Composition matérielle (A)

Comment citer ?

Taillard, Antoine (2022), «Composition matérielle (A)», dans Maxime Kristanek (dir.), l'Encyclopédie philosophique, consulté le ..., https://encyclo-philo.fr/

Une des questions parmi les plus importantes et les plus discutées en métaphysique est la question ontologique : qu’est-ce qui existe ? Dans la littérature contemporaine, une approche populaire consiste à étudier cette question par le biais de la question spéciale de la composition : à quelles conditions des choses composent-elles quelque chose ? À première vue au moins, répondre à la question spéciale permet de progresser sur la question ontologique. Par exemple, s’il s’avère que des choses ne composent jamais rien, il semble qu’il y a beaucoup moins de choses qu’on le pense habituellement. En particulier, l’univers ne contient pas d’objets composés tels que des chaises, des statues ou des chats. À l’inverse, s’il s’avère que n’importe quelles choses composent quelque chose, l’univers semble beaucoup plus peuplé qu’il n’y parait. Il y a non seulement des chaises, des statues et des chats, mais aussi des choses qui sont des composées de chaises, de statues et de chats.

La question spéciale elle-même est discutée depuis moins d’un demi-siècle. Cependant, la composition matérielle a une longue histoire dans la métaphysique occidentale. Deux textes sont particulièrement pertinents pour le débat contemporain. Premièrement, Aristote (Métaphysique, livre Δ) a inspiré certaines réponses contemporaines à la question spéciale (voir section 6). Deuxièmement, Leibniz (Lettre à Arnauld du 28 novembre – 6 décembre 1686) expose des thèses et des arguments très proches de ceux qui sont aujourd’hui discutés dans la littérature.

La présente entrée est une introduction aux débats contemporains autour de la question spéciale de la composition. Elle a pour but de donner au lecteur les outils nécessaires pour s’orienter dans la vaste littérature sur le sujet. L’examen de la question spéciale est ici largement restreint au cas des objets matériels. En effet, quoique la question spéciale puisse en principe être posée à propos d’entités de différents genres (évènements, états de choses, groupes sociaux, etc.), l’attention des philosophes s’est en pratique surtout concentrée sur les entités matérielles.

La section 1 présente la théorie formelle des parties et des touts sur laquelle se basent les débats contemporains autour de la composition. La section 2 est une brève discussion de la logique plurielle, sous-jacente dans ces débats. La maitrise des concepts présentés dans ces deux sections est cruciale pour un traitement philosophique compétent de la composition. La section 3 donne plus de détails sur la question spéciale de la composition. Finalement, les sections 4 à 6 passent en revue diverses réponses représentatives à cette question.

 

 

Le cadre mathématique : la méréologie

L’expression « la méréologie » a trois acceptions au moins (Lando, 2017, sect. 0.2). Premièrement, elle peut désigner l’étude métaphysique de la relation entre parties et touts. Dans ce sens, la méréologie est une discipline philosophique, comme le sont l’épistémologie des modalités et l’axiologie, par exemple. Deuxièmement, « la méréologie » peut désigner une collection de théories formelles qui partagent certaines définitions et certains axiomes. Dans ce sens, la méréologie est semblable à une branche des mathématiques, comme la topologie ou la théorie des ensembles. Finalement, « la méréologie » désigne parfois une théorie formelle en particulier parmi celles qui viennent d’être mentionnées : la méréologie extensionnelle classique (CEM, pour classical extensional mereology). Cette théorie a d’abord été proposée par Leśniewski (1916, 1927–1931), quoiqu’elle soit anticipée par Brentano (1933/1985) et Husserl (1913/2010). Elle est popularisée dans la philosophie anglo-saxonne par Leonard et Goodman (1940) et Simons (1987).

C’est de méréologie dans ce troisième sens qu’il est question ici. En effet, les débats contemporains sur la composition matérielle sont typiquement construits avec la CEM en arrière-plan et font fréquemment référence à cette théorie. Pour cette raison, il est utile d’en présenter les bases de manière informelle. Les personnes intéressées par une introduction plus complète et formelle sont renvoyées à l’entrée Méréologie de la présente encyclopédie.

La présentation de la CEM dans cette section utilise la relation de partie propre comme primitive et suit ainsi grossièrement la stratégie adoptée par Leśniewski (1916), Tarski (1929) et Simons (1987), populaire dans la littérature contemporaine. Il convient de garder à l’esprit qu’il existe d’autres axiomatisations de la théorie.

La relation primitive (car non définie) et fondamentale (car utilisée pour définir les autres notions) de la théorie est la relation de partie propre. Simons (1987, p. 10) qualifie cette relation de basique dans notre schéma conceptuel et l’introduit au moyen des exemples suivants :

Tout

Partie propre

un homme

sa tête

un arbre

son tronc

une maison

son toit

une montagne

son sommet

une bataille

son coup d’envoi

une vie d’insecte

son stade larvaire

un roman

son premier chapitre

Comme ces exemples le suggèrent, la relation de partie propre correspond grossièrement à ce qui est exprimé dans la langue courante par le prédicat « …est une partie de… ».

Étant donné la relation de partie propre, la relation de partie est définie comme suit :

D1. Une chose x est une partie d’une chose y ssi x est une partie propre de y ou x est identique à y.

Deux remarques terminologiques sont de mise. Premièrement, étant donné cette définition, il arrive qu’un prédicat « …est une partie impropre de… » soit introduit pour exprimer l’identité. Ainsi, dans cet usage, « x est une partie impropre de y » est synonyme de « x est identique à y » et « x est une partie propre ou impropre de y » est synonyme de « x est une partie de y ». À noter que dans cet usage « …est une partie impropre de… » n’exprime pas la relation définie par D1.

Deuxièmement, dans le langage ordinaire, le prédicat « …est une partie de… » exprime plus volontiers la relation de partie propre que la relation définie en D1. Autrement dit, « …est une partie de… » est ambigu : dans son sens commun, le prédicat exprime la relation de partie propre, mais dans son sens technique il exprime la relation définie en D1. Lorsque ce prédicat est utilisé dans les débats sur la composition matérielle, il est parfois difficile de déterminer s’il a son sens technique ou son sens ordinaire. Quoique cette ambigüité soit généralement sans conséquence, il est bon que le lecteur qui souhaite s’engager dans ces débats garde ce point en tête. Dans ce qui suit, « …est une partie de… » est systématiquement utilisé dans son sens technique et exprime ainsi la relation définie en D1 plutôt que la relation de partie propre.

À ce point, on peut définir la relation de chevauchement (overlap) :

D2. Une chose x chevauche une chose y ssi quelque chose est à la fois une partie de x et une partie de y.

Autrement dit, x chevauche y ssi x et y ont au moins une partie en commun. On dit aussi que x est disjoint de y ssi x ne chevauche pas y.

Finalement, la composition méréologique est introduite comme suit :

D3. Des choses xs composent une chose y ssi (i) chacune des xs est une partie de y et (ii) si une chose z est une partie de y, z chevauche au moins une des xs.

Dans ce cas, on dit de y qu’elle est une fusion (ou somme méréologique) des xs.

La condition (i) garantit que y a au minimum chacune des xs comme partie. La condition (ii) garantit que chacune des parties de y est liée à une des xs par la relation de partie. Pour faire une analogie spatiale : la condition (i) définit les limites extérieures de la chose composée et la condition (ii) s’assure que les composants remplissent complètement l’espace à l’intérieur de ces limites.

 

Fig. 1

 

Fig. 2

Il est parfois utile de schématiser le fait qu’un objet est une partie propre d’un autre. Une manière naturelle d’implémenter un tel schéma est de représenter les objets par des rectangles, de telle sorte que l’un de ces rectangles contienne l’autre, comme sur la Fig. 1. Les relations de partie propre entre objets peuvent aussi être modélisées au moyen d’un graphe orienté, comme sur la Fig. 2. Ici, les nœuds représentent les objets. L’existence d’un chemin entre deux nœuds indique que l’objet représenté par le nœud de départ est une partie propre de l’objet représenté par le nœud d’arrivée. Les représentations qui utilisent des graphes orientés s’interprètent peut-être moins naturellement que celles qui utilisent des rectangles. En revanche, elles sont généralement plus pratiques et plus expressives, et sont ainsi bien plus répandues dans la littérature.

L’exemple suivant illustre les notions introduites jusqu’ici. Les figures ci-dessus représentent la même situation, dans laquelle six objets, a, b, c, d, e et f, sont tels que

  • a, b et c n’ont pas de parties propres. De tels objets sont appelés des simples ou des atomes méréologiques.
  • a et b sont des parties propres de d.
  • b et c sont des parties propres de e.
  • a, b, c, d et e sont des parties propres de f.

En appliquant les définitions ci-dessus, il est facile de vérifier que dans cette situation, a, b et c composent f. En effet, puisque chacun des objets a, b et c est une partie propre de f, il est aussi une partie de f. Ainsi, la condition (i) est satisfaite. En outre, chacune des parties de f (c’est-à-dire chacun des six objets) a au moins une partie en commun avec a, b ou c, de telle sorte que la condition (ii) est elle aussi satisfaite. Sur la Fig. 1, le fait que f est une fusion de a, b et c est représenté par (i) le fait que les rectangles a, b et c sont contenus à l’intérieur du rectangle f et (ii) le fait qu’ils recouvrent complètement la surface de ce rectangle lorsqu’ils sont considérés ensemble. De même, a et b composent d, d et e composent f, a et e composent f, a, b, c et d composent f, a et f composent f, etc.

En revanche, a et e ne composent pas d. En effet, e n’est pas une partie de d, de telle sorte que la condition (i) n’est pas satisfaite. Sur la Fig. 1 : e n’est pas contenu à l’intérieur de d. Sur la Fig. 2 : il n’y a pas de chemin qui mène de e à d. De même, a et c ne composent pas f (ni aucun autre objet). En effet, b est une partie de f mais ne chevauche ni a, ni c, de sorte que la condition (ii) n’est pas satisfaite. Sur la Fig. 1 : a et c ne couvrent pas complètement f.

La base de la CEM est formée des trois définitions D1-D3 ci-dessus, auxquelles viennent s’ajouter les cinq axiomes suivants :

Pour toute chose x, y, z

A1. Irréflexivité. Si x est une partie propre de y, x est différente de y.

A2. Asymétrie. Si x est une partie propre de y, alors y n’est pas une partie propre de x.

A3. Transitivité. Si x est une partie propre de y et y est une partie propre de z, x est une partie propre de z.

A4. Supplémentation faible. Si x est une partie propre de y, il y a quelque chose qui est une partie propre de y et qui ne chevauche pas x.

A5. Composition non restreinte. S’il y a des choses, elles composent quelque chose.

 

Fig. 3

Ces axiomes se divisent en trois groupes. Les axiomes A1-A3 sont les axiomes d’ordre. Pris ensemble, ils reviennent à affirmer que la relation de partie propre est un ordre partiel strict. Ainsi, ils excluent des situations telles que celles représentées par la Fig. 3.

 

Fig. 4

 

 

A4 est un axiome de décomposition : il donne les conditions que doit satisfaire un objet qui a une partie propre. En l’occurrence, A4 affirme que si un objet a une partie propre (s’il n’est pas un atome méréologique), il a aussi une autre partie propre disjointe de la première. Ainsi, A4 exclut des situations telles que celles représentées par la Fig. 4. Graphiquement, A4 garantit qu’un nœud puisse être rejoint par deux chemins entièrement distincts (sauf dans le cas où le nœud représente un atome, c’est-à-dire qu’il ne peut être rejoint par aucun chemin). 

 

 

Fig. 5

 

Finalement, A5 est un axiome de composition : il donne les conditions que doivent satisfaire des objets pour en composer un. En l’occurrence, A5 ne pose aucune contrainte sur la composition. L’existence d’objets — peu importe leur nature et les relations qu’ils entretiennent entre eux — suffit à garantir qu’il existe une fusion de ces objets. Une conséquence de cet axiome est qu’il exclut des situations comme celle donnée en exemple ci-dessus et représentée par les Figs. 1 et 2. En effet, dans cet exemple, les objets a et c ne composent rien, ce qui falsifie A5. En revanche, étant donné trois atomes a, b et c, A5 permet une configuration telle que celle représentée par la Fig. 5. 

 

La présentation de ces axiomes appelle plusieurs commentaires. Premièrement, A1 et A2 sont impliqués par A3 et A4. Pour voir cela, supposez que la relation de partie propre n’est pas asymétrique. Donc, pour quelque objet a et quelque objet b, a est une partie propre de b et b est une partie propre de a. Par transitivité (A3), il suit que a est une partie propre de a. Donc, par supplémentation faible (A4), il y a une partie propre de a qui ne chevauche pas a. Mais cela est impossible. Contradiction. Donc, la relation de partie propre est asymétrique, autrement dit, A2 est vrai. Et puisque toute relation asymétrique est aussi irréflexive, A1 est également vrai. Ainsi, A1 et A2 sont redondants étant donné A3 et A4.

Deuxièmement, ces cinq axiomes impliquent le principe suivant :

T1. Unicité de la composition. Pour toutes choses xs et toute chose y, z, si y est une fusion des xs et z est une fusion des xs, alors y est identique à z.

Autrement dit, les mêmes choses ne composent jamais deux choses. Deux fusions n’ont jamais les mêmes composants. Pour voir cela, considérez un objet arbitraire a et ses parties xs. (Les xs incluent donc a et les éventuelles parties propres de a.) Clairement, les xs composent a. En outre, il suit de A5 que les xs composent un objet b.

Pour réduction à l’absurde, supposez maintenant que a n’est pas identique à b. Puisque a est un des xs et que les xs composent b, il suit de la condition (i) de D3 que a est une partie de b. Il suit alors de notre supposition que ab et de D1 que a est une partie propre de b. Donc, par A4, b a une partie propre qui ne chevauche pas a. Appelez cette partie c. Clairement, c ne chevauche pas un des xs. Si c’était le cas, il y aurait une chose d telle que d est à la fois une partie de c et une partie d’un des xs. Mais puisque par hypothèse chacun des xs est une partie de a, il suivrait de A3 que d est une partie de a, de telle sorte que a chevaucherait c, ce qui est impossible. Mais cela signifie qu’il y a une partie de b qui ne chevauche pas un des xs. Donc, par la condition (ii) de D3, les xs ne composent pas b. Contradiction.

Une conséquence immédiate de T1 est le principe suivant :

T2. Extensionalité. Pour toute chose y, z, si y et z ont exactement les mêmes parties propres, y est identique à z.

Pour voir cela, supposez qu’une chose y et une chose z aient exactement les mêmes parties propres xs. Clairement, les parties propres d’une chose composent cette chose. Donc, y est une fusion des xs et z est une fusion des xs, c’est-à-dire, par T1, y est identique à z.

T2 établit une analogie entre les choses composées et les ensembles mathématiques. En effet, une caractéristique cruciale des ensembles (elle aussi appelée extensionalité) est qu’un ensemble A est identique à un ensemble B si (et seulement si) A et B ont exactement les mêmes membres. C’est précisément parce que T2 est un théorème de la méréologie classique que celle-ci est dite extensionnelle.

Troisièmement, comme mentionné au début de cette section, il existe d’autres axiomatisations de la CEM. Par exemple, Leonard et Goodman (1940) et Goodman (1951, sect. II.4) donnent une axiomatisation basée respectivement sur la relation de disjonction (disjointness) et la relation de chevauchement. Plusieurs axiomatisations utilisent la relation de partie comme primitive (Leśniewski, 1927–1931 ; Tarski, 1937 ; Eberle, 1970, sect. 2.9 ; Cotnoir & Varzi, 2021, sect. 2.1). Outre la différence dans le choix de la relation primitive, ces textes mobilisent des définitions et des axiomes légèrement différents de ceux donnés ici. En particulier, il est fréquent d’axiomatiser la CEM avec seulement la transitivité de la partie propre (A3), l’unicité de la composition (T1) et la composition non restreinte (A5) (par exemple Lewis, 1991, chap. 3 ; Koslicki, 2008, chap. I ; Lando, 2017). Pour les personnes intéressées, Cotnoir & Varzi (2021, sect. 2.4) contient une discussion détaillée et accessible des interactions entre ces différents systèmes.

Le cadre logique : les pluriels

Dans la section précédente, la CEM a été présentée en utilisant des expressions comme « a, b et c », « les composants », « il y a des choses » et « pour toutes choses ». Les expressions de ce genre prennent une place importante dans les débats sur la composition matérielle. Il convient ainsi d’en dire un mot.

Dans le contexte de la présente discussion, une expression plurielle — ou plus simplement, un pluriel — est une expression qui fait référence à plusieurs choses. Étant donné D3, les phrases qui affirment que des choses particulières en composent une contiennent un pluriel : la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg composent le Benelux, les briques composent le mur, l’ilot est composé de toutes les maisons rouges, etc. Ce point appelle plusieurs commentaires.

Tout d’abord, il faut noter que la notion de pluriel pertinente ici est une notion sémantique et non grammaticale (Cotnoir, 2013, sect. 1). Parfois, une expression singulière d’un point de vue grammatical est utilisée pour dénoter plusieurs objets. Par exemple, « la majorité silencieuse » peut être utilisée pour dénoter les individus membres de cette majorité, plutôt que la majorité (une entité abstraite) elle-même. Dans ce cas, l’expression tombe sous le coup de la présente discussion. À l’inverse, certaines expressions sont grammaticalement plurielles mais sémantiquement singulières. Par exemple, « les Pays-Bas » est une expression grammaticalement plurielle mais qui dénote typiquement un unique pays. 

Analyser les pluriels utilisés pour exprimer la composition présente un défi. Que signifie précisément une phrase comme « les briques composent le mur », où le prédicat « …composent… » est saturé à gauche par un pluriel ? Plus particulièrement : en quoi l’interprétation d’un prédicat saturé par un pluriel diffère-t-elle du cas bien connu où un prédicat est saturé seulement par des expressions singulières, comme dans « la brique est une partie du mur » ? Et comment interpréter des phrases qui contiennent de la quantification plurielle, comme « certaines choses composent le mur » ou « toutes choses composent quelque chose » ?

Dans certains cas, un pluriel peut être remplacé par une expression de la forme « chaque chose telle que φ» où φ est une phrase qui contient un pronom se rapportant à « chose ». Ainsi, « les enfants courent dans le champ » devient « chaque chose telle qu’elle est un enfant court dans le champ » ou plus simplement « chaque enfant court dans le champ ». De même, « Mars et Vénus sont des planètes » est équivalente à « chaque chose telle qu’elle est identique à Mars ou elle est identique à Vénus est une planète », qui est elle-même équivalente à « Mars est une planète et Vénus est une planète ».

Cependant, il arrive souvent qu’un pluriel ne puisse pas être éliminé de cette manière. En particulier, ce procédé ne fonctionne pas lorsque le pluriel est utilisé pour exprimer la composition. Clairement, la phrase « a et b composent c » n’est pas équivalente à « a compose c et b compose c ».

Plutôt « a et b composent c » s’analyse « (i) a est une partie de c et b est une partie de c et (ii) si une chose est une partie de c, elle chevauche a ou elle chevauche b ». De même, « les briques composent le mur » s’analyse « (i) chaque brique est une partie du mur et (ii) si une chose est une partie du mur, elle chevauche une brique ». Plus généralement, « χ composent y » s’analyse « (i) chaque chose telle que φ est une partie de y et (ii) si une chose z est une partie de y, z chevauche une chose telle que φ », où χ est un pluriel et φ identifie les choses dénotées par χ. Puisque ni (i) ni (ii) ne contient de pluriels, leur interprétation ne pose pas de difficulté particulière.

Cette approche a cependant une limitation importante : elle est incapable de rendre compte de la quantification plurielle. Par exemple, considérez « certaines choses composent d ». Si cette phrase est utilisée pour décrire la situation représentée par la Fig. 2, son sens est parfaitement clair et la phrase est vraie. Pourtant, elle échappe à l’analyse proposée ci-dessus. En effet, selon cette analyse, la phrase est équivalente à une phrase de la forme « chaque chose telle que φ … ». Mais par quoi remplacer φ ici ? Aucune réponse n’est satisfaisante, car toute réponse ajoutera une information qui n’est pas présente dans la phrase originale. Par exemple, φ ne peut pas être remplacée par « elle est identique à a ou elle est identique à b ». La phrase originale n’implique pas que a est une partie de d, pas plus que « quelqu’un a marché sur la Lune » n’implique « Armstrong a marché sur la Lune ». Plus généralement, le problème avec « certaines choses composent d » est qu’elle ne contient pas d’expression plurielle qui dénote des objets particuliers. En d’autres termes, elle ne dit rien qui permet d’identifier les choses qui composent d.

Une manière d’éviter cette difficulté est de bannir la quantification plurielle de la théorie en remplaçant D3 par

D3*. Chaque chose telle que φ compose une chose y ssi (i) chaque chose telle que φ est une partie de y et (ii) si une chose z est une partie de y, z chevauche une chose telle que φ.

À noter que cette modification requiert elle-même de remplacer A5 par

A5*. S’il y a au moins une chose telle que φ, une chose est composée par chaque chose telle que φ.

Cette nouvelle définition de la composition permet de s’assurer que les composants sont toujours identifiables. Ainsi, la théorie peut être formulée dans un langage qui ne contient ni pluriels ni quantification plurielle, de sorte que l’interprétation des phrases de ce langage ne pose pas de difficulté particulière. Plus précisément, une fois les pluriels éliminés, la théorie peut facilement être formulée dans un langage de la logique classique du premier ordre et ainsi bénéficier d’une sémantique standard, bien connue et bien développée.

Néanmoins, la CEM rencontre plusieurs limitations lorsqu’elle est formulée dans un langage de la logique classique du premier ordre (voir par ex. Cotnoir & Varzi, 2021, chap. 6.1). Pour passer outre ces limitations, il est aujourd’hui typique de formuler la CEM — et les débats sur la composition matérielle — dans un langage qui accepte les pluriels sans chercher à les éliminer. Cette approche est renforcée par le développement fructueux (depuis Boolos, 1984, 1985) d’une logique plurielle de premier ordre.

Dans ce cadre, les pluriels sont interprétés au pied de la lettre : « les briques » réfèrent simplement aux briques, c’est-à-dire à plusieurs choses, et non à une entité singulière comme un groupe ou un ensemble de choses. En outre, aucune tentative n’est faite pour éliminer par paraphrase les expressions de la forme « il y a des choses telles que … est l’une d’entre elles ». Au contraire, ces expressions ne sont pas analysées. Elles peuvent ainsi être immédiatement utilisées pour interpréter « il y a des choses telles que chacune d’entre elles est une partie de d et tout ce qui chevauche d est l’une d’entre elles », c’est-à-dire pour interpréter « certaines choses composent d ». Pour le lecteur intéressé, Florio & Linnebo (2021, chap. 7) propose une discussion détaillée et accessible de la sémantique des pluriels esquissée ici.

Le cadre métaphysique : la question spéciale

Le plus célèbre des débats autour de la composition matérielle est celui qui émerge de la question suivante :

À quelles conditions des choses composent-elles quelque chose ?

Cette question est connue comme la question spéciale de la composition (Special Composition Question), abrégée QSC. Le label comme la question ont été popularisés par van Inwagen (1990/2019, voir aussi 1987), un texte influent et qui reste pertinent dans le débat contemporain.

Les discussions de la QSC portent parfois sur des entités telles que les évènements (Savellos, 2000) ou les états de choses (McDaniel, 2009). Cependant, la plupart du temps, elles se limitent aux cas de composition matérielle, c’est-à-dire au cas où le composé et les composants sont des entités matérielles. Cette remarque soulève immédiatement la question suivante : quelles sont les entités matérielles ? Cette question n’est pas sans intérêt, mais il n’est pas nécessaire de la traiter pour répondre à la QSC. Il suffit de noter qu’il existe des exemples paradigmatiques et non controversés d’entités matérielles. En particulier, la littérature s’accorde sur le fait que si les chaises, les statues et les chats existent, ce sont des entités matérielles dans le sens pertinent ici. (À l’inverse, les nombres, les universaux platoniciens et les personnages de fiction sont des cas paradigmatiques d’entités non matérielles.) Il y a bien sûr de nombreux cas controversés. Une molécule d’or est-elle une entité matérielle ? Qu’en est-il d’un atome, d’un neutron ou d’un fermion ? D’un système solaire ? D’une galaxie ? D’un nuage ? D’un programme informatique ? Mais si le but est de proposer une réponse à la QSC, on peut, dans un premier temps au moins, ignorer ces questions et se contenter d’une solution qui fonctionne dans les cas paradigmatiques.

Il convient de bien distinguer la QSC de plusieurs autres questions similaires à propos de la composition matérielle.

D’abord, la QSC doit être distinguée de la question « quelle est la nature de la composition ? ». Cette dernière est surnommée la question générale de la composition (van Inwagen, 1990/2019, chap. IV). Elle demande une définition en termes non méréologiques de la composition. Cette question a été largement négligée. En effet, il est largement admis que la relation de partie propre (ou n’importe quelle autre notion qui peut être utilisée comme primitive dans une théorie méréologique) ne peut être analysée en termes non méréologiques, de sorte que la question générale n’a pas de réponse (mais voir Hawley, 2006 ; Yablo, 2016).

Ensuite, la QSC doit être distinguée des Special Special Composition Questions (Bennett, 2017), c’est-à-dire des questions de la forme « à quelles conditions des choses composent-elles un K ? » où « K » est le nom d’un genre (kind) de choses. Par exemple, on peut donner une réponse à la QSC sans pour autant être capable de répondre à la question « à quelle condition des choses composent-elles un être vivant ? ». Plus généralement, donner une réponse à la QSC ne requiert pas de dire quoique ce soit sur l’appartenance d’une chose composée à un genre ou à un autre.

Bien sûr, cela ne signifie pas que les Special Special Composition Questions n’ont pas de réponses ou ne sont pas intéressantes. En fait, il est parfois maintenu que pour progresser sur la QSC, il faut passer par les Special Special Composition Questions (Sanford, 1993; Thomasson, 2007, chap. 7; Koslicki, 2008, p. 196‑198). En effet, même si on se restreint aux paradigmes d’entités matérielles, les cas de composition auxquels la QSC s’intéresse sont extrêmement divers. Cela compromet la possibilité d’une réponse non disjonctive à la QSC. En effet, on peut douter qu’il existe un unique ensemble de conditions satisfait à la fois par les briques qui composent un mur et les organes qui composent un chat. (Et ce doute se renforce encore si l’on adopte une conception plus libérale des entités matérielles, par exemple si l’on admet que les atomes et les molécules sont des entités matérielles.)

Finalement, la QSC doit être distinguée de la question ontologique « qu’est-ce qui existe ? » Bien sûr, les deux questions sont étroitement liées. En particulier, proposer une réponse à la QSC permet de progresser sur la question ontologique. Par exemple, si l’on pense comme l’universaliste (section 4) que l’existence de quelques objets xs suffit à garantir l’existence d’un objet composé par les xs, il semble qu’il existe beaucoup plus d’objets que ce qui est habituellement admis. Il y a non seulement des chats et des chaises, mais il y a aussi des objets (pour lesquels le français n’a pas de mot) qui sont des composés de chats et de chaises. À l’inverse, si l’on pense comme le nihiliste (section 5) que la composition ne se produit sous aucune condition, alors il semble qu’il existe beaucoup moins d’objets que ce qui est habituellement admis. Non seulement il n’existe pas d’objets qui sont des composés de chats et de chaises, mais il n’existe pas non plus de chats ni de chaises (du moins, pas si l’on accepte que les chats et les chaises sont des objets composés s’ils existent).

La proximité de la QSC avec la question ontologique est source de difficultés. La question ontologique est parfois regardée avec méfiance (par ex. Carnap, 1950). De même, la QSC est elle aussi parfois perçue comme suspecte. Le débat sur la composition matérielle est vu comme une dispute purement verbale, une dispute dans laquelle les participants sont en accord sur les faits, mais en désaccord sur la sémantique (Hirsch, 2002, 2005). Il a aussi été suggéré qu’il n’y a pas de faits à propos de l’existence de tel ou tel objet composé, de sorte que le débat sur la composition matérielle est factuellement vide (Balaguer, 2018). Quoique ces positions soient intéressantes et importantes, une discussion détaillée de celles-ci nous emmènerait sur le territoire de la métaontologie et nous éloignerait trop du sujet de la présente entrée. Dans ce qui suit, il est simplement présupposé que la QSC admet une réponse et que le débat autour de cette question n’est pas purement verbal.

Afin de s’orienter dans la vaste littérature sur le sujet, il est utile de savoir classer les différentes réponses à la QSC. Suivant van Inwagen (1990/2019, p. 74) une réponse est dite modérée si elle restreint en partie, mais pas complètement, la composition. À l’inverse, une réponse est dite extrême si elle restreint complètement la composition ou si elle ne la restreint pas du tout. Ainsi, les réponses à la QSC peuvent se placer le long d’un spectre dont les extrémités sont le nihilisme (dans sa forme classique) et l’universalisme.

La proximité de la QSC à la question ontologique permet d’enrichir cette classification. Suivant Korman (2015, chap. 1), une réponse à la QSC est conservatrice si elle implique que les objets matériels sont en gros ceux dont on pense communément qu’ils existent. C’est-à-dire, une réponse est conservatrice si elle suppose qu’il existe des statues, des chaises et des chats, mais pas d’objets qui sont des composés de statues, de chaises et de chats. Les réponses conservatrices s’opposent à la fois aux réponses permissives et aux réponses éliminativistes. Une réponse est permissive si elle admet bien plus d’objets que ceux ordinairement admis. Une réponse permissive radicale est l’universalisme. À l’inverse, une réponse est éliminativiste si elle nie l’existence de très nombreux objets ordinaires. Une réponse éliminativiste radicale est le nihilisme. Les sections suivantes présentent de manière plus détaillée quelques-unes de ces réponses à la QS. 

L'universalisme

À la question « à quelles conditions des choses xs composent-elles quelque chose ? », l’universaliste méréologique répond « aucune condition n’est nécessaire ; à elle seule, l’existence des xs suffit à garantir l’existence d’une chose composée par les xs » (par ex. Heller, 1990, sect. 2.9; Lewis, 1991 ; Sider, 2001, sect. 4.9 ; van Cleve, 2008). Plus précisément, la réponse de l’universalisme méréologique à la QSC est la thèse suivante.

Universalisme. S’il y a des choses, elles composent quelque chose.

Autrement dit, l’universaliste embrasse A5, l’axiome de composition non restreinte. Plus généralement, l’universaliste accepte typiquement la totalité de la CEM. En effet, si l’universaliste peut à proprement parler accepter A5 tout en rejetant un des autres axiomes, il n’y a guère de raisons d’adopter une telle stratégie. Contrairement à la composition non restreinte qui apparait immédiatement comme problématique, les axiomes d’ordre et la supplémentation faible ne soulèvent pas de difficultés particulières. En fait, cette façon de présenter les choses est même trop faible. Les axiomes d’ordre au moins sont traditionnellement considérés comme évidemment vrais. Par exemple, Simons (1987, p. 11) affirme que ces axiomes sont constitutifs du sens même de « partie ».

Un argument classique en faveur de l’universalisme est l’argument du vague. Si la composition est restreinte, cette restriction se base sur un critère vague. Certes, dans de nombreux cas, un opposant à l’universalisme n’aura pas de mal à décider si la composition doit être restreinte ou pas. Par exemple, il est raisonnable d’accepter que les chats et les chaises sont des objets composés et de nier qu’il y a des composés de chats et de chaises. Cependant, certains cas ne sont pas aussi clairs. Considérez par exemple une table et des bancs assortis. Y a-t-il un objet composé de la table et des bancs, comme l’assortiment ou le set de la table et des bancs ? Et qu’en est-il si la table et les bancs ne peuvent être physiquement séparés, par exemple s’ils ont été taillés d’une pièce dans le même bloc de bois ?

Les séries sorites illustrent la situation plus clairement encore. Sans doute un partisan de la composition restreinte acceptera qu’un million de grains de sable les uns sur les autres composent un tas, quoique deux grains côte à côte ne composent rien. Mais cela suggère immédiatement la question suivante : combien de grains faut-il pour faire un tas ? Où se trouve la limite ? Selon l’universaliste, cette dernière question n’admet pas de réponse précise. L’existence d’une limite précise entre ce qui est un tas et ce qui n’en est pas un ne serait rien de moins qu’un miracle. S’il y a une telle limite — si la composition est restreinte —, cette limite ne peut être que vague.

Mais ici, l’opposant à l’universalisme est en difficulté. En effet, si la restriction de la composition se base sur un critère vague, alors ce qui est un objet composé et ce qui ne l’est pas est également vague. Or, pour beaucoup, un tel vague est suspect :

si la composition obéit à une restriction vague, que la composition ait lieu ou pas est une question qui doit parfois rester dans le vague. Or c’est impossible. […] Le vague c’est l’indécision sémantique. Mais notre langage n’est pas intégralement vague. […] La question de savoir si la composition a lieu dans un cas donné, si une classe donnée a ou n’a pas une somme méréologique, peut être déterminée dans une partie du langage qui n’est nullement vague. Par conséquent, elle ne peut recevoir de réponse vague : il y a une chose qui est ou n’est pas cette somme. (Lewis, 1986/2007, p. 324‑325)

Ainsi, puisque la composition restreinte nous force à admettre un vague inadmissible quant à ce qui est composé, il convient de rejeter la composition restreinte et d’adopter plutôt l’universalisme. Voici le cœur de l’argument, en forme standard.

  1. S’il y a des choses qui composent quelque chose et des choses qui ne composent rien, il y a du vague quant à ce qui est composé.
  2. Il n’y a pas de vague quant à ce qui est composé.
  3. Donc, ce n’est pas le cas qu’il y a des choses qui composent quelque chose et des choses qui ne composent rien.

À partir de (3) et de l’affirmation qu’il y a des choses qui composent quelque chose, l’universaliste conclut qu’il n’est pas le cas que certaines choses ne composent rien, c’est-à-dire que toutes choses composent quelque chose.

Un autre argument en faveur de l’universalisme méréologique est l’argument de l’arbitraire. Cet argument note que le partisan de la composition restreinte nie arbitrairement l’existence de certains objets. Par exemple, le partisan de la composition restreinte rejette typiquement l’existence de voitures-dehors (outcars), c’est-à-dire d’objets composés dont les parties sont les parties d’une voiture qui sont à l’extérieur d’un garage (de telle sorte que lorsqu’une voiture entre progressivement dans un garage, la voiture-dehors qui lui correspond rétrécit, jusqu’à disparaitre complètement.) À première vue, il semble raisonnable de rejeter les voitures-dehors. Admettre l’existence de tels objets est hautement contre-intuitif, voire complètement ridicule. Pourtant, le partisan de la composition restreinte accepte typiquement l’existence d’îles, des objets composés dont les parties sont les parties d’une masse de terre qui sont à l’extérieur d’une masse d’eau (de telle sorte que lorsqu’une masse de terre est progressivement submergée, l’île qui lui correspond rétrécit, jusqu’à disparaitre complètement). Lorsque les choses sont présentées de cette manière, il apparait injustifié d’accepter l’existence des îles tout en rejetant l’existence des voitures-dehors. Mieux vaut accepter à la fois les îles et les voitures-dehors et éviter ainsi de postuler une délimitation arbitraire (Hawthorne, 2006, p. vii).

Cet argument se généralise. Le sens commun accepte l’existence d’objets qui sont composés mais qui n’ont pas d’unité, tels que des tas d’objets hétérogènes. Dès lors, pourquoi ne pas accepter aussi l’existence des objets composés sans unité postulés par l’universaliste, comme l’objet composé de Mars, du Taj Mahal et du mètre étalon ?

J’accepte volontiers la composition universelle au motif que (i) il y a des tas (et des piles, des amas et d’autres individus sans unité intégrale), et (ii) les composés arbitraires ne sont pas moins unifiés que les tas — en effet, tout composé arbitraire peut être considéré comme un tas. (Schaffer, 2009, n. 11, traduction personelle)

Voici, en forme standard, le cœur de l’argument de l’arbitraire.

  1. S’il y a des choses qui composent quelque chose et des choses qui ne composent rien, alors il y a une distinction arbitraire quant à ce qui existe.
  2. Il n’y a pas de distinction arbitraire quant à ce qui existe.
  3. Donc, ce n’est pas le cas qu’il y a des choses qui composent quelque chose et des choses qui ne composent rien.

À partir de cette conclusion et de l’affirmation que certaines choses au moins composent quelque chose, l’universaliste conclut que ce n’est pas le cas que certaines choses ne composent rien.

L’argument du vague et l’argument de l’arbitraire font plus que montrer les avantages de l’universalisme. Ils cherchent aussi à anticiper une objection évidente à cette thèse : admettre la composition non restreinte, c’est devoir admettre une ontologie contre-intuitive et hors de tout sens commun. Cette objection se décline en diverses versions, plus ou moins sophistiquées.

Dans sa version la plus simple et la plus directe, cette objection remarque que quiconque admet l’universalisme doit aussi admettre l’existence de choses extravagantes. Par exemple, l’universaliste est engagé envers l’existence d’une chose qui est la fusion de Mars, du Taj Mahal et du mètre étalon. Mais intuitivement, une telle chose n’existe pas. Elle n’a aucune place dans notre schème conceptuel, ce que suggère le fait que cette chose n’est nommée par aucun nom dans aucune langue.

Des versions plus sophistiquées de l’objection soulèvent des conséquences désagréables du principe de composition non restreinte lorsque celui-ci est joint aux axiomes A1-A4. Il a été prouvé ci-dessus que le principe d’extensionalité T2 « si y et z ont exactement les mêmes parties propres, y est identique à z » est un théorème de la CEM. Mais ce principe est incompatible avec certaines de nos intuitions.

Par exemple, il semble que les mêmes briques qui composent un objet y (un mur, disons) à un certain instant peuvent composer un objet z différent (une cheminée, disons) à un autre instant (van Inwagen, 1990/2019, p. 87‑94). Ici, la littérature sur la composition matérielle rejoint celle sur l’identité à travers le temps (par ex. Ferret, 1996). On peut néanmoins trouver des cas similaires qui ne font pas appel à l’identité à travers le temps. Il semble que les mêmes morceaux d’argile composent à la fois un bloc d’argile et la statue constituée par ce bloc. Mais il y a de bonnes raisons de penser que la statue n’est pas identique au bloc d’argile. Autrement dit, la relation de constitution entre la statue et le bloc n’est pas la relation d’identité. Par exemple, le bloc, mais pas la statue, pourrait avoir la forme d’une sphère (Bennett, 2004, p. 339). Si nos intuitions sont correctes et que de tels cas sont effectivement possibles, il faut rejeter T2. Mais cela implique d’abandonner un des axiomes A1-A5. Et il semble ici que la meilleure solution est d’abandonner A5 et l’universalisme.

Une autre conséquence désagréable de la CEM sur le plan ontologique est qu’elle force à admettre exactement 2n-1 objets, où n est le nombre d’atomes. Par exemple, le simple fait d’admettre la CEM suffit à garantir qu’il n’existe pas exactement deux objets. Mais cette limitation est une violation du principe intuitivement plausible que pour n’importe quel entier naturel k, il est possible qu’il existe exactement k objets (Comesaña, 2008).

Bien sûr, pour que ces observations se transforment en objections, il faut en outre maintenir que le sens commun ou les intuitions sont des guides fiables en matière d’ontologie — une thèse que l’universaliste n’a nul besoin d’admettre. Par exemple, les partisans de l’universalisme acceptent typiquement une théorie de la persistance selon laquelle un objet ne peut pas changer ses parties propres, c’est-à-dire une théorie qui exclut des cas tels que ceux falsifiant T2, décrits ci-dessus.

Mais l’ontologie de l’universaliste n’est pas seulement jugée problématique en raison de son aspect contre-intuitif. À première vue au moins, elle semble aussi extrêmement abondante. Pour toutes choses xs, l’universaliste doit admettre qu’il y a une chose composée des xs. Cela conduit tout droit à une véritable explosion ontologique et va ainsi à l’encontre du principe de parcimonie ontologique connu sous le nom de rasoir d’Ockham : ne multiplie pas les entités sans nécessité !

L’universaliste a néanmoins un espoir de se tirer de ce mauvais pas. Le principe de composition non restreinte dit que pour toutes choses xs, les xs composent quelque chose ; mais cela n’implique pas que pour toutes choses xs, les xs composent quelque chose d’autre. Ainsi, l’universaliste peut essayer de maintenir que les xs sont identiques à ce qu’ils composent. Si c’est le cas, la composition est « ontologiquement innocente » (Lewis, 1991, p. 81) : admettre l’existence de la fusion des xs ne requiert pas d’ajouter quelque chose à notre ontologie. Cette thèse s’appelle la composition comme identité (CAI, pour composition as identity) et se formule comme suit :

CAI. Si des choses xs composent une chose y, les xs sont identiques à y.

Il faut noter que si l’universalisme méréologique est une position naturelle pour le partisan de CAI, les deux thèses sont indépendantes. En fait, CAI ne semble présupposer aucune position particulière sur la QSC – mais voir Calosi (2016, 2018) et Loss (2018) pour une défense de l’affirmation selon laquelle CAI implique le nihilisme méréologique.

Une difficulté immédiate pour le partisan de CAI est de faire sens de l’expression « les xs sont identiques à y ». L’identité — la relation normalement exprimée en français par les prédicats « …est identique à… », « …est numériquement identique à… » ou « … = … » — est définie comme la plus petite relation d’équivalence sur le domaine universel. C’est-à-dire, si {a, b, c, …} est l’ensemble de toutes les choses, la relation d’identité est l’ensemble des paires ordonnées {[a,a], [b,b], [c,c], …}. Ainsi, la phrase « Hesperus est identique à Phosphorus » signifie que la paire ordonnée constituée de l’objet nommé « Hesperus » et de l’objet nommé « Phosphorus » est un membre de cet ensemble. Cependant, il est clair qu’une expression de la forme « les xs sont identiques à y » échappe à cette analyse. En effet, « les xs » ne nomment pas une chose, mais plusieurs. Ainsi, il semble que le partisan de CAI n’a d’autre choix que d’admettre une autre relation d’identité : une relation qui associe plusieurs objets à un seul, plutôt qu’une relation qui tient entre objets singuliers.

Mais quelle est exactement cette relation d’identité que doit admettre le partisan de CAI ? Et comment déterminer si les composants entretiennent effectivement cette relation avec ce qu’ils composent ? Une condition minimale largement acceptée dans la littérature est que cette relation doit respecter une version du principe d’indiscernabilité des identiques (aussi connu sous le nom de Loi de Leibniz) :

Indiscernabilité. Si les xs sont identiques à y, tout ce qui est vrai des xs est vrai de y et inversement.

Mais si le partisan de CAI accepte ce principe, il s’expose à des difficultés importantes. Pour commencer, CAI entre en conflit avec nos intuitions quant aux conditions de persistance des objets ordinaires. Supposez qu’un mur soit composé de briques. Intuitivement, les briques n’ont pas les mêmes conditions de persistance que le mur lui-même. Si les briques étaient éparpillées ou utilisées pour construire une cheminée, elles existeraient encore, mais le mur serait annihilé. Dans ce cas, on a une claire violation de l’indiscernabilité des identiques. Ici, une solution pour le partisan de CAI est de rejeter la supposition initiale selon laquelle le mur est composé des briques. Par exemple, il peut maintenir que le mur n’existe pas ou que le mur a une partie qui ne chevauche aucune des briques. Mais outre son caractère apparemment ad hoc, cette réponse, ne fait que déplacer le problème. On sauve les intuitions à propos des conditions de persistance au prix des intuitions à propos de l’existence ou de la composition des objets ordinaires.

Les difficultés soulevées par CAI en lien avec le nombre d’objets dans une situation donnée sont peut-être plus inquiétantes encore. En effet, les composants sont plusieurs mais l’objet composé est un. Mais il semble qu’on a ici une autre violation évidente de l’indiscernabilité des identiques (McKay, 2006, p. 37 ; voir Bohn, 2009, p. 5‑8 pour une réponse).

Finalement, avec l’aide de quelques autres principes complètement apparemment anodins, CAI et l’indiscernabilité des identiques impliquent :

Effondrement. Une chose z est une partie de la chose y composée par les xs ssi z est l’une des xs.

Mais ce principe est hautement problématique. Considérez un mur composé de briques. Considérez en outre un atome qui est une partie propre d’une des briques. Cet atome est une partie du mur, mais il n’est évidemment pas une des briques, ce qui falsifie Effondrement (Sider, 2007, p. 57‑58, 2014).

Ces difficultés ne sont peut-être pas fatales à CAI, mais elles sont en tout cas un défi important pour le partisan de cette thèse. Face à celles-ci, une réaction naturelle est d’abandonner CAI pour la thèse plus modérée que la composition est analogue à l’identité (Lewis, 1991, p. 85‑87). Une autre solution est de supprimer la condition selon laquelle la relation d’identité admise par le partisan de CAI doit satisfaire l’indiscernabilité des identiques (Baxter, 1988a, 1988b). Cependant, dans ces deux cas, on peut douter que la thèse reste suffisamment forte pour faire le travail que veut lui confier l’universaliste, à savoir admettre l’existence d’un objet composé sans pour autant ajouter un objet à l’ontologie. Pour le lecteur intéressé, Wallace (2011a, 2011b) et Cotnoir (2014) proposent une vue d’ensemble de la littérature sur le sujet.

Le nihilisme

À la question « à quelles conditions des choses xs composent-elles quelque chose ? », le nihiliste méréologique répond « aucune condition n’est suffisante ; des choses ne composent jamais quelque chose » (par ex. Dorr, 2002 ; Rosen & Dorr, 2002 ; Sider, 2013). Plus précisément :

Nihilisme. Il n’y a pas de choses composées.

Autrement dit, toute chose est un atome méréologique.

L’argument du vague présenté à la section précédente peut facilement être adapté en un argument pour le nihilisme méréologique. L’argument fonctionne exactement tel que décrit précédemment, à l’exception de la dernière étape. Le nihiliste accepte les prémisses (1) et (2) et conclut (3) : « ce n’est pas le cas qu’il y a des choses qui composent quelque chose et des choses qui ne composent rien ». À ce point, contrairement à l’universaliste qui affirme que certaines choses au moins composent quelque chose, le nihiliste affirme que certaines choses au moins ne composent rien. Il suit de cette affirmation et de (3) que ce n’est pas le cas qu’il y a des choses qui composent quelque chose, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de choses composées. Il convient de restreindre entièrement la composition, c’est-à-dire d’adopter le nihilisme méréologique (Unger, 1979a, 1979b ; Wheeler, 1979). L’argument de l’arbitraire peut être adapté en un argument pour le nihilisme en suivant une procédure similaire.

Un autre argument pour le nihilisme est que cette thèse permet une solution efficace à une des énigmes les plus importantes à propos des objets ordinaires : le problème de la constitution matérielle. Dans sa version la plus simple, ce problème prend la forme d’un trilemme. Considérez une statue, Goliath, constituée d’un bloc d’argile, Lumpl (Gibbard, 1975). À première vue, les trois affirmations suivantes sont vraies.

  1. Goliath et Lumpl occupent exactement le même espace.
  2. Si Goliath est différent de Lumpl, Goliath et Lumpl n’occupent pas exactement le même espace.
  3. Goliath est différent de Lumpl.

L’affirmation (1) est simplement une instance du principe plus général que le constitué et le constituant sont exactement co-localisés. Et il est difficile de voir comment ce principe pourrait être faux. En effet, quelle portion d’espace est occupée par Goliath sans être en même temps occupée par Lumpl (ou inversement) ? Aucune, semble-t-il. La phrase (2) est équivalente à l’affirmation intuitivement plausible que deux objets matériels ne peuvent occuper exactement le même espace. Finalement, l’affirmation (3) semble vraie elle aussi. Puisque Goliath et Lumpl n’ont pas les mêmes conditions de persistance (par exemple, Lumpl, mais pas Goliath, pourrait devenir un vase), ils ne peuvent être identiques sans violer le principe d’indiscernabilité des identiques. Plus généralement, il semble que beaucoup de choses sont vraies de Goliath mais pas de Lumpl, ou inversement. Par exemple, il semble que les prédicats « … est une statue », « …est fabriquée avec soin » et « …a une haute valeur marchande » s’appliquent véridiquement à Goliath mais pas à Lumpl. À l’inverse, il semble que les prédicats « …est un bloc d’argile », « …contient des impuretés » et « …est malléable » s’appliquent véridiquement à Lumpl mais pas à Goliath. (Dans la littérature, ces prédicats et les propriétés qu’ils expriment sont parfois appelés sortals, car leur application véridique dépend de la sorte de l’objet en question.) Mais quoique les affirmations (1) à (3) soient individuellement plausibles, elles ne peuvent être toutes maintenues. En effet, leur conjonction entraine une contradiction. Il faut donc rejeter au moins l’une d’entre elles.

Il est clair que le nihiliste est dans une position optimale pour éviter ce problème. Selon toute apparence, Goliath (comme Lumpl d’ailleurs) est un objet composé s’il existe. Mais puisque le nihiliste rejette l’existence des objets composés en général, il peut sans mal rejeter l’existence de Goliath. Ainsi, le problème de la constitution matérielle ne se pose même pas (Merricks, 2001, sect. 2.III).

Il convient d’apporter une précision importante ici. Ci-dessus, comme ailleurs dans la littérature, le problème est présenté en référence à la relation de constitution matérielle, dont le cas paradigmatique est précisément celui de Goliath et Lumpl tout juste décrit. Quelle que soit exactement la nature de la constitution matérielle, il faut soigneusement la distinguer de la composition : Lumpl constitue Goliath, mais ne le compose pas. À noter cependant qu’il existe des versions plus complexes de ce problème qui utilisent explicitement la notion de composition en plus de la notion de constitution matérielle, voire des versions qui se passent complètement de la notion de constitution matérielle (par ex. Rea, 1995, sect. 3).

Comme l’universaliste, le nihiliste est accusé d’avoir une ontologie contre-intuitive et hors du sens commun. Mais le nihiliste est peut-être dans une meilleure position que l’universaliste pour faire face à cette charge. En effet, il a au moins deux réponses à sa disposition.

Premièrement, il peut adopter un fictionnalisme à propos des objets ordinaires. Selon cette thèse, ce que nous appelons ordinairement une chaise n’est en fait rien d’autre que des atomes méréologiques arrangés à la manière d’une chaise. Ainsi, le nihilisme peut sauver le discours commun à propos des objets ordinaires. Par exemple, « il y a une chaise » est interprété comme une paraphrase de « il y a des particules arrangées à la manière d’une chaise ».

Tel que nous l’avons interprété, le sens commun affirme que A et B forment une chose supplémentaire. Le nihiliste méréologique nie cela. Mais bien sûr, il ne nie pas que A et B sont collés ensemble, qu’ils présentent ensemble un comportement qu’aucun d’eux n’aurait individuellement, qu’ensemble, ils contrastent avec leurs voisins, et ainsi de suite. En bref, il nie l’existence de la molécule, mais accepte l’existence de choses arrangées « à la manière d’une molécule ». Et il dira la même chose à propos des briques et des maisons, et du reste. (Rosen & Dorr, 2002, p. 157, traduction personelle)

Deuxièmement, le nihiliste n’est pas à proprement parler forcé de nier l’existence des objets ordinaires. En effet, la thèse que toute chose est un atome méréologique n’entraine pas que les chaises, les chats et les statues n’existent pas. Elle entraine seulement que si de tels objets existent, ils sont eux-mêmes des atomes. Ainsi, le nihiliste peut affirmer sans contradiction que les objets ordinaires sont des atomes. Cela lui permet de maintenir une ontologie du sens commun, quoiqu’au prix d’une conception contre-intuitive de ce qui est composé. Ici, il est utile d’insister sur la différence entre le terme « atome » tel qu’il est utilisé en méréologie et tel qu’il est utilisé en chimie et en physique. En méréologie un atome (ou simple) est un objet qui n’a pas de partie propre. Ainsi, un atome méréologique n’est pas un atome au sens chimique du terme. Et rien ne permet d’assurer que les atomes méréologiques sont des particules élémentaires au sens physique du terme. C’est une question ouverte de savoir s’il existe des simples étendus (extended simple), c’est-à-dire des objets matériels sans parties propres qui occupent une région étendue de l’espace-temps (Markosian, 1998 ; Miller & Hariman, 2017).

Les réponses modérées

L’universalisme et le nihilisme sont des réponses extrêmes à la QSC. Cette ultime section explore des réponses modérées à la QSC, c’est-à-dire des réponses qui restreignent un peu, mais pas complètement, la composition.

Les réponses modérées explorées ici adoptent une ontologie conservatrice. Il faut cependant garder en tête que toutes les réponses modérées ne sont pas conservatrices dans ce sens. Par exemple, considérez la réponse suivante à la QSC (van Inwagen, 1990/2019, p. 96) :

Organicisme. Des choses xs composent quelque chose ssi l’activité des xs constitue une vie.

Cette réponse est modérée, mais éliminativiste. Un partisan de cette réponse doit renoncer à l’existence des chaises et des statues et d’un grand nombre d’autres objets dont on pense habituellement qu’ils existent. En outre, le conservatisme ontologique n’est pas la prérogative des réponses modérées. Comme discuté à la section précédente, un nihiliste peut admettre l’existence des objets ordinaires.

Un partisan d’une réponse modérée doit faire face (entre autres) aux arguments du vague et de l’arbitraire. Concernant le premier argument, une stratégie est de rejeter la seconde prémisse et d’admettre du vague quant à ce qui est composé. Peut-être la partie de notre langage utilisé pour exprimer la composition n’est-elle en effet pas vague. Mais tout ce que cela montre est que ce langage n’est pas approprié pour parler de la composition, n’est pas un bon reflet de la réalité. Bien sûr, celui qui adopte cette stratégie doit alors réussir à faire sens de l’idée d’un vague qui existe dans les choses plutôt que dans le langage (Thomasson, 2007, chap. 5).

Pour répondre à l’argument de l’arbitraire, une stratégie populaire est de rejeter la première prémisse (Korman, 2015, chap. 8). Contrairement à ce qu’affirme le partisan de l’argument, restreindre partiellement la composition ne suppose pas de tracer une distinction arbitraire quant à ce qui existe. Il y a une très bonne raison d’admettre l’existence des îles, mais de rejeter celle des voitures-dehors.

En effet, les îles — tout comme les chaises, les chats et les statues — ont des conditions de persistance tout à fait ordinaires. Leur création ou leur destruction requiert un changement intrinsèque et important dans les parties de l’objet. Contrairement à ce que suggère l’argument de l’arbitraire, lorsqu’une masse de terre est recouverte d’eau, aucun d’objet n’est détruit. Plutôt, la masse de terre continue d’exister, mais perd la propriété être une île (et gagne peut-être la propriété être un haut-fond). Le cas est ici analogue à celui d’un mur que l’on repeint. La couche de peinture ne détruit évidemment pas le mur, même si elle modifie certaines des propriétés de ce mur.

Cela contraste fortement avec le cas des voitures-dehors, qui ont des conditions de persistance extraordinaires. Par stipulation, une voiture-dehors est créée ou détruite simplement en vertu de sa position à d’autres choses. Par exemple, construire un garage autour d’une voiture suffit à anéantir la voiture-dehors qui lui correspond, sans qu’il y ait pourtant la moindre interaction avec ses parties. (Bien sûr, la construction du garage ne détruit pas la voiture. Elle lui fait seulement perdre sa propriété être dehors. Les voitures, comme les îles, mais contrairement aux voitures-dehors, ont des conditions de persistance tout à fait ordinaires.)

La même idée permet de rejeter la version généralisée de l’argument. Le partisan d’une réponse modérée a de bonnes raisons d’accepter l’existence des tas, mais de rejeter l’existence d’autres objets sans unité admis par l’universaliste, comme l’objet composé de Mars, du Taj Mahal et du mètre étalon. Étant donné le principe d’extensionalité T2 (typiquement admis par l’universaliste), cet objet composé dépend entièrement et seulement de ses parties pour son existence. En revanche, intuitivement au moins, les tas (et les autres objets sans unité forte admis par le sens commun) échappent à ce principe d’extensionalité. Intuitivement, un tas peut gagner ou perdre des éléments sans être détruit. De même, il semble qu’un tas peut cesser d’exister même si tous ses éléments existent encore, par exemple si ses éléments sont dispersés. Ainsi, contrairement à ce qu’affirme l’argument de l’arbitraire, il y a une raison de tracer une distinction entre un tas et un objet composé de Mars, du Taj Mahal et du mètre étalon.

Si l’on admet cette réponse à l’argument de l’arbitraire, la QSC revient à la charge. Pourquoi les parties émergées de la masse de terre composent-elles quelque chose, tandis que les parties de la voiture qui sont à l’extérieur du garage ne composent rien ? Plus généralement, qu’est-ce qui distingue les choses qui composent quelque chose des choses qui ne composent rien ?

L’hylémorphisme offre une réponse à cette question. L’idée au cœur de cette thèse est qu’une réponse à la QSC doit tenir compte non seulement des parties matérielles (hyle) de l’objet composé, mais également de sa forme ou structure (morphe). L’hylémorphisme a une longue tradition qui remonte au moins jusqu’à Aristote (pour une perspective historique, voir Koslicki, 2008, chap. V‑VI). Des versions actualisées et formulées dans le langage de la CEM ont récemment été proposées pour répondre à la QSC (par ex. Fine, 1994, 1999 ; Johnston, 2006 ; Koslicki, 2008, 2018 ; Jaworski, 2016). Comme sa contrepartie antique, cet hylémorphisme néo-aristotélicien maintient que l’existence d’un objet composé — comme une chaise, un chat ou une statue — ne dépend pas seulement des parties matérielles de cet objet. Il faut aussi s’assurer que les parties matérielles satisfont les contraintes posées par un principe formel qui définit la forme de l’objet. Plus précisément :

Hylémorphisme. Des choses xs composent quelque chose ssi les xs satisfont les contraintes posées par un principe formel.

L’hylémorphiste doit néanmoins en dire plus sur la nature de ce principe formel et sur la manière dont il est satisfait par les parties matérielles de l’objet composé. Une approche populaire, mais controversée (Johnston, 2006, sect. XI), maintient que ce principe est lui-même une partie de l’objet composé. Par exemple, selon Fine (1999), un objet est composé non seulement de parties matérielles a, b c, … mais aussi d’une relation R incarnée dans (embodied in) a, b, c, …  Selon cette théorie, R est une partie de l’objet composé, tout comme le sont a, b, c, … De manière similaire, Koslicki (2008, p. 169) admet l’existence de composantes formelles en plus des composantes matérielles.

Pour illustrer, considérez un mur de briques. Selon la version de l’hylémorphisme en question ici, chacune des briques est une partie du mur. Cependant, les briques ne composent pas le mur. En effet, il y a au moins une partie du mur qui ne chevauche aucune des briques, de sorte que la condition (ii) dans D3 n’est pas satisfaite. Cette partie du mur de brique disjointe de chacune des briques est précisément la partie formelle du mur, f. Ainsi, à proprement parler, le mur n’est pas composé des briques. Plutôt, le mur est composé des briques et de f, c’est-à-dire des briques sous une certaine forme.

En outre, et de manière cruciale, cette partie formelle n’accompagne pas automatiquement les briques. Par exemple, supposez que les briques qui étaient des parties du mur sont maintenant des parties d’une cheminée. Dans ce cas, les briques ne sont pas accompagnées de f. Elles sont plutôt accompagnées d’une autre partie formelle f’, avec laquelle elles composent la cheminée. Ou supposez que ces mêmes briques sont dispersées dans un champ. Dans ce cas, elles ne sont accompagnées ni de f, ni de f’. En fait, ici, il semble que les briques ne sont accompagnées d’aucune partie formelle. Il n’y a aucun objet dont les briques sont des parties, et donc aucun objet composé des briques et d’une partie formelle.

À quelles conditions une partie formelle accompagne-t-elle des parties matérielles ? L’idée est qu’une partie formelle accompagne des parties matérielles ssi ces dernières satisfont certaines contraintes. Ces contraintes sont de deux types. Premièrement, les parties matérielles doivent collectivement présenter une certaine structure ou configuration. Par exemple, pour être des composantes d’un mur, les briques doivent être empilées d’une certaine manière. Plus précisément, la pile des briques doit avoir une certaine longueur, une certaine hauteur et une certaine profondeur, elle ne doit pas laisser passer la lumière, elle doit présenter une certaine cohérence qui l’empêche d’être facilement démontée, etc. Deuxièmement, la partie formelle met des contraintes sur la sorte de choses que sont les parties matérielles. Par exemple, les parties matérielles d’un mur sont typiquement des briques (ou des parties de briques), des rondins, des grains de sable compressés, etc. En revanche, il semble que les ballons ne sont pas le type d’objets qui peuvent être des parties de mur.

À première vue, la notion de partie formelle — ou, plus généralement, celle de principe formel — peut paraitre suspecte et mystérieuse. Néanmoins, admettre les parties formelles permet de résoudre les problèmes rencontrés par les réponses extrêmes à la QSC et de préserver les intuitions quant aux objets ordinaires. « Il est tout à fait évident pour ceux qui ne sont pas sous l’emprise d’une théorie philosophique qu’il existe une vaste et importante différence entre un tas de pièces de moto démontées […] et la moto en état de marche qui résulte de l’assemblage de ces pièces d’une manière particulière et assez contraignante. » (Koslicki, 2008, p. 3 ma traduction) Les partisans des réponses extrêmes ont cependant le plus grand mal à rendre compte de cette intuition. Ils semblent qu’ils ne peuvent que rejeter la distinction entre le tas de pièces et la moto, nier que les pièces dans le tas sont les mêmes que les pièces qui composent la moto ou nier que les pièces composent quoique ce soit en premier lieu. À l’inverse, l’hylémorphiste n’a aucune difficulté à rendre compte de ce cas. Lorsqu’elles sont des parties de la moto, les pièces satisfont les contraintes de nature et de structure posées par un principe formel particulier. Lorsqu’elles sont en tas, elles ne satisfont plus ces contraintes.

L’hylémorphisme fait face à diverses objections (Britton, 2012 ; Fiocco, 2019). Il lui est notamment reproché d’entrainer une surdétermination causale (Skrzypek, 2017, sect. IV). En bref, une chose z est causalement surdéterminée si z est causée par deux choses x et y, et x et y n’entretiennent pas de lien causal, c’est-à-dire x et y sont membres de chaînes causales différentes. Supposez qu’une moto – un objet composé — finisse sa course dans une vitre, qui se brise sous l’impact. À première vue au moins, le bris de la vitre est causalement surdéterminé : (i) il est causé par la moto (ou son impact sur la vitre), (ii) il est causé par les parties de la moto (ou leur impact sur la vitre) et (iii) la moto et ses parties sont causalement indépendantes. À ce point, l’hylémorphiste doit rejeter (i), (ii) ou (iii), ou accepter une surdétermination causale systématique du tout et des parties. Aucune de ces solutions n’est désirable et il est difficile de voir comment l’hylémorphiste peut argumenter pour l’une d’entre elles de manière convaincante.

Bien sûr, les partisans des réponses radicales à la QSC font aussi face à cette difficulté. Cependant, ils semblent ici dans une meilleure position que l’hylémorphiste. Le nihiliste évite aisément le problème en rejetant (i). Quant à l’universaliste, il peut notamment accepter CAI et rejeter (iii), ou maintenir que les objets composés sont causalement inefficaces et rejeter (i). Après tout, si comme l’affirme l’universaliste, il existe un objet qui est la fusion du mètre étalon, du Taj Mahal et de Mars, il est douteux que cet objet ait une quelconque efficacité causale. Mais dans ce cas, pourquoi attribuer une efficacité causale à un quelconque objet composé ? À noter que lorsqu’il est augmenté du principe controversé « tout ce qui est, est efficace », ce point peut être tourné en objection contre l’universalisme (Merricks, 2001, chap. 3).

L’hylémorphisme n’est pas la seule réponse modérée à la QSC. Une autre réponse fait appel à la fonction des objets (Bowers, 2019) :

Réponse téléologique. Des choses xs composent quelque chose ssi les xs remplissent collectivement une fonction appropriée.

Des briques composent quelque chose si elles ont une fonction, par exemple si elles supportent une structure, délimitent une parcelle ou permettent à la fumée de s’échapper.

L’approche téléologique est largement conforme au sens commun (Rose & Schaffer, 2017, sect. 3 ; pour une discussion, voir Korman & Carmichael, 2017, sect. 2). Cette proximité avec le sens commun n’est évidemment pas suffisante pour établir la réponse téléologique comme la bonne solution à la QSC et est même utilisée comme un argument en faveur des réponses extrêmes (Rose, 2019). Ce point est néanmoins une caractéristique désirable de n’importe quelle position qui milite pour une ontologie conservatrice, puisqu’une ontologie conservatrice est en gros une ontologie qui se conforme au sens commun.

Finalement, il est possible de formuler des réponses modérées mais déflationnistes. Le régionalisme (Markosian, 2014 ; Gilmore & Leonard, 2020) est un bon exemple de ce genre de position.

Régionalisme. Des choses xs composent quelque chose ssi il y a une chose qui occupe la fusion des régions occupées par les xs.

Le régionalisme rend compte de la composition des objets matériels en termes d’occupation de l’espace. Selon cette thèse, pour déterminer si des choses xs composent quelque chose, commencez par considérer les régions rs entièrement occupées par les xs. Considérez ensuite la fusion des rs, c’est-à-dire la région composée des rs. Cette région est-elle elle-même entièrement occupée par un objet ? Si la réponse est « oui », les xs composent quelque chose ; dans le cas contraire, ils ne composent rien.

Par exemple, considérez les briques qui composent un mur. Chacune des briques occupe une région (de même forme et de même volume que la brique). En outre, si nos intuitions sont correctes, la région plus volumineuse composée des régions occupées par les briques est elle-même entièrement occupée par un objet : le mur. À l’inverse, intuitivement, la fusion des régions occupées par Mars, le Taj Mahal et le mètre étalon n’est pas occupée par un objet. Donc, Mars, le Taj Mahal et le mètre étalon ne composent rien. De même, la fusion des régions occupées par deux personnes qui se serrent la main n’est pas elle-même occupée par un objet, de sorte que les deux personnes ne composent rien.

Deux remarques sont de mises. Premièrement, le régionalisme ne requiert pas que la fusion des régions occupées par les xs soit continue. C’est-à-dire, le régionalisme n’exclut pas l’existence d’un objet composé qui occupe une région discontinue. Par exemple, c’est une question ouverte de savoir si un paquet composé de cartes à jouer survit à sa division en plusieurs tas. Si c’est le cas, on a là l’exemple d’un objet qui occupe une région discontinue. Le régionalisme reste neutre sur l’existence de tels cas.

Deuxièmement, à proprement parler, le régionalisme est compatible avec les réponses extrêmes à la QSC. L’universaliste peut parfaitement accepter le régionalisme et maintenir, contre nos intuitions, que la fusion des régions occupées par Mars et le mètre étalon est occupée par un objet. De même, le nihiliste peut accepter le régionalisme et nier, contre nos intuitions, que la fusion des régions occupées par les briques est occupée par un objet. Mais le régionalisme est aussi compatible avec nos intuitions quant à la composition. Ainsi, quiconque admet le régionalisme peut répondre à la QSC sans être condamné à maintenir que nos intuitions sont radicalement erronées. Ce point est d’autant plus important si l’on rejette d’autres approches modérées. 

Néanmoins, le régionalisme semble insatisfaisant. En effet, il remplace la question « à quelles conditions des choses composent-elles quelque chose » par la question « en vertu de quoi une chose occupe-t-elle la région qu’elle occupe ? » Le régionaliste reconnait ce point, mais ne s’en émeut pas. Il y a en effet une réponse tout à fait plausible à cette dernière question : il n’y a aucun fait en vertu duquel une chose occupe sa région, c’est-à-dire la localisation d’une chose est un fait brut. Pour compléter ce tableau, le régionaliste considère en outre la question « en vertu de quoi une chose existe-t-elle ? » Ici aussi, le régionaliste maintient qu’il n’y a pas de réponse informative à cette question : comme sa localisation, l’existence d’une chose est un fait brut (Markosian, 2014, p. 75‑79). Ainsi, selon le régionaliste, le débat sur la composition matérielle n’est pas utile pour régler la question de l’existence des choses, contrairement à ce que l’on peut penser de prime abord. C’est dans ce sens que le régionalisme est une réponse déflationniste à la QSC.

 

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