalistes aux interprétations externalistes (Cross, 2014).

La métaéthique de Scot a été l’objet de nombreux travaux. La question centrale est de savoir si Scot accepte ou non une forme de « divine-command theory », selon laquelle la valeur morale d’une action dépend de la volonté divine (Wolter, 1986 ; Williams, 1997). L’enjeu concerne le statut de la loi naturelle au sens large. Selon Wolter, la puissance absolue de Dieu, par laquelle il peut modifier les obligations morales que les hommes ont les uns envers les autres, est limitée par des impératifs téléologiques dépendant de la nature humaine. Selon Williams, ce qui fait qu’une loi est morale est simplement que Dieu le veut.

8. Bibliographie

a. Œuvres de Duns Scot

i. En latin

Cuestiones Cuodlibetales, in Felix Alluntis, Obras del Doctor Sutil, Juan Duns Escoto, Madrid, Biblioteca de Autores Cristianos, 1963

Opera Omnia, éd. Luke Wadding, Lyon, 12 vol., révisé par L. Vives, Paris, 1891-1895, Paris, 26 vol.

Opera Omnia, éd. par la Commission scotiste, Cité du Vatican, Typis Polyglottis Vaticanis, 11 vol., 1950-

Opera Philosophica, éd. R. Andrews, G. Etzkron, G. Green, F. Kelley, G. Marcil, T. Noone, R. Wood, St. Bonancenture, The Franciscan Institute Publications, 1997-2006, 5 vol.

ii. Traductions françaises

Traité du premier principe, Cahiers de la Revue de théologie et de philosophie, n°10, trad. sous la direction de R. Imbach, Genève, 1983. Réimp. Paris, Vrin, 2001.

« Commentaire du premier livre des Sentences, d. 3, p. 3, q. 1-2 », trad. A. de Muralt, Philosophes médiévaux des XIIIe et XIVe siècles, Paris, 10/18, 1986, p. 167-206

« Ordinatio II, distinction 1, question 1 », in L’Être et l’Essence: Le vocabulaire médiéval de l’ontologie, deux traités De ente et essentia de Thomas d’Aquin et Dietrich de Freiberg, trad. A. de Libera et C. Michon, Paris, Seuil, 1997, p. 239-241

« Pluralité des formes et unité de l’être » (Ord. IV, d. 11, q. 3, et Ord. II, d. 16, q. unica), trad. et introd. A. de Muralt, Studia philosophica, Bâle, 1974, p. 57-92

Sur la connaissance de Dieu et l’univocité de l’étant (Ord. I, d. 3, p. 1 et Ord. I, d. 8, p. 1), trad., introd. et notes O. Boulnois, Paris, P.U.F., 1988

« Contingence et alternatives » (Ord. I, d. 42-44), in O. Boulnois (dir.), La puissance et son ombre, de Pierre Lombard à Luther, Paris, Aubier, 1994

Le Principe d’individuation (Ord. II, d. 3, p. 1), trad. et comm. G. Sondag, Paris, Vrin, 1992

L’image (Ord. I, d. 3, p. 3, q. 1-4), trad. et comm. G. Sondag, Paris, Vrin, 1992

La théologie comme science pratique. Prologue de la Lectura, trad. et comm. G. Sondag, Paris, Vrin, 1996

Prologue de l’Ordinatio, trad. et comm. G. Sondag, Paris, P.U.F., 1999

Extraits de l’Ordinatio concernant le lieu, le temps et le mouvement, trad. commentée dans P. Duhem, Le Système du Monde, Paris, Hermann, 1956, tome VII, chap. 3 et 4

Signification et vérité. Questions sur le Perihermeneias d’Aristote, introd. trad. et notes G. Sondag, Paris, Vrin, 2009

Quodlibets 5 et 7, in J. Biard et J. Celeyrette, De la théologie aux mathématiques. L’infini au XIVe siècle, Paris, Les Belles Lettres, 2005, p. 35-55.

« Questions quodlibetales, question 3, article 1 », trad. C. Cervellon et V. Aubin, dans J. Laurent et C. Romano (éd.), Le néant: Contribution à l’histoire du non- être dans la philosophie occidentale, Paris, P.U.F., 2006, p. 305–320

b. Littérature secondaire

i. Introductions générales

Bettoni, E., Duns Scot : The Basic Principles of His Philosophy, Wesport (Conn.), Greenwood Press, 1979

Boulnois, O., Duns Scot. La rigueur de la charité, Paris, Cerf, 1998

Cross, R., Duns Scotus, Oxford, Oxford University Press, 1999

Dumont, S., “John Duns Scotus” in J. E. Gracia (éd.), Blackwell Companion to Philosophy in the Middle Ages, Oxford, Blackwell, 2003, p. 353-369

Gilson, E., Jean Duns Scot. Introduction à ses positions fondamentales, Paris, Vrin, 1952

Sondag, G., Duns Scot. La métaphysique de la singularité, Paris, Vrin, 2005

Williams, T. (éd.), The Cambridge Companion to Duns Scotus, Cambridge, Cambridge University Press, 2003

Williams, T., John Duns Scotus, Stanford Encyclopedia online, 2015, http://plato.stanford.edu/entries/duns-scotus/#toc

ii. Ouvrages et articles spécialisés

Adams, M., « Ockham on Identity and Distinction », Franciscan Studies 36 (1976), p. 5-74

Adams, M. « Scotus and Ockham on the Connection of the Virtues », in L. Honnefelder, R. Wood et M. Dryer (éd.), John Duns Scotus. Metaphysics and Ethics, Leiden, New York, Köln, Brill, 1996, p. 499-522

Adams, M., Some later medieval theories of the Eucharist, Thomas Aquinas, Gilles of Rome, Duns Scotus and William Ockham, Oxford, Oxford University Press, 2010

R. Wood et M. Dreyer (éd.), John Duns Scotus: Metaphysics and Ethics, Leiden/New York/Cologne, Brill, 1996, p. 499–522

Adams, M., et Wood, R., « Is To Will as Bad as To Do It? The Fourteenth Century Debate », Franciscan Studies 41 (1981), p. 5-60

Adams, R. M., « Primitive Thisness and Primitive Identity », Journal of Philosophy 76 (1979), p. 5-26

Ashworth, E. J., « Can I speak More Clearly Than I Understand? A Problem of religious Language in Henry of Ghent, Duns Scotus », Historiographica Linguistica 7 (1980), p. 29-38

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Magali Roques

Université de Genève

roquesmagali@yahoo.fr