Peine de mort (A)

Comment citer ?

Basse, Benoît (2024), «Peine de mort (A)», dans Maxime Kristanek (dir.), l'Encyclopédie philosophique, consulté le ..., https://encyclo-philo.fr/

Introduction 

Le débat sur la peine de mort se situe à la croisée de trois champs philosophiques : la philosophie morale (est-il moralement acceptable de donner la mort à un meurtrier ?), la philosophie politique (la souveraineté du pouvoir politique inclut-elle le droit de vie et de mort sur les citoyens ?) et la philosophie du droit pénal (pourquoi punir ? comment punir ?).

Disons-le d’emblée : on ne trouve aucune trace avant le XVIIIème siècle d’un débat portant sur la peine de mort en tant que telle. De l’Antiquité au XVIIème siècle, de Platon à Hobbes et Spinoza, aucun des grands philosophes politiques n’a véritablement problématisé la peine de mort en tant que telle : elle apparaissait tout simplement comme une évidence, comme une prérogative du pouvoir politique exerçant sa souveraineté. Son utilité sociale n’était jamais interrogée, tant elle semblait aller de soi. Il n’entre pas dans le cadre de cet article d’examiner longuement les raisons historiques pour lesquelles il en est longtemps allé ainsi, car nous souhaitons nous focaliser au plus vite sur les arguments de chaque « camp », ainsi que sur leur valeur normative. Néanmoins, nous mentionnerons trois éléments, trois facteurs permettant d’expliquer que la légitimité de la peine de mort n’ait jamais été remise en cause avant le siècle des Lumières.

Tout d’abord, la vie humaine ou la vie « ici-bas » — comme on l’a longtemps désignée –, ne s’est pas vu accorder la même valeur tant que l’existence était essentiellement appréhendée comme une épreuve, une période relativement courte, devant être consacrée à l’obtention du salut, dans un « au-delà » infiniment plus valorisé que la vie humaine terrestre. Or il se trouve que c’est au XVIIIème siècle, en Europe, que s’ouvre une ère nouvelle au cours de laquelle la vie humaine se verra de plus en plus accorder une valeur intrinsèque. C’est ce dont témoignent, sur le plan juridique, les différentes Déclarations des droits de l’homme, qui consacrent précisément le « droit à la vie » comme un droit fondamental des hommes en tant qu’hommes. Bien plus, on commence à revendiquer le droit d’être heureux dès cette vie, ce dont témoigne la phrase souvent citée du révolutionnaire Saint-Just : « Le bonheur est une idée neuve en Europe ». De nos jours, tout indique que l’érosion sans précédent des croyances religieuses à laquelle nous assistons, du moins en Europe occidentale, s’accompagne d’une valorisation inversement proportionnelle de la vie humaine en tant que telle.

Par ailleurs, du point de vue de la philosophie politique, il aura certainement fallu attendre que s’ouvre une période de réflexion sur les limites de la souveraineté reconnue au pouvoir politique, pour que le droit de vie et de mort sur les sujets ou les citoyens commence à être remis en cause dans ses fondements mêmes. En ce sens, l’émergence du libéralisme politique (par principe hostile à toute forme de souveraineté absolue), ainsi que l’approche contractualiste du pouvoir politique, allaient au moins créer les conditions d’un débat sur la légitimité de la peine de mort. Il revient sans aucun doute au marquis italien Cesare Beccaria, nous y reviendrons, d’avoir posé en 1764 les bases de cette controverse inédite dans son Traité des délits et des peines. Historiquement, Beccaria ne fut certes pas le premier à contester la nécessité de la peine de mort[1], mais c’est surtout grâce à lui et à la diffusion de son traité à travers l’Europe, qu’elle devint un problème philosophique en soi.

Notre objectif dans cet article est de faire un état des lieux du débat sur la peine de mort. En France, les dernières grandes contributions d’intellectuels en la matière datent d’avant l’abolition, votée en 1981, à l’initiative du Président François Mitterrand et de son ministre de la justice Robert Badinter. Mais le débat n’a pas pour autant cessé hors de nos frontières, plus particulièrement chez les universitaires américains, dont nous nous ferons également l’écho.

Nous nous efforcerons de présenter les arguments en présence, sans nous interdire d’évaluer leur valeur épistémique et leur puissance argumentative.

Un débat fondateur : Kant versus Beccaria

Les arguments abolitionnistes de Cesare Beccaria

Une lecture attentive du chapitre XXVIII du Traité des délits et des peines révèle trois raisons pour lesquelles Beccaria jugeait nécessaire d’abolir la peine de mort. Le marquis italien la juge tour à tour : 1) incompatible avec le contrat social ; 2) socialement inutile, donc cruelle ; 3) contre-productive. Examinons ses arguments.

L’argument contractualiste de Beccaria

Beccaria s’inscrit dans la lignée des penseurs politiques contractualistes, pour qui le pouvoir politique tire sa légitimité non pas de Dieu ou de la nature, mais d’un hypothétique contrat social, auquel pourraient adhérer des individus résolus à former une société civile, sous le règne paisible des lois. Beccaria, on le sait, fut très marqué par sa lecture du Contrat social de Rousseau, publié seulement deux ans avant son propre traité. Mais cela n’empêcha pas Beccaria de s’opposer à Rousseau sur la question de savoir si le contrat social pouvait légitimement inclure la peine de mort. Le citoyen de Genève, pour sa part, n’hésitait pas à écrire : « c’est pour n’être pas la victime d’un assassin que l’on consent à mourir si on le devient[i] ». Autrement dit, au moment d’adhérer au contrat social, les futurs membres de la communauté politique comprennent qu’il est dans leur intérêt bien compris que les lois prévoient la condamnation à mort des meurtriers (la raison sous-jacente étant la croyance au caractère dissuasif de la peine de mort). Or c’est précisément ce point que conteste Beccaria. Ce dernier fait en effet valoir qu’il y aurait une contradiction, de la part d’individus cherchant à quitter un « état de nature » en raison des menaces qu’il fait peser sur leurs vies, à confier à l’autorité politique le droit d’ôter la vie. Il faut citer ici dans son intégralité le passage-clé : « En vertu de quel droit les hommes peuvent-ils se permettre de tuer leurs semblables ? Ce droit n’est certainement pas celui sur lequel reposent la souveraineté et les lois. Celles-ci ne sont que la somme des petites portions de liberté abandonnées par chaque individu ; elles représentent la volonté générale, qui est la réunion des volontés particulières. Or qui aurait eu l’idée de concéder à d’autres le pouvoir de le tuer ? Comment supposer que le minime sacrifice de liberté fait par chacun puisse comprendre celui du plus grand de tous les biens, la vie ?[ii] ». Autrement dit, chaque individu contractant aurait le souci, par intérêt bien compris, de ne renoncer qu’à une part minimale de sa liberté, de façon à n'endurer que les contraintes légales absolument nécessaires à la sécurité de tous. Mais dans la mesure où c’est précisément pour maximiser leurs chances de survivre que les hommes souhaitent sortir d’un état de nature marqué par l’inquiétude pour leur propre vie, il serait illogique, estime Beccaria, qu’ils consentent à être mis à mort en vertu des lois pénales.

Pourtant, cet argument n’est pas irréprochable sur le plan logique. Peut-on véritablement mettre sur le même plan la menace d’une mort imminente à l’état de nature d’une part, et la menace que fait peser la peine de mort sur les seuls meurtriers d’autre part ? Autant il peut sembler justifié de désigner le renoncement à une part de notre liberté comme un « sacrifice » (puisque, de fait, il s’impose à tous), autant il est contestable de qualifier la légalisation de la peine de mort comme un sacrifice de notre vie, puisqu’elle ne comporte en vérité qu’un risque de mourir, si l’on devient meurtrier. À moins de postuler que les partenaires du contrat social se conçoivent tous avec certitude comme de futurs meurtriers, on ne saurait parler de véritable « sacrifice ». On objectera peut-être qu’il existe un risque irréductible d’exécuter des innocents ; mais dès lors que ce risque est jugé relativement faible par chacun des contractants, cela ne saurait suffire à rendre contradictoire ou irrationnel le choix d’une législation incluant la peine de mort. Il n’est donc pas étonnant que tant d’autres philosophes contractualistes (Hobbes, Spinoza, Locke, Rousseau, Kant) n’aient vu aucune antinomie entre la peine de mort et la notion même de contrat social[iii].

L’argument utilitariste de Beccaria

« Pour qu’une peine soit juste, écrit Beccaria, elle ne doit avoir que le degré de rigueur suffisant pour détourner du crime[iv]. » Ce faisant, le marquis milanais s’inscrit cette fois dans la lignée des philosophes utilitaristes, pour lesquels la sanction pénale constitue en elle-même un mal (puisqu’elle implique une souffrance), qui ne peut trouver de justification que dans la production d’un bien plus grand[v], à savoir la sécurité maximale des biens et des personnes. L’utilitarisme est une forme de conséquentialisme, qui évalue moralement les actions et les pratiques à l’aune de leurs conséquences en termes de plaisir ou de déplaisir pour le plus grand nombre d’individus concernés. En ce sens, il est juste d’infliger une certaine peine aux criminels dès lors qu’une telle pratique contribue réellement à accroître le bien-être collectif. Qu’en est-il, dans ces conditions de la peine de mort ? Est-elle véritablement un outil au service de la sécurité du plus grand nombre, comme on l’a toujours prétendu ? Il faut reconnaître à Beccaria l’immense mérite de s’être interrogé sur l’utilité sociale de la peine capitale. C’est d’ailleurs ainsi qu’il présente son ambition : « si je prouve que cette peine n’est ni utile ni nécessaire j’aurai fait triompher la cause de l’humanité[vi] ». Or si la peine de mort n’est ni utile, ni nécessaire à ses yeux, c’est avant tout parce qu’elle n’est pas éminemment dissuasive par rapport à d’autres peines envisageables à son époque. Penchons-nous de plus près sur son argumentation.

Dans la perspective utilitariste adoptée ici par Beccaria (mais aussi par Bentham[vii]), la question n’est pas tant de savoir si la peine de mort possède un quelconque effet dissuasif (cela est peu contestable), mais de savoir si elle est la plus dissuasive de toutes les peines envisagées. Or Beccaria s’efforce de démontrer que tel n’est pas le cas si on la compare au bagne à perpétuité, dont l’effet dissuasif est selon lui supérieur. En l’absence de données statistiques, l’argumentation se fonde sur des considérations d’ordre strictement psychologique. À en croire Beccaria, tout se passe comme si la menace d’une sanction est d’autant plus efficace qu’elle impressionne notre imagination (au sens premier de « laisser une impression » durable). Or nous sommes, selon lui, bien plus horrifiés par la souffrance « d’un homme privé de sa liberté, transformé en bête de somme et qui paie par ses fatigues le tort qu’il a fait à la société[viii] », que par une exécution capitale. Ce paradoxe s’explique par le fait que l’effet dissuasif d’une sanction pénale dépend non seulement de l’intensité de la souffrance encourue, mais surtout de sa durée. Beccaria écrit : « Ce n’est pas la sévérité de la peine qui produit le plus d’effet sur l’esprit des hommes, mais sa durée. Notre sensibilité s’émeut plus facilement et de façon plus persistante d’impressions légères mais répétées que d’un choc violent mais passager[ix]. » Bref, la perspective d’une privation définitive de notre liberté, assortie de travaux forcés, serait plus efficace en termes de dissuasion que l’idée de se voir ôter la vie, car une longue accumulation de souffrances nous apparaît encore plus redoutable que de se voir ôter la vie. Beccaria en conclut ainsi que la peine de mort est une sanction inutilement sévère – ce qui caractérise la cruauté d’un point de vue utilitariste.

Que penser de cette démonstration ? Est-elle véritablement probante ? D’abord, force est de reconnaître qu’à l’époque de Beccaria, elle possédait encore un caractère très spéculatif, en l’absence d’études statistiques suffisamment fiables et nombreuses. De nos jours, sans doute est-on plus à même d’établir, statistiques à l’appui, non pas (comme le croyait Beccaria) le caractère plus dissuasif du bagne à perpétuité par rapport à la peine de mort, mais l’absence de toute relation de causalité entre le taux de criminalité d’une société d’une part, et le fait de recourir soit à la peine de mort ou soit à de longues peines de prison d’autre part.

Par ailleurs, cet argument présente l’inconvénient d’être à double tranchant et facilement réversible. Car en présentant les travaux forcés à perpétuité comme une perspective plus effrayante encore que la mort, Beccaria ne reconnaît-il pas implicitement qu’ils sont en vérité plus sévères et en un sens plus cruels que la peine de mort ? En effet, pourquoi craignons-nous davantage A que B, si ce n’est parce que A nous apparaît plus cruel ? D’ailleurs, au siècle suivant, le philosophe anglais John Stuart Mill s’opposa, dans un discours à la Chambre des communes, à l’abrogation de la peine de mort au Royaume-Uni, précisément parce qu’il jugeait cette dernière moins cruelle et plus humaine que le bagne à perpétuité. Le philosophe anglais déclarait en effet : « je prendrai la défense de ce châtiment, dès lors qu’on le réserve aux cas atroces, en me fondant sur le principe au nom duquel il est communément attaqué – je veux parler du principe d’humanité envers le criminel. La peine de mort est en effet, comparée à d’autres peines, le moyen le moins cruel de prévenir le crime[x]. Quoi qu’il en soit, cet argumentaire utilitariste de Beccaria n’a pas manqué de susciter des critiques, y compris de la part de certains abolitionnistes contemporains, notamment les philosophes Hugo Adam Bedau et Jacques Derrida[xi].

Enfin, le raisonnement de Beccaria ne pose-t-il pas un problème de cohérence interne ? On voit mal  en effet pourquoi l’argument contractualiste évoqué plus haut (selon lequel les partenaires du contrat social ne sauraient céder à l’autorité politique leur droit à la vie) ne s’appliquerait pas de façon identique à la « perte totale et définitive de sa liberté[xii] » que Beccaria préconisait en guise d’alternative à la peine de mort[xiii].

L’hypothèse de la « brutalisation »

Beccaria présente enfin un argument tout à fait innovant et extrêmement paradoxal pour l’époque : il prétend que loin d’être efficace pour lutter contre la criminalité, la peine de mort est en vérité contre-productive, en ce qu’elle contribue à banaliser toujours davantage le fait de tuer des êtres humains. C’est en ce sens qu’il écrit : « La peine de mort est nuisible par l’exemple de cruauté qu’elle donne[xiv]. » En insistant sur le caractère « nuisible » de la peine capitale, Beccaria prolonge son argumentation utilitariste, en la poussant jusqu’à un ultime paradoxe. En somme, la peine capitale aurait l’inconvénient d’imiter, de reconduire et donc de favoriser la violence que l’institution judiciaire a pour fonction de juguler. Il y aurait une sorte de contradiction performative entre la condamnation du meurtre d’une part, et l’exécution des meurtriers d’autre part. Beccaria reproche ainsi aux lois pénales de prévoir des actions similaires aux crimes qu’elles réprouvent : « L’assassinat, qu’on nous représente comme un crime horrible, nous le voyons employer sans répugnance et sans passion[xv]. » 

Naturellement, cet argument demeure une hypothèse purement spéculative en ce qu’elle ne s’appuie sur aucune donnée statistique permettant de confirmer empiriquement le caractère contre-productif de la peine de mort[xvi]. Aujourd’hui encore, cette hypothèse de la « brutalisation » semble difficile à confirmer ou infirmer. D’aucuns ont essayé de la confirmer statistiquement[xvii], mais ces études s’avèrent peu concluantes. Quoi qu’il en soit, il se pourrait que ce dernier argument de Beccaria conserve toute sa valeur aux yeux des abolitionnistes contemporains, pour peu qu’on l’interprète non pas en des termes strictement utilitaristes, mais plutôt selon l’approche expressiviste de la peine, d’après laquelle le choix de recourir à une sanction plutôt qu’à une autre comporte une sorte de message adressé à l’ensemble de la société. En l’occurrence, le choix de la peine de mort ne permet pas, selon Beccaria, d’exprimer en toute cohérence notre révulsion à l’égard du meurtre. « Que doivent penser les gens, demande Beccaria, en voyant les sages magistrats et les graves ministres de la justice faire traîner un coupable à la mort avec tranquillité, avec indifférence, après de longs préparatifs[xviii] ? » Mais notons qu’aux yeux des partisans de la peine de mort, l’argument de Beccaria risque d’apparaître parfaitement réversible. C’est en ce sens qu’Ernest van den Haag, par exemple, estime au contraire que c’est le refus de condamner à mort les meurtriers qui « brutalise la communauté », en ce qu’il témoigne d’un manque de respect pour les victimes : « les Romains pensaient que homo homini res sacra (« l’homme devrait apparaître comme une chose sacrée ») – et c’est précisément pour cette raison qu’ils exécutaient les meurtriers sans hésitation[xix] ».

Quant à l’idée de Beccaria selon laquelle il serait pour ainsi dire contradictoire de réprouver le meurtre en général en faisant exécuter les meurtriers, il est possible qu’elle ait des conséquences inaperçues. En effet, dans ce cas, n’en irait-il pas de même lorsque l’on condamne à une peine d’incarcération tout homme ayant privé les autres de leur liberté (un preneur d’otages par exemple) ? Les partisans de la peine de mort peuvent aisément faire valoir qu’il ne suffit pas de souligner les similitudes empiriquement observables entre une peine et l’infraction qu’elle sanctionne pour en conclure qu’elles sont identiques. La sanction pénale diffère essentiellement du crime par la fonction qui est la sienne et le but légitime qu’elle se propose[xx].

De ces considérations, nous pouvons conclure que le rôle historique de Beccaria est surtout d’avoir fait de la peine de mort un problème (moral, politique et juridique) pour l’Europe des Lumières, et d’avoir argumenté en faveur de son inutilité en matière de lutte contre la criminalité – ce qui, nous le verrons, est confirmé par les données statistiques dont nous disposons désormais. Enthousiasmé par la lecture du traité de Beccaria, Voltaire en fit un compte-rendu élogieux[xxi], qui contribua à étendre sa popularité dans toute l’Europe. En revanche, le philosophe Emmanuel Kant, favorable à la peine de mort, proposa une critique sans concession des arguments de Beccaria.

La réponse rétributiviste de Kant

En réponse à Beccaria, Kant défendit la peine de mort sur la base d’arguments qui, aujourd’hui encore, expriment sans doute au mieux les convictions profondes des partisans de cette peine. D’où l’intérêt de bien comprendre cette position, que ce soit pour l’approuver ou pour tenter de la déconstruire. Car il est sans doute vain d’insister indéfiniment sur le caractère non dissuasif de la peine de mort, si ses partisans y adhèrent principalement pour des raisons non-utilitaristes.

Nous ne pouvons pas nous attarder ici sur la façon dont Kant répondait à la question « pourquoi punir ? », c’est-à-dire sur sa manière de justifier l’existence de l’institution judiciaire et la pratique de la peine en général[xxii]. En revanche, il nous faut nous intéresser à la réponse qu’il apporte à la question « comment punir ? », puisque sa position sur la peine de mort en dépend étroitement. La question est donc de savoir quel principe appliquer afin de déterminer quel doit être le type de peine à infliger, ainsi que le quantum de la peine ou, si l’on préfère, le degré de sévérité du châtiment. Or selon Kant, la peine la plus rationnelle est celle qui se conforme au principe d’égalité, de sorte qu’elle occupe le juste milieu entre les peines trop clémentes d’une part, et les peines trop sévères d’autre part. Citons un passage-clé de la Doctrine du droit :

Cela étant, quel est le type et le degré de châtiment que la justice publique doit se donner pour principe et pour étalon ? Il n’en est d’autre que le principe d’égalité (d’après la position qu’occupe l’aiguille de la balance de la justice), tel qu’il consiste à ne pas pencher d’un côté plutôt que de l’autre. Ainsi ce mal immérité que tu infliges à un autre au sein du peuple, tu le fais à toi-même. Si tu l’outrages, c’est toi-même que tu outrages ; si tu le voles, c’est toi-même que tu voles ; si tu le frappes, c’est toi-même que tu frappes ; si tu le tues, c’est toi-même que tu tues. Seule la loi du talion (jus talionis), à la condition, bien entendu, de s’accomplir à la barre d’un tribunal (et non pas dans un jugement privé), peut indiquer de manière précise la qualité et la quantité de la peine […].[xxiii]

Kant n’hésite pas, on le voit, à invoquer la « loi du talion », ce qui risque d’étonner, voire de choquer les lecteurs contemporains. Il faut toutefois préciser qu’à l’époque de Kant, réclamer l’égalité entre le crime commis et la peine infligée constituait un progrès moral, dans la mesure il s’agissait surtout pour lui, comme pour bon nombre de philosophes des Lumières, de lutter contre les peines excessivement sévères, c’est-à-dire sans commune mesure avec l’infraction commise. En ce sens, la signification originelle de la « loi du talion » était bien, comme le rappelle notamment Lévinas[xxiv], une invitation à la modération dans l’usage des sanctions pénales. Par ailleurs, il faut s’empresser d’ajouter que le principe du talion n’impliquait pas nécessairement pour Kant une parfaite identité entre le crime commis et la peine infligée, mais plutôt la recherche d’une forme d’équivalence entre la gravité du crime et la sévérité de la peine. D’ailleurs, Kant ne tarde pas à concéder que, prise à la lettre, la loi du talion s’avère inapplicable dans bien des cas. Pensons au cas du viol par exemple, qui continue de constituer le crime le plus souvent jugé par nos cours d’assises :  il est évidemment hors de question de violer les violeurs. Mais il est tout aussi inenvisageable de prendre en otage un preneur d’otages. Dans ces conditions, il convient d’interpréter la réponse kantienne comme une exigence de proportionnalité entre l’infraction et la sanction. Encore faut-il préciser qu’il s’agit d’une proportionnalité cardinale, et non pas seulement ordinale. Expliquons cette distinction. Le principe de proportionnalité ordinale exige simplement d’attribuer des peines de plus en plus sévères à mesure que nous jugeons des infractions de plus en plus graves. En revanche, le principe de proportionnalité cardinale est en quelque sorte plus exigeant, dans la mesure où il requiert en plus une véritable correspondance entre la gravité du crime et la sévérité de la sanction. Prenons un exemple volontairement simpliste et caricatural. D’après la proportionnalité ordinale, il se pourrait qu’un assassinat soit puni d’une amende de 10 000 euros si 1) l’assassinat est considéré comme l’infraction la plus grave et 2) l’amende de 10 000 euros constitue la sanction la plus sévère prévue par la loi. En revanche, d’après le principe de proportionnalité cardinale, il irait de soi que cette peine est inadéquate, dans la mesure où « le compte n’y est pas ». Si nous donnons cet exemple caricatural, c’est aussi pour mettre en évidence le fait que ce principe de proportionnalité cardinale exprime sans aucun doute une exigence très répondue dans la conscience morale commune, à savoir que la peine infligée ne soit ni démesurément sévère, ni démesurément clémente.

On voit ainsi ce qui sépare la rationalité kantienne de la rationalité utilitariste. Chez Kant, le degré de sévérité de la peine n’est nullement déterminé par des considérations conséquentialistes, car celles-ci nous imposeraient de prendre en compte la diversité des contextes, ainsi que la grande variété des individus auxquels les peines s’appliquent, de sorte qu’il serait impossible d’établir une législation pénale qui soit suffisamment stable et la même pour tous. Kant jugeait par ailleurs très aléatoire (« chancelantes ») les prédictions utilitaristes concernant le caractère plus ou moins dissuasif des peines.

Qu’en est-il dans ces conditions de la peine de mort ? La réponse de Kant est sans ambiguïté : « s’il [le criminel] a tué, il lui faut mourir[xxv]. » Son principal argument repose précisément sur l’idée qu’il est impossible, dans le cas du meurtre, de respecter le principe de proportionnalité cardinale autrement qu’en faisant mourir le meurtrier. Kant écrit :

Il n’existe aucune commune mesure entre une vie, si pénible qu’elle soit, et la mort, donc non plus aucune égalité entre le crime et la réparation, si ce n’est par la mort infligée juridiquement au coupable, débarrassée cependant de tout mauvais traitement qui faire de l’humanité un objet d’horreur dans la personne du supplicié.[xxvi]

Par ces lignes, il nous semble que Kant a su formuler, dans toute sa simplicité, l’argument le plus fondamental sur lequel repose toute adhésion à la peine de mort. Il n’est d’ailleurs pas exclu que partisans et adversaires de cette peine puissent au moins tomber d’accord sur l’une des prémisses de cet argumentaire, à savoir qu’il n’y a effectivement aucune « commune mesure » entre un meurtre d’une part, et un certain nombre d’années d’incarcération d’autre part. Car on ne saurait trouver aucune équivalence, aucun dénominateur commun, entre le fait de priver autrui de sa vie et le fait d’être privé de sa liberté. Mais ne conviendrait-il pas de reconnaître que cette « absence de commune mesure » entre le crime et sa sanction vaut non seulement pour le meurtre, mais pour tous les autres crimes relevant de la justice pénale ? En effet, il n’y a pas davantage de commune mesure entre un viol et une peine d’incarcération qu’entre un meurtre et une privation de liberté.

Examen des arguments en faveur de la peine de mort

Le refus d’un droit inconditionnel à la vie

Il va de soi que les partisans de la peine de mort refusent l’idée selon laquelle tout homme disposerait d’un droit inconditionnel à la vie. Ils estiment au contraire que ce « droit à la vie », s’il doit être reconnu, demeure nécessairement conditionné au respect de la vie des autres. Cet argument se fonde ainsi sur une forte exigence de réciprocité entre nos droits individuels et le respect de ces mêmes droits chez les autres. Dans cette perspective, le droit à la vie peut donc être perdu, dès lors que l’on s’est permis d’ôter la vie d’autrui.

Historiquement, c’est surtout le libéralisme politique qui mit en avant cette notion de « droit à la vie », dans le cadre d’une réflexion sur les nécessaires limites du pouvoir politique, visant à protéger les personnes et leur liberté, contre la tyrannie. À la fin du XVIIème siècle, John Locke, un des pères fondateurs du libéralisme politique, affirme que l’autorité politique a pour fonction légitime de protéger la « propriété » de chacun, à savoir sa vie, ses biens et sa liberté[xxvii]. Or cela n’empêchait pas John Locke d’être favorable à la peine de mort, précisément parce qu’il lui paraissait évident que quiconque commet un meurtre, perd (forfeits) son propre droit à la vie – que ce soit dans l’hypothétique « état de nature », ou dans la société civile régie par des lois[xxviii]. Nous retrouvons le même argument, nous l’avons vu, sous la plume de Kant, qui le formule de la sorte : « Ainsi ce mal immérité que tu infliges à un autre dans le peuple, tu le fais à toi-même ; si tu l’outrages, c’est toi-même que tu outrages ; si tu le voles, c’est toi-même que tu voles ; si tu l’outrages, c’est toi-même que tu outrages ; si tu le tues, c’est toi-même que tu tues[xxix] ». Plus récemment, Ernest van den Haag, ardent défenseur de la peine de mort, estimait que la reconnaissance d’un droit à la vie pour tous, même pour les pires criminels, revenait à aller « trop loin » sur la voie de l’égalité. « Si la victime est décédée, écrit-il, alors le meurtrier ne mérite plus de vivre[xxx] ». Notons qu’en France, Marcel Conche insista lui aussi sur la nécessité de conditionner le droit à la vie au respect de ce même droit chez les autres, ce qui le conduisit à refuser l’abolition totale de la peine capitale[xxxi].

Concluons qu’il n’y a donc pas nécessairement de contradiction, quoi qu’on en dise parfois, entre la reconnaissance d’un droit à la vie et le fait d’être favorable à la peine de mort. Il suffit que ce droit soit conditionné au respect de la vie d’autrui, ce qui est le cas chez bon nombre d’auteurs. C’est du reste la philosophie qui animait les Pères fondateurs des États-Unis, qui n’ont jamais imaginé que la peine de mort puisse entrer en contradiction avec la Constitution américaine. C’est aussi une des raisons pour lesquelles la Cour suprême des États-Unis n’a jamais, à ce jour, considéré que la peine de mort était en elle-même contraire à la Constitution.

Remarquons enfin qu’il y a là un point de discorde possible parmi les abolitionnistes. D’aucuns affirment que le droit à la vie est absolu et qu’il constitue la raison fondamentale de s’opposer à la peine de mort. C’est en ce sens que Victor Hugo, se réclamant de l’esprit des Évangiles contre la position de l’Église catholique, déclarait à ses collègues parlementaires : « Vous venez de consacrer l’inviolabilité du domicile, nous vous demandons de consacrer une inviolabilité plus haute et plus sainte encore, l’inviolabilité de la vie humaine[xxxii]. » Chez Hugo, cette sacralisation absolue de la vie humaine s’enracinait dans sa foi chrétienne et notre condition commune de créatures de Dieu. Mais cette approche peut aisément être sécularisée à travers le langage des droits de l’homme et de la dignité humaine. C’est en ce sens que Robert Badinter écrit : « Le droit au respect de la vie est le premier des droits de tout être humain. C'est ce droit, absolu et intangible qui fonde à la fois le châtiment de l'assassin et l'abolition de la peine de mort[xxxiii]. » Pourtant, d’autres abolitionnistes, tout aussi déterminés et sincères, se montrent plus circonspects à cet égard. D’une part, depuis les années 1960 et le développement de l’éthique appliquée, la « doctrine de la vie sacrée » n’a cessé d’être remise en cause, au motif qu’elle était par exemple incompatible avec une défense cohérente de l’euthanasie, ou même de l’avortement[xxxiv]. D’autre part, il n’est pas évident, même pour certains abolitionnistes, que tout homme soit en position de faire valoir un « droit à la vie », quoi qu’il ait fait par ailleurs. Imagine-t-on, par exemple, Adolf Eichmann s’adressant à ses juges pour les rappeler à leur obligation de respecter son droit à la vie ? C’est pourquoi certains abolitionnistes contemporains, notamment les universitaires américains Hugo Adam Bedau et Jeffrey Reiman, vont jusqu’à concéder qu’il n’existe pas, d’un point de vue moral, de droit inconditionnel à la vie, et préfèrent invoquer d’autres raisons (prépondérantes à leurs yeux) de ne pas faire mourir les meurtriers[xxxv].

Les arguments conséquentialistes en faveur de la peine de mort

Les partisans de la peine de mort peuvent en outre la défendre par le biais d’arguments conséquentialistes, relatifs notamment à la lutte contre la criminalité, qui est généralement reconnue comme une finalité légitime de tout gouvernement. Nous verrons plus loin que le débat autour du caractère éminemment dissuasif de la peine capitale semble avoir trouvé sa solution et qu’il s’avère difficile de nos jours de lui prêter une telle vertu. Mais certains de ses partisans n’y ont pas entièrement renoncé. John Stuart Mill, de son temps, invoquait déjà une sorte d’effet dissuasif caché de la peine capitale :

« Quant à ce qu’on appelle l’échec de la peine de mort, qui est capable d’en juger ? Nous savons en partie quels sont ceux qu’elle n’a pas dissuadés ; mais qui peut savoir quels sont ceux qu’elle a effectivement dissuadés, ou combien d’êtres humains elle a sauvés qui auraient mené une existence de criminels s’ils n’avaient pas, depuis leur plus tendre enfance, associé cette terrible perspective à l’idée de meurtre ?[xxxvi]

D’aucuns diront en effet qu’il est par définition impossible de dénombrer les cas où un individu n’est pas passé à l’acte, grâce à l’effet dissuasif de la peine de mort.

En outre, même en admettant que la peine capitale n’ait pas l’effet dissuasif escompté sur la plupart d’entre nous, ne conserve-t-elle pas cet effet sur certaines catégories particulières d’individus ? C’est précisément ce qu’a voulu montrer Ernest van den Haag. Il distingue en effet trois groupes d’individus que la peine de mort peut dissuader, sans aller jusqu’à prétendre que tel est nécessairement le cas. Il estime, pour des raisons « logiques », qu’elle est la seule menace susceptible d’infléchir encore le comportement de certains hommes placés dans les trois circonstances suivantes :

  1. Les condamnés purgeant déjà une peine de prison à perpétuité, que l’on empêche ainsi de nuire au monde extérieur à la prison, mais qui sont encore capables de commettre des crimes à l’intérieur de la prison ;
  2. Les individus risquant déjà d’être condamnés à une très longue peine de prison (parce qu’ils viennent de se rendre coupable d’une prise d’otage, d’un détournement aérien ou d’un meurtre), mais n’ayant pas encore été arrêtés par les autorités ;
  3. Les potentiels espions en temps de guerre, ou bien encore les révolutionnaires violents lorsque le pouvoir risque d’être renversé.[xxxvii]

La thèse générale de van den Haag est que tous ces individus, si tant est qu’ils puissent encore être dissuadés de persévérer dans le crime, ne peuvent l’être que par la peine de mort. S’agissant de la première catégorie, l’auteur fait valoir qu’à défaut de pratiquer la peine de mort sur les meurtriers les plus dangereux, la sécurité du personnel pénitentiaire nécessiterait des conditions de détention tellement drastiques pour les détenus (« il faudrait enchaîner et isoler les détenus en permanence[xxxviii] »), qu’elles en deviendraient inhumaines. L’argument sous-jacent est donc que la peine de mort est en réalité plus humaine que la seule peine alternative acceptable, dès lors que l’on tient à éviter qu’un meurtrier ne récidive.

Le même auteur invoque par ailleurs d’autres facteurs qui, selon lui, plaident en faveur du caractère dissuasif de la peine de mort : son irrévocabilité (« une peine révocable est toujours moins dissuasive qu’une peine irrévocable[xxxix] »), la peur de l’inconnu (nul ne sait ce qu’est vraiment la mort, ce qui nous la rend plus effrayante qu’une peine de prison), et enfin l’humiliation que comporte le fait d’être jugé indigne de continuer à vivre et d’être ainsi définitivement exclu de la communauté des hommes.

La difficulté que posent ces raisonnement est qu’ils conservent un caractère très hypothétique, comme le révèle l’usage récurrent chez cet auteur de l’adverbe « probablement ». De telles spéculations reposent en définitive sur ce que l’auteur juge « logique » du point de vue d’un agent rationnel cherchant toujours à maximiser son intérêt bien compris. Or on peut à bon droit se demander, par exemple avec Michel Foucault, s’il convient d’appliquer aux comportements criminels une grille d’analyse fondée sur le comportement supposé de l’homo œconomicus, ou bien s’il s’agit là d’un parti pris méthodologique contestable (caractéristique du néo-libéralisme[xl]). En vérité, rien ne nous garantit que les comportements les plus « logiques » aux yeux d’un observateur extérieur correspondent réellement à ce que feraient des criminels réels, dont l’intérêt à court terme l’emporte bien souvent sur leur intérêt bien compris. À cette objection, les partisans de la peine de mort peuvent cependant répondre que pour la plupart des autres peines (les peines d’emprisonnement en particulier), nous n’exigeons pas de preuve établissant qu’une peine A est plus dissuasive qu’une peine B. Comme le souligne à nouveau van den Haag, « rien ne prouve qu’une peine de dix ans de prison dissuade deux fois plus de personnes qu’une peine de cinq ans de prison[xli] ». Il se pourrait même que le cinq années supplémentaires d’incarcération n’aient aucun effet dissuasif supplémentaire. Dans le doute, les défenseurs de la peine capitale peuvent alors soutenir que la charge de la preuve revient aux abolitionnistes et que la peine de mort est justifiée tant que l’on peut vraisemblablement envisager qu’elle dissuade tout de même certains individus de commettre l’irréparable et qu’elle contribue ainsi à sauver quelques vies innocentes.

L’argument expressiviste (ou de la dénonciation)

À l’évidence, les crimes particulièrement odieux suscitent dans l’opinion publique une vive émotion et un besoin d’exprimer une forte réprobation à l’égard de leurs auteurs. Tout se passe comme si par-delà les victimes individuelles, les crimes portaient atteinte à l’ensemble du corps social, en ce qu’ils constituent une négation des règles les plus élémentaires d’une communauté humaine. Il conviendrait donc de les dénoncer avec force et telle est, pour certains auteurs, la finalité essentielle des sanctions pénales. Ainsi, plutôt que de nous inviter à réprimer nos émotions telle que l’indignation, l’argument que nous envisageons ici déclare que la colère à l’égard des criminels est un sentiment tout à fait légitime, qui doit trouver à s’exprimer publiquement, le cas échéant en exécutant les meurtriers.

Cette fonction « dénonciatrice » de la peine fut défendue notamment par Lord Denning lorsqu’il prit la parole devant la Commission royale sur la Peine Capitale, instaurée en 1949 au Royaume-Uni. Voici en effet comment il défendait alors le recours à la peine de mort :

La justification ultime d’une punition, quelle qu’elle soit, n’est pas son caractère dissuasif, mais le fait qu’elle constitue pour la société une manière de dénoncer un crime de façon catégorique. De ce point de vue, et en l’état actuel de l’opinion, il existe des crimes qui exigent la condamnation la plus catégorique qui soit, autrement dit la peine de mort.[xlii]

Plus récemment, le professeur américain Walter Berns présenta un argument similaire avec un talent argumentatif certain. Son propos s’inscrit clairement dans une perspective « rétributiviste », au sens où la meilleure justification de la sanction pénale est à ses yeux la nécessité de rendre aux criminels ce qu’ils « méritent » ou encore ce qui leur est « dû ». Il écrit en effet : « nous punissons les criminels essentiellement en vue de les faire payer, et nous exécutons les pires d’entre eux en vertu d’une nécessité morale[xliii] ». Il en veut pour preuve l’activité du célèbre « chasseur de nazis » Simon Wiesenthal que l’on ne saurait comprendre autrement qu’en termes rétributivistes : si nous tenons tant à ce que ces criminels soient traduits devant un tribunal, ce n’est certainement pas, estime-t-il, pour dissuader quiconque de les imiter, encore moins dans un souci de réhabilitation, mais essentiellement « pour les faire payer[xliv] ». De plus, Wiesenthal nous permettrait de comprendre « qu’il est juste, moralement juste, d’être en colère contre les criminels et d’exprimer publiquement cette colère ». Se référant à Aristote, il explique que la colère s’accompagne non seulement d’une douleur provoquée par l’individu incriminé, mais également d’un plaisir lié à l’anticipation de la sanction vengeresse qui s’abattra sur l’individu qui le mérite. En somme, les criminels sont l’objet d’une juste colère, car ils ont offensé l’ordre moral, c’est-à-dire « les fondements de la confiance et de l’amitié, qui sont les éléments constitutifs d’une communauté morale[xlv] ». La peine est donc ici appréhendée comme un moyen d’exprimer et de réaffirmer notre attachement collectif à un ordre moral ayant fait l’objet d’une attaque inacceptable. Berns n’hésite pas à convoquer également les tragédies de Shakespeare (Macbeth en particulier) pour illustrer le fait que notre « sens moral » réclame la mort des meurtriers. La justice pénale se voit attribuer la fonction de « renforcer » la dignité de l’ordre moral aux yeux de ceux qui réclament que l’injustice commise soit « vengée ». Dans ces conditions, la peine de mort exerce une fonction symbolique, à savoir celle de restaurer la valeur de l’interdit fondamental « Tu ne tueras point ».

Au moins deux types d’objections peuvent ici être envisagées. Tout d’abord, nul ne songe à contester qu’un sentiment de colère accompagne souvent la désapprobation de certaines actions criminelles. Bien plus, la colère peut en effet attester de dispositions morales, puisqu’elle montre que nous ne nous ne soucions pas uniquement de nos propres intérêts, mais également de la communauté morale dont nous nous sentons solidaires. Cependant, comme le souligne Stephen Nathanson dans son ouvrage An Eye For An Eye ?, « chacun accordera que les actions générées par la colère doivent être contrôlées[xlvi] ». Autrement dit, même en concédant qu’une des fonctions de la justice pénale soit de rétablir l’ordre moral dans toute sa majesté, il ne s’en suit pas que tout soit permis et que l’expression de la colère puisse se produire en dehors de toutes limites morales. Prise pour seul critère, la colère nous conduirait souvent à justifier des peines beaucoup trop sévères. Par ailleurs, s’agissant des meurtriers, est-il certain que seule la peine de mort permette de réaffirmer la valeur de l’interdit qu’ils ont enfreint ? Si l’on retient la dimension expressive de la sanction pénale, n’est-il pas tout aussi important de véhiculer le message selon lequel un sentiment de colère, voire de haine, ne suffit pas à justifier que l’on ôte la vie ?

La fonction « purgative » de la peine capitale

Plus récemment, en 2011, dans son livre The Ethics of Capital Punishment, Matthew Kramer proposa une défense relativement originale de la peine de mort, en invoquant ce qu’il appelle la fonction « purgative » de la peine capitale. Sa démarche est en effet originale à plus d’un titre. Tout d’abord, Kramer consacre de nombreuses pages de son livre à montrer que ni le rétributivisme, ni le conséquentialisme (dont l’utilitarisme est une espèce) ne permettent de justifier la peine de mort. On peut donc dire que, sur ce point précis, il rejoint paradoxalement certains abolitionnistes, notamment Hugo Adam Bedau, qui s’efforçait précisément de montrer qu’en vérité, aucune des grandes théories pénales ne conduit nécessairement à approuver la peine capitale. En revanche, Kramer soutient les deux assertions suivantes : 1) seule la fonction purgative de la peine de mort permet de la justifier ; 2) cette fonction n’est en jeu que dans le cas des crimes « particulièrement atroces[xlvii] » et ne permet de prescrire aucune autre peine que la peine de mort.

Commençons par expliquer rapidement pourquoi selon Kramer on ne saurait justifier la peine de mort sur une base exclusivement rétributiviste. Rappelons que l’on entend par « rétributivisme » la doctrine pénale qui insiste sur les trois exigences suivantes : 1) infliger au criminel la peine qu’il « mérite » ; 2) reconnaître la responsabilité morale du criminel ; 3) restaurer l’égale dignité de la victime. Dès lors, la stratégie de Kramer consiste surtout à s’appuyer sur les propos de nombreux auteurs rétributivistes, qui reconnaissent eux-mêmes que leurs préceptes ne peuvent suffire à déterminer une peine unique pour chaque type de crime. En somme, ces exigences se situent à un niveau d’abstraction trop élevé pour que l’on puisse en déduire une seule et unique peine correspondant à un crime précis. C’est par exemple ce que concède John Finnis (lui-même rétributiviste et théoricien du droit naturel) :

Le juge doit choisir une sanction pénale parmi toute une série de peines possibles. Il n’existe aucune mesure « naturelle » en matière pénale, autrement dit, aucune peine qui soit rationnellement déterminable et la seule appropriée pour tel crime. Punir est l’exemple par excellence, dans la tradition thomiste, d’un acte qui requiert une determinatio, c’est-à-dire un processus par lequel on exerce un choix parmi une série d’options raisonnables, dont aucune n’est rationnellement supérieure aux autres.[xlviii]

D’une façon générale, l’erreur consiste donc à croire qu’il serait possible de déduire très précisément une seule et unique réponse à la question « comment punir ? » à partir d’une certaine réponse à la question « pourquoi punir ? ». Tout ce que l’on peut dire, en vérité, c’est qu’en fonction de la façon dont on justifie la pratique pénale en général, certaines peines sont permises, tandis que d’autres sont exclues. Kramer en conclut que le rétributivisme n’est certes pas incompatible avec la peine de mort, mais que cette dernière n’est pas absolument requise dans le cadre d’une telle doctrine. Au cours de son histoire, chaque communauté politique reste libre de choisir une peine qu’elle juge conforme aux préceptes rétributivistes.

Contrairement à une idée reçue, on aurait donc tort d’assimiler trop vie le rétributivisme à la « loi du talion » (« œil pour œil, dent pour dent), qui renvoie, en vérité à une certaine interprétation de l’exigence de proportionnalité entre les crimes et délits d’une part, et les peines d’autre part. Il est clair qu’une approche rétributiviste de la justice pénale exige que la sévérité des peines soit proportionnée à la gravité des infractions et que l’infracteur reçoive la peine qu’il « mérite ». Mais cette exigence générale ne suffit pas à fixer l’échelle des peines et à déterminer la peine maximale. Après tout, peu d’entre nous envisagent qu’il faille kidnapper les kidnappeurs, torturer les tortionnaires ou violer les violeurs, ce qui montre que le seuil maximal de sévérité de notre justice ne se laisse pas déterminer par la seule exigence de proportionnalité. C’est pourquoi Kramer estime qu’il existe de bonnes raisons de ne pas suivre Kant, lorsque ce dernier estime que seule la « loi du talion » permet d’attribuer au criminel la peine qu’il mérite et de respecter l’égale dignité de sa victime.  

Dans ces conditions, Kramer invite les partisans de la peine de mort à se tourner vers une autre finalité de la peine, qui ne soit ni rétributiviste, ni utilitariste. Notons que contrairement à bon nombre de philosophes du droit pénal, Kramer rompt avec la démarche qui consiste à d’abord proposer une réponse générale à la question « pourquoi punir ? », avant d’envisager les conséquences de cette réponse pour la question « comment punir ? ». Il se contente d’invoquer une finalité particulière de justice, dans le cas des « crimes particulièrement atroces ». La fonction purgative qu’il souhaite mettre en avant n’est presque jamais mentionnée dans la philosophie pénale contemporaine. En revanche, on la trouve dans la Bible, et plus particulièrement dans le Deutéronome. À propos des faux prophètes qui détourneraient les Juifs de leur vrai Dieu, il est dit :

Ce prophète ou ce songeur sera puni de mort, car il a parlé de révolte contre l’Éternel, votre Dieu, qui vous a fait sortir du pays d’Égypte […] Tu ôteras ainsi le mal du milieu de toi.[xlix]

À plusieurs reprises en effet, le Deutéronome attribue à la peine de mort la faculté d’ôter le mal, c’est-à-dire de le « purger » ou de l’expulser hors d’une communauté humaine. Matthew Kramer se montre parfaitement conscient du fait que ce lien très étroit entre ce type de justification de la peine de mort et la Bible est sans doute la raison principale pour laquelle on ne la retrouve guère chez les philosophes modernes. Contrairement à ce qui prévalait à l’époque médiévale, la Bible n’est plus pour les philosophes une autorité absolue permettant de trancher les débats moraux, dans la mesure où, écrit-il, « les croyances morales exprimées dans les Écritures sont souvent primitives et répugnantes[l] ». Kramer en veut pour preuve un « fameux passage » de l’œuvre d’Emmanuel Kant ayant souvent fait l’objet de critiques, voire de moqueries, précisément parce qu’il semble renouer furtivement avec une des justifications bibliques du châtiment[li]. Or la stratégie de Kramer consiste précisément à donner raison à Kant, qui aurait le grand mérite d’avoir implicitement défendu la fonction « purgatrice » de la peine de mort, sans l’adosser à des croyances religieuses, ce qui est précisément le projet de Kramer dans son livre. On nous permettra de citer intégralement ce passage de la Doctrine du droit de Kant, dans lequel le philosophe nous propose une expérience de pensée :

Même si la société civile se dissolvait avec l’accord de tous ses membres (par exemple, si le peuple qui habite une île résolvait de se séparer et de se disperser dans le monde entier), le dernier meurtrier se trouvant en prison devrait auparavant être exécuté, de façon que chacun éprouve la valeur de ses actes et que l’homicide ne vienne pas à la charge du peuple qui n’a pas pourvu à ce châtiment ; car le fait est qu’il peut être considéré comme ayant pris part à cette offense publique perpétrée contre la justice.[lii]

Selon Kramer, Kant aurait exprimé dans ces lignes la nécessité d’exécuter les meurtriers afin de préserver la pureté morale de la société.  Voici les termes dans lesquels Kramer rend compte à son tour de la fonction purgative de la peine :

[…] certains méfaits sont si monstrueux que leurs auteurs deviennent moralement toxiques. En continuant de vivre, les individus coupables de tels méfaits souillent le caractère moral de la communauté à laquelle ils appartiennent.[liii]

En s’abstenant de faire mourir les individus coupables de ces actes particulièrement atroces, une communauté humaine conserverait donc en elle une forme de souillure ou de tache morale indélébile.  

Il se peut, certes, que cet argument corresponde à la façon dont un psychanalyste ou un anthropologue rendrait compte de la fascination exercée par la peine de mort et les sacrifices en général[liv]. Mais a-t-il véritablement une valeur normative en philosophie pénale ? Que penser de cette approche du crime en termes de mal moral contagieux ? Ne relève-t-elle pas d’une croyance métaphysique ? Quant à la soi-disant « pureté morale » de la société, elle n’est envisageable qu’à condition de faire l’impasse sur les causes sociales de la criminalité.

Examen des arguments contre la peine de mort

La peine de mort n’est pas éminemment dissuasive

Remarquons tout d’abord que cette question s’avère importante, voire cruciale, pour toute personne résolue à ne jamais négliger les conséquences d’une action ou d’une pratique. Certes, il est toujours théoriquement possible, pour chaque « camp », de s’arc-bouter sur un principe moral non-conséquentialiste et de faire fi des conséquences de son application la plus rigoriste. Mais force est de constater que cette attitude est en vérité très peu répandue chez les théoriciens de la morale. Kant lui-même, à qui l’on prête parfois une morale strictement « déontologique », fondée sur des devoirs de type inconditionnel, avait su se rendre attentif – nous l’avons vu – à certaines conséquences inadmissibles d’une stricte application de la loi du talion, qu’il défendait pourtant comme le seul principe recevable en vue de déterminer le quantum de la peine. Par ailleurs, il ne nous semble pas exagéré de dire qu’il existe désormais un large consensus parmi les théoriciens contemporains de l’éthique pour estimer que l’on ne saurait totalement exclure de nos considérations morales les effets prévisibles d’une action[lv]. Dans ces conditions, ni le partisan, ni l’adversaire de la peine de mort, ne peuvent se permettre d’ignorer les résultats des études de criminologie dont nous disposons, quant au caractère éventuellement dissuasif de la peine de mort. Cela va de soi pour les défenseurs de cette peine, qui fondent une grande partie de leur argumentaire sur l’idée que les exécutions contribuent ou contribueraient réellement à diminuer le nombre de meurtres perpétrés chaque année. S’il s’avérait, que les statistiques recueillies en matière de criminalité leur donnaient raison, n’aurions-nous pas en effet une très forte raison de justifier la peine de mort ? C’est d’ailleurs ce que concèdent certains abolitionnistes contemporains qui, pour cette raison, prennent leur distance avec un certain type d’abolitionnisme que nous appellerons ici « catégorique », à savoir la position consistant à rejeter la peine de mort par principe et quand bien même elle serait dissuasive. Ainsi, des philosophes comme Herbert Hart, Jonathan Glover ou Hugo Adam Bedau, en dépit de leur engagement contre la peine de mort, ont-ils explicitement reconnu que s’il était possible de démontrer le caractère éminemment dissuasif de la peine de mort – si cette dernière permettait réellement de sauver de nombreuses vies humaines –, alors il serait moralement impossible de ne pas tenir compte de cette donnée. Car dans le cas contraire, l’abolitionnisme ne conduirait-il pas paradoxalement à accorder un étrange privilège à la vie des criminels sur celle des nombreuses personnes innocentes que la peine capitale permettrait de sauver ? Mais inversement, les partisans de la peine de mort se verront privés d’un de leurs arguments, s’il s’avère impossible de conclure au caractère éminemment dissuasif de la peine de mort.

Cette controverse peut être abordée au moins d’un double point de vue : psychologique et statistique. D’un point de vue psychologique, prétendre que la peine de mort n’est pas éminemment dissuasive est un paradoxe, tant le « sens commun » tient pour évident que la mort étant ce que nous redoutons le plus, il ne saurait exister de menace plus intimidante que celle de nous faire mourir. Cet argument de « bon sens » est repris à l’envi par les partisans de la peine de mort. Nul ne l’a mieux formulé que Sir James Fitzjames Stephen, en 1864 :

Outre la peine de mort, aucune autre peine ne dissuade les hommes de manière aussi efficace de commettre des crimes. Cette affirmation est difficile à prouver pour la simple et bonne raison qu’elle s’impose par son évidence. Aucune preuve ne peut en effet la rendre plus convaincante qu’elle n’est déjà. Tout ce que l’on fait pour argumenter contre des vérités aussi évidentes, ne relève que d’une sagacité fantaisiste, c’est tout. […] Personne ne va au-devant d’une mort certaine et inévitable, si ce n’est par contrainte.[lvi]

Le même auteur finit toutefois par fournir une (soi-disant) preuve de la puissance dissuasive de la peine de capitale, en arguant qu’aucun condamné à mort ne refuserait de voir sa sentence commuée en une longue peine d’incarcération. Pourtant, même si cette affirmation est factuellement peu contestable, elle ne saurait suffire à prouver le caractère éminemment dissuasif de la peine de mort. Le fait qu’à l’issue de son procès, un détenu préfère rester en vie plutôt que de mourir est une chose, mais cela ne nous apprend rien sur la puissance dissuasive de la peine de mort. En effet, celle-ci n’implique en vérité que le risque de mourir, et non pas la certitude de mourir dès lors que le crime sera commis. D’ailleurs, comme le souligne Jonathan Glover, l’idée selon laquelle tout meurtrier ferait face à une mort « inévitable » et « instantanée » n’est tout simplement pas conforme à la réalité et « un certain parti pris temporel nous conduit souvent à être moins affectés par la menace des catastrophes à venir que par celles qui sont imminentes[lvii] ».  C’est d’ailleurs ce que Jeremy Bentham permettait déjà de comprendre lorsqu’il écrivait :

celui qui brave la mort juridique peut avoir des espérances d’impunité ; il n’ignore pas les chances qui le favorisent : la passion même les lui exagère : c’est d’ailleurs un événement éloigné, la distance en affaiblit l’impression, et, quand il envisagerait son état comme un métier périlleux, ne voit-on pas les métiers les plus périlleux embrassés par des hommes qui ont tous les motifs possibles d’attachement à la vie ? Manque-t-on d’ouvriers dans les manufactures de poudre à canon, dont les explosions sont si fréquentes ? Il y a donc bien de la différence entre s’exposer à la mort, ou se la donner volontairement.[lviii]

Il existe par ailleurs d’autres raisons d’estimer qu’il est assez naïf, sur le plan psychologique, de s’imaginer que la peine de mort est susceptible de dissuader davantage ceux qui s’apprêtent à passer à l’acte et commettre un meurtre. Les meurtres ont très souvent lieu sous l’effet de la passion, voire de l’alcool ou de la drogue, c’est-à-dire dans un contexte où l’individu meurtrier est indifférent aux conséquences de son acte. D’autres sont le fait d’individus atteints de troubles mentaux. C’est ce qui pousse le philosophe du droit Herbert Hart à conclure : « Ainsi, pour beaucoup, la différence entre la mort et la prison pourrait ne rien changer : ni l’une ni l’autre ne les dissuaderaient[lix] ».

Évoquons à présent les arguments statistiques. Ils consistent à comparer les taux de criminalité avant et après l’abolition dans un pays donné, ou entre pays abolitionnistes et pays rétentionnistes. Le mieux que nous puissions faire est de nous fier aux conclusions des statisticiens ayant étudié les données disponibles. Nous ne pouvons naturellement pas, dans le cadre de cet article, nous attarder sur tous les travaux ayant été publiés pour examiner cette question[lx]. Or la conclusion à la fois la plus honnête et la plus prudente en la matière semble être celle que rappelle notamment le philosophe Jonathan Glover, à savoir « qu’il n’existe aucune corrélation évidente entre l’absence de la peine de mort et une quelconque évolution du taux de criminalité[lxi] ».

À ce stade, les partisans de la peine de mort recourent parfois à ce que David Conway a appelé « l’argument du meilleur pari[lxii] ». Glover le résume ainsi :

puisque l’on ne saurait savoir avec certitude si la peine capitale diminue le taux de criminalité, chacune des deux décisions possibles implique une sorte de « pari » mettant en jeu la vie des gens. Dès lors, on nous suggère qu’il est préférable de mettre en jeu la vie des criminels, plutôt que celle de leurs potentielles victimes innocentes.[lxiii]

Remarquons avec Glover que cet argument n’a de sens qu’à condition de présupposer que l’exécution d’un meurtrier est moins grave qu’un meurtre ordinaire. Quoi qu’il en soit, l’argument du « meilleur pari » n’est pas véritablement convaincant, car il néglige le fait qu’en vérité, le choix qui se présente à nous n’est pas celui de faire mourir un assassin ou une victime. Il serait plus exact de dire que « nous décidons de tuer le meurtrier de façon certaine, en espérant pouvoir sauver par là une victime potentielle[lxiv] ».

Le risque d’exécuter des innocents

Voici sans doute un des arguments abolitionnistes les plus puissants, car il se fonde sur le souci, largement partagé, de ne pas condamner à mort des innocents. En effet, s’il existe au moins un principe moral faisant l’objet d’une intuition quasi universelle, n’est-ce pas l’interdiction de faire souffrir des innocents et, à plus forte raison, de condamner à mort des innocents ? Nous pouvons nous représenter cet argument sous la forme du syllogisme suivant :

  1. La condamnation à mort d’un innocent constitue une des pires injustices ;
  2. Or aucune procédure pénale ne permet d’exclure le risque de commettre des erreurs judiciaires ;
  3. Donc la pratique de la peine de mort doit être exclue, car elle comporte le risque de faire mourir des innocents.

La force de ce raisonnement provient en grande partie du fait que sa première prémisse risque fort d’apparaître incontestable, tant aux partisans qu’aux adversaires de la peine capitale. À cet égard, les condamnations à mort de Socrate et de Jésus ne constituent-elles pas deux des injustices les plus marquantes de la culture occidentale ? En comparaison, la seconde prémisse semblera peut-être moins évidente, mais le caractère faillible de l’institution judiciaire est pourtant fort peu contestable. À cet égard, chacun pourra se demander s’il est raisonnable de partager ici l’optimisme de John Stuart Mill qui, lors de son discours parlementaire en faveur du maintien de la peine de mort, estimait que grâce aux améliorations apportées à la procédure pénale anglaise, les erreurs judiciaires allaient désormais être réduites à « un nombre de cas extrêmement faible[lxv] ». Mill n’en concédait pas moins que le risque de commettre une erreur judiciaire était l’argument abolitionniste pour lequel il avait le plus grand respect, d’autant plus que dans ce cas, aucune réparation n’est possible, en raison du caractère absolument définitif de cette peine. Cela n’empêcha pas Mill de passer outre ses scrupules, au nom d’une distinction entre deux types de pays : d’une part ceux « où le mode de procédure criminelle est dangereux pour l’innocent » et « où les cours de justice croient faillir à leur devoir si elles ne déclarent personne coupable », et d’autre part ceux où les magistrats et les jurés « ont le souci de tenir compte de la moindre possibilité que l’accusé soit innocent[lxvi] ». Toutefois, cette distinction peut sembler bien fragile pour au moins deux raisons. Premièrement, quelles que soient les garanties apportées par la procédure criminelle à la protection des innocents, il est clair que le risque d’une erreur judiciaire ne sera jamais nul. Deuxièmement, rien ne garantit que les bonnes dispositions que Mill prête de façon générale aux jurés anglais soient toujours nécessairement présentes, ni qu’elles suffisent à écarter tout risque d’erreur judiciaire.

De sorte que pour les partisans de la peine de mort, la question cruciale devient la suivante : dans quelle mesure sont-ils prêts à s’accommoder de l’inévitable condamnation d’innocents, à plus ou moins long terme ? Pour sa part, John Stuart Mill semblait considérer qu’un « nombre de cas extrêmement faible » n’était pas de nature à remettre en cause la légitimité de la peine de mort. Sans doute faut-il voir dans son jugement une application du principe d’utilité, que Mill considérait « comme le critère absolu dans toutes les questions éthiques[lxvii] ». Pourtant, si l’on veut éviter d’avoir à se poser la redoutable question du seuil au-delà duquel le nombre d’erreurs judiciaires n’est plus « acceptable », ne faut-il pas tout simplement s’abstenir de recourir à une peine si définitive ? En outre, les partisans de la peine de mort eux-mêmes ne devraient-ils pas accorder une priorité absolue au souci de ne jamais exécuter un innocent ?

Toujours est-il que l’existence d’erreurs judiciaires, y compris dans les cas de condamnations à mort, est aujourd’hui suffisamment avérée et bien documentée. Il faut mentionner ici le travail minutieux accompli conjointement par Hugo Adam Bedau, Michael Radelet et Constance Putnam, qui ont répertorié plus de 400 cas dans lesquels des Américains furent accusés à tort de crimes passibles de la peine de mort[lxviii]. Précisons qu’une des originalités de leur ouvrage est de comptabiliser non seulement les cas où la personne accusée à tort n’avait commis aucun homicide, mais également ceux où bien que la personne ait effectivement commis un homicide, son acte n’aurait pas dû être qualifié juridiquement d’ « assassinat » ou de « first degree murder » aux États-Unis (la préméditation n’ayant pas été prouvée), de telle sorte que l’accusé n’aurait pas dû encourir la peine de mort.

Une peine appliquée de façon arbitraire et discriminatoire

Il existe encore une autre façon de contester indirectement l’usage de la peine de mort, particulièrement efficace à une époque où les discriminations fondées sur la couleur de peau et l’appartenance ethnique apparaissent à bon droit comme moralement inacceptables. L’argument consiste à montrer que dans les faits, la peine de mort est appliquée de façon arbitraire et discriminatoire à l’égard des minorités ethniques, et qu’en l’état actuel des choses, il n’est pas sérieusement envisageable qu’il puisse en être autrement. En outre, il est clair que les catégories sociales les moins favorisées sont souvent sur-représentées parmi les condamnés à mort, faute de pouvoir s’octroyer les services des avocats les plus performants. C’est d’ailleurs ce type de considérations qui conduisit la Cour suprême des États-Unis, dans son arrêt Furman v. Georgia (1972), à déclarer que la peine de mort telle qu’elle était alors appliquée n’était pas conforme à la Constitution américaine. Notons que si les abolitionnistes se réjouirent dans un premier temps de cette décision et l’accueillirent comme une première victoire (en y voyant une étape vers l’abolition), ils durent bientôt déchanter : très rapidement, les États américains pratiquant la peine de mort adaptèrent leur législation, de façon à se conformer aux recommandations des Juges suprêmes et à poursuivre les exécutions capitales.

S’agissant des États-Unis, le caractère arbitraire et discriminatoire de la peine de mort a bien été mis en évidence par les travaux de Charles L. Black Junior. Sa stratégie argumentative consiste à montrer que cette dimension arbitraire, reconnue par la Cour suprême dans son arrêt de 1972, n’a rien de contingent, mais demeure au contraire « inévitable » tant que cette peine est en vigueur. Pour cet auteur, il est donc vain de laisser entendre que l’on pourrait, par une quelconque réforme de la procédure pénale, éliminer totalement le risque d’arbitraire.    L’analyse proposée par Charles L. Black Junior présente une originalité certaine en ce qu’il montre que l’arbitraire n’affecte pas simplement le verdict final, mais également toute une série de décisions prises à chaque étape de la procédure criminelle américaine. Ces décisions concernent successivement : la qualification du crime par le procureur (de sorte qu’il s’agisse d’un acte passible ou non de la peine de mort), l’acceptation ou le refus du « plaider coupable » pour un crime moins grave (et donc non passible de la peine de mort), puis l’acceptation ou le refus par le prévenu de cette offre (lorsqu’elle lui est accordée) – une décision souvent prise par l’avocat, tandis que son client se trouve en détention provisoire et dans un état de grande confusion. Si le prévenu ne s’est pas vu accorder le « plaider coupable » pour un crime de moindre importance, il est alors renvoyé devant un jury qui aura un pouvoir de vie ou de mort sur lui. Les jurés devront alors se prononcer sur des faits d’ordre physique (l’accusé a-t-il poignardé sa victime avant ou tandis que celle-ci essayait elle aussi de le poignarder ?), mais aussi d’ordre psychologique (l’accusé a-t-il tiré sur sa victime alors qu’il croyait que celle-ci essayait de s’emparer d’un revolver ?). Puis, très souvent à ce moment du procès, le jury doit se prononcer sur la santé mentale de l’accusé. Si les jurés le désignent « non coupable en raison de sa démence », cela revient à opter pour une forme d’incarcération plutôt que pour la mort. Si, en revanche, le jury suit les réquisitions du procureur et reconnaît l’accusé coupable d’un crime passible de la peine de mort, il lui revient alors de choisir ou non cette peine en guise de condamnation. Après le jugement, le verdict et la procédure d’appel, il est possible qu’une mesure de « clémence » soit décidée par un « comité du pardon » (pardon board). Enfin, on sait que le gouverneur de chaque État, voire le Président des États-Unis, possède le pouvoir de suspendre une exécution. Ce que veut nous suggérer Charles L. Black, c’est que toutes ces décisions comportent leur part de contingence et d’arbitraire. De sorte qu’en vérité, « le choix de la peine de mort résulte non pas d’une seule décision – celle du juge ou du jury lors du procès et sur laquelle s’est focalisé l’arrêt Furman – mais d’une multiplicité de choix, allant de la charge retenue par le procureur, jusqu’à la décision de l’autorité pouvant accorder sa clémence (le gouverneur ou un comité spécial)[lxix] ».

Cependant, il vaut la peine de remarquer que cet argument est à double tranchant, dans la mesure où il ne s’attaque pas à la peine de mort en tant que telle, mais uniquement à la façon injuste dont elle est administrée. Certains partisans parmi les plus fervents de la peine de mort, comme Ernest van den Haag, n’ont pas manqué de faire remarquer qu’un tel argument ne devrait pas nous conduire à abolir cette peine, mais à l’appliquer de façon plus égalitaire, donc plus fréquemment[lxx]. Par ailleurs, le même auteur fait remarquer qu’il y a en quelque sorte deux poids deux mesures, puisque les mêmes discriminations sont probablement à l’œuvre dans la distribution de toutes les autres peines, sans que cela conduise à réclamer leur abolition. Ce à quoi les abolitionnistes peuvent à leur tour répondre que la peine de mort constitue véritablement un cas à part, en raison de son extrême sévérité et de son irrévocabilité.

L’illusion de la responsabilité absolue

Cet argument présente l’avantage de prendre véritablement en compte un des attendus les plus communément répandus chez les partisans de la peine de mort, à savoir rendre aux criminels ce qu’ils « méritent ». Selon cette approche strictement rétributiviste de la justice pénale, il est juste d’infliger une peine à tel individu simplement du fait qu’il s’est rendu coupable d’une infraction. Or si l’on estime que la sanction est due au criminel, si l’on peut dire qu’il la « mérite », c’est généralement en vertu de la croyance en la liberté des êtres humains, au sens de ce que les philosophes appellent le libre arbitre. Cette forme de liberté désigne la capacité qu’aurait notre volonté d’être la cause première de nos décisions. Croire au libre arbitre revient à admettre qu’un même individu, à un instant T, aurait pu décider d’agir autrement, car cela dépendait essentiellement de lui. Cela revient donc à conférer à la volonté humaine la capacité de produire indifféremment des effets contraires dans le monde (tuer ou ne pas tuer), ce qui, comme on le sait, est contraire au principe du déterminisme admis par la science moderne. Les êtres humains pourraient ainsi être tenus responsables de leurs actes – et donc jugés – en vertu du fait qu’ils disposent de cette liberté de la volonté.

Or les adversaires de la peine de mort peuvent ici souligner à quel point ce concept de libre arbitre, forgé par la théologie afin de rendre l’homme (et non pas Dieu) responsable de l’existence du mal, est sujet à caution. En effet, il n’a cessé de faire l’objet de controverses philosophiques au cours des siècles, au moins depuis saint Augustin et son Traité du libre arbitre. De sorte qu’il peut sembler pour le moins problématique de justifier une peine aussi sévère que la peine de mort sur la base d’un présupposé métaphysique si lourd et controversé. Si l’on accorde que la peine capitale est la plus sévère de toutes les peines, voire une peine « totalitaire » – en ce qu’elle prive un individu d’absolument tout –, elle semble n’avoir de légitimité possible qu’à l’égard d’un être totalement responsable et coupable, en vertu d’une liberté elle-même absolue. Or le moins que l’on puisse dire est que le doute est permis en la matière. D’aucuns, dans la lignée de Hobbes ou Spinoza, défendent un déterminisme strict, valant tout autant dans le cas de l’homme que dans celui des phénomènes naturels. Mais l’argument que nous présentons ici ne requiert nullement l’adhésion au déterminisme : il suffit de reconnaître le caractère incertain de la thèse du libre arbitre et, a fortiori, de la responsabilité absolue. Ainsi, il semble déraisonnable d’appliquer une peine aussi radicale à un être dont la responsabilité individuelle n’est probablement jamais « totale ». La décision de faire mourir un homme ne devrait pas reposer, en dernier lieu, sur une conjecture philosophique et métaphysique aussi contestable. C’est d’ailleurs ce que suggérait Albert Camus lorsqu’il écrivait :

[La loi du talion] ne peut jouer qu’entre deux individus dont l’un est absolument innocent et l’autre absolument coupable. La victime, certes, est innocente. Mais la société qui est censée la représenter, peut-elle prétendre à l’innocence ? N’est-elle pas responsable, au moins en partie, du crime qu’elle réprime avec tant de sévérité ?[lxxi]

Camus en concluait qu’« il n’existe jamais de responsabilité totale ni, par conséquent, de châtiment ou de récompense absolus[lxxii] ». La peine de mort implique donc une disproportion inacceptable entre une culpabilité toujours relative et un châtiment absolu et définitif. D’aucuns objecteront peut-être que le débat entre les théories du libre arbitre et celles du déterminisme étant par nature métaphysique et sans doute insoluble, mieux vaudrait l’exclure de nos considérations. Mais comme le remarque à son tour Arthur Koestler, « l’incapacité où nous nous trouvons de jamais le résoudre » n’est-elle pas « déjà un argument contre la peine de mort[lxxiii] » ? Déterminer le degré de responsabilité d’un être humain est toujours une tâche difficile (voire impossible), dont le résultat est nécessairement approximatif. Le fait d’en avoir conscience incite à la plus grande prudence et à l’exclusion des peines définitives.

Par ailleurs, il serait faux de laisser entendre que la croyance au caractère absolu de la liberté humaine conduit nécessairement à justifier la peine de mort. L’argument est parfaitement réversible, car au nom de la capacité de l’homme à s’auto-déterminer, on peut tout autant soutenir qu’aucune action criminelle, quelle qu’elle soit, ne suffit à définir un homme. Autrement dit, on ne saurait réduire un être humain à l’une quelconque de ses actions, fût-elle criminelle, précisément parce qu’il conserve en lui la faculté de s’amender et d’agir tout autrement à l’avenir. Camus écrivait à cet égard : « Nul d’entre nous, en particulier, n’est autorisé à désespérer d’un seul homme, sinon après sa mort qui transforme sa vie en destin et permet alors le jugement définitif.[lxxiv] » Mais c’est sans doute la philosophie existentialiste de Jean-Paul Sartre qui pourrait ici être convoquée pour dénoncer une forme d’essentialisme chaque fois que l’on assimile un criminel à son acte. C’est en ce sens que Robert Badinter affirme à son tour : « il n'est point d'hommes sur cette terre dont la culpabilité soit totale et dont il faille pour toujours désespérer totalement[lxxv] ». On le voit, le débat sur la peine de mort oppose donc ceux qui pensent qu’il convient de toujours accorder une nouvelle chance, même au pire des criminels, à ceux qui jugent cette chance illusoire.

Notons que cet argument présente l’avantage de se placer sur le terrain favori des défenseurs de la peine de mort, à savoir le rétributivisme. Tandis que d’autres arguments se contentent d’invoquer un ou plusieurs principes que les partisans de la peine capitale n’acceptent pas (tel le droit inconditionnel à la vie), celui-ci tient sa force supérieure du fait qu’il prend précisément pour point de départ une de leurs prémisses (le criminel « mérite » sa peine) pour en tirer une conclusion différente. Il s’agit donc d’une critique interne, ce qui permet (parfois) d’amorcer un véritable dialogue, tandis que les critiques externes aboutissent trop souvent à un dialogue de sourds où chacun campe sur ses propres principes.

L’argument de « l’interférence minimale »

L’universitaire américain Hugo Adam Bedau (1926-2012) reste assez peu connu, à ce jour, dans le monde francophone, mais il est pourtant le philosophe abolitionniste ayant consacré le plus de travaux à la peine de mort. Il est l’auteur d’une somme considérable d’articles et d’ouvrages non traduits en français, à l’exception notable de son intervention intitulée « L’argument d’interférence minimale contre la peine capitale », qui expose précisément l’argument abolitionniste le plus convaincant à ses yeux. Ce dernier repose sur un certain nombre de principes et de présupposés qui, selon lui, devraient pouvoir faire l’objet d’un très large consensus parmi les citoyens des démocraties libérales modernes. Sa démarche peut à bon droit rappeler celle de John Rawls, en ce qu’il s’efforce d’en appeler aux convictions partagées des citoyens des sociétés démocratiques. Autrement dit, il s’agit de rester « métaphysiquement à la surface[lxxvi] », c’est-à-dire d’éviter les prémisses trop controversées sur le plan philosophique.

L’argumentaire de Bedau repose sur cinq prémisses et une conclusion qu’il nous faut traduire[lxxvii] et citer dans le même ordre que lui :

  1. Le principe : toute atteinte de la part du gouvernement à la liberté, à l’autonomie et à la sphère privée des individus (ou à toute autre valeur fondamentale) n’est justifiée que s’il n’existe aucune autre pratique moins intrusive permettant d’atteindre un but social déterminé.
  2. Par conséquent, une peine n’est justifiée que si elle s’avère nécessaire en tant que moyen d’atteindre un but socialement légitime.
  3. La peine de mort est plus sévère – plus intrusive – qu’une longue peine d’emprisonnement.
  4. Pour atteindre certains buts socialement légitimes, une longue peine de prison constitue une atteinte suffisante de la liberté individuelle, de la sphère privée et de l’autonomie (et d’autres valeurs fondamentales).
  5. Ainsi, chaque fois qu’une pratique moins intrusive est disponible, la société devrait abolir toute pratique légale conduisant à une atteinte plus grave envers la liberté, l’autonomie et la sphère privée des individus (ou toute autre valeur fondamentale).
  6. En conclusion : la société doit abolir la peine de mort.

La première prémisse formule, au niveau le plus général, le principe d’ « invasion » minimale lui-même qui, selon Bedau, devrait être accepté par tous ceux qui se méfient d’un pouvoir excessif de l’État, ce qui est le cas aux États-Unis, tant chez les libéraux que chez les conservateurs. Puis la seconde prémisse transpose le principe général au niveau plus particulier de la justice pénale, dont le but social légitime est le respect des lois. Bedau s’inscrit ainsi dans la lignée du courant de philosophie pénale connu sous le nom de « minimalisme pénal », défendu notamment par Joel Feinberg. L’idée en est fort simple : la pratique pénale n’est justifiée que parce qu’il n’existe aucun autre moyen aussi efficace (du moins à ce jour) de maximiser le respect des lois. Elle a pour corollaire l’exigence de toujours privilégier la sanction pénale qui, à efficacité égale, comporte l’« invasion » ou l’atteinte la moins grave à l’encontre de la liberté des individus. S’en suivent deux autres prémisses d’ordre factuel que peu d’entre nous, désormais, contestent, y compris parmi les partisans de la peine de mort. Les deux dernières propositions sont à nouveau normatives et concluent au caractère illégitime de la peine de mort.

Une peine excessivement cruelle

On sait que le VIIIe Amendement de la Constitution des États-Unis interdit le recours aux peines particulièrement cruelles (l’expression américaine, si difficile à traduire et à interpréter, étant « cruel and unusual punishments »). Il introduit donc une limite morale à ce qu’il est permis de faire, même au nom de la sécurité publique. Il signifie concrètement que le recours à certaines peines est exclu en raison de leur excessive cruauté, indépendamment de la question de savoir si elles ont un effet dissuasif ou non. C’est une manière d’encadrer la logique utilitariste, en lui assignant une contrainte morale, de sorte que tout ne soit pas permis au nom de l’utilisé sociale. Il n’est donc pas étonnant que certains abolitionnistes se soient efforcés de montrer que la peine de mort, par sa nature même, appartenait à cette catégorie des peines cruelles et inhumaines.

Pour savoir si la peine capitale relève des peines « cruelles », il est nécessaire de s’accorder au préalable sur une définition de la cruauté, ce qui malheureusement ne va nullement de soi. Par exemple dans une perspective strictement utilitariste, une peine peut être dite « cruelle » dans la mesure où elle inutilement sévère, c’est-à-dire qu’elle dépasse le seuil de sévérité nécessaire pour obtenir les effets escomptés d’une politique pénale utilitariste : diminuer effectivement le taux de délinquance et de criminalité. Mais si l’on s’en tient à la version hédoniste classique de l’utilitarisme, celui de Jeremy Bentham en particulier, est-on certain que la peine de mort puisse être qualifiée d’intrinsèquement cruelle ? Si le bien et le mal sont toujours réductibles à une certaine forme de plaisir ou de souffrance, alors la peine de mort ne s’apparente-t-elle pas davantage à une privation de toute sensation qu’à l’infliction d’un mal ? C’est en ce sens que le philosophe utilitariste suédois Torbjörn Tännsjö conteste que cette peine soit en elle-même cruelle et inhumaine[lxxviii]. S’il était possible de faire mourir le condamné à mort sans le faire souffrir, la peine capitale ne s’apparenterait-elle pas alors à une forme d’euthanasie ? C’est la raison pour laquelle, il importe de poser à nouveaux frais la question de la cruauté si l’on veut pouvoir s’opposer à la peine de mort pour ce motif.

C’est précisément ce qu’a entrepris Hugo Adam Bedau (que nous avons évoqué précédemment à propos de « l’argument d’interférence minimale »). Le philosophe commence par envisager une première définition de la cruauté inspirée, dit-il, de certains auteurs français du XVIIIe siècle s’étant opposés aux cruautés de leur temps, et formulée par Judith Shklar en ces termes : « l’infliction volontaire d’une douleur physique sur un être plus faible, afin de susciter chez lui l’angoisse et la peur[lxxix] ». Mais en dépit de son caractère intuitivement séduisant, cette définition ne s’appliquerait pas à la peine de mort en tant que telle, mais uniquement à certaines manières de l’administrer particulièrement douloureuses, telles que la crucifixion ou le démembrement. Dès lors que la mort serait infligée de façon relativement non douloureuse, toute cruauté disparaîtrait. Et de fait, la peine de mort en tant que telle n’implique pas nécessairement la volonté de faire souffrir le condamné, pas plus que celle d’engendrer chez lui de l’angoisse ou de la peur, mais « simplement » l’intention de le faire mourir. De sorte que cette définition de la cruauté donnerait finalement raison aux partisans de la peine de mort qui ne la jugent pas intrinsèquement cruelle. C’est d’ailleurs pour cette raison que la Cour suprême des États-Unis a toujours soutenu, jusqu’à présent, que la peine de mort n’était pas en soi contraire au VIIIe Amendement de la Constitution, qui interdit les peines excessivement cruelles, et que seules le sont certaines façons de l’administrer (voir l’arrêt Furman versus Georgia de 1972).

Cependant, une autre conception de la cruauté est possible, qui ne compte pas la douleur parmi ses propriétés essentielles et nécessaires. Bedau se tourne alors vers une définition qu’il juge plus pénétrante, proposée par Philip Hallie dans son ouvrage Cruelty : « la subordination, la soumission à une puissance supérieure dont la volonté devient la loi de la victime[lxxx] ».  Tandis que Hallie lui-même ne se prononce pas sur la question de savoir si sa définition de la cruauté s’applique à la peine de mort, Bedau entreprend de montrer que tel est effectivement le cas. Car quelle que soit la façon de l’administrer, nous retrouvons systématiquement l’opposition entre « l’activité totale » de ceux qui la mettent en œuvre d’une part, et la « passivité totale » de ceux qui la subissent. Ainsi, tout comme la torture, la peine de mort implique une forme de dépendance totale d’un individu à l’égard d’un ou plusieurs autres, exerçant sur lui un pouvoir total.

Le symbole de l’abolition universelle et inconditionnelle

Ce dernier argument en faveur de l’abolition s’inscrit au fond dans la lignée du précédent. Il consiste à souligner ce que pourrait symboliser pour nous tous l’abolition universelle et inconditionnelle de la peine de mort : la valorisation de la vie (et non pas de la mort, de la destruction), le refus de s’abaisser moralement en imitant les actes atroces que nous réprouvons.

Cet argument semble trouver son meilleur fondement dans ce que l’on appelle en philosophie pénale la « fonction expressive de la peine », bien mise en évidence par Joel Feinberg dans son article « The Expressive Function of Punishment ». Feinberg soulignait que « les peines ont […] une certaine fonction expressive : toute peine est un moyen conventionnel permettant d’exprimer des attitudes de ressentiment et d’indignation, ainsi que des jugements de désapprobation et de réprobation, soit de la part de l’autorité en charge de punir soit de ceux “au nom desquels” la peine est infligée[lxxxi] ». Cela étant dit, il est possible de prolonger l’analyse de Feinberg en estimant que cette dimension expressive se situe non seulement dans le fait de punir l’acte ayant suscité l’indignation, mais aussi dans le choix de la peine. Autrement dit, le type de peine retenu n’est pas indifférent au « message » que l’on souhaite véhiculer au terme d’un procès. Condamner à mort les meurtriers, n’est-ce pas tout simplement s’autoriser un acte que nous prétendons réprouver ? N’y a-t-il pas de meilleure façon d’exprimer notre réprobation du meurtre que de nous abstenir d’exécuter, de la façon la plus préméditée qui soit, les auteurs de tels actes ?

Notons que cet argument est peut-être le seul à plaider, in fine, pour la non-condamnation à mort des pires criminels, à savoir les auteurs d’actes terroristes, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. À ce stade, nous reconnaissons en effet sans difficulté que les autres théories de la peine (en particulier le rétributivisme et l’utilitarisme) ne conduiraient pas nécessairement à rejeter la peine capitale dans le cas des criminels de masse et des terroristes. Dès lors que l’on fait entrer la notion de « mérite » dans la justification, qui oserait prétendre avec certitude qu’Adolf Eichmann ne méritait pas la mort ? L’ampleur inouïe de ses crimes ne rend-elle pas dérisoire toute considération sur le caractère relatif de sa responsabilité ? De même pour le « droit à la vie » : qui oserait affirmer que l’ampleur des crimes commis par un individu n’a absolument aucune incidence sur son « droit de vivre » ? Imagine-t-on un instant Adolf Eichmann faisant la leçon à ses juges et faisant valoir son droit à la vie ? Reconnaissons que cette façon de justifier l’abolition uniquement du point du vue du « droit à la vie » de ce type de criminels a quelque chose d’embarrassant, pour ne pas dire d’indécent. Non seulement cet argument ne va nullement de soi, mais il n’a à peu près aucune chance de convaincre les partisans de la peine de mort. Quant aux arguments de type conséquentialiste, il n’est pas certain non plus qu’ils soient de nature à justifier l’abolition pour ce type de criminels. On peut certes douter que la peine de mort puisse dissuader quiconque de commettre des crimes de masse. Mais dans le cadre d’un calcul utilitariste, il suffirait qu’une telle probabilité ne soit pas nulle pour qu’elle suffise à justifier un usage exceptionnel de la peine de mort, étant donné l’ampleur des conséquences négatives à redouter en cas de passage à l’acte.

Dans ces conditions, faut-il considérer l’abolition inconditionnelle comme une forme d’exigence excessive ? Est-ce le symptôme d’une philanthropie démesurée, comme le pensait déjà John Stuart Mill[lxxxii] ? Récemment, le philosophe André Comte-Sponville estimait que l’opposition à la peine de mort ne devrait pas être universelle, mais simplement générale, de façon à pouvoir appliquer cette peine aux seuls criminels contre l’humanité[lxxxiii]. Comte-Sponville écrit :

Tant pis pour le politiquement correct : on ne me fera pas donner tort au Tribunal de Nuremberg, qui condamna à mort une douzaine de dignitaires nazis, tous coupables de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité ! Je regrette même, pour tout dire, qu’on n’en ait pas pendu ou fusillé davantage, comme je regrette que Franco, Staline ou Pinochet soient morts dans leur lit.[lxxxiv]

Dans cet extrait, nous voyons affleurer une justification « rétributiviste » de la peine de mort, car ce qui nous est ainsi suggéré, c’est que ces criminels « s’en sortent trop bien » ou n’obtiennent pas ce qu’ils « méritent », dès lors qu’ils échappent à la peine capitale. Mais nous avons déjà eu l’occasion de faire remarquer que certains abolitionnistes concèdent ce point, ou du moins se gardent bien d’affirmer que les criminels contre l’humanité ne méritent pas la mort. Ils estiment en revanche que la question n’est pas pour autant réglée, dès lors que l’on peut faire prévaloir d’autres considérations plaidant en faveur de l’abolition universelle. Par ailleurs, non sans humour, Comte-Sponville souligne (à juste titre selon nous) qu’il est tout à fait possible d’envisager des raisons conséquentialistes d’exécuter les criminels contre l’humanité :

Imaginons qu’Hitler ne soit pas mort en 1945. Vous l’imaginez, dans les années 1950, installé tranquillement en prison (car les prisonniers ont le droit d’être tranquilles), écrivant ses mémoires ou le tome 2 de Mein Kampf, faisant du prosélytisme auprès de ses codétenus, voire auprès de ses gardiens, soutenant l’extrême droite européenne, en attendant peut-être qu’un commando ou un coup d’État le libère ? C’est un risque que l’on ne voulut pas prendre concernant Göring, et l’on fit bien.[lxxxv]

C’est précisément la raison pour laquelle les partisans d’une abolition « simple, pure et définitive » (comme l’appelait de ses vœux Victor Hugo[lxxxvi]), seraient bien avisés de mettre au premier plan la fonction expressive et symbolique du refus de la peine de mort en toutes circonstances. Face à l’inhumain et aux atrocités, il est certes tentant de céder à notre tour à la pulsion de mort et de répondre au meurtre par le meurtre. Mais il se pourrait que la question de la peine de mort nous interroge en dernier lieu sur le type de justice que nous souhaitons. Voulons-nous que la justice donne la mort en notre nom ? Ou bien ne convient-il pas au contraire de rompre avec cette logique mimétique, par laquelle nous risquons finalement de ressembler, même un tant soit peu, à ces criminels qui se sont octroyés le droit de décider qui méritait de vivre ? En ce sens, il conviendrait alors de rejeter avec la plus grande fermeté ces propos d’Hannah Arendt justifiant la pendaison d’Adolf Eichmann :

Et parce que vous avez soutenu et exécuté une politique qui consistait à refuser de partager la terre avec le peuple juif et les peuples d'un certain nombre d'autres nations – comme si vous et vos supérieurs aviez le droit de décider qui doit et ne doit pas habiter cette planète - nous estimons que personne, qu'aucun être humain, ne peut avoir envie de partager cette planète avec vous. C'est pour cette raison, et pour cette raison seule, que vous devez être pendu.[lxxxvii]

Il y a là à nos yeux une inconséquence manifeste à déplorer d’une part que des assassin aient pu s’octroyer le pouvoir inouï de décider qui est en droit de vivre sur terre, et de justifier d’autre part la condamnation à mort d’un de ces assassins simplement en vertu du fait que l’on n’a pas « envie de partager cette planète » avec lui. La question, en vérité, n’est pas celle de savoir avec qui nous désirons partager ou non la planète. Ce raisonnement repose sur une conception très confuse du rôle de l’institution judiciaire, dont la finalité n’est absolument pas d’éliminer les personnes avec qui l’on ne souhaite pas vivre. Par ailleurs, comment ne pas voir que ce raisonnement d’Arendt, loin de rompre avec le mode de penser inhumain que l’on prétend dénoncer, consiste à en poursuivre la logique, quitte à la retourner contre ceux qui l’ont instituée à une très grande échelle ? N'est-ce pas au contraire l'honneur d'une justice véritablement humaine que de refuser toute compromission avec le mode de penser le plus propice à la barbarie ? Emmanuel Kant, nous l’avons vu, estimait qu’un peuple qui ne condamnait pas à mort un assassin, se rendait en quelque sorte « complice » de son crime. Mais d’un point de vue abolitionniste, cet argument est réversible : c’est précisément en refusant de condamner à mort les assassins que nous manifestons notre véritable réprobation à l’égard du meurtre en général et que nous évitons à notre tour de devenir des assassins, fût-ce par procuration.

Conclusion

Au terme de ce parcours nous ayant permis d’envisager les principaux arguments mobilisés dans le débat sur la peine de mort, il nous semble possible de tirer quelques enseignements sur la nature même de cette controverse philosophique.

Tout d’abord, aussi irritant que cela puisse être parfois (notamment pour un abolitionniste convaincu), on ne saurait affirmer avec arrogance que « la raison » est par nature abolitionniste, tandis que les partisans de la peine de mort seraient tout entier du côté de la passion, de la vengeance et de la déraison. Ne nous en déplaise, la raison est capable, sur cette question comme sur tant d’autres sujets éthiques (l’euthanasie, le suicide, la gestation pour autrui…), de produire différents discours tout aussi cohérents les uns que les autres, mais s’appuyant sur des prémisses différentes et aboutissant par conséquent à des conclusions opposées. Cela ne doit pas nécessairement nourrir le relativisme et le scepticisme, mais nous inviter à une certaine modestie en reconnaissant que nos raisonnements en la matière sont des argumentations, et non pas des démonstrations. Nous y voyons en outre une raison de ne pas refuser le débat, mais au contraire de faire entendre ses raisons, de sorte que chacun se prononce en connaissance de cause.

Par ailleurs, il nous semble que le débat n’est pas resté tout à fait statique depuis l’époque des Lumières et qu’il ne se pose plus tout à fait dans les mêmes termes qu’autrefois. Autant il est compréhensible que les discussions se soient longtemps focalisées sur la question de savoir si la peine de mort était véritablement dissuasive, autant cet aspect du débat est devenu finalement moins central aujourd’hui. En effet, nous savons à présent qu’il est impossible d’établir la moindre relation de causalité entre la présence (ou l’absence) de la peine de mort et le taux de criminalité sanglante d’une société. De sorte que le débat a gagné en clarté, au sens où les partisans de la peine capitale ne se réfèrent plus guère à la valeur dissuasive de la peine de mort, mais assument davantage la véritable raison qui les a (depuis toujours ?) conduit à souhaiter la mort des criminels : le désir rétributiviste de leur infliger la peine qu’ils « méritent ». Il y a donc quelque chose de vain et presque d’anachronique aujourd’hui à insister sur le caractère non dissuasif de la peine de mort, en espérant convaincre un de ses partisans de changer d’avis. Cette question factuelle est en effet réglée, mais elle ne nous dit pas le fin mot de l’histoire, à moins de s’arc-bouter sur une philosophie strictement utilitariste, sans jamais prendre en compte la dimension proprement rétributiviste qui explique la popularité de la peine de mort, notamment aux États-Unis d’Amérique. Ainsi, si l’on souhaite éviter le dialogue de sourds entre les deux « camps », mieux vaudrait, d’un point de vue abolitionniste, se concentrer sur les arguments de nature à déconstruire le lien trop souvent tenu pour évident entre la philosophie pénale rétributiviste d’une part, et la peine de mort d’autre part.

 

Bibliographie

Sources primaires

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Benoit Basse
Université de Reims Champagne-Ardenne

 

[i] J.-J. Rousseau, Du contrat social, II, 5, Paris, éd. GF-Glammarion, 1992, p. 60.

[ii] C. Beccaria, Des délits et des peines, trad. Maurice Chevallier, Paris, GF-Flammarion, 1991, p. 126.

[iii] Plus récemment, Claire Finkelstein a proposé une nouvelle version de l’argument contractualiste contre la peine de mort (voir « A Contractarian Argument Against the Death Penalty », 2006). Mais outre son caractère très spéculatif (c’est-à-dire fortement éloigné des raisons que mentionnerait un abolitionniste convaincu), son argumentaire nous semble prêter le flanc à la même critique que celui de Beccaria, à savoir que le contractualisme ne permet pas de conclure nécessairement à l’illégitimité de la peine de mort. En outre, il s’agirait dans le meilleur des cas d’un argument prudentiel, qui ne rend pas compte de la réprobation morale qu’expriment les abolitionistes.

[iv] C. Beccaria, ibid., p. 129.

[v] C’est ce qu’affirmera explicitement Jeremy Bentham : « L’objectif général que toutes les lois ont ou doivent avoir en commun est d’augmenter le bonheur total de la communauté […]. Mais toute punition est un dommage, toute punition est en elle-même un mal. Selon le principe d’utilité, si on doit l’admettre, ce ne doit être que dans la mesure où elle promet d’éviter un mal plus grand. » (Introduction aux principes de morale et de législation, trad. Centre Bentham, Paris, Vrin, 2011, p. 193).

[vi] C. Beccaria, ibid., p. 126.

[vii] Pour une analyse détaillée de la position de Bentham sur la peine de mort, nous nous permettons de renvoyer au chapitre III de notre ouvrage, De la peine de mort en philosophie. Quel fondement pour l’abolition ? (Paris, L’Harmattan, 2016, p. 89-135).

[viii] C. Beccaria, ibid., p. 128.

[ix] C. Beccaria, ibid.

[x] J.S. Mill, « Plaidoyer en faveur de la peine de mort », nous soulignons, trad. Benoît Basse, Revue d’études benthamiennes, n°12, 2013. URL :  https://doi.org/10.4000/etudes-benthamiennes.697

[xi] Cf. H. Bedau, Bedau, H.A., Death Is Different. Studies in the Morality, Law, and Politics of Capital Punishment, Boston, Northeastern University Press, 1987, p. 28 ; J. Derrida, Séminaire – La peine de mort, Volume I (1999-2000), Paris, éd. Galilée, 2012, p. 141-142 ; J. Derrida, Séminaire – La peine de mort, Volume II (2000-2001), Paris, éd. Galilée, 2015, p. 82 ; B. Basse, De la peine de mort en philosophie. Quel fondement pour l’abolition ?, op. cit., p. 228-231.

[xii] C. Beccaria, ibid., p.      (nous soulignons).

[xiii] Cf. H. Bedau, Killing as Punishment. Reflections on the Death Penalty in America, Boston, Northeastern University Press, 2004, p. 77.

[xiv] C. Beccaria, ibid., p. 132.

[xv] C. Beccaria, ibid., p. 133-134.

[xvi] C’est ce que souligne notamment Ernest van den Haag. Voir Punishing Criminals. Concerning a Very Old and Painful Question, New York, University Press of America, 1991, p. 223.

[xvii] Voir J. M. Shepherd, « Deterrence versus Brutalization : Capital Punishment’s Differing Impacts among States », Michigan Law Review, vol. 104, n° 2, 2005.

[xviii] C. Beccaria, ibid., p. 133.

[xix] E. van den Haag, Punishing Criminals, op. cit., p. 223, nous traduisons.

[xx] E. van den Haag, ibid. Cette même critique se retrouve d’ailleurs chez l’abolitionniste H.A. Bedau (Killing as Punishment. Reflections on the Death Penalty in America, Boston, Northeastern University Press, 2004, p. 77).

[xxi] Voltaire, Commentaire sur le livre Des délités et des peines, par un avocat de province, 1966. Le texte intégral est disponible en ligne. URL : https://athena.unige.ch/athena/voltaire/voltaire-commentaire-sur-le-livre-des-delits-et-des-peines.html

[xxii] Disons simplement qu’à la question « pourquoi punir ? », il n’est pas évident que Kant ait apporté une réponse strictement « rétributivisite », comme on le croit ordinairement, faut de prendre en compte les passages du corpus kantien où le philosophe justifie la pratique de la peine de façon conséquentialiste.

[xxiii] E. Kant, Métaphysique des mœurs II. Doctrine du droit. Doctrine de la vertu, trad. A. Renaut, Paris, GF-Flammarion, 1994, p. 153.

[xxiv] E. Lévinas, « La loi du talion », in Difficile liberté, [1963], Paris, Le livre de poche, 1976, p. 207-210.

[xxv] E. Kant, ibid., p. 154.

[xxvi] E. Kant, ibid., p. p. 154-155.

[xxvii] Voir J. Locke, Traité du gouvernement civil, trad. David Mazel, Paris, Garnier-Flammarion, 1992.

[xxviii] Voir B. Basse, op. cit., p. 37-54.

[xxix] E. Kant, ibid., p. 153.

[xxx] E. van den Haag, “In Defense of the Death Penalty: A Practical and Moral Analysis”, in H.A.Bedau (éd.), The Death Penalty in America, 3ème éd., Oxford, Oxford University Press, 1982, p. 332.

[xxxi] Voir M. Conche, Le fondement de la morale, chap. XII, XXIX et XXX, Paris, PUF, « Perspectives critiques », 1993.

[xxxii] V. Hugo, Actes et paroles I – Avant l’exil, « La peine de mort. Discours à l’Assemblée constituante », in Écrits sur la peine de mort, Paris, Acte Sud, 1979, p. 69, nous soulignons.

[xxxiii] R. Badinter, Contre la peine de mort, Paris, Fayard, 2006, p. 280.

[xxxiv] Jonathan Glover, un des pionniers de l’éthique appliquée, critiqua cette « doctrine de la vie sacrée » dans son ouvrage de 1977, traduit en français sous le titre Questions de vie ou de mort (trad. B. Basse, Genève, Labor et fides, 2017). Cette critique fut reprise notamment par l’utilitariste australien Peter Singer en 1979, dans son ouvrage connu en français sous le titre Questions d’éthique appliquée (Paris, Bayard, 1997).

[xxxv] Voir J.H. Reiman, “Justice, Civilization, and the Death Penalty: Answering van den Haag”, Philosophy & Public Affairs, Vol. 14, n°2, Printemps 1985.

[xxxvi] J.S. Mill, op. cit., § 8.

[xxxvii] E. van den Haag, Punishing Criminals, op. cit., p. 208-210.

[xxxviii] Ibid., p. 209.

[xxxix] Ibid., p. 211.

[xl] Voir M. Foucault, Naissance de la biopolitique. Cours au Collège de France 1978-1979, Paris, Seuil, coll. « Hautes Études », 2004.

[xli] Ibid., p. 214-215.

[xlii] Extrait de Report of the Royal Commission on Capital Punishment, cité par J. Glover dans Questions de vie ou de mort, trad. Benoît Basse, Genève, Labor et Fides, 2017, p. 267.

[xliii] W. Berns, « The Morality of Anger », in H.A.Bedau, The Death Penalty in America, 3ème éd. Oxford, Oxford University Press, 1982, p. 333, nous traduisons.

[xliv] Ibid., p. 334.

[xlv] Ibid, p. 335.

[xlvi] S. Nathanson, An Eye For An Eye?, Rowman & Littlefield Publishers, Inc., 2001, p. 135.

[xlvii] M.H. Kramer, The Ethics of Capital Punishment. A Philosophical Investigation of Evil and Its Consequences, New York, Oxford University Press, 2011, p. 2.

[xlviii] J. Finnis, « Retribution : Punishment’s Formative Aim », 1999 ; cité par M.T. Kramer, op. cit., p. 116, nous traduisons.

[xlix] Deutéronome, XIII, 5, cité par M.T. Kramer, op. cit., p. 14 (traduction française de Louis Segond).

[l] M.T. Kramer, ibid., p. 14.

[li] Nous avons-nous-mêmes attiré l’attention sur cet étrange passage de la Doctrine du droit de Kant qui, il est vrai, continue de nous apparaître bien peu compatible avec une approche moderne et rationnelle de la pratique pénale.  Voir B. Basse, De la peine de mort en philosophie, op. cit., p. 85-88. Pour une autre interprétation conséquentialiste de ce passage, voir J. Cottingham, « Varieties of Retribution », The Philosophical Quarterly, Vol. 29, n° 116, 1979, p. 243.

[lii] E. Kant, Métaphysique des moeurs II, Doctrine du droit, trad. A. Renaut, Paris, GF Flammarion, 1994, p. 155.

[liii] M.H. Kramer, ibid., p. 15, nous traduisons.

[liv] Voir notamment S. Freud, Totem et tabou, 1917 ; T. Reik, « Le point de vue de Freud sur la peine de mort », in Le besoin d’avouer. Psychanalyse du crime et du châtiment, Payot, 1973, p. 399-401.

[lv] Voir à ce sujet l’article très influent de Jonathan Bennett, « Whatever the consequences ? », Analysis, Vol. 26, n° 3, p. 83-102. S’il est vrai que l’opposition entre « déontologistes » et « conséquentialiste » structure largement les débats éthiques et méta-éthiques en philosophie morale contemporaine, notons toutefois que les points de vue les plus radicaux sont aussi les plus marginaux. En vérité, on ne trouve guère de philosophes disposés à défendre une morale déontologique si rigoriste qu’elle se désintéresserait des conséquences de nos décisions en termes de bien-être pour les autres.

[lvi] J.F. Stephen, “Capital Punishment”, Fraser’s Magazine, 1864, cite par J. Glover, Questions de vie ou de mort, op. cit., p. 275.

[lvii] J. Glover, Questions de vie ou de mort, op. cit., p. 276.

[lviii] J. Bentham, Théorie des peines et des récompenses in Œuvres de Jérémie Bentham, édition Dumont, tome second, Société Belge de Librairie, Bruxelles, 3e édition, 1840, p. 69.

[lix] H.L.A. Hart, “Murder and the Principles of Punishment”, in Punishment and Responsibility, p. 71.

[lx] Pour une excellente synthèse des études menées sur le caractère plus ou moins dissuasif de la peine de mort, voir L.R. Klein, B. Forst et V. Filatov, « The Deterrent Effect of Capital Punishment : An Assessment of the Evidence » [1978], réédité dans H.A. Bedau, The Death Penalty in America, Third Edition, Oxford, Oxford University Press, 1982, p. 138-159.

[lxi] J. Glover, Questions de vie ou de mort, op. cit., p. 274.

[lxii] D. A. Conway, “Capital Punishment and Deterrence”, Philosophy and Public Affairs, Vol. 3, n° 4, 1974.

[lxiii] J. Glover, op. cit., p. 277.

[lxiv] J. Glover, op. cit., p. 278, nous soulignons.

[lxv] J.S. Mill, ibid., §15.

[lxvi] J.S. Mill, ibid., § 17.

[lxvii] J.S. Mill, De la liberté, p. 

[lxviii] H. Bedau, M.Radelet, C. Putnam, In Spite of Innocence: Erroneous Convictions in Capital Cases,

[lxix] C.L. Black, Capital Punishment: The Inevitability of Caprice and Mistake, New York, W.W. Nortan & Company, Inc, 1974, p. 18, nous traduisons.

[lxx] Voir E. van den Haag, Punishing Criminals, op. cit., p. 220-221.

[lxxi] A. Camus, Réflexions sur la guillotine, p. 147.

[lxxii] Ibid., p. 151.

[lxxiii] A. Koestler, « Réflexions sur la potence », in A. Camus et A. Koestler, Réflexions sur la peine capitale, op. cit., p. 93.

[lxxiv] Ibid., p. 159-160.

[lxxv] R. Badinter, op. cit., p. 225.

[lxxvi] Voir J. Rawls, « La théorie de la justice comme équité : une théorie politique et non pas métaphysique », in Justice et démocratie, Paris, Seuil, coll. « Points essais », p. 203-241.

[lxxvii] La traduction actuellement disponible, publiée par la Revue philosophique de Louvain en 2003, comporte des choix de traduction qui ne nous paraissent pas toujours judicieux, raison pour laquelle nous avons préféré retraduire ce passage.

[lxxviii] Voir T. Tännsjö, “Capital Punishment, in B. Bradley, F. Feldman, J. Johansson (éd.), The Oxford Handbook of Philosophy of Death, Oxford, Oxford University Press, 2012.

[lxxix] J.N. Shklar, “Putting Cruelty First”, dans son ouvrage Ordinary Vices, Cambridge, Harvard University Press, 1984, p. 8.

[lxxx] Philip. P. Hallie, Cruelty, 1982, p. 34.

[lxxxi] J. Feinberg, “The Expressive Function of Punishment”, repris in J. Feinberg, Doing and Deserving. Essays in the Theory of Responsibility, Princeton, Princeton University Press, 1970, p. 98, nous traduisons.

[lxxxii] J.S. Mill, op. cit., § 3.

[lxxxiii] Je remercie André Comte-Sponville de m’avoir précisé quelle était sa position en la matière. L’argument expressiviste que je présente ici peut être considéré comme une tentative de réponse à ses objections à l’encontre d’un abolitionnisme universel.

[lxxxiv] A. Comte-Sponville, Article « Peine de mort », in Dictionnaire philosophique, 3ème édition, Paris, PUF, 2021.

[lxxxv] Ibid.

[lxxxvi] V. Hugo, Actes et paroles I – Avant l’exil, « La peine de mort. Discours à l’Assemblée constituante », in Ecrits sur la peine de mort, op. cit., p. 71

[lxxxvii] H. Arendt, Eichmann à Jérusalem [1963], trad. Anne Guérin, Paris, Gallimard, Coll. "folio", p. 448.