Croyance religieuse (A)

Comment citer ?

Pouivet, Roger (2020), «Croyance religieuse (A)», dans Maxime Kristanek (dir.), l'Encyclopédie philosophique, consulté le ..., https://encyclo-philo.fr/croyance-religieuse-a

Publié en janvier 2020

Résumé

Interrogé sur ce qu’après sa mort, il dirait à Dieu pour justifier son incroyance, Bertrand Russell aurait répondu : « Sir, pourquoi n’était-ce pas bien plus évident ? ». Toute croyance semble souffrir d’un déficit de justification épistémique quand on la compare à une connaissance, qui ne peut être ni fausse (ce ne serait en ce cas pas du tout une connaissance) ni douteuse (ne serait-ce, justement, en ce cas, une croyance ?). Et s’agissant d’une croyance religieuse, ne faudrait-il pas même parler d’une totale banqueroute épistémique ? Elle semble dépourvue de bonnes raisons épistémiques, n’avoir que des causes psychologiques ou sociologiques. Comment donc est-il possible d’avoir encore des croyances religieuses après la « Révolution scientifique » et les Lumières ? Pourtant le projet de justification épistémique des croyances religieuses n’est pas abandonné par certains philosophes. Mais a-t-il cependant une réelle nécessité ? Après tout, la croyance religieuse pourrait être rationnelle sans évidence en sa faveur, contrairement à ce que pensent un athée, comme Russell, ou un chrétien, comme Swinburne. Ne croit-on pas afin de comprendre, comme l’ont suggéré Augustin ou Anselme ? La question philosophique fondamentale posée par la croyance religieuse est de savoir si la vie intellectuelle du croyant peut jamais être intellectuellement vertueuse ou si elle est toujours honteusement vicieuse.


Table des matières

1. Définir la croyance religieuse

a. Croyance religieuse, croyances religieuses, croyances chrétiennes
b. La croyance religieuse requiert-elle une phénoménologie ou une analyse ?
c. Assentiment réel et assentiment notionnel

2. Les croyances religieuses sont-elles irrationnelles ?

a. Un scénario de la pensée moderne
b. Y a-t-il une théière entre la Terre et Mars ?
c. La croyance religieuse est-elle dépourvue de sens ?
d. L’origine des croyances religieuses

3. La nature de la croyance religieuse

a. Croyance et foi
b. Pragmatisme, volontarisme et fidéisme
c. La croyance religieuse comme forme de vie

4. La justification de la croyance religieuse

a. Le défi évidentialiste
b. L’hypothèse théiste
c. L’argument de l’expérience
d. Le conflit des évidences

5. La croyance religieuse garantie

a. Croyance de base
b. Une croyance survivant aux objections

6. Croyance religieuse et norme de rationalité

a. La rationalité située
b. Credo ut intelligam

7. Croyance religieuse, vertu et vice

a. Le croyant est-il intellectuellement vertueux ?
b. L’incroyant est-il vicieux ?

Conclusion

Bibliographie


1. Définir la croyance religieuse

a. Croyance religieuse, croyances religieuses, croyances chrétiennes

Le terme « religion » s’applique à des phénomènes humains variés. Mais qu’y a-t-il de commun aux religions de l’Antiquité (en Grèce, à Rome et ailleurs) au Judaïsme, Christianisme, Islam, Confucianisme, Taoïsme, Sikhisme, Zoroastrisme, aux spiritualités aborigènes, aux religions africaines, et à toutes ces visions du monde ressemblant à des religions, comme l’humanisme athée, le communisme, le libéralisme économique, etc. ? Pour parler de religion, l’existence d’un Dieu ou de dieux n’est pas même requise. La croyance en une « réalité ultime » ou en un « quelque chose » au-delà du monde sensible l’est-elle plus (voir Schellenberg, 2005, chap. 1) ? Partir à la recherche d’une essence de la croyance religieuse, valable pour toutes les religions, risquerait de tourner vite à la confusion et à l’approximation. Ces multiples croyances religieuses formant une collection de différentes croyances et attitudes sont liées par une ressemblance de famille, comme les jeux qui, dans leur variété, a-t-on pu dire, n’auraient rien qui soit commun à tous. Cependant, comment constituer cette collection si nous ne savons pas du tout en quoi consiste une croyance religieuse, voire la croyance religieuse ? C’est toute l’ambiguïté des usages du terme « religion ». Nous utiliserons le singulier et le pluriel ; l’un, la croyance religieuse, pour désigner le genre commun à toutes les croyances religieuses ; l’autre, les croyances, pour insister sur leur multiplicité et leur diversité, parfois belliqueuses.

Toutefois l’idée de croyance religieuse générique n’est-elle pas une abstraction philosophique ? On ne croit pas en général, mais quelque chose : que Jésus-Christ est le fils de Dieu, qu’Allah est grand et Mahomet est son prophète, qu’il existe un Grand Tout dont rien n’est séparable, etc. Pour éviter (autant que possible) le flou, la confusion et le baratin, nous limiterons notre ambition explicative (déjà grande) à ces religions dans lesquelles les hommes croient en l’existence d’un Dieu unique (les monothéismes). Et, plus étroitement – ce qui reste large – nous nous limiterons aux religions chrétiennes (catholiques, orthodoxes, protestantes). Ce sont ces croyances que Dieu existe, et celles que Jésus est le Fils de Dieu, qu’il est mort et ressuscité, qu’il reviendra pour juger les vivants et les morts, dont la prétention à la rationalité sera discutée. Proposant à Thomas, l’apôtre sceptique à l’égard de la Résurrection du Christ, de mettre le doigt dans ses plaies, Jésus disait : « Parce que tu m’as vu, Thomas, tu as cru. Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru » (Jean, 20, 29). Cette béatitude est-elle vertueuse ou vicieuse ?

Tâchons de mieux comprendre ce qu’est une croyance religieuse possédant un contenu déterminé : croire que p, avec p référant à une affirmation qui comprend un terme faisant référence à un être ou une réalité surnaturelle (Dieu, la résurrection, le salut du monde, etc.). De plus, la formule complète à considérer est S croit que p, S étant une personne déterminée, dans une situation effective (historique et sociale). Une croyance religieuse, en ce sens, est toujours située, et sa rationalité l’est également. Nous nous intéressons à telle croyance religieuse de telle personne (voir sections 6 et 7, plus loin) plutôt qu’à une croyance indéterminée, formelle et abstraite. Mais délaisser l’abstraction n’implique pourtant pas que la philosophie de la croyance religieuse soit une phénoménologie des états mentaux à teneur religieuse. Voici pourquoi.

b. La croyance religieuse requiert-elle une phénoménologie ou une analyse ?

Certains philosophes contemporains pensent la croyance religieuse comme une expérience, d’une qualité toute particulière : ressentir une dépendance absolue à l’égard du Créateur ou une confiance absolue en Dieu. À moins que ce soit l’expérience d’un sentiment océanique de fusion dans le Grand Tout, voire l’appréhension obscure d’une réalité ultime… Les mots manqueraient pour décrire cette expérience. Ne s’exprime-t-elle pas mieux, suggèrent certains, dans la poésie, la musique, la vie mystique ? Elle échapperait à la conceptualisation, voire à la raison ? La croyance religieuse est ainsi identifiée à l’intensité vécue des états mentaux de la louange, de la prière, de la vénération, du repentir, de la confiance, etc. (Marion, 2005). Et décrire une croyance supposerait avant tout de faire appel aux notions de conscience et de subjectivité.

Mais, selon une autre conception, plutôt qu’un état intérieur, la croyance est une disposition à penser et à vouloir. Nous attribuons à Roméo la croyance que Juliette a sonné pour expliquer qu’il se lève et ouvre la porte. Ce n’est pas tant que les croyances soient réductibles à des comportements (comme le pense un béhavioriste), car à un même comportement pourrait correspondre des croyances diverses. Cependant, à des personnes faisant quelque chose (ouvrir une porte à laquelle on sonne, par exemple) ou en disant certaines choses (« Tiens, il y a quelqu’un à la porte »), nous attribuons des croyances : elles expliquent ce que ces personnes font et disent, et pourquoi. La croyance religieuse n’est dès lors pas tant un état ou un événement interne qu’une raison d’agir ; c’est ce qu’il serait répondu à des questions comme « Pourquoi allez-vous à la messe ? » ou « Pensez vous que Dieu existe ? ». Une personne peut prendre conscience de ses croyances en examinant ses propres actions ou ce qu’elle dit pour répondre à une question (voir Geach, 1957). C’est autre chose que de pénétrer dans son intériorité, là où seul le sujet, par réflexivité, pourrait accéder.

Se profilent ainsi deux philosophies de la religion. Leur objets et leurs attendus sont différents. Dans l’une, l’étude de la croyance religieuse est une phénoménologie d’états de conscience supposés avoir une spécificité. La phénoménologie de la conscience religieuse porte sur ce que cela fait de croire en Dieu : avoir certains sentiments, pensées, désirs, et faire certaines expériences. Finalement la réalité religieuse que vise la croyance est réduite par la phénoménologie à l’expérience qu’on en fait et la conscience qu’on en a. L’autre philosophie de la religion fait porter l’interrogation sur la nature et la légitimité épistémique des croyances religieuses (en particulier, celle en l’existence de Dieu) en insistant sur la relation à une réalité, transcendante, à laquelle on accède par cette croyance ; si du moins elle a une légitimité épistémologique, si donc elle n’est pas une illusion de la conscience religieuse. En gros, la philosophie continentale a privilégié la première sorte de philosophie de la religion, la philosophie analytique la seconde. Ce qui ne signifie pas de délaisser tout à fait la notion d’expérience religieuse ; mais la question est de savoir quel rôle elle joue dans la justification de nos croyances, plutôt que de la décrire « de l’intérieur ».

c. Assentiment réel et assentiment notionnel

 

À la suite du Cardinal Newman, il est possible de distinguer deux modes d’assentiment : l’un est réel, l’autre notionnel (1870, chap. IV). Saisir combien l’Amérique est grande, en faisant un voyage en train de l’Atlantique au Pacifique est avoir une appréhension réelle ; comprendre combien l’Amérique est un grand pays est une appréhension notionnelle. Si S croit que p, p = « L’Amérique est un grand pays », son assentiment peut être réel ou notionnel ; il peut l’être alternativement. C’est aussi la différence, disons, entre dire « Le Gewurztraminer, c’est délicieux », appréhension notionnelle, et boire une gorgée de Gewurztraminer, en faisant « Mmmmhhh » (puis dire, « Ah, le Gewurztraminer, c’est délicieux », exprimant ainsi une croyance réelle – ou, certes, ne même pas le dire).

L’assentiment aux propositions comme « Dieu existe » ou « Le Christ est ressuscité » est-il réel ou notionnel ? C’est-à-dire, doit-on opposer, d’une part, la croyance religieuse comprise comme une expérience vécue en première personne, irréductible au concept ; et, d’autre part, une attitude propositionnelle, en troisième personne, sans référence à une vie religieuse sincèrement vécue ? On voit mal comment l’assentiment à des propositions pourrait n’être que réel pour le croyant. Comment ferait-on l’expérience que Dieu existe ou que le Christ est ressuscité sans appréhender aussi, de façon notionnelle, ce que veulent dire les deux propositions que « Dieu existe » ou que « Le Christ est ressuscité » ? On pourrait en revanche imaginer de ces deux propositions un assentiment exclusivement notionnel. Sa valeur religieuse serait-elle moindre ou nulle parce qu’à cet assentiment ne correspond aucun « vécu » ?

L’assentiment d’un chrétien qui récite le Credo (« Je crois en Dieu, le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre… ») est notionnel, sans pourtant n’être que notionnel. Sans l’expérience vécue, dans un assentiment réel, la croyance ne serait en effet qu’une attitude distante, dépourvue de valeur subjective et profonde, pensent certains. À défaut de ce vécu, serait-elle même insincère, et moralement discutable alors – une façon de jouer ou de faire comme si ? La vraie signification de nos croyances est-elle alors, plutôt qu’un énoncé froid et distant, ce qui est caché dans notre intériorité, accessible à nous seuls et à Dieu ? Parfois, ce qu’on appelle « spiritualité » revient à cette thèse : croire, ce serait vibrer intérieurement. Mais une telle thèse n’est pas sans présupposé.

N’est-elle pas l’application dans ce domaine d’une certaine psychologie philosophique ? Il nous est demandé d’accepter l’idée que croire (surtout sincèrement) c’est avoir des représentations mentales et y avoir seul accès – c’est accepter ce que Ryle appelait le « mythe cartésien ». Penser quelque chose n’est-il pas aussi, ou plutôt, une disposition à comprendre ce qu’on dit, plutôt qu’un événement intérieur accompagnant ce que l’on dit (Pouivet, 2014) ? Si ma femme, qui rentre par la route, n’arrive pas, et que cela m’inquiète, j’ai certes une appréhension réelle de la proposition « elle pourrait avoir eu un accident ». C’est le contenu de mon inquiétude. Mais cela suppose tout de même que je comprenne une telle proposition et pas seulement que je vive son contenu en première personne ! Pourquoi cela serait-il si différent pour une croyance religieuse ? Que l’analyse de la croyance religieuse ne porte pas sur les conditions phénoménales de l’appréhension réelle n’implique donc pas qu’elle ne permette pas de comprendre ce que veut dire de croire en Dieu.

2. Les croyances religieuses sont-elles irrationnelles ?

a. Un scénario de la pensée moderne

Les sciences humaines et sociales acceptent apparemment ce présupposé : les croyances religieuses s’expliquent en termes de causes psychologiques ou sociologiques. Ainsi, le fidèle ne croit pas en l’existence de Dieu ou que le Christ est ressuscité parce que Dieu existe et que le Christ est ressuscité. Il le croit, par exemple, parce que c’est psychologiquement confortable ou parce que l’environnement social exerce une contrainte faisant naître et persister de telles croyances. Un psychologue admettra que la croyance qu’il y a là un café fumant sur la table est liée au fait qu’un café fumant se trouve là sur la table ; un sociologue est prêt à admettre que la croyance que la Terre est ronde est liée au fait qu’elle le soit. Mais s’agissant des croyances que Dieu existe ou que le Christ est ressuscité, nombre de psychologues ou de sociologues – mais ce n’est pas le cas de tous, et en particulier pas de ceux qui adoptent l’individualisme méthodologique, comme Raymond Boudon (2012) – ne sont pas prêts à chercher la cause dans le fait que les choses soient bien que Dieu existe ou que le Christ est ressuscité. Mais n’est-ce pas alors présupposer que c’est faux, et que donc l’explication est forcément tout autre ? Or, qu’est-ce qui justifie ce présupposé de l’explication des croyances religieuses par les sciences humaines et sociales ? Pourquoi n’ont-elles pas le même présupposé s’agissant de nos croyances scientifiques, par exemple, ou sociales et politiques ; et si elles l’ont, disent-elles que nos croyances scientifiques ou politiques sont systématiquement fausses ?

Le présupposé explicatif des sciences humaines et sociales semble parfois associé à un scénario. Autrefois, disons au Moyen Âge, les gens du commun et même les philosophes croyaient à des sornettes. Mais depuis les Lumières et le XIXe siècle, il y a eu des progrès considérables de la science, y compris des sciences humaines et sociales. Nous connaîtrions maintenant l’origine psycho-sociale des croyances religieuses – comme l’ont montré Nietzsche, Freud et Marx, la théorie de l’évolution et les sciences cognitives. Nous aurions mis au jour comment des profiteurs, souvent en soutane, ont suggéré et promu ces croyances ; ils ne les ont imposées que pour conforter leur pouvoir et satisfaire leurs intérêts, pour nous aliéner. Nous savons aussi combien il serait naïf de croire, par exemple, que Dieu est l’auteur de la Bible. Elle manifeste des préoccupations sociales, en particulier, et n’est pas la Parole de Dieu, mais de certains hommes à d’autres. Ce serait au philosophe (au sociologue, psychologue, historien) d’examiner et d’interpréter historiquement la place que des philosophes ont pu accorder à Dieu, sans céder à l’illusion religieuse.

Parfois, les philosophes en viennent à ce paradoxe : Descartes est tenu pour un philosophe très important, et il est vanté comme tel dans les classes de philosophie. Ses preuves de l’existence de Dieu sont expliquées comme indispensables à sa pensée métaphysique, ce qu’elles sont. Mais par ailleurs nous sommes supposés savoir, grâce aux nouvelles sciences humaines et sociales, que la croyance en l’existence de Dieu résulte de causes psychologiques et sociales. A-t-on jamais de si bonnes raisons que cela de croire en ce scénario d’un progrès considérable de la pensée moderne qui identifie la croyance religieuse à des vieilleries historiques ? Après tout, ne faut-il pas être cartésien jusqu’au bout, si on tient à l’être pour se garantir l’existence d’un sujet de la connaissance et toute ces bonnes choses du rationalisme moderne ? Avons-nous la possibilité de réduire les croyances religieuses à des convictions subjectives, existentielles ? On en proposerait simplement une phénoménologie, une étude de ce que cela fait pour une subjectivité de croire en Dieu (voir 1b, plus haut). Ce qui ne supposerait pas de prendre cette croyance de façon réaliste ni de se demander si elle ne serait pas tout simplement rationnelle, correcte, et disons le mot, vraie.

b. Y a-t-il une théière entre la Terre et Mars ?

Pour nombre de philosophes modernes et contemporains, l’unique raison de croire en l’existence Dieu, s’il en est une, serait que certains faits observables la rendent nécessaire ou au moins suffisamment probable. Or, tout ne s’explique-t-il pas, en bonne science, sans faire appel à Dieu ? Victor Hugo prétend rapporter un échange entre Napoléon et le physicien Laplace : « Comment, vous donnez les lois de toute la création et, dans tout votre livre, vous ne parlez pas une seule fois de l’existence de Dieu ! », remarquait l’Empereur. À quoi le savant aurait répondu : « Sire, je n’avais pas besoin de cette hypothèse ». Les théories physiques se passent aisément des dieux, de Dieu et du surnaturel, et les sciences humaines s’honorent de n’y faire aucun recours. Elles offrent cependant des explications sûres, pour peu qu’on ait renoncé à demander une raison nécessaire et suffisante de l’existence des choses et une raison finale de ce qu’elles sont – ce qui serait une vaine prétention métaphysique. Le monde en tant que tel n’a pas d’explication (Russell, 1948). C’est un fait brut. Dès qu’on a compris cela, il est clair alors que les croyances religieuses ne peuvent pas être rationnelles.

Bertrand Russell donc (1952), un philosophe athée, mais aussi bien Thomas d’Aquin (Somme Théologique, I, 2, 3), un philosophe chrétien, seraient d’accord pour dire que si la croyance en l’existence de Dieu n’était en rien fondée sur des raisons, la foi supposerait un saut épistémique difficilement justifiable chez des êtres raisonnables. Mais l’Aquinate montre qu’il y a des raisons de croire (des motifs de crédibilité) ; alors que le Cambridgien pense que ces prétendues raisons sont de grossiers sophismes. Pour mettre ces deux-là d’accord, ne peut-on pas dire, avec Tertullien : « Je crois parce que c’est absurde » ? (Certes, le sens que Tertullien donnait à cette formule reste discuté.) Mais, essayons de croire quelque chose d’absurde, disons « les babus rouflottent validement » ou « chat tapis sur est le ». Vous y parvenez ? Et, pourrait-on jamais croire quelque chose parce que c’est absurde, ou même en dépit de son absurdité. Mark Twain disait que la foi consiste « à croire ce dont on sait que ce n’est pas ainsi », ce qui n’est guère plus aisé (« Il pleut et je crois qu’il ne pleut pas » est une contradiction, au moins pragmatique !)

Pour Thomas d’Aquin, « cet acte qui consiste à croire contient la ferme adhésion à un parti ; en cela le croyant se rencontre avec celui qui a la science et avec celui qui a l’intelligence ; cependant, sa connaissance n’est pas dans l’état parfait que procure la vision évidente ; en cela il se rencontre avec l’homme qui est dans le doute, dans le soupçon ou dans l’opinion » (ST, II-II, 2, 1). Rien alors qui soit l’assurance hautaine que donne une preuve logique ou mathématique, ni l’étourdissement intellectuel que provoque l’absurdité. Le présupposé de Russell est pour sa part le suivant : Pour toute proposition, p, quelle qu’elle soit, on ne devrait pas y croire sans raison. Ainsi, une personne pourrait affirmer qu’entre la Terre et Mars se trouve une théière chinoise de porcelaine en orbite elliptique autour du Soleil, trop petite pour qu’elle soit détectable, même par les plus puissants télescopes. Personne ne pourrait prouver le contraire ! Que cette proposition ne puisse être réfutée n’autorise en rien à y croire ; elle devrait plutôt nous conduire à en douter fortement. Et, « si l’existence de cette théière était décrite dans des livres anciens, enseignée comme une vérité sacrée tous les dimanches et inculquée aux enfants à l’école, alors toute hésitation à croire en son existence deviendrait un signe d’excentricité et vaudrait au sceptique les soins d’un psychiatre, à une époque éclairée, ou de l’Inquisiteur en des temps plus anciens » (Russell, 1952, p. 548). Nous pouvons avoir des raisons de croire quelque chose, une évidence en faveur d’une croyance. Mais à l’évidence nous manquons de raison en faveur de la croyance que Dieu existe !

Mais l’existence de la théière, à la différence de l’existence de Dieu, n’explique en rien le monde connu, c’est-à-dire que nous ayons à son sujet certaines croyances, par exemple dans la régularité des lois de la nature et dans leur intelligibilité. C’est en revanche tout le sens d’une thèse comme celle de Swinburne (2007) : l’hypothèse théiste a, contrairement à ce que dit Russell, un fort pouvoir explicatif, que bien sûr la théière n’a en rien – et donc l’analogie proposée par Russell entre existence de Dieu et théière chinoise en orbite est tout à fait discutable, pour ne pas dire pitoyable (voir aussi van Inwagen, 2012). On peut aussi penser à l’importance qu’un Leibniz accordait au Principe de raison suffisante, et à son articulation avec l’existence nécessaire de Dieu. C’est aussi retrouver la force d’une cosmologie, comme a pu en proposer Thomas.

c. La croyance religieuse est-elle dépourvue de sens ?

Pour Kant (Critique de la raison pure, A51/B75), les pensées sans contenu empirique sont vides, et les intuitions sans concepts sont aveugles. C’était une formule préfigurant l’empirisme logique des Viennois dans les années 30 du siècle dernier. Carnap affirmait ainsi que les énoncés doués de sens sont les propositions mathématiques (7 + 5 = 12), les tautologies (Tous les chats sont des félins), les propositions logiquement nécessaires (p et non p ne peuvent pas être vraies à la fois), et les énoncés factuels, qui peuvent être vérifiés (ou non) au moyen de l’expérience. Hume disait-il autre chose à la toute fin de l’Enquête sur l’entendement humain, quand il proposait, en substance, de confier aux flammes les volumes de théologie, lesquels ne contiendraient rien qui soit vérifiable a priori (mathématiques) ou a posteriori (sciences empiriques) ? Toute proposition dans laquelle le terme « Dieu » apparaît serait ainsi dépourvue de sens ; et donc « Dieu n’existe pas » l’est tout autant. Ce n’est alors pas l’existence de Dieu qui est contestable, mais la question même de son existence qui est absurde.

Pour Flew (1971), pour qu’un énoncé ait un sens importe moins la possibilité de le vérifier empiriquement (comme dans le cas de la théière) que celle de le falsifier. Si l’on dit « Dieu est amour », qu’est-ce qui pourrait falsifier cet énoncé ? Et même tout le malheur du monde ne semble pas suffire au croyant pour renoncer à dire que Dieu est amour – pas même, par exemple, la mort des enfants innocents dans d’atroces souffrances ou, disons, cette Grande Peste du XIVe siècle qui décima les populations européennes et bien au-delà. Toute affirmation de l’existence de Dieu serait ainsi l’expression d’un vœu (Je veux que Dieu existe), d’un espoir (J’espère que Dieu existe), plutôt qu’une simple croyance, rationnelle et honnête, dont on sait ce qui, en la rendant fausse, nous y fera renoncer. De fait, l’énoncé de la croyance religieuse exprimerait avant tout un engagement existentiel plutôt qu’une affirmation justifiée au sujet d’une réalité transcendante.

À la suite de Heidegger, certains philosophes affirment que Dieu n’est pas un objet pouvant être décrit ni même dit exister (être). Il conviendrait de se libérer de ce que Kant avait appelé une conception « onto-théologique » — le péché métaphysique à l’origine du théisme classique. Pour Marion (1982), il faut penser « Dieu sans l’être » Il se propose de déconstruire une conception objectiviste de Dieu, au profit d’une tout autre théologie, apophatique certes, mais surtout tournée vers une expérience intérieure. Pourtant, la croyance propositionnelle que « Dieu existe » est-elle vraiment l’assimilation de l’être de Dieu à un être dans le monde, frisant ainsi l’idolâtrie (voir Schmitt, 2016, p. 94-98 et chap. X) ? N’y a-t-il pas une théorie de la signification nettement plus subtile chez Anselme, Augustin ou Thomas d’Aquin, permettant d’éviter le rejet d’une théorie réaliste des énoncés théologiques (voir Turner, 2004 ; Pouivet, 2013, chap. III). Notons au passage que, finalement, des conceptions héritées, d’une part du positivisme logique et, d’autre part, de la pensée heideggérienne aboutissent en fait à des thèses proches, refusant de donner un sens obvie aux énoncés théologiques. Soit qu’ils sont dits invérifiables, soit qu’ils sont dits objectivants.

d. L’origine des croyances religieuses

Si la croyance en l’existence de Dieu se fait sans preuve ni raison légitime, comme bien des philosophes modernes le pensent, d’où vient-elle ? Cette origine s’expliquerait en termes d’aliénation sociale (Marx), de défense psychologique (Freud), de frustration morale (Nietzsche). Hume avait déjà proposé une Histoire naturelle de la religion qui cherchait l’origine des croyances religieuses dans des causes humaines et sociales – ce que reprend « scientifiquement » la sociologie des religions. La croyance religieuse serait donc un fait social.

Récemment l’explication évolutionniste des croyances religieuses tient la corde dans l’explication naturaliste des croyances religieuses (au sens où cette explication rejette tout ce qui serait surnaturel, voire immatériel). Pourtant, la raison pour laquelle les croyances religieuses pourraient constituer un atout au cours de l’évolution, assurant (ou facilitant), dans le cadre de la sélection naturelle, la survie et le succès reproductif, reste mystérieuse. L’explication évolutionniste pourrait certes se limiter à montrer que les croyances religieuses auraient pu constituer un atout sur le plan culturel, sans référence à la sélection naturelle. En gros, ces croyances auraient l’avantage de donner un sens à des comportements et croyances spontanés, en concordant avec des schémas intellectuels produits par l’évolution (voir Boyer, 2003). Pour d’autres défenseurs de l’approche naturaliste, les croyances religieuses sont des sous-produits culturels de l’évolution, plutôt qu’elles ne résultent de ses mécanismes (voir Bloom, 2009). Quoi qu’il en soit des divergences dans l’explication naturaliste de l’origine des croyances religieuses, nous sommes encouragés, par les différentes naturalistes et évolutionnistes, à penser que les croyances religieuses ne sont pas vraies (ni fausses, finalement), mais fonctionnelles.

Toutefois, l’explication naturaliste de la religion ne conduit pas toujours à mettre en question la rationalité des croyances religieuses (Barrett, 2011). Après tout, si l’explication de toute la culture humaine se trouve dans l’évolution, cela vaut pour cette explication elle-même, et pour les sciences en général, sans que, pensent certains, sa rationalité en soit minée ! Le raisonnement serait le même pour la croyance religieuse. Pourtant, d’autres pensent plutôt que si les croyances religieuses ont des causes évolutionnistes (mais ce serait la même chose si elles étaient neurologiques, psychologiques ou sociales), leur rationalité en devient douteuse. Elles seraient des réactions naturelles à des situations elles-mêmes naturelles. D’un autre côté, que nos croyances et nos connaissances n’aient pas de causes naturelles serait surprenant s’agissant d’êtres tels que nous sommes. Faudrait-il pour qu’elles soient rationnelles que leur génération soit spontanée ou miraculeuse dans nos esprits ? L’apparition sans cause aucune d’une croyance rendrait même sa rationalité suspecte. Une croyance rationnelle doit bien avoir une cause. Mais pourquoi cette cause ne pourrait-elle pas être éventuellement une (bonne) raison ? Il se pourrait ainsi que des causes naturelles, psychologiques, anthropologiques, voire évolutionnistes, forment des capacités naturelles, grâce auxquelles les êtres humains, en toute rationalité, ont des croyances religieuses. Après tout, les mêmes causes formeraient aussi des croyances philosophiques, politiques, mais aussi scientifiques et mathématiques, sans que cela fasse douter de leur rationalité.

Comme le dit van Inwagen (2009, p. 134), une explication naturaliste peut être intégrée, sans contradiction logique, dans une explication plus large incluant un aspect surnaturel (un Dieu qui se révèle, par exemple). Si l’anthropologue affirme que l’origine naturelle des croyances religieuses montre qu’elles n’ont pas de causes surnaturelles (Dieu lui-même) ou de raisons (penser que le monde ne serait pas ce qu’il est sans un Créateur), il fait tout autre chose que de la science : en fait, son explication naturaliste est une thèse philosophique destinée à contester tout appel au surnaturel et, généralement, l’existence de Dieu. Mais l’évolutionnisme n’en reste pas moins compatible avec, par exemple, les croyances que Dieu existe et que le monde est créé – et compatible avec la vérité de ces deux croyances. Sauf quand l’évolutionnisme est en réalité un athéisme déguisé en thèse scientifique.

3. La nature de la croyance religieuse

a. Croyance et foi

Toute la discussion sur la rationalité de la croyance religieuse ne souffre-t-elle pas d’une confusion entre croyance et foi ? Il est possible de croire en l’existence de Dieu sans placer en lui toute sa confiance, ni vouloir entrer avec lui dans cette relation en quoi la foi consisterait. Certains vont alors jusqu’à suggérer que la croyance n’est pas indispensable à la foi (Pojman, 1986, 2001). Plutôt que la croyance en des vérités, la foi est la confiance en Dieu. Les démons croient que Dieu existe, mais s’étant défiés du Créateur (par orgueil, racine de tous les vices), ils le détestent. Leur foi est perdue, mais leur croyance en l’existence de Dieu reste solide. Ils seraient bien les derniers à douter de son existence ! Il serait aussi possible de croire que Dieu existe « par des raisons humaines et des signes naturels », comme le dit Thomas d’Aquin (Commentaire de l’Épître aux Romains, 4, 1, n°327), mais sans foi aucune.

Distinguons alors croire à Dieu ou croire en Dieu, une croyance de foi, et croire que Dieu existe, une croyance propositionnelle. La première est une vertu (infuse, donnée par Dieu). C’est un assentiment de l’intelligence et une volonté de recevoir, en croyant, une grâce divine. À la différence de la croyance propositionnelle, elle comporte des aspects fiduciaire (la confiance), affectif (le sentiment) et conatif (des attitudes, des comportements, de louange, de prière, etc.) essentiels. Elle est aussi volontaire, au sens où nous pourrions refuser la confiance, ne pas désirer l’union à Dieu ; alors que la croyance, elle, n’est pas volontaire, ne se récuse pas. La foi est une attirance dans laquelle notre désir (volonté) est totalement impliqué pour croire certaines affirmations et placer notre confiance en Dieu. La foi en ce sens transcende la croyance religieuse. L’autre nom de cette attirance est l’amour : la foi répond par le désir à l’amour divin. La croyance ne serait en ce sens qu’intellectuelle et ne nous transformerait pas, alors que la foi, comme amour humain répondant à l’amour divin, change l’existence.

Cependant, la foi n’a-t-elle pas un aspect constitutivement doxastique : croire que certains articles de foi sont vrais (ils sont énoncés par Thomas d’Aquin en ST, I-II, 1, 8). Elle aurait donc avant tout un contenu cognitif, ne saurait se réduire à un sentiment intérieur diffus ou à une intention d’action. Si la croyance n’est pas la foi et ne suffit pas pour la foi, celle-ci est-elle pour autant un état mental non-doxastique (pour une discussion de ce point, voir, par exemple, Howard Snyder, 2016 ; Michon, 2017) ? Pourrait-il vraiment y avoir une foi sans croyance ?

b. Pragmatisme, volontarisme et fidéisme

Croire, ce n’est pas simplement, ni même peut-être du tout, assentir à une proposition, disent les « pragmatistes ». Toutefois, pour eux, à la différence des phénoménologues, croire ce n’est plus tant avoir une expérience, que vouloir et s’engager. Croire en Dieu, c’est agir comme si la proposition qu’il existe était vraie. La question de la vérité antécédente de la proposition (indépendamment de la croyance) ne se poserait pas ; la volonté de croire ferait tout l’engagement religieux, lequel ne serait pas la conséquence, mais le mode de la croyance religieuse.

Pour James (1916), le théisme est intellectuellement ouvert, c’est-à-dire qu’aucune évidence pour lui ou contre lui ne permet de décider s’il est vrai ou non ; c’est une option véritable, c’est-à-dire que cela n’a rien de secondaire ou de trivial, c’est crucial pour la vie du fidèle et une décision de sa part ne peut être évitée ; et dès lors, l’espoir qu’il soit vrai, et la volonté qu’il le soit, sont des raisons suffisantes de croire. La croyance religieuse est une activité – voire une aventure qui façonne une vie humaine, un engagement passionné. Il requiert avant tout une motivation, plutôt que des garanties d’évidence à l’égard d’une proposition comme « Dieu existe ». C’est « croire par la foi » (Bishop, 2011). Ce qui pourrait encourager à penser que la croyance n’est pas même un aspect de la foi, ni son préambule. L’engagement religieux n’est pas fondé sur la croyance, mais la croyance est cet engagement religieux lui-même.

Cette conception de la croyance religieuse est ainsi dite pragmatiste : elle lie fortement la croyance à ses conséquences pratiques dans l’action. Mais n’est-elle pas aussi, en mettant l’accent sur les aspects de la foi relatifs à la motivation et à l’engagement dans la vie religieuse, aux dépens peut-être de la compréhension et de la raison, fidéiste ? Nouvelle appellation, mais ce n’est guère plus plausible. Faire de la croyance un acte de la volonté, plus que de l’intellect, supposerait que la croyance soit volontaire, qu’elle soit quasiment une décision. C’est en un sens identifier croyance et foi, mais aussi gommer la différence entre la pensée et l’action. De plus, si je dois vouloir croire ce que je crois, c’est justement que je ne le crois pas puisque je dois faire l’action de le croire, si jamais c’est possible. (Essayez de croire que vous croyez en Dieu, si vous n’y croyez pas !) Certes, il serait possible d’agir afin d’acquérir une croyance. Un fameux passage des Pensées de Pascal (éd. Lafuma, 418) a parfois été interprété ainsi : les incroyants sont encouragés à faire « tout comme s’ils croyaient, en prenant de l’eau bénite, en faisant dire des messes, etc. ». Que simuler une attitude puisse, finalement, induire provoquer en nous la croyance que nous simulons, si jamais c’est possible, est différent d’une décision de croire. Certes la foi est volontaire, sinon elle ne serait pas méritoire. Mais cela signifie tout autre chose qu’une décision de croire. Cela veut dire que nous pouvons refuser la grâce qui nous est faite de la foi. Le péché est un refus volontaire de la foi puisque nous pourrions ne pas pécher, si notre foi n’était pas si chancelante par défaut de recevoir la grâce divine. C’est autre chose, vraiment, que de parvenir à sauter au-dessus d’un précipice parce qu’on veut croire qu’on va y arriver – une métaphore plus sportive que religieuse.

Rappelons que pour l’Église catholique, le fidéisme manque de reconnaître « l’importance de la connaissance rationnelle et du discours philosophique pour l’intelligence de la foi, plus encore pour la possibilité même de croire en Dieu » (Jean-Paul II, Encyclique Fides et ratio, § 55). Le fidéisme, comme ressort du pragmatisme religieux, semble mettre en question une exigence épistémique fondamentale : ne croire que ce qui est vrai et parce que c’est vrai. Si nous devons croire, ce n’est pas parce que cela nous est utile pour assurer notre foi, mais parce que ce que nous croyons est vrai, parce que la foi ne peut consister à croire ce qui est ou pourrait être faux, mais est spirituellement utile.

c. La croyance religieuse comme forme de vie

Wittgenstein a peu écrit au sujet de la croyance religieuse. Sa pensée (parfois seulement rapportée) a cependant fécondé plusieurs conceptions (Phillips, 1970, Malcolm, 1977, Pritchard, 2017) qui ont un air de famille. Wittgenstein aurait montré que la croyance religieuse n’a pas à être fondée sur une ou des raisons. Le croyant ne recherche en rien une justification épistémique. Il donne un sens à ce qu’il fait ou se refuse à faire ; il donne ainsi sens à sa vie. Il ne croit pas sur la base de quelque chose, alors même que tout dans sa vie obéit à la règle de sa croyance. Wittgenstein semble avoir pensé la croyance religieuse comme une image ayant constamment le rôle de nous rappeler certaines exigences (1992). La croyance religieuse est le milieu vital d’une manière de vivre et même une « forme de vie ». Le croyant prie pour la guérison d’un enfant, par exemple, ou il vit dans l’espoir de son salut et la crainte de sa damnation. « Je crois en Dieu » est l’expression de la foi et non l’affirmation d’un article de foi, moins encore le préambule d’une quelconque explication. La fonction principale du langage religieux n’est pas référentielle ; son usage est constitutif de la vie de foi et sa finalité n’est donc pas descriptive.

L’utilisation de la notion de « forme de vie » ne signifie pas que la religion soit à identifier à une imprégnation culturelle. Les manières de vivre en Europe et aux États-Unis sont différentes, aussi celles du citadin et du rural, du clerc et du laïc, du célibataire et du père de famille, etc. Ce sont là des différences sociologiques. La notion de « forme de vie » est anthropologique. Wittgenstein parle des différences de vie entre deux espèces animales, les lions et les êtres humains, par exemple. Il dit dans la deuxième partie des Recherches philosophiques (II, XI), que « si un lion pouvait parler, nous ne pourrions le comprendre ». À l’intérieur du genre humain, il peut aussi y avoir des formes différentes de vie. Quand bien même elles n’ont pas la radicalité d’une différence entre un lion et un homme, elles ne sont pas réductibles à un simple relativisme social. Si on les prend au sérieux, elles impliquent que le critère d’intelligibilité des croyances religieuses, pour ceux qui en ont, ne peut pas être extérieur au langage religieux et à la pratique religieuse. La croyance religieuse n’est pas une attitude mentale d’acceptation, plus ou moins raisonnée, de ce qui suit une expression comme « Je crois que… ». C’est une disposition à réagir de certaines façons en certaines circonstances, par exemple dans le cas d’une maladie. Prier pour un enfant malade, par exemple, ce qui, pour l’incroyant, n’aurait aucun sens. C’est en cela que croire est une forme de vie. Pour l’incroyant, le croyant devient aussi incompréhensible qu’un lion, même loquace.

Wittgenstein dit aussi qu’il nous est difficile de réaliser combien la croyance est dépourvue de fondement (2006, § 166). Croire en l’existence de Dieu ce n’est pas faire une hypothèse (ce que pense aussi, explicitement, van Inwagen, 2010). Le croyant ne raisonne pas comme un détective examinant des indices pour en arriver à une conclusion ; il ne fait pas plus une inférence à la meilleure explication (pace Swinburne, voir plus bas 4.b) ? Wittgenstein esquisse alors une conception antiréaliste de la religiosité. Une croyance religieuse ne porte pas sur quelque chose, pour dire que cela existe, et elle ne consiste pas à reconnaître certaines affirmations comme justifiées. En un sens, c’est la conception devenue la plus commune chez les croyants que les wittgensteiniens défendent, et ils auraient tort alors de penser ruer dans les brancards de la pensée religieuse tout-venant.

Parmi les croyances religieuses que Wittgenstein présente comme irréductibles à toute forme de justification rationnelle, se trouve, par exemple, la résurrection du Christ (1992, p. 112). Mais est-ce plausible ? Le Christ « s’est livré pour nos péchés, et il est ressuscité pour notre justification », comme le dit saint Paul (Rom, 4, 25). Il dit aussi que « si le Christ n’est pas ressuscité, vaine est notre prédication, vaine aussi notre foi » (1 Co, 15, 14). Le matin de Pâques, dans certains pays, les croyants disent : « Il est vraiment ressuscité ». Et quand bien même n’a-t-il certes ni évidence ni preuve, le croyant fête alors le Christ vraiment ressuscité et non pas le Christ comme s’il était ressuscité (voir Pouivet, 2013, chap. III). La croyance religieuse ne peut pas être une simple attitude adoptée par des personnes au sein de communautés, sans que son contenu cognitif importe tant que cela, au point qu’elle pourrait concerner une fiction. C’est là donner un statut à une conception trans-doctrinale de la notion de croyance religieuse, vide finalement de tout contenu déterminé, surtout de toute affirmation historique (« Oui, Jésus est vraiment ressuscité ! »), de toute vérité théologique (« Oui, il y a un seul Dieu en trois personnes »), au point de n’être guère plus qu’une forme de « sensibilité » religieuse.

4. La justification de la croyance religieuse

a. Le défi évidentialiste

Pour un évidentialiste, la croyance, quelle qu’elle soit, c’est-à-dire religieuse ou non, doit reposer sur des données indubitables, incorrigibles et infalsifiables. À partir d’elles, nous inférons des conclusions certaines ou probables. Le degré de croyance doit être proportionné à l’évidence disponible et à la valeur logique des inférences. Une thèse de cette sorte se trouve exprimée dans une célèbre formule de William Clifford, contenue dans son article « L’éthique de la croyance » : « On a tort, partout, toujours et qui que l’on soit, de croire quoi que ce soit sur une évidence insuffisante » (1877). Selon ce critère évidentialiste, les croyances religieuses sont des plus fragiles, car l’évidence disponible est faible ou nulle, et l’inférence à partir d’elle est incertaine. Clifford en concluait, semble-t-il, que les croyances religieuses sont même immorales, parce que seul le respect du critère évidentialiste autorise que nous ayons une croyance.

Une critique athée des croyances religieuses repose en partie sur cette base (Mackie, 1982 ; Le Poitevin, 1996 ; Oppy, 2013) : la croyance religieuse est épistémologiquement déficiente si l’évidence en sa faveur est insuffisante. Dès lors, elle ne peut guère que prendre la forme d’une volonté de croire (Pascal, James, voir 3.b). Mais nous sommes alors bien loin de ces raisons justifiant nos croyances ordinaires (la croyance qu’il pleut, par exemple) ou de nos connaissances scientifiques (la découverte de Neptune par Le Verrier, par exemple). Comme le dit Engel, « certes croire n’est pas savoir, mais la norme de raison suffisante implique que la croyance doit répondre à des raisons suffisantes et doit pouvoir devenir un savoir » (2012). Les arguments traditionnels en faveur de l’existence de Dieu (argument ontologique, argument cosmologique, argument téléologique, etc.), qui pourraient justifier la croyance en son existence, ne donnent en effet pas de raisons suffisantes (Sobel, 2009).

Mais faire l’expérience de la présence de Dieu et ainsi de son existence ne suffit-il pas pour que la croyance en son existence de celui qui fait une telle expérience soit justifiée ? Cette expérience pourrait même n’être pas directe ou « mystique » (« percevoir Dieu », voir Alston, 2010). Ce pourrait être une expérience indirecte : S croit que Dieu existe en vertu de ce qu’il perçoit, par exemple un ordre dans le monde, sinon inexplicable – ce qui revient à une forme simplifiée d’argument cosmologique ou d’argument téléologique. Ce pourrait être une expérience testimoniale : S croit que Dieu existe en vertu de ce qui lui est dit par des personnes de confiance. Et pourquoi ne serait-ce pas aussi l’expérience d’un miracle : le constat d’une guérison, par exemple, inexplicable sans l’existence de Dieu et son intervention pour modifier un état de chose naturel ? Mais dans ces cas-là, si les données sont insuffisantes pour justifier la croyance religieuse, c’est qu’elles s’expliquent aussi par d’autres hypothèses que celle de l’existence de Dieu, disent les athées : une crédulité qui a des causes psychologiques et sociales. Comment entraîneraient-elles la conclusion de l’existence de Dieu, ne serait-ce même qu’avec un certaine degré de probabilité ?

b. L’hypothèse théiste

Swinburne (2015) a relevé le défi de la critique évidentialiste en reprenant le projet de la théologie naturelle (Clavier, 2004), celui de fonder les croyances religieuses sans faire appel à la révélation ou à leur infusion divine en notre esprit. Les philosophes et surtout les théologiens l’avaient quelque peu délaissé, convaincus que ce n’était qu’une vieille lune métaphysique. Swinburne ne propose pas une déduction a priori de l’existence de Dieu, à partir de certaines prémisses non religieuses : Dieu pour Swinburne n’est pas logiquement nécessaire, mais il est plutôt un fait nécessaire. L’hypothèse de l’existence de Dieu explique ainsi les données empiriques, les lois, la conscience morale, le monde en général – sans que cela ne s’oppose en rien aux théories scientifiques. C’est en recourant aux critères mêmes des sciences dans l’enquête (même policière, par exemple), l’explication ordinaire des faits ou la recherche de la théorie scientifique la mieux étayée empiriquement, que l’existence de Dieu est postulée (Swinburne, 2009) . L’existence de Dieu – tout-puissant, omniscient, omniprésent, absolument bon – est la meilleure hypothèse pour expliquer ce qu’est et comment est le monde, parce qu’elle est la plus simple. (Pour Swinburne, la simplicité est la voie de la vérité, voir Swinburne 1997). L’intelligibilité du monde fonctionne ainsi comme une preuve de l’existence d’un Créateur intelligent. Dieu ne bouche pas les trous de nos explications insuffisantes ou lacunaires ; c’est tout le contraire, puisque son existence et sa nature expliquent la valeur épistémique de nos explications scientifiques du monde. Religion et science ne s’opposent pas : si nous faisons l’hypothèse théiste, nous pouvons nous attendre à la possibilité d’une explication scientifique du monde.

Que le monde soit l’œuvre de Dieu et que son fonctionnement corresponde à sa volonté, est bien plus probable que le contraire, ou que tout autre explication, comme par exemple celle d’une pluralité de dieux ou celle d’une réalité ultime mais non personnelle. Ni le mal naturel ni le mal moral n’infirment le théisme et ne justifient l’incroyance. Ils confirment même la pertinence de la croyance religieuse ! Les tremblements de terre meurtriers sont pour nous l’occasion d’imaginer les moyens, autant que possible, de nous en prémunir, de développer ainsi nos capacités rationnelles, en nous rendant intellectuellement responsables ; c’est aussi l’occasion de faire preuve des vertus de courage et de solidarité. Bref, c’est la voie du salut. Que les hommes agissent mal et s’infligent des maux ne peut en rien surprendre, du fait même de l’existence d’un Dieu absolument bon, créateur d’agents libres qui, justement, peuvent agir mal.

c. L’argument de l’expérience

La théologie naturelle montre que la proposition « Dieu existe » a un degré fort élevé de probabilité (i.e. de probabilité inductive d’une proposition relativement à une autre, en l’occurrence « Dieu n’existe pas »). La croyance en l’existence de Dieu se justifie ainsi par notre capacité d’explication du monde, y compris dans la science ; ce qui donne une valeur épistémique à l’expérience, faite par beaucoup d’êtres humains, de la présence de Dieu.

Le « Principe de crédulité » est à la base de notre rationalité : à défaut de raisons sérieuses de penser que nous faisons une erreur, les choses sont fort probablement comme elles nous apparaissent l’être. Dès lors, « quiconque a l’impression de faire une expérience de Dieu doit croire que c’est le cas, à moins que la preuve puisse être faite qu’il s’est trompé » (Swinburne, 2009, p. 124). Nombre de personnes font l’expérience de Dieu. Ce qui justifie pleinement leur croyance en son existence. (C’est revenir à ce que Hume et Kant ont prétendu impossible : que nous puissions passer, sans l’aide de la révélation, du monde empirique à l’existence d’une réalité transcendante.) Le refus d’appliquer le principe de crédulité aux croyances religieuses n’est qu’un préjugé athée. (Cependant, voir Martin 1986, pour une critique du « Principe de crédulité » appliqué à l’expérience religieuse.) Ainsi, contre la croyance religieuse fondée sur l’expérience faite de la présence de Dieu, c’est à l’athée ou à l’agnostique qu’incombe la charge de la preuve ; mais, leurs arguments, selon Swinburne, ne sont pas décisifs.

Dès lors, il existe un argument évidentialiste de la rationalité et de la vérité de la croyance en l’existence de Dieu. L’expérience de l’absence de Dieu ne serait-elle pas cependant un argument en faveur de son inexistence ? Mais si je constate que Pierre n’est pas dans la pièce, je sais ce que serait de faire l’expérience que Pierre y soit, plutôt que je ne fais l’expérience qu’il n’existe pas. Or, l’athée ou l’agnostique déclarant que l’expérience ne donne pas le droit de croire en l’existence de Dieu affirme, en réalité, que nous ne pouvons pas avoir une expérience religieuse, et non que nous faisons l’expérience de l’absence et moins encore de l’inexistence de Dieu.

d. Le conflit des évidences

Swinburne pense que l’explication théiste satisfait les critères régulant l’élaboration d’une théorie dans le domaine scientifique : le pouvoir explicatif et la simplicité ; pour le moins l’explication théiste est rationnelle. La thèse contredite – celle qui est devenue pour beaucoup une évidence – est que l’attitude scientifique, adoptée depuis les Lumières, aurait eu pour effet de priver la croyance religieuse de toute rationalité. Le croyant serait systématiquement en état de déréliction cognitive ; il pècherait honteusement contre l’éthique de la croyance (à la Clifford). Dans la mesure où les religions sont souvent accusées de crimes abominables, d’être au principe de guerres et de massacres (« Tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens », aurait dit Arnaud Amaury, à Béziers, alors qu’il mâtait l’hérésie cathare dans le sang, au début du XIIIe siècle), le croyant se rendrait ainsi complice, ou quasiment, de crimes contre l’humanité. On a là un conflit d’évidences ; d’une part il est affirmé que la croyance en l’existence de Dieu ne passe pas le test de la raison et constitue une attitude irrationnelle aux conséquences morales déplorables ; d’autre part, pour Swinburne, le théisme est fondé : il passe le test de rationalité, et même haut la main ; et s’il ne fonde pas la moralité, il permet de déterminer le contenu de nos obligations morales en tant que commandements divins ! Pour une large part, cette rationalité du théisme s’étend à la religion chrétienne, comprise comme un théisme.

Mais ne serait-ce pas plutôt que le croyant et le sceptique différent non pas tant dans les conclusions de leurs arguments que dans des formes de vie, comme le suggèrerait un wittgensteinien ? Ce qui expliquerait aussi pourquoi les fidèles ont finalement eu si peu d’intérêt pour les preuves de l’existence de Dieu qui ne préoccupent guère que les philosophes. Après tout, Thomas d’Aquin, lui-même, dans sa Somme Théologique qui contient 512 questions (et autour de 3000 articles) n’a consacré qu’une seule question (de 3 articles) à ses fameuses preuves de l’existence de Dieu (s’il s’agit même de preuves) ! Kierkegaard dit que vouloir prouver l’existence de Dieu est un « excellent sujet de comique délirant » (1937, p. 109). Si le philosophe n’est pas dans une réelle incertitude, rien ne sera prouvé (il croit déjà, que Dieu existe ou qu’il n’existe pas) ; mais si son incertitude est réelle, jamais il ne commencera, soit par crainte, soit faute d’avoir de quoi commencer. Et à supposer qu’il n’y ait pas de preuves de l’existence de Dieu, qu’est-ce que cela changerait vraiment alors que pour le croyant la présence de son Seigneur se manifeste de toute part ? Ce qui conduit certains à penser que le « nouveau programme en théologie naturelle » de Swinburne (2002) ne vaut finalement pas mieux que l’ancien.

5. La croyance religieuse garantie

a. Croyance de base

Que l’athéisme ou l’agnosticisme soient des attitudes rationnelles, c’est, par défaut, la thèse acceptée par nombre de philosophes aujourd’hui. La preuve de la croyance religieuse serait à la charge du croyant. L’un des présupposés de cette affirmation est qu’une croyance n’est rationnelle que si elle est justifiée. Elle est justifiée en étant soutenue pour des raisons que toute personne rationnelle accepterait. Plantinga ne conteste pas qu’il puisse y avoir des preuves de l’existence de Dieu. Il en compte même environ deux douzaines (voir Walls & Dougherty, 2018). Celles dont les noms nous sont familiers : preuve ontologique, preuve cosmologique, preuve téléologique ou du dessein, etc., mais d’autres encore. Quoi qu’il en soit, pour Plantinga une croyance pleinement rationnelle en l’existence de Dieu n’a nullement à reposer sur des arguments de cette sorte. Plantinga montre que nous ne doutons en rien de l’existence d’autres esprits que le nôtre, même si nous ne disposons pas d’argument irrésistible en la faveur de cette croyance (1967). Ainsi, pour d’autres croyances que religieuses, nous n’avons en réalité aucun doute que l’absence d’argument en leur faveur ne les rend en rien irrationnelles. Pourquoi cela devrait-il être différent pour la croyance en l’existence de Dieu ?

Plantinga et Wolterstorff (1983) ont entrepris de développer une défense, qu’ils considèrent (à tort ou à raison) inspirée de Calvin, d’une forme de théisme rationnel. Plantinga rejette l’évidentialisme, lequel résulterait du « fondationnalisme classique » (qui serait plutôt « moderne », selon les classifications françaises). Des propositions sont dites correctement de base, pour une personne S, si elles sont évidentes en elles-mêmes (S ne peut en douter), incorrigibles (si S croit que p, p doit être vrai), ou empiriquement évidentes (évidence sensible). Le fondationnalisme distingue des croyances basées sur d’autres croyances, et des croyances correctement de base. Celles qui sont basées sur d’autres croyances en supposent d’autres, elles aussi correctement de base, sur lesquelles elles se fondent. L’affirmation du fondationnalisme est qu’aucune croyance théiste n’est correctement de base ; aucune croyance théiste ne tombe sous l’une de ces trois catégories épistémiques : évidence en soi, incorrigibilité (indubitabilité) ou évidence empirique. Un problème pour le fondationnaliste est que cela vaut aussi pour la plupart des croyances ordinaires – une croyance de S au sujet de ce qu’il a mangé le matin au petit déjeuner, sa croyance d’être S, sa croyance qu’il est marié avec D. Serait-il irrationnel pour S de croire avoir mangé son habituel muesli ce matin, de croire qu’il est bien celui qu’il croit être, S, et qu’il est marié avec D ? C’est plutôt que le principe « certaines propositions sont basiques, pour une personne S, pour peu qu’elles soient évidentes en elles-mêmes, incorrigibles, ou empiriquement évidentes » n’est ni évident en lui-même, ni incorrigible, ni empiriquement évident. Ce principe serait de plus irrationnel selon le critère même qu’il établit. C’est l’évidentialisme qui est cloué à son propre pilori. Si l’on joue le jeu de la justification, en prétendant mettre toute croyance en examen devant le Tribunal de la raison, on se retrouve, à son tour, en position d’accusé, et incapable de se défendre. Conclusion : une croyance théiste n’a pas à satisfaire le critère évidentialiste. Elle peut être rationnelle sans être fondée sur une croyance correctement de base. Car elle peut elle-même être une croyance correctement de base. Et pour cela, elle n’a donc pas à satisfaire aux trois exigences énoncées précédemment.

Mais ne pourrait-on pas alors être rationnel en croyant au Père Noël et finalement à n’importe quoi (l’exemple, discuté par Plantinga, est celui du retour de la Grande Citrouille) ? Non pas. Plantinga considère qu’il n’a proposé un argument que pour les seules croyances théistes (l’existence d’un Dieu créateur, tout-puissant, omniscient, absolument bon), et non pour toute croyance qu’une personne pourrait avoir (le Père Noël ou la théière céleste entre la Terre et Mars). À celui qui dit que les croyances théistes sont alors dépourvues de fondement, il est répondu : elles sont correctement de base, exactement au même titre que les croyances portant sur le passé récent (avoir mangé ceci ou cela au petit déjeuner), sur l’identité à soi-même (S croit qu’il est S) ou l’existence d’autres esprits (S croit que D, sa femme, est une autre personne que lui-même), et aussi que des croyances perceptives (voir D) ou des croyances introspectives (avoir honte de son mensonge ou avoir faim). Or, nombre de croyances fantasques ne peuvent être alignées sur ces croyances correctement de base – et nous avons aussi de très bonnes raisons de, par exemple, ne pas croire au Père Noël (même si certains petits enfants ne les ont pas, ils les auront en grandissant). Les croyances chrétiennes ont été et sont celles de personnes très différentes les unes des autres (de cultures différentes, d’âges différents, de classes sociales différentes, etc.) ; elles sont apparues et n’ont pas disparu depuis plus de deux mille ans (Nouveau Testament), avec un ancrage dans des croyances encore plus anciennes (Ancien Testament) ; elles ont fait l’objet d’une réflexion continue dans toute une tradition philosophique et théologique, et ne s’étaient imposées au départ qu’en surmontant une critique acerbe et une profonde hostilité ; certains en viennent à croire en l’existence de Dieu, par conversion ou par réflexion (si c’est différent) ou croient de nouveau alors qu’ils avaient cessé de croire. Aucune des croyances fantasques que l’on oppose à la thèse de Plantinga, en disant que le chrétien finalement est dans la même situation, n’ont cette qualité épistémique. Et la plupart des croyances dont il ne nous viendrait pas l’idée de douter sérieusement ne l’ont pas.

b. Une croyance survivant aux objections

Plantinga propose le terme de « garantie » (« warrant ») pour expliquer comment des croyances sont converties en connaissances : une croyance est garantie si et seulement si elle est produite par des facultés épistémiques fonctionnant correctement, opérant dans un environnement propice à ce fonctionnement correct (Plantinga, 1993). Certaines facultés produisent des croyances directement à partir de l’expérience (perceptive en particulier), d’autres en raisonnant. Elles sont garanties et si elles sont vraies, ce sont des connaissances. S sait ce qu’il a mangé au petit déjeuner, parce que sa connaissance est produite immédiatement par sa mémoire. Ce que Plantinga appelle le « modèle Thomas/Calvin » est la thèse que, pour peu que certaines conditions soient satisfaites, des êtres humains fonctionnant correctement, ont immédiatement et pleinement, par une faculté épistémique que Calvin appelait le sensus divinitatis, des croyances chrétiennes. Les croyances théistes, mais aussi les croyances religieuses qui supposent l’action du Saint Esprit, sont alignées sur nos croyances perceptives mémorielles, testimoniales. Dès lors, si les dogmes fondamentaux du christianisme sont vrais, alors la croyance chrétienne est garantie et constitue une connaissance.

La croyance C de S est garantie si (voir Plantinga, 1993, qui explicite (a)-(d)) :

  1. Condition de fonctionnement correct. C est produit dans S par ses facultés cognitives fonctionnant correctement (sans dysfonctionnement).
  2. Condition d’environnement approprié. C est formé dans un environnement cognitif approprié (celui pour lequel les facultés cognitives de S ont été faites ou qui en est très proche).
  3. Condition de finalité aléthique. S recherche la vérité (c’est la finalité aléthique, non pas pratique ou utilitaire, du fonctionnement cognitif).
  4. Condition du degré de croyance. S a la croyance C à un degré suffisant pour constituer une connaissance.

C peut être une croyance religieuse, laquelle dès lors est garantie pour peu qu’elle soit vraie.

Plantinga distingue deux sortes d’objections faites au théisme : des objections de facto, selon lesquelles le théisme est faux, et des objections de jure, selon lesquelles le théisme n’étant pas garanti, sa vérité n’est même pas en question – si le théisme était vrai, personne ne pourrait même le savoir. Plantinga s’efforce de montrer que les objections de facto et de jure ne sont pas imparables, loin de là (2000). Il existe des objections solides aux objections de facto et de jure.

Plantinga ne dit pas que le contenu de la croyance théiste est indéniable, mais qu’aucun interdit épistémologique contre elle ne résiste, puisque les objections de facto ou des objections de jure sont elles-mêmes susceptibles d’être mises en question. La croyance religieuse est rationnelle et le fidèle dans son bon droit épistémique. Et si c’était même l’incroyance qui était, sinon irrationnelle, du moins vicieuse intellectuellement ? Pour le moins, l’évidentialisme athée n’aurait guère finalement pour lui qu’une certaine arrogance intellectuelle !

6. Croyance religieuse et norme de rationalité

a. La rationalité située

La discussion sur la légitimité épistémique des croyances religieuses présuppose souvent ce que van Inwagen (2002) appelle, pour la rejeter, la « Thèse de la différence » : les croyances religieuses devraient respecter des normes épistémiques plus exigeantes que celles appliquées à nos autres croyances – dont les croyances morales, philosophiques ou politiques, mais également scientifiques. Et si on applique aux croyances religieuses les mêmes normes qu’aux autres, elles sont censées, selon la Thèse de la différence, les respecter nettement plus mal. Mais à quelle norme de rationalité doit satisfaire une réponse appropriée à la question « Pourquoi croyez-vous que Jésus-Christ est ressuscité ? »

A. Une norme de rationalité s’applique à la croyance (astronomique) que Mars a deux lunes nées d’une collision avec un autre corps céleste. La communauté scientifique des astronomes s’est penchée sur des observations ; une hypothèse, celle de la collision à l’origine des deux lunes, a été testée au moyen d’instruments sophistiqués et de savants calculs. Mais est-ce cette norme qui s’applique dans le cas de la croyance en résurrection ? Est-ce à une hypothèse explicative, comme dans le cas de l’enquête de l’astronome, à laquelle doit faire appel celui qui croit en la résurrection de Jésus-Christ ? Essaie-t-il seulement d’expliquer certaines observations ? Les femmes qui sont entrées dans le tombeau, puis les apôtres, et les anges eux-mêmes qui étaient là, à l’entrée de la grotte, ont-il proposé une explication, avec une certaine probabilité ? Ceux qui croient en leur témoignage leur accordent-ils cette sorte de confiance aujourd’hui de mise à l’égard des astronomes ?

B. Si la norme à respecter n’est pas scientifique, serait-ce alors une norme de rationalité plus ordinaire ? Pensons à celle qui régit une réponse positive à la question de savoir, par exemple, s’il y de la bière dans le réfrigérateur. Celui qui l’affirme est sûr d’en avoir mis ; à celui qui en douterait, il répondrait « Je sais ce que j’ai fait, tout de même ! ». Mais face au tombeau vide, s’agit-il d’une telle évidence ? Le raisonnement est-il : le corps de Jésus a été déposé-là, il n’y est plus, personne n’a pu l’emporter ; bon, alors qu’est-ce qui peut bien s’être passé d’autre qu’une résurrection ? Rien dans les Évangiles ne peut se laisser penser que les apôtres ont raisonné de cette façon.

C. Alors, ni norme scientifique, ni norme de nos croyances ordinaires, est-ce finalement à la norme de rationalité requise du témoignage, en particulier lors d’un procès, qu’il faut faire appel ? Après tout, que le Christ soit ressuscité, nous le savons par témoignage. Le témoin affirme qu’il a vu l’accusé pénétrer dans la maison du crime. Certes, cela pourrait valoir pour les apôtres qui ont vu le Christ ressuscité. Mais pour nous ? Thomas l’apôtre, qui doutait et voulait mettre son doigt dans les plaies du Christ ressuscité, entendait faire, en quelque sorte, sa petite enquête et examiner la bonne foi des témoins. Comment pourrions-nous vouloir procéder de la sorte ? L’attitude rationnelle n’est-elle pas alors de croire des témoins dignes de foi, ce que disent donc les Évangiles ainsi que toute la tradition chrétienne (Swinburne, 2003). Comparons avec la croyance de l’élève au sujet des deux lunes de Mars. Il la tient de son professeur, qui lui la tient de son cours à l’université, lequel repose sur un manuel d’astronomie, et il y a enfin un article dans une revue spécialisée, laquelle reprend des comptes rendus d’expériences faits par les membres d’un ou de plusieurs laboratoires de recherche. Ce processus conduit l’élève à accepter ce qu’on lui dit. Mais s’agit-il alors de croire ? (Accepter et croire, ce n’est pas la même chose ! voir Cohen, 1992 ; Pouivet, 2012). Le témoignage biblique n’est donc pas la même chose qu’un témoignage fiable du témoin lors d’un procès. Sa norme n’est pas plus celle qu’applique l’élève acceptant les dires du professeur.

Quelle norme alors appliquer à la croyance en la résurrection du Christ, le modèle A, B ou C ? Une norme qui à force d’être laxiste n’en serait finalement plus une du tout ! Sommes-nous reconduits à une thèse jamesienne, celle de la volonté de croire, opposée au Principe de Clifford (voir, plus haut, 4.a.) ?

L’épistémologie moderne a été tentée de présupposer l’existence de normes de rationalité abstraites et universelles. À défaut de les satisfaire, nos croyances n’auraient aucune valeur épistémique. Des « Règles pour la direction de l’esprit » (comme celles de Descartes), un principe comme celui de Clifford, prétendent fournir ce que Newman appelait « une mesure commune pour l’esprit » (Newman, 1870) – dont il doutait du bienfondé. L’objectivité comme norme universelle indifférente aux croyances examinées elles-mêmes, et aux personnes qui croient, est une conception que les Lumières ont fini par imposer. Mais qu’elle constitue une exigence épistémique de la rationalité est contestable (Wolterstorff, 2010). Y faire appel, que ce soit pour fonder les croyances religieuses ou, à l’inverse, affirmer qu’elle ont un déficit de rationalité, n’est-ce pas aussi approprié qu’utiliser une grosse clé à mollette pour réparer le mécanisme d’une montre ?

Il suffit au fidèle de voir la beauté et l’harmonie du monde pour croire que le monde est créé par un être intelligent et bon. Il le croit aussi quand il lit les Écritures. S’il est rationnel pour une personne de croire dans l’existence d’autres esprits que le sien, il est tout aussi rationnel de croire que Dieu existe. Que ce soit extrêmement difficile de justifier et plus encore de prouver l’existence d’autres esprits que le sien, c’est ce que la philosophie moderne prétend montrer. Le scepticisme est supposé s’ensuivre. Mais les tentatives des philosophes à cet égard, soit pour montrer que le scepticisme est de mise au sujet d’autres esprits que le nôtre, soit pour justifier la croyance en d’autres esprits que chacun le sien propre, ne doivent-elles pas nous conduire à mettre en question la demande d’avoir à justifier une telle croyance ? Au lieu d’avoir à justifier la rationalité de la croyance en d’autres esprits, cette croyance est un paradigme de rationalité. La norme n’est ni abstraite ni universelle ; elle est concrète et particulière. C’est la même chose pour la croyance en l’existence de Dieu. (La croyance en l’existence de Dieu serait ainsi une croyance de sens commun.)

Le soupçon d’irrationalité des croyances religieuses se fonde sur une épistémologie inadéquate. S n’a le droit de croire que p que si et seulement si la croyance de S que p satisfait P, c’est-à-dire un ensemble de règles édictées par le philosophe et valables universellement, indépendamment de toute situation épistémique. Cette conception repose sur le présupposé, répandu chez les philosophes modernes, que la philosophie fournit des normes qui, sans leur accréditation philosophique seraient déficientes. Il y aurait ainsi un impératif épistémique : Crois seulement d’après la maxime dont tu peux vouloir qu’elle devienne la norme de toute croyance possible. On peut parler de loi d’universalisation de la croyance légitime. Ce qui semble supposer que le droit de croire résulte d’une opération de contrôle, supposant une suspension préalable de la croyance en attente de son autorisation (en fonction de la loi d’universalisation de la croyance légitime).

Or, le droit de croire que le Christ est ressuscité est bien plutôt prima facie. Rien n’interdit d’y croire. Et l’idée qu’une croyance ne serait légitime et rationnelle qu’en fonction de son contrôle préalable selon des règles universelles est le principal présupposé de la philosophie moderne. Or, une croyance n’est-elle pas épistémologiquement innocente tant qu’elle ne s’avère pas coupable, plutôt qu’elle n’est coupable tant qu’elle ne s’avère pas innocente ? La question du droit de croire que le Christ est ressuscité, par exemple, se pose différemment selon qu’on affirme : il n’est rationnel de croire que ce que nous sommes obligés de croire, et rien d’autre, ou qu’on affirme : ce qu’il est rationnel de croire est ce qu’on n’est pas obligé de ne pas croire, et rien d’autre. Nos croyances sont ainsi autorisées prima facie tant que les raisons de les mettre en question (objections qu’on peut leur faire) ne sont pas insurmontables (c’est-à-dire ne sont pas elles-mêmes susceptibles d’être l’objet d’objections). Certes, les croyances religieuses ne seraient pas rationnelles si le croyant était indifférent aux raisons avancées à leur encontre. Il s’agirait cette fois d’aveuglement volontaire. Mais que nos croyances soient légitimes prima facie n’empêche en rien la lucidité vertueuse à leur égard.

b. Credo ut intelligam

Soit une épouse à laquelle ses amis disent : « Enfin tu vois bien ce qu’il se passe, ton mari te trompe », en avançant de très bonnes raisons de cette infidélité – voire des évidences à cet égard. L’épouse refuse de les reconnaître. Elle propose peut-être des arguments, que ses amis trouvent tirés par les cheveux, expliquant combien les apparences contre son mari sont trompeuses. Le croyant est-il dans cette situation intellectuelle désespérée ? Pratique-t-il l’aveuglement volontaire ? Nie-t-il l’évidence ? Premièrement, nous n’avons pas de raison de penser que la croyance religieuse, en tant que telle, souffrirait d’un déficit de rationalité, pas plus que n’importe quelle autre croyance sérieuse. Deuxièmement, nous n’avons pas de raisons indiscutables de penser que les croyances religieuses trouveraient leurs causes dans un affaiblissement vital (Nietzsche), une aliénation sociale (Marx) ou l’ignorance des déterminismes psychiques inconscients (Freud). Et quand bien même ces causes opèreraient, les croyances religieuses pourraient être légitimes : une personne pourrait croire en l’existence de Dieu parce que cela lui a été seriné durant toute son enfance, mais qu’elle n’en ait pas moins raison d’y croire ! (Nos raisons de croire dans la plupart des théories scientifiques sont rarement celles qui justifient leur vérité.) Comme l’épouse, le croyant n’entend pas se laisser impressionner par ceux qui ne croient pas. Ils ne sont, ni pour l’épouse ni pour le croyant, aussi fiables qu’ils le prétendent, justement parce qu’ils ne croient pas.

Il arrive que quelqu’un qui en sort retourne immédiatement chez lui pour s’assurer qu’il a fermé la porte. Oui, elle était bien fermée. Mais dès qu’il est reparti, il se demande encore s’il l’a bien fermée et s’il ne s’est pas imaginé être allé vérifié (ou s’il a même bien vérifié). Il peut retourner pour s’en assurer. Et ainsi de suite. Car sa croyance d’avoir fermé la porte pourrait être toujours contestée. Un épistémologue pourrait certes lui dire que non, il ne sait pas s’il a fermé la porte, même après son dixième retour devant la porte. Mais le conseil le plus avisé serait de tâcher de retrouver une forme d’assurance épistémique sans laquelle il ne reste que la voie du scepticisme. « Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas » (Isaïe, 7, 9). La croyance confiante n’est pas la conséquence d’un raisonnement, mais c’est le mode d’accès normal à la vérité religieuse. Il est possible, selon Thomas d’Aquin, de passer de croyances non religieuses (perceptives par exemple), à la croyance en l’existence de Dieu. (C’est toute l’ambition des fameuses cinq voies de la ST, I, 2, 3.). Mais les croyances chrétiennes, celle d’un Dieu incarné, mort et ressuscité pour le salut du monde, sont révélées aux hommes. Et donc, celui qui ne croit pas ne les connaîtra pas. « Je ne cherche pas à comprendre afin de pouvoir croire, mais plutôt, je crois, de telle façon que je puisse comprendre », dit Anselme (Proslogion, 1). C’est là une thèse méta-épistémologique.

L’épistémologie accordant une priorité à la croyance, comme voie d’accès à la vérité, est précisément ce qui est rejeté dans l’épistémologie moderne (cartésienne, lockienne et ensuite). Ce qui est refusé est son fondement anthropologique : l’homme est fait pour connaître la vérité, en la recevant, du monde et de Dieu, par nature et par grâce. Il ne doit pas se défier de ces croyances religieuses et prétendre les fonder, au moyen de procédures de contrôle de son propre cru, interne. N’est-il pas parfaitement cohérent que la norme de vérité de la croyance religieuse, ce qui la garantit, soit à la fois naturel, notre nature créée en relation avec le monde, et surnaturel, le créateur comme source de toute vérité ?

7. Croyance religieuse, vertu et vice

a. Le croyant est-il intellectuellement vertueux ?

On a pu proposer de définir la connaissance comme un état de croyance vraie résultant des actes de vertu intellectuelle (Zagzebski, 1996). Le droit d’avoir des croyances suppose (1) qu’elles soient vraies et (2) qu’elles résultent d’une vie intellectuelle vertueuse. (1) a été contesté. Après tout, je pourrais avoir rempli tous mes devoirs épistémiques et que pourtant mes croyances soient fausses (si un Malin génie emploie toute son industrie à me tromper, par exemple.) Mais avons-nous jamais un droit de nous tromper ? Quant à (2), les philosophes dans la rubrique « Épistémologie des vertus » (Battaly, 2019) ne partagent ni définition de la vertu intellectuelle ni conception de la vie vertueuse. Ils s’accordent en gros sur l’idée que l’épistémologie porte sur les capacités et les caractéristiques épistémiques, voire les qualités intellectuelles des croyants ; l’épistémologie ne porte pas seulement sur les propriétés des croyances elles-mêmes, d’être évidentes ou non, correctement inférées d’autres croyances, justifiées empiriquement, indubitables, infalsifiables etc. C’est ainsi le croyant, ses qualités de caractère et disons, sa forme de vie, qui est au cœur d’une épistémologie appropriée de la religion, bien plus que des caractéristiques des croyances elles-mêmes. La vie intellectuelle du croyant est vertueuse s’il manifeste des qualités de caractère en tant que vertus.

Les principales vertus intellectuelles sont l’impartialité, la sobriété, l’humilité, le courage, la pertinence et la capacité à changer ses croyances à bon escient (équilibre réfléchi) (Pouivet, 2003, 2006). Les vices sont la partialité ou l’indifférence, la débauche (intellectuelle) ou l’étroitesse d’esprit, l’orgueil (s’identifier à ses propres croyances et se préférer) ou le mépris de soi (douter systématiquement de ses croyances parce que vous vous croyez bête), etc. Alors, croire que Dieu existe (pour n’importe quel théiste), que Jésus-Christ est ressuscité (pour un chrétien), qu’Il est présent dans l’Hostie (pour un catholique), est-ce intellectuellement vicieux, au sens de partial, débauché, orgueilleux, étroit d’esprit, etc. ? Un croyant manifeste-t-il des vertus ou fait-il étalage de lamentables vices intellectuels. Vraiment, rien n’indique que la vie intellectuelle du croyant soit vicieuse.

Appliquée aux croyances religieuses, une épistémologie arétique (des vertus) peut consister à raisonner ainsi :

  1. Catherine croit en l’existence de Dieu.
  2. Dieu a fait que les facultés cognitives de Catherine se développent (au cours de l’évolution) de telle façon qu’elle puisse former (et une grande partie de l’humanité forme) la croyance que Dieu existe et possèdent des croyances religieuses. (On notera cependant qu’elles sont variées et partiellement incompatibles : c’est le problème de la diversité et du pluralisme religieux.)
  3. La plupart de ceux qui ont des croyances religieuses les forment spontanément, dès l’enfance, souvent dans leur communauté d’appartenance, mais parfois contre elle.
  4. La valeur épistémique de telles croyances dépend de ce que les croyants, en l’occurrence Catherine, possèdent des vertus intellectuelles, c’est-à-dire qu’ils réalisent au mieux, dans et par l’exercice de leurs facultés cognitives, la sorte d’êtres qu’ils sont.
  5. Ces croyances sont garanties pour autant qu’elles ne sont pas soumises à des objections auxquelles il est définitivement impossible de répondre en restant intellectuellement vertueux.

Dès lors, il ne s’agit plus du tout d’examiner les croyances religieuses pour déterminer si elles satisfont les caractéristiques normatives que l’épistémologie aurait d’abord forgées (comme le Principe de Clifford, par exemple). Nous ne sommes plus dans le programme de l’épistémologie moderne. Ce que la philosophie présente est la façon dont les croyances religieuses se forment et comment elles se maintiennent vertueusement (ou non). Nous sommes plus à la recherche de croyants exemplaires, des êtres concrets, que de critères et des règles, dans toute l’abstraction de l’épistémologie des Modernes et le scepticisme qu’ils ont largement promu, sans toujours l’avoir cherché.

L’objecteur pourra dire que cela ne nous fait tenir aucune preuve de l’existence de Dieu, loin de là, et donc pas plus une justification des croyances religieuses. Au mieux, nous validons épistémologiquement la croyance religieuse en disant qu’elle est compatible avec une vie intellectuelle vertueuse. Certes, l’évidentialiste et le justificationniste sourcilleux n’auront jamais leur compte – là où leurs critères passent les croyances religieuses, mais aussi bien d’autres croyances innocentes, ne repoussent pas. Jamais il n’accepteront de valider prima facie des croyances honnêtement acquises. Il diront : « Vous dites que la pleine réalisation (le terme anglais est flourishing, et correspond au terme de la philosophie aristotélicienne, eudaimonia) de ce qu’est une personne humaine consiste dans l’exercice des vertus, et que nous sommes l’œuvre de Dieu ; mais votre raisonnement n’est-il pas circulaire ? » Et ils ricaneront de la crédulité grossière des croyants, qui n’est pas leur genre, à eux les rationalistes sérieux. Mais ne peut-on pas en toute rigueur reconnaître la fiabilité et la véracité de nos facultés cognitives (qu’elles puissent nous conduire à la vérité et souvent le font – ce que le rationaliste doit aussi reconnaître !) ? N’est-il pas sensé que cette fiabilité et cette véracité présuppose l’existence d’un Dieu qui a l’intention que nous parvenions à connaître son existence et même, à notre mesure du moins, à le connaître ?

b. L’incroyant est-il vicieux ?

Supposons que la croyance religieuse soit rationnelle prima facie, et légitime en ce qu’elle résulte d’une vie intellectuelle vertueuse. Ne serait-ce pas que l’incroyant est irrationnel ou intellectuellement vicieux ? S’il n’y a pas de droit de croire ce qui est faux ; et si Dieu existe, croire qu’il n’existe pas est un tort, toujours et pour quiconque. L’agnosticisme – ne pas se prononcer ni dans un sens ni d’ans l’autre – est-il plus acceptable ? Si Dieu existe, on peut penser qu’il n’est pas non plus possible de refuser d’y croire à défaut, même sans mauvaise intention, d’en voir une trace suffisante qui seule vous y autoriserait. (C’est cependant ce que conteste Schellenberg et son argument dit « du Dieu caché », 2015). Il n’y aurait donc pas d’incroyance sans un certain défaut intellectuel, un refus vicieux. Non pas qu’il soit irrationnel de ne pas croire en Dieu. Seul un être rationnel peut même être intellectuellement vicieux – ne pas avoir l’attitude cognitive appropriée au réel, en général, et à l’appréhension à la révélation divine. Mais dans cette perspective, à défaut de croire, nous passons dans la vie comme des somnambules : nous ne sommes pas même conscients de ce que nous sommes, d’où nous sommes et de ce que nous faisons. Pour Plantinga, l’incroyance est même la conséquence la plus manifeste d’un obscurcissement cognitif, provoqué par le péché originel. Il a occasionné une perte du sens du divin (Plantinga, 2000, chap. 7).

L’incroyance a un effet redoutable sur ce qu’un homme est susceptible de savoir. Elle le rend intellectuellement paresseux – curieusement, parfois, cette paresse est masquée par une débauche d’arguments – et indifférent à la vérité. Selon Wolterstorff, « le manque de foi empêche d’appréhender en toute certitude des propositions qui, sinon, pourraient l’être ; il empêche même une personne de croire en toute garantie que ces propositions puissent être appréhendées » (1984, p. 32). L’incroyant est-il le responsable de son vice d’incroyance ? Si Dieu n’est pas caché, s’il s’est révélé, alors l’incroyant refuse de croire ; il se détourne volontairement de Dieu. Et l’aveuglement résulte de son refus. Le péché n’est rien de positif ; c’est ce refus même. Mais il y a aussi une forme d’incroyance qui menace le croyant, quand il ne croit pas que Dieu nous parle, ou ne croit pas ce que Dieu dit, ou ne croit qu’il nous ait vraiment dit telle ou telle chose, ou fait son choix dans les vérités à son sujet. Il ne suffit donc pas de croire pour mener une vie vertueuse de croyant. Cependant, dans cette perspective d’une épistémologie des vertus, l’incroyance ne serait pas seulement un défaut intellectuel anodin, mais un vice ; souvent c’est celui d’orgueil ; c’est un péché ordinaire : ne pas croire, ou croire du bout de l’esprit – comme on mange du bout de lèvres.

Conclusion

La croyance religieuse a été l’objet d’une critique radicale par certains philosophes modernes. Sa légitimité a été reformulée par Locke, Kant ou Rousseau ; elle a été fortement contestée par bien d’autres, Diderot par exemple, mais aussi Nietzsche, Freud ou Marx. Ses causes naturelles, psychologiques en particulier, et sociales ont été décrites. Dans un modèle philosophique qui fait du contrôle interne de la légitimité de nos croyances, la croyance religieuse semble en perdition épistémologique et même une absurdité. Certains croyants ont entendu l’assumer comme telle. Pour eux, la croyance religieuse n’a pas à donner des titres de rationalité, et elle doit au contraire, dans la foi, être un saut épistémique, un risque, une folie. Du moins, la croyance serait subjective et existentielle.

Cependant, Swinburne s’est fait le champion d’une conception internaliste de la croyance religieuse – c’est-à-dire d’un modèle épistémologique dans lequel la légitimité de la croyance religieuse consiste à déterminer si, en quoi et comment, elle satisfait certaines normes épistémiques objectives. Pour lui, la probabilité pour que les croyances chrétiennes soient justifiées est élevée – par exemple, celle que Dieu se soit incarné en Jésus-Christ qui est vraiment ressuscité. Plantinga (2000) ou Wolterstorff (2010) ont défendu en revanche une conception externaliste dans laquelle la croyance religieuse est garantie par son mode d’acquisition approprié, le fonctionnement correct de notre esprit, la situation épistémique dans laquelle se trouve le croyant. La différence entre une épistémologie internaliste et une épistémologie externaliste correspond en gros à celle entre deux conceptions de la croyance – religieuse ou non. L’une fait de la croyance un état mental intérieur auquel le sujet a un accès et dont il peut contrôler le bien-fondé. L’autre fait de la croyance une disposition et s’intéresse à la façon dont celle-ci s’acquiert. Elle peut aussi porter sur les vertus qui lui sont corrélatives et sa fonction dans une vie bonne.

L’étude philosophique de la croyance religieuse suppose ainsi une réflexion sur la rationalité. Celle-ci est-elle une norme ou un ensemble de normes fonctionnant comme des principes ou des règles que nous sommes supposés appliquer à nos croyances pour les justifier ? (Tel est le modèle de la philosophie moderne, cartésien ou lockien.) Est-elle la forme de vie humaine – nous sommes, par nature, des êtres rationnels ? (Tel est un modèle épistémologique aristotélicien et thomiste.) Nos croyances sont donc rationnelles, même si nous sommes enclins à l’erreur, et prompts à certains vices, intellectuels et moraux, souvent les deux entremêlés. Ce sont eux qui sont des obstacles à la croyance religieuse, et non pas un déficit de rationalité qui lui serait inhérente.

Si la croyance religieuse, dans la foi, résulte de la grâce divine, elle est une participation, en ce monde, à la vie divine. Ce qui fait de cette croyance tout autre chose qu’une croyance ordinaire, comme celle qu’il y a du lait dans le réfrigérateur ou que Mars a deux lunes à cause d’une collision, très ancienne, avec un corps céleste. La croyance religieuse est la marque, dans notre nature humaine, de notre destination surnaturelle et de notre capacité à appréhender, par l’Esprit de Dieu en nous, ce qui, en cette vie, et parce que nous sommes des créatures humaines, ne peut qu’être cru, et ne sera connu (vu) qu’après cette vie (McCabe, 2007). Ce qui signifie aussi que la croyance n’est nullement (pace Kierkegaard) un saut dans l’absurde, mais bien au contraire, une préfiguration pour un être rationnel d’un savoir divin. Ce serait absurde, bien plutôt, de refuser, par l’incroyance, la vérité qui nous est donnée. Cette affirmation, pour les philosophes modernes, serait en revanche caractéristique d’un sérieux dérèglement épistémique !

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Roger Pouivet
Université de Lorraine
Roger.Pouivet@univ-lorraine.fr