Ontologie (A)

Comment citer ?

Richard, Sébastien (2021), «Ontologie (A)», dans Maxime Kristanek (dir.), l'Encyclopédie philosophique, consulté le ..., https://encyclo-philo.fr/

Publié en octobre 2021


Introduction

L’ontologie a connu de multiples formes : science de l’être en tant qu’être, théorie de ce qui existe au sens le plus général, étude de la structure fondamentale de la réalité, entre autres. Ne pouvant toutes les traiter – un livre n’y suffirait pas –, cet article se limitera aux acceptions de l’ontologie les plus importantes dans la philosophie contemporaine. Cela ne veut pas pour autant dire qu’aucune référence ne sera faite à l’ontologie traditionnelle et à son histoire, mais ces références historiques seront avant tout invoquées pour leur importance eu égard à l’ontologie telle qu’elle se pratique aujourd’hui.

Par ailleurs, nous ne traiterons pas de l’important débat sur le réalisme et l’antiréalisme, des questions portant sur la nature de la nécessité et de la possibilité, sur la nature de l’essence ou sur les conditions d’identités des objets, etc. De même, nous n’aborderons pas en détail certaines questions ontologiques particulières, comme ‘Y a-t-il des nombres ?’, ‘Y a-t-il des universaux ?’, ‘Y a-t-il des propositions ?’, ‘Y a-t-il des sommes méréologiques ?’, ‘Y a-t-il des objets ordinaires ?’, ‘Y a-t-il des objets sociaux ?’, ‘Y a-t-il des œuvres d’art ?’, ‘Y a-t-il des personnages de fiction ?’, ‘Y a-t-il des possibilia ?’, ou encore ‘Y a-t-il des trous ?’. Aborder ces questions de manière accessible demanderait de longs développements, ce qui ne peut être fait dans le cadre d’un article restreint portant sur l’ontologie au sens général. Cela ne veut pas dire que ces questions seront totalement absentes de cet article. Nous verrons ainsi certaines stratégies permettant d’affirmer, selon les cas, que de telles entités existent ou qu’elles n’existent pas. 

​​​​​​​Qu’est-ce que l’ontologie ?

​​​​​​​Ontologie et métaphysique

L’ontologie est étroitement liée à la métaphysique et il n’est pas toujours simple de tracer une frontière nette entre ces deux disciplines. Ces deux termes sont même parfois utilisés de manière interchangeable. Selon la conception, que l’on pourrait qualifier de « classique » et qui a été systématisée par Christian Wolff au début du xviiie siècle (cf. 2006 [1728]), l’ontologie est une partie de la métaphysique : la « métaphysique générale », par opposition à la « métaphysique spéciale », qui comprend la cosmologie, la théologie et la psychologie rationnelle. Dans cette division, l’ontologie est, selon la définition d’Aristote, la théorie « de l’être en tant qu’être ». Il s’agit d’une discipline a priori qui étudie moins ce qui est que ce qui peut être, parce qu’il ne lui répugne pas, en vertu de son essence, d’exister.

Une conception plus récente, en partie héritée de la précédente et que l’on trouve, par exemple, chez les phénoménologues Husserl et Ingarden (cf. Husserl 1998 [1984], pp. 147-150 ; Ingarden 2001 [1929]), soutient que l’ontologie et la métaphysique peuvent être vues comme deux disciplines distinctes mais complémentaires : alors que l’ontologie établit ce qui peut être, la métaphysique, elle, cherche à déterminer ce qui existe effectivement. De ce point de vue, la métaphysique présuppose l’ontologie. Cette dernière se divise alors entre une « ontologie formelle », dont la tâche est de mettre en évidence les structures formelles de ce qui peut exister, et plusieurs ontologies matérielles, qui ont trait aux déterminations qualitatives, et non à la forme, de ce qui peut être. Si ce type d’entreprise ontologique trouve son origine dans la phénoménologie réaliste du début du xxe siècle, et plus généralement dans la tradition brentanienne, elle a connu un renouveau au sein de la philosophie analytique (École de Manchester, Varzi, Lowe) depuis les années 1980 (cf. Smith 1982 ; et Richard à paraître). Un autre article de L’encyclopédie philosophique (Arapinis 2018) étant consacré à l’ontologie formelle, nous n’en traiterons pas spécifiquement ici (cf. toutefois Nef 1998 ; Varzi 2010 ; et Richard 2014).

Une autre conception de l’ontologie, courante en philosophie analytique, lui attribue pour tâche de répondre à la question « Qu’y a-t-il ? » ou « Qu’est-ce qui existe ? » À cette « question ontologique » générale, on pourra éventuellement substituer des questions ontologiques spécifiques du type « Y a-t-il des Fs ? », comme, par exemple, ‘Y a-t-il des substances ?’, ‘Y a-t-il des objets abstraits ?’, ‘Y a-t-il des nombres ?’, etc. Quelle est relation de la métaphysique à l’ontologie dans cette conception ? Au premier abord, il semble qu’une réponse à la question ‘Y a-t-il des Fs ?’ présuppose que l’on puisse répondre à la question ‘Que sont les Fs ?’ Ne faut-il pas en effet savoir ce qu’est une certaine chose pour déterminer si elle existe ou non ? Par exemple, peut-on répondre adéquatement à la question de savoir s’il y a des substances, si l’on ne sait pas d’abord ce qu’est une substance. Dans cette perspective, on peut considérer que l’enquête sur la « nature » ou l’« essence »  relève de la métaphysique, laquelle doit alors précéder l’ontologie.

Aussi naturelle que la thèse de la priorité de la métaphysique sur l’ontologie puisse, elle est pourtant contestée par certains ontologues (les philosophes qui font de l’ontologie), qui affirment que l’on peut s’engager dans l’enquête ontologique en restant relativement neutre métaphysiquement à l’égard de la nature des entités dont on cherche à déterminer si elles existent ou non. On peut en effet avoir une compréhension minimale de ce qui existe, sans pour autant être capable d’en préciser la nature exacte. Par exemple, l’interprétation sémantique des logiques modales, c’est-à-dire des logiques qui portent sur le nécessaire et le possible, fait appel à la notion de « mondes possibles ». Un monde possible distinct de notre monde actuel est, par exemple, un monde dans lequel Emmanuel Macron n’a pas remporté les élections présidentielles françaises de 2017. Si l’on peut admettre qu’il y a des mondes possibles, parce que sans eux nous ne pourrions tout simplement pas donner un sens précis à nos affirmations modales, du type ‘Emmanuel Macron aurait pu ne pas gagner les élections présidentielles de 2017’, cela ne veut pas pour autant dire que nous soyons en mesure de déterminer précisément la nature métaphysique de ces entités. Certains métaphysiciens affirmeront ainsi que les mondes possibles sont des objets matériels concrets (des ensembles de choses situées dans un espace-temps causalement isolé du nôtre), tandis que d’autres soutiendront qu’il s’agit d’objets abstraits (des ensembles de propositions, d’états de choses, de possibilia, etc.) (pour un échantillon de ces débats, cf. la troisième partie de Garcia et Nef 2007), d’autres encore estimeront que ce débat n’a pas besoin d’être tranché pour admettre qu’il existe des mondes possibles.

Selon une autre conception récente de l’ontologie, celle-ci ne doit pas être vue comme la théorie de ce qui existe ou peut exister, mais plutôt de ce qui existe fondamentalement, voire de ce qui existe réellement (Cameron 2010 ; Fine 2017 [2009] ; Schaffer 2009 ; Sider 2011). Par exemple, on peut affirmer qu’il existe des chaises et des tables, mais que celles-ci n’existent qu’en un sens dérivé, car ce qui existe réellement, ce sont les particules subatomiques dont ces chaises et ces tables sont composées (cf. la section 8).

Toute tentative visant à séparer strictement la métaphysique de l’ontologie est probablement illusoire. Toutefois, dans la mesure où il faut bien délimiter le sujet de notre article, nous considérerons ici que l’étude de l’essence de ce qui est (ou peut être) relève de la métaphysique, et non de l’ontologie. Il s’agit d’un choix commode, mais tout à fait contestable dans le paysage de la métaphysique analytique contemporaine (pour un traitement plus détaillé des relations entre métaphysique et ontologie, cf. Varzi 2010, section 1.1).

​​​​​​​Science et ontologie

Les textes d’Aristote réunis par Andronicos de Rhodes sous le titre de Métaphysique se sont vus attribuer ce nom, parce qu’ils venaient « après » ceux portant sur la physique (tà metà tà physikà). Ils ont progressivement été interprétés comme portant sur ce qui est « au-delà » du domaine des sciences naturelles. De ce point de vue, l’ontologie, qu’elle soit conçue comme une partie de la métaphysique ou comme son complément, ne saurait se limiter à l’expérience sensible. À l’époque contemporaine, différents rapports entre l’ontologie et la science ont été envisagés. Nous pouvons en distinguer au moins trois :

1) l’ontologie est subordonnée à la science;

2) l’ontologie est elle-même scientifique ;

3) l’ontologie est indépendante de la science.

Pour répondre à la question ‘Qu’y a-t-il ?’, les sciences ne seraient-elles pas mieux placées que l’ontologie ? C’est une question que l’on peut légitiment se poser. Les mathématiques ne permettent-elles pas d’affirmer qu’il y a des nombres, parce que l’on peut y démontrer qu’il y a une infinité de nombres premiers ? Les expériences de Perrin ne prouvent-elles pas qu’il y a des atomes ? Certes, mais s’en tenir là revient à faire de l’ontologie la « servante de la science ». C’est, par exemple, la position d’un auteur comme Maudlin (2005). Selon celle-ci, l’ontologie n’aurait d’autre tâche que celle d’interpréter et d’articuler ce que les sciences affirment exister.

Quand bien même accepterions-nous la subordination de l’ontologie aux sciences, il resterait un domaine d’activité ontologique, ou mieux métaontologique, propre consistant à expliquer ce que sont les catégories ontologiques, ce qu’est l’être, en quoi consiste l’existence, comment établir un critère d’engagement ontologique, etc. C’est la position choisie par de nombreux néoquinéens. Quine lui-même voyait moins l’ontologie comme une discipline subordonnée aux sciences que comme une activité « en continuité » avec elles, et en particulier avec les sciences naturelles. L’ontologie, avance-t-il, si elle veut pouvoir espérer répondre aux questions ontologiques, se doit d’être elle-même scientifique. Cette conception « naturaliste » de l’ontologie est en partie un héritage du néopositivisme, lequel cherchait à développer une « conception scientifique du monde », mais aussi une réaction de défense contre la critique de la métaphysique de ce même néopositivisme : en devenant elle-même scientifique, l’ontologie devient une entreprise acceptable aux yeux de ceux qui la critiquent au nom de la science moderne. Le naturalisme ne veut pas dire pour autant que l’ontologie n’ait rien à dire de plus que les sciences concernant ce qu’il y a. Elle peut également montrer que, même si les mathématiques affirment qu’il existe des nombres, les énoncés qu’elle contient peuvent être reformulés de manière à ne pas nous engager envers ces entités abstraites. Si l’ontologie doit être scientifique, cela ne veut pas dire qu’elle doive prendre les affirmations ontologiques des sciences pour argent comptant.

Une position alternative à celle de Quine affirme que, bien que l’ontologie doive être scientifique, sa méthode ne saurait être semblable à celle des sciences de la nature. L’ontologie serait ainsi moins une activité en continuité avec les sciences naturelles, qu’une activité scientifique différente. C’est, par exemple, la position d’un auteur comme Brentano qui, tout en revendiquant le caractère scientifique, et plus particulièrement empirique, de sa philosophie, considère que celle-ci doit être dotée d’une méthode qui lui est propre, à savoir ce qu’il appelle la « psychologie descriptive », fondée sur l’analyse des phénomènes psychiques (cf. Brentano 2018).

Une manière de sauver l’indépendance de l’ontologie par rapport aux sciences revient à souligner que si elles ont toutes pour objet le domaine de ce qui est, elles ne l’étudient pas de la même façon. De manière générale, de nombreux auteurs ont défendu l’idée que là où l’approche de la réalité par les sciences est empirique, celle qui incombe à l’ontologie est conceptuelle. Selon cette conception, qui a été défendue par des auteurs aussi divers que Husserl, Ryle ou Carnap (cf. Thomasson 2015, p. 9), tandis que les sciences de la nature disent ce qui existe effectivement, l’ontologie, comprise dans le premier sens distingué précédemment, ne s’intéresse qu’à ce qui peut exister, mais qui n’existe pas forcément. De ce point de vue, on peut affirmer que ce sont les sciences de la nature qui doivent être subordonnées à l’ontologie, parce que pour pouvoir déterminer ce qui est réel, il faudrait d’abord déterminer ce qui est possible (Lowe, 1998, p. 4-5).

Cette conception de l’ontologie ne fait pas forcément fi des résultats des sciences. Premièrement, et comme nous l’avons vu, on peut soutenir que l’ontologie dépend de la métaphysique, dans la mesure où pour déterminer ce qui peut exister, il faudrait d’abord connaître la nature des entités dont on cherche à savoir si elles peuvent être. Deuxièmement, même si certains auteurs défendent l’indépendance de l’ontologie par rapport aux sciences de la nature, il semble plus modeste d’affirmer que toute réflexion sur ce qui peut être devrait s’informer de ce que la science la plus récente et la mieux corroborée a à nous dire sur la nature de la réalité. Par exemple, on peut se demander si les entités futures et passées existent. Les « éternalistes » soutiennent qu’elles existent tout autant que les entités présentes, alors que les « présentistes » affirment que seules les entités présentes existent (sur l’ontologie du temps, cf. Le Bihan 2019). À l’appui de leur position, les éternalistes invoquent souvent plusieurs résultats issus de la relativité générale (Sider 2001, pp. 42-52). Cela n’implique pas que l’ontologie et la métaphysique n’aient rien de plus à dire sur la nature du temps et l’existence des entités temporelles – l’éternalisme doit faire face à des objections proprement philosophiques –, mais il serait bien téméraire de faire totalement abstraction des résultats de la physique moderne concernant le temps dans un tel débat. De la sorte, si la plupart des philosophes ne considèrent pas que l’ontologie soit la servante de la science, ils soutiennent souvent que les théories scientifiques peuvent éclairer les problèmes dont elle traite et qu’elle devrait être cohérente avec les résultats scientifiques les mieux corroborés (sur les liens entre métaphysique et science, cf. également Tiercelin 2011).

Quelques éléments d’histoire de l’ontologie

Bien que la réflexion sur l’être remonte au moins à Parménide et que les textes de Platon traitent de nombreux problèmes ontologiques, c’est à Aristote que l’on doit la première tentative d’établir une véritable « science » de l’être. Dans l’ensemble de textes réunis sous le nom de Métaphysique, le Stagirite donne plusieurs caractérisations de la science qu’il s’est donnée pour objet de recherche. Celle-ci y est définie comme « science de l’étant en tant qu’étant » (ou de « l’être en tant qu’être », selon les traductions) (Aristote 1991 [1953], Γ, 1, 3, 1003a20), c’est-à-dire ce que nous appelons aujourd’hui l’« ontologie », mais aussi comme science théologique, en tant qu’elle a Dieu pour objet (Aristote 1991 [1953], E, 1, 1026a15-25). Dès lors se pose la question de savoir ce qu’est exactement l’objet de la science recherchée dans cet ouvrage : l’étant en tant qu’étant ou bien cet étant éminent qu’est Dieu. Pour ajouter à la difficulté, on pourrait encore soutenir que la science recherchée (sagesse, philosophie première) n’est ni une théologie, ni une ontologie, mais une aitiologie, c’est-à-dire une recherche des causes (Aristote 1991 [1953], A, 1-2), voire une ousiologie, c’est-à-dire une science de la substance (Aristote 1991 [1953], Z-H).

Comme on le voit, chez Aristote, l’ontologie n’est qu’une des caractérisations possibles de la métaphysique. Au xiiie siècle, en particulier chez Saint Thomas, Dieu sera privilégié par rapport à l’être en tant qu’être, l’intelligible suprême par rapport au premier connu, le principe par rapport à l’universalité (cf. Boulnois 2005). L’ontologie, en tant qu’étude de ce qui est au sens le plus général du terme, n’a pas réellement d’autonomie à cette époque, subordonnée qu’elle est à l’étude d’un étant prééminent.

À la suite d’Avicenne, Duns Scot opère un tournant important : Dieu se retrouve intégré dans le sujet de la métaphysique, qui est désormais l’étant en tant qu’étant, commun à Dieu et à l’étant créé. Ainsi se dessine l’autonomie de l’ontologie par rapport à la théologie, autonomie qui sera définitivement acquise à la Modernité (cf. Courtine 1990 ; Boulnois 1999 ; et le premier chapitre de Richard 2014).

Cette autonomie se révèle dans l’invention même du terme « ontologie » (en grec pour être précis), que l’on a longtemps située en 1613, dans l’article portant sur l’abstractio du Lexicon philosophicum de Goclenius. Cependant, les études les plus récentes ont pu montrer que le terme latin d’ontologia apparaît déjà en 1606 sous la plume de Lorhardus dans son Ogdoas Scholastica. Symptomatique de la nouvelle autonomie acquise par l’ontologie par rapport à la théologie est la division, définitivement consommée avec Micraelius en 1653, de la métaphysique en une metaphysica generalis (l’ontologie), qui a pour objet l’étant en tant qu’étant au sens le plus général (ens commune) et une metaphysica specialis, comprenant la théologie, dont l’objet est l’étant suprême (summum ens), à savoir Dieu. Dans cette nouvelle configuration, l’ontologie porte sur l’étant pensé non seulement comme « ce qui a de l’être », mais aussi, et surtout, comme ce qui, parce qu’il est exempt de contradiction, « ne répugne pas à exister ».

Au xviiie siècle, ces distinctions seront systématisées et popularisées par Wolff. Kant dénoncera peu après les ambitions épistémiques des différentes parties de la métaphysique. L’auteur de la Critique de la raison pure opposera alors à l’ontologie wolffienne, qualifiée de « dogmatique », une « ontologie critique », c’est-à-dire une ontologie précédée par une critique de notre pouvoir de connaître. De son enquête sur les limites de la connaissance Kant conclura que nous ne pouvons connaître quoi que ce soit de la réalité telle qu’elle est en soi, de sorte que le seul objet légitime pour l’ontologie est notre connaissance de la réalité, et non la réalité elle-même.

Kant n’est ni le premier ni le dernier des grands critiques de l’ontologie et, plus généralement, de la métaphysique (sur la critique de la métaphysique, cf. la deuxième partie de Nef 2004). Depuis l’époque moderne, les prétentions de cette dernière ont régulièrement été remises en cause. Les raisons de cette critique ont été multiples : épistémiques (par exemple chez Hume et Kant), sémantiques (les néopositivistes), thérapeutiques (Wittgenstein), ou encore issues d’un retour au langage ordinaire (Ryle). C’est au xxe siècle que cette critique a été la plus virulente, certains auteurs n’hésitant pas à parler de « fin de la métaphysique » ou d’« âge post-métaphysique ». En dépit de ce que ce genre d’affirmations outrancières voudrait nous faire croire, la métaphysique n’a jamais complètement disparu du paysage philosophique, en particulier dans la tradition analytique. En fait, derrière la critique de la métaphysique se cache généralement la remise en cause de certaines démarches et positions métaphysiques spécifiques et la défense d’une métaphysique austère, tant dans ses méthodes que dans ses engagements ontologiques.

Le renouveau de la métaphysique durant la seconde moitié du xxe siècle a, de ce point de vue, surtout été celui d’une métaphysique plus libérale, qui n’hésite pas à affirmer l’existence des universaux, des essences, des objets impossibles. Ce retour au premier plan d’une métaphysique baroque a en partie été rendu possible par l’échec du programme des positivistes logiques, et en particulier par l’incapacité de ceux-ci à formuler un critère de signifiance empirique à même d’exclure tout énoncé métaphysique à titre de non-sens. Prenant acte de l’échec du programme des néopositivistes, auquel il a lui-même contribué, Quine a promu un retour de la métaphysique à partir de la fin des années 1940. Celui-ci s’appuyait sur quatre composantes (Koskinen 2012) : le naturalisme, le critère d’engagement ontologique, un critère d’identité ontologique et une certaine forme de nominalisme. Le renouveau analytique de la métaphysique a ensuite été marqué par deux autres moments importants (cf. Richard 2010). Premièrement, l’introduction par Strawson (1985) de la distinction entre une « métaphysique révisionniste », qui cherche à corriger notre conception du monde, et une « métaphysique descriptive », qui se contente de décrire notre conception du monde telle qu’elle s’exprime dans nos pratiques linguistiques ordinaires. Deuxièmement, la publication de La logique des noms propre de Kripke (1981 [1972]), qui, en réhabilitant les questionnements modaux en philosophie du langage, a également rendu à nouveau fréquentables d’anciennes notions métaphysiques, comme celle d’essence. À partir des années 1980, la métaphysique analytique s’est définitivement débarrassée du « tournant linguistique », qui avait longtemps marqué la tradition analytique, pour devenir à nouveau une discipline autonome, qui s’est depuis lors développée tous azimuts.

Bien que l’ontologie soit traditionnellement considérée comme une partie de la métaphysique, elle a connu une existence moins problématique que cette dernière durant le xxe siècle. Elle est ainsi restée au cœur de la philosophie d’auteurs tels que Heidegger, Ingarden, Hartmann, Russell, Whitehead, Grossmann, Chisholm ou encore Quine. Certains ont cependant cru discerner un « tournant ontologique » dans l’augmentation importante des travaux dans ce domaine depuis quelques décennies, que ce soit en philosophie analytique (École de Manchester, Lowe, Heil, Fine) ou en philosophie continentale (Garcia, Harman et les différents tenants du réalisme spéculatif). Dans la tradition analytique, ce tournant ontologique est avant tout dû à l’abandon du prisme linguistique dans l’approche des questions portant sur la réalité – ce que certains ont appelé le retour du « sérieux ontologique » (Martin et Heil 1999). Du côté continental, le renouveau de l’ontologie semble dû à une perte d’influence des grands critiques de la métaphysique, comme celles de Heidegger, Derrida ou Habermas, mais aussi à un investissement des questions ontologiques par les sciences humaines (Descola, Latour). L’ontologie reste toutefois encore une discipline marginale dans la philosophie continentale (sur le tournant spéculatif de l’ontologie continentale, on pourra consulter le volume Alloa et During 2018). Il reste difficile de dessiner les contours et d’identifier les tendances principales de ce retour relativement récent de l’ontologie en terre continentale. C’est la raison pour laquelle nous nous limiterons essentiellement dans ce qui suit à l’ontologie analytique.

Qu’est-ce que l’existence ?

L’ontologie portant, dans son acception la plus commune, sur ce qui existe ou peut exister, il convient de se pencher sur ce qu’est l’existence. Il y a au moins trois manières principales de comprendre ce qui signifie cette notion (Kriegel 2018, pp. 129-131 ; et Voltolini 2012) :

1) l’existence est une propriété substantielle que certaines choses possèdent et d’autres pas (Meinong, Parsons) ;

2) l’existence est une propriété de second ordre (Frege, Russell) ;

3) l’existence est une propriété formelle que toutes les choses possèdent (Husserl, Williamson, van Inwagen, Salmon).

Si la première compréhension de l’existence a été prééminente au cours de l’histoire de l’ontologie, la deuxième a dominé l’essentiel du xxe siècle. Elle est cependant aujourd’hui fortement concurrencée par la troisième.

​​​​​​​L’existence comme propriété substantielle du premier ordre

En apparence, lorsque nous disons que Socrate existe, nous attribuons à cet individu une propriété substantielle, à savoir l’existence, tout comme nous lui attribuons la propriété d’être humain (l’humanité) lorsque nous affirmons que Socrate est un homme. Cette conception de l’existence rencontre un premier problème dit de la « barbe de Platon » : il semble que nous soyons obligés de reconnaître qu’une chose, au minimum, est, pour pouvoir affirmer avec vérité qu’elle n’existe pas. Lorsque j’affirme que Pégase n’existe pas, ce que je dis est vrai et il faut bien qu’il y ait une chose dont je nie qu’elle existe, sous peine de ne rien dire du tout. De la sorte, bien que Pégase n’existe pas, il doit être en un certain sens du mot. La logique formelle standard met bien ce paradoxe en évidence. En effet, elle permet, en partant de l’énoncé existentiel négatif singulier ‘Pégase n’existe pas’, d’inférer, par généralisation existentielle, l’énoncé ‘Il y a quelque chose qui n’existe pas’, ce qui semble contradictoire.

Un meinongien pourrait alors expliquer que Pégase, bien qu’il ne possède pas la propriété substantielle d’exister, possède d’autres propriétés, comme, par exemple, celle d’être un cheval ailé capturé par Bellérophon, et que le fait qu’un objet possède une certaine nature (un Sosein) n’implique pas nécessairement qu’il soit (qu’il possède un Sein). C’est le « principe de l’indépendance de l’être et de l’être-tel » (Meinong 1999 [1904], § 3). On pourrait ainsi soutenir que lorsque nous disons, par exemple, qu’Emmanuel Macron existe (simpliciter), nous voulons en fait dire qu’il est d’une certaine manière ou d’une autre. Ne faut-il pas en effet être d’une certaine manière, être quelque chose, peu importe laquelle, pour pouvoir exister ? Comment un objet totalement indéterminé pourrait-il exister ? Si l’on accepte cette hypothèse, il semble que nous devions alors accepter une distinction entre le fait d’être quelque chose (l’« objectualité ») et l’existence (cf. la section 6), ce qui ne va pas de soi.

Un autre problème posé par la conception de l’existence comme propriété substantielle des individus concerne la manière dont nous acquérons ce concept. Si l’existence est une propriété, il s’agit d’une propriété bien différente de celle, par exemple, d’être un homme. Nous pouvons déterminer empiriquement que certains individus possèdent l’humanité, parce qu’ils possèdent certaines caractéristiques en commun que ne possèdent pas les individus qui ne sont pas des hommes. Il est dès lors possible d’obtenir le concept d’humanité par abstraction de la propriété que ces individus ont en commun. Cependant, une telle détermination empirique ne semble pas possible pour l’existence, dans la mesure où tous les objets empiriques en sont pourvus.

Prenant appui sur cet argument, Hume soutient que l’idée d’existence n’est pas une idée « distincte ». C’est une idée qui, jointe à l’idée d’un objet quelconque, « ne lui ajoute rien » (Hume 1955, p. 123). Kant affirme, pour sa part, que l’être n’est pas un prédicat « réel », mais seulement « logique » (Kant 1966 [1781-1787], A 598, p. 1214), et que c’est pour cette raison que l’existence ne peut être obtenue d’une quelconque manière par les sens externes. L’être n’est pas « un concept de quelque chose qui puisse s’ajouter au concept d’une chose », dit-il ; il est seulement la « position d’une chose ou de certaines déterminations en soi ». Dans un énoncé catégorique, comme, par exemple, ‘Dieu est tout puissant’, la copule ‘est’ n’est pas un prédicat de plus, mais « seulement ce qui pose le prédicat en relation avec le sujet ». Si nous considérons maintenant un énoncé existentiel, comme, par exemple, ‘Dieu est’, le ‘est’ n’ajoute rien au concept de Dieu. En disant que Dieu est, je ne fais que poser « le sujet en lui-même avec tous ses prédicats, et en même temps, assurément, l’objet qui correspond à mon concept » (Kant 1966 [1781-1787], A 599, p. 1215).

​​​​​​​L’existence comme propriété de deuxième ordre

Si nous pouvons dire ce que n’est pas l’existence (un prédicat réel), pouvons-nous déterminer plus positivement ce qu’elle est ? Affirmer qu’il s’agit d’un prédicat logique peut sembler insuffisant. Les précisions données par Frege sur la manière dont on doit comprendre l’affirmation selon laquelle l’existence est une notion logique ont dominé le xxe siècle (cf. Frege 1969 [1884], § 53 ; et également Russell 1989 [1918], p. 393). Selon lui, l’existence n’est pas une propriété des individus, mais un « concept de second degré [ordre] » (Frege 1967 [1891], p. 98). Pour soutenir cette affirmation, l’auteur de l’Idéographie s’appuie sur le lien étroit qui existe, selon lui (cf. aussi van Inwagen 2017 [1998], pp. 31-32), entre le concept d’existence et celui de nombre : une affirmation d’existence n’est rien d’autre qu’un rejet de l’attribution du nombre zéro à l’extension d’un concept.

Les philosophes de tendance analytique, comme Frege ou Russell, soutiennent généralement que le meilleur moyen pour comprendre ce qu’est l’existence serait de procéder à une analyse linguistique. Autrement dit, il faudrait examiner ce que nous voulons dire lorsque nous disons que certaines choses existent. Selon le courant dominant en ontologie analytique, lorsque nous disons que les Fs existent, nous ne voulons rien dire de plus qu’il y a des Fs. L’être et l’existence ne seraient qu’une seule et même chose. Dire ‘Les kangourous existent’ et dire ‘les kangourous sont’ seraient équivalents. La phrase ‘Les kangourous sont’ sonne étrangement en français, et c’est probablement la raison pour laquelle nous lui substituons généralement la phrase ‘Il y a des kangourous’. Une fois ce point admis, le lien entre existence et nombre s’impose pour ainsi dire de lui-même : lorsque j’affirme que les kangourous existent, c’est-à-dire qu’il y a des kangourous, j’affirme que le nombre de kangourous n’est pas nul, tandis que lorsque j’affirme que les licornes n’existent pas, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de licornes, j’affirme que le nombre de licornes est nul. Or, lorsque j’asserte que le nombre de kangourous n’est pas nul ou que le nombre de licornes est nul, je n’attribue aucune propriété aux kangourous et je ne dénie aucune propriété aux licornes, mais j’attribue plutôt une propriété au concept d’être un kangourou et une autre propriété au concept d’être une licorne. Quelles propriétés ? Celle de subsumer (ou d’instancier) au moins un individu dans le premier cas et celle de ne pas subsumer d’individus dans le deuxième. D’un point de vue logique, l’idée frégéenne revient à dire que l’énoncé ‘Les Fs n’existent pas’ est équivalent à l’énoncé formalisé ‘’. L’existence n’y apparaît pas comme prédicat, mais est symbolisée par le quantificateur existentiel ‘’. L’énoncé ‘’ signifiant qu’il n’y a pas de valeur de la variable ‘’ qui satisfasse la fonction propositionnelle ‘’, c’est-à-dire de valeur qui substituée à ‘’ dans ‘’ donne une phrase vraie. La négation de l’existence des Fs revient alors à dire que le nombre de Fs est égal à zéro.

L’interprétation de l’existence comme propriété de second ordre ne permet cependant pas telle quelle de résoudre le problème des énoncés existentiels négatifs singuliers mentionné plus haut. Il faut lui ajouter la disqualification des noms propres fictifs en termes de « descriptions définies », proposée par Russell dans son célèbre article « De la dénotation » (1989 [1905]). D’après l’analyse russellienne, une phrase telle que ‘Pégase n’existe pas’ n’implique l’existence de Pégase qu’en apparence. Sous sa forme grammaticale « de surface » se cache une forme logique plus complexe. D’un point de vue logique, ‘Pégase’ n’est pas un authentique nom propre, mais l’abréviation d’une description définie, par exemple ‘le cheval ailé capturé par Bellérophon’, voir ‘la chose qui pégase’ (Quine 2003 [1948], 33-34). La forme logique de la phrase ‘Pégase n’existe pas’ est alors ‘Le cheval ailé capturé par Bellérophon n’existe pas’ et elle peut être « paraphrasée » par ‘Il n’y a pas de chose unique qui a été capturée par Bellérophon et qui est un cheval ailé’. Cette dernière phrase ne contient plus de nom propre en position sujet censé faire référence à Pégase et elle est tout simplement vraie, parce qu’aucune entité ne satisfait le prédicat ‘(a été) capturé par Bellérophon et (est) un cheval ailé’.

Bien que la conception de l’existence comme propriété de second ordre ait dominé une bonne partie du xxe siècle, elle pose certains problèmes. En particulier, on peut juger que l’analyse russellienne des énoncés existentiels singuliers est insatisfaisante (pour d’autres critiques, cf. le chapitre 2 de McGinn 2000). Par exemple, si l’affirmation que Socrate existe signifie qu’il y a une certaine propriété qui est instanciée par (ou un certain concept qui subsume) au moins individu, il faut que cette propriété soit associée à ‘Socrate’ et que ce nom fasse référence à Socrate par l’intermédiaire de cette propriété, par exemple celle d’être le maître de Platon. Dans ce cas, il semble qu’un nom propre ne peut faire directement référence à l’individu qu’il désigne, ce qui pose plusieurs problèmes dans les contextes modaux (cf. Kripke 1982 [1972] ; et Drapeau Vieira Contim et Ludwig 2005). Par ailleurs, on peut se demander quelle est cette propriété qui, associée au nom ‘Socrate’, permet à la relation de référence de s’établir. Il doit s’agir d’une propriété individuante, une propriété que seul Socrate possède. Certains répondront, reprenant une notion scotiste, qu’il s’agit d’une heccéité (cf. Nef 2004, pp. 339-347), une propriété que seul Socrate possède et que l’on pourrait appeler la socratéité (le fait d’être Socrate). Cependant, on peut légitiment considérer ce genre d’« essence individuelle » pour le moins obscure.

​​​​​​​Trois autres interprétations récentes de l’existence

Une troisième conception de l’existence, qui rassemble depuis quelques années de plus en plus de partisans et qui semble plus proche de l’intuition initiale de Kant, revient à dire que l’existence est bien une propriété de premier ordre, une propriété d’individus donc, mais une propriété qui n’est pas « substantielle », au sens où elle n’introduit aucune distinction entre les choses qui la possèdent et celles qui ne la possèdent pas. Crane parle en ce sens d’une propriété « pléonastique » (2013, p. 75) et Voltolini de propriété « formelle » (2012, p. 367). Cette propriété est généralement interprétée (cf. Salmon 1987, pp. 64-65 ; van Inwagen 2003 ; Williamson 2002, p. 244) comme celle d’être identique à quelque chose – ce que l’on notera symboliquement «  », où «  » est l’opérateur lambda d’abstraction. Il s’agit bien d’une propriété possédée par toutes les entités, dans la mesure où toute chose est censée être identique à quelque chose, à savoir elle-même.

Amie Thomasson (2015) a proposé pour sa part une conception déflationniste de l’existence, inspirée d’une certaine interprétation de Carnap. Selon cette conception prometteuse, l’existence n’est pas tant une propriété formelle, qu’un « concept formel », au sens où il est « topic neutral ». Plus précisément, Thomasson soutient que l’expression ‘existe’ peut être liée au sein d’une phrase avec des termes « matériels » de différentes catégories tout en conservant le même sens, c’est-à-dire « le même ensemble de règles d’usage de base [core rule of use] » (2015, p. 63).

On pourrait encore mentionner une cinquième conception (minoritaire) de l’existence qui trouve son origine dans les écrits de Brentano et qui a été récemment mise au goût du jour par Kriegel (2018, chap. 5). Celle-ci considère que lorsque nous disons que quelque chose existe, nous ne lui attribuons pas une propriété, pas plus que nous ne considérons qu’une certaine propriété est instanciée, pour la simple et bonne raison qu’il n’y a pas de propriété d’existence. La seule chose que nous puissions faire, c’est expliquer ce que nous faisons lorsque nous disons que quelque chose existe. D’après Kriegel, lorsque je dis qu’Emmanuel Macron existe, cela implique que je m’engage mentalement envers l’existence d’Emmanuel Macron. Cet engagement est une modification de ma représentation d’Emmanuel Macron, une modification qui affecte la relation de représentation et non son contenu. S’engager mentalement envers l’existence d’Emmanuel Macron, ce n’est pas attribuer une propriété à Emmanuel Macron, mais adopter une certaine attitude intentionnelle envers lui, une attitude de croyance en (believe in) Emmanuel Macron, caractérisée par la propriété de se le représenter-en-tant-qu’existant.

Qu’est-ce qui existe ?

La compréhension de l’ontologie comme la discipline qui a pour tâche de répondre à la question ‘Qu’est-ce qui existe ?’ a longtemps dominé l’ontologie analytique. On peut distinguer deux manières de comprendre cette question : l’une relative et l’autre absolue. Selon la première, il s’agit de se demander ce que nous présupposons exister, c’est-à-dire envers quelles entités nos théories nous engagent. C’est la question de l’« engagement ontologique ». Une deuxième manière de comprendre la question ‘Qu’est-ce qui existe ?’ revient à se demander ce qui existe simpliciter, c’est-à-dire non ce qui doit exister pour que nos théories soient vraies, mais plutôt ce qui existe réellement.

​​​​​​​Les critères d’engagement ontologique

Du point de vue de nombreux ontologues analytiques, les débats ontologiques traditionnels, comme, par exemple, la querelle des universaux qui traversa une partie du Moyen Âge (cf De Libera) se sont avérés stériles, non parce que les problèmes qu’ils essayaient de résoudre n’avaient pas de solution ou n’étaient que de faux problèmes, mais plutôt pour des raisons méthodologiques. Les philosophes de la tradition n’étaient tout simplement pas en possession de l’outil adéquat pour résoudre les problèmes ontologiques. Pour Russell, cet outil est la logique formelle inventée par Frege à la fin du xixe siècle. La grammaire de surface des phrases du langage ordinaire camoufle leur « forme logique », nous empêchant de résoudre certains problèmes ontologiques, voire parfois en créant de toutes pièces. C’est en mettant à jour cette structure logique des énoncés grâce à la logique que plusieurs problèmes philosophiques peuvent être résolus (cf. la mise en œuvre célèbre de ce programme dans Russell 1989 [1905]). Quine poursuit l’ambition russellienne, mais son utilisation de la logique formelle diffère essentiellement sur deux points de celle de l’auteur des Principes des mathématiques : la logique doit nous permettre de mettre en évidence les « engagements ontologiques » (ontological commitments) de nos théories et elle doit être mise au service d’une certaine forme de nominalisme (il ne reconnaît que l’existence des individus ; cf. Panaccio 2012).

Comme son nom l’indique, un critère d’engagement ontologique n’est pas une affirmation ontologique : il ne nous dit pas ce qui existe. Il s’agit plutôt d’un critère destiné à nous révéler ce qu’une théorie que nous tenons pour vraie suppose exister. Il peut alors guider ceux qui voudraient s’assurer une certaine économie ontologique, mais permet aussi de débusquer le « double langage philosophique » de ceux qui nient qu’existe ce envers quoi leurs affirmations les engagent ontologiquement.

La première conception de l’existence que nous avons analysée plus haut nous suggère un critère de ce type : nous devrions reconnaître comme existante toute entité désignée par une expression nominale en position sujet dans une phrase prédicative vraie. Ainsi, celui qui tient la phrase ‘Ce chat est un Persan’ pour vraie s’engage envers l’existence des chats. Au vu de ce que nous avons dit précédemment, on comprendra aisément les problèmes que ce critère peut poser : si nous admettons qu’il y a des phrases vraies portant sur des objets fictifs, des propriétés, des propositions, etc. en position sujet, nous devrons reconnaître ces entités comme existantes. C’est un coût ontologique que de nombreux ontologues ne sont pas prêts à payer. En s’appuyant sur l’interprétation quantificationnelle de l’existence, Quine a formulé un critère d’engagement ontologique plus fin.

L’idée derrière le critère quinéen est que ce que nous acceptons comme existant n’est pas tant indiqué par les domaines de référence des noms que par ceux des pronoms ; ce sont eux les véritables « marqueurs de la référence », et donc de l’existence. Or la logique des prédicats du premier ordre, en exhibant la forme logique des énoncés, permet de mettre en évidence les domaines de référence des pronoms au moyen des variables liées (celles qui tombent dans la portée d’un quantificateur). Il en résulte une reformulation des phrases du langage ordinaire dans une « notation canonique ». Par exemple, on pourra reformuler la phrase ‘Lorsqu’un chat mange du chocolat, il tombe malade’ de la manière suivante : ‘, si est un chat et mange du chocolat, alors tombe malade’, c’est-à-dire ‘Pour toute chose, si celle-ci est un chat qui mange du chocolat, alors elle tombe malade’. Comme on le voit, dans la notation canonique, la variable ‘’ est liée (par le quantificateur universel ‘’) et est le symbole qui permet de préserver la coréférence assumée par les pronoms ‘celle-ci’ et ‘qui’ dans la formule en langage ordinaire. Ces précisions étant faites, on peut comprendre la formulation quinéenne du critère d’engagement ontologique : « […] une théorie est engagée pour les entités, et celles-là seules, que ses variables liées doivent avoir comme référence possible pour que les affirmations faites dans la théorie soient vraies » (Quine 1997 [1950], p. 41).

Voyons comment ce critère fonctionne sur deux exemples. Soit la phrase :

(1) Il y a un trou dans le mur

et la phrase :

(2) Le mur est troué.

Au premier abord, ces deux phrases semblent équivalentes. Pourtant, elles n’ont pas le même engagement ontologique. Alors que la première engage celui qui la considère comme vraie envers l’existence des trous et des murs, puisqu’elle permet d’inférer, via la logique des prédicats du premier ordre, ‘ est un trou et est un mur et est dans ’, la seconde engage celui qui la considère comme vraie uniquement envers les murs, puisqu’elle ne permet de déduire que l’énoncé ‘ est un mur et est troué’. Cette mise en évidence des engagements ontologiques de (1) et (2) est précieuse pour l’ontologue qui refuse l’existence des trous : à chaque fois qu’il se trouvera confronté à une phrase telle que (1) qui l’engage envers l’existence de telles entités, il devra soutenir qu’une telle phrase peut être remplacée systématiquement par la phrase (2), qui ne nous engage nullement envers les entités de cette sorte.

Pour prendre un autre exemple, une théorie qui contient la phrase ‘Ce chat est un Persan’, engage le tenant de cette théorie à admettre l’existence de chats Persans, puisqu’on peut déduire de cette phrase qu’il y a des chats Persans. Cela ne l’oblige pas pour autant à admettre qu’il existe une certaine espèce de chat, à savoir celle des Persans. Ce n’est qu’à partir du moment où sa théorie contient des phrases du type ‘Certaines espèces de chats peuvent être croisées’ que l’adepte de cette théorie s’engage à reconnaître l’existence d’entités aussi abstraites que les espèces de chats.

Plusieurs critiques ont été soulevées à l’égard du critère d’engagement ontologique de Quine. Citons-en succinctement trois. Premièrement, la logique des prédicats du premier ordre est incapable d’exprimer certaines affirmations contenant des contextes intentionnels, comme, par exemple, ‘Ce chat aurait pu ne pas être un Persan’. Pour pouvoir traiter ce genre de contextes, il faut, au minimum, adjoindre des opérateurs modaux à la logique des prédicats du premier ordre. Il est donc douteux que cette logique soit l’outil le plus adéquat pour formaliser nos énoncés et mettre en évidence leurs engagements ontologiques. Deuxièmement, le critère de Quine repose sur une interprétation « objectuelle » du quantificateur existentiel. Or celle-ci ne va pas de soi. Par exemple, dans le système formel appelé « Ontologie » et développée Stanisław Leśniewski ou dans les logiques néomeinongiennes, le quantificateur particulier n’exprime pas l’existence. Finalement, on peut douter que le quantificateur existentiel soit réellement le plus à même d’exprimer les engagements ontologiques d’une théorie. Si tel était le cas, lorsque le réaliste à l’égard des nombres naturels affirme que ceux-ci existent, il ne voudrait rien dire d’autre qu’il y a au moins un nombre naturel. Est-ce réellement ce qu’il veut dire ? Son intention est plutôt d’affirmer que tous les nombres naturels existent. Il conviendrait dès lors d’exprimer son affirmation ontologique au moyen d’un énoncé du type : ‘Pour tout , si est un nombre naturel, alors existe’ (Fine 2017 [2009], pp. 74 sqq.). Si cette remarque est correcte, la charge ontologique ne peut plus reposer (du moins exclusivement) sur le quantificateur existentiel, mais bien (aussi) sur un prédicat d’existence.

Le critère quinéen d’engagement ontologique n’est toutefois pas le seul à la disposition des ontologues. Considérons l’énoncé existentiel singulier ‘Emmanuel Macron existe’. Cette phrase étant vraie, on peut se demander ce qui la rend vraie, c’est-à-dire chercher à déterminer quel est son « vérifacteur » (truthmaker). Plusieurs réponses peuvent être apportées à cette question. Les deux principales sont : Emmanuel Macron lui-même, c’est-à-dire un individu, ou le fait qu’Emmanuel Macron existe, c’est-à-dire un « état de choses » (Sachverhalt). Certains (Mulligan, Smith et Simons 2008-2011 [1984] ; Lowe 2006, pp. 186–187) ont suggérés que les « tropes », c’est-à-dire les particuliers abstraits, comme la rougeur de telle rose, pourraient servir de vérifacteurs pour les énoncés prédicatifs contingents. Par exemple, ce qui rendrait vrai la phrase ‘Emmanuel Macron est l’actuel président de la République française’ serait la présidentialité propre à Emmanuel Macron, laquelle diffère de la présidentialité propre à François Hollande.

La notion de vérifacteur peut servir à la formulation d’un critère d’engagement ontologique. On soutiendra ainsi qu’une théorie s’engage envers les entités qui rendent vrais ses énoncés. Un tel critère a été défendu par des auteurs comme Armstrong (2004, p. 23), Heil (2011 [2003], p. 25) et Cameron (2008).

Chaque sorte de vérifacteurs mentionnée précédemment présente des problèmes ontologiques et métaphysiques que nous ne pouvons aborder ici (pour un échantillon, cf. Monnoyer 2004 ; et Nef 2004). Quant au critère d’engagement ontologique lui-même, il fait face à une difficulté dans le cas des énoncés existentiels négatifs. En effet, qu’est-ce qui peut bien rendre vraie la phrase ‘Il n’y a pas de licornes’ ? Selon la conception orthodoxe des vérifacteurs, toute phrase vraie nécessite quelque chose qui la rend vraie (thèse du « maximalisme vérifactionnel »). Peut-être répondra-t-on alors que ce qui rend vraie la phrase ‘Il n’y a pas de licornes’, c’est l’absence de licornes, mais il faudrait dans ce cas reconnaître comme existantes des entités négatives, tels les manques ou les absences, ce qui peut paraître étrange. Il existe toutefois des solutions à ce type de problèmes (cf. Armstrong 2004, p. 58).

​​​​​​​Ontologies catégoriales

Répondre à la question ontologique ‘Qu’est-ce qui existe ?’ revient à un établir un « inventaire » de la réalité, à déterminer ce que Russell appelle « l’ameublement du monde ». Dans la perspective relativiste de Quine, il n’y a pas d’autre tâche ontologique au-delà de l’établissement de la liste de ce qui existe : soit une supposée entité est incluse dans la liste, soit elle ne l’est pas, un point c’est tout. Il est généralement admis (Schaffer 2009, p. 354) que cette conception aboutit à une ontologie « plate » (une conception platiste de l’ontologie est également défendue par certains tenants du réalisme spéculatif ; cf. Rabouin 2018), c’est-à-dire dépourvue de toute forme de relation hiérarchique entre les classes d’entités, voire même de simple distinction entre classes d’entités (ce deuxième point est discutable). Dans la conception absolutiste, demander ce qui existe, c’est se demander ce qui existe « tout court », et non ce que nous présupposons exister pour que nos théories soient vraies. La plupart des partisans de cette conception considèrent cependant que l’ontologie ne peut en rester à une telle liste chaotique d’entités ; il convient d’y mettre de l’ordre. Lorsqu’elle tente de répondre à la question ‘Qu’est-ce qui existe ?’, l’ontologie ne se contente pas de dire, par exemple, j’existe, la table en face de moi existe, mon chat existe, etc. Elle ne s’intéresse pas à n’importe quelles divisions de la réalité, mais plutôt à celles qui la découpent à ses « articulations » (Platon), qui exhibent la « structure fondamentale » de ce qui est. Dès lors, elle se demande ce qui existe en général, c’est-à-dire quelles sortes de choses existent. Une réponse à la question ‘Qu’est-ce qui existe ?’ sera alors : il existe des personnes, des artéfacts, des espèces biologiques, etc.

On peut identifier de nombreuses classes d’objets existants. Certaines de ces classes possèdent des éléments en commun, d’autres pas et certaines sont incluses dans d’autres. Habituellement, l’ontologue cherche à établir une liste des classes d’objets « les plus générales », aussi appelées « catégories ontologiques » ou « genres suprêmes de l’être ». Elles sont « les plus générales » au sens où elles ne sont pas elles-mêmes incluses dans d’autres classes d’étants plus englobantes. Comme l’a remarqué Simons (2013, pp. 126-127 ; cf. également Smith 2005), la philosophie analytique, sous l’influence de ses pionniers et de la logique des prédicats, a plus souvent qu’à son tour considéré que leur nombre s’élevait à deux : la catégorie des individus et la catégorie des attributs, cette dernière incluant autant les propriétés que les relations. Néanmoins, l’ontologie analytique s’est progressivement éloignée de ce modèle trop restreint pour construire des ontologies catégoriales qui ne sont pas dérivées de la logique formelle standard.

Le projet d’ontologie catégoriale remonte à Aristote. Chez lui, la multiplicité des « catégories » (katègoria) dérive de la « non-univocité de l’être » : celui-ci se dit en plusieurs sens (Métaphysique, , 2, 1003 a 33). Nous exprimons notre connaissance de la réalité dans des énoncés déclaratifs, c’est-à-dire des énoncés susceptible d’être vrais ou faux. Lorsque j’énonce que le liquide que contient la bouteille sur mon bureau est de l’eau, j’exprime quelque chose à propos de la réalité, mais ce n’est pas le cas lorsque, par exemple, je demande à un ami d’aller me chercher de l’eau parce que j’ai soif. C’est donc dans les énoncés déclaratifs qu’il faut rechercher ce qu’il en est des choses dont nous parlons. Pour le Stagirite, ces énoncés sont de la forme ‘S est P’ (ou peuvent du moins toujours être ramenés à cette forme), où ‘S’ désigne le sujet et ‘P’ le prédicat. La copule ‘est’ lie un sujet à un prédicat au sein d’un énoncé déclaratif, mais elle peut le faire de plusieurs manières selon le type de questions que l’on pose à propos du sujet. Si face à un individu, disons Emmanuel Macron, on me demande ‘Qu’est-ce que ceci ?’, en désignant du doigt l’individu en question, je répondrai ‘C’est un homme’, ou si l’on me demande ‘Combien y a-t-il de ceci ?’, je répondrai ‘Il y en a un’. Dans la première réponse, j’aurai rapporté Emmanuel Macron à la catégorie de substance et dans la deuxième à la catégorie de quantité. Outre ces deux catégories, Aristote en distingue huit autres, que la tradition a retenues sous les noms de qualité, relation, lieu, temps, position, possession, action et passion (sur les difficultés que pose l’interprétation du statut des catégories aristotéliciennes, cf. Delcomminette 2018, pp. 50-63).

Aristote articule-t-il les catégories entre elles ? Certes, la catégorie de substance joue un rôle privilégié au sein de son dispositif catégorial, dans la mesure où toutes les autres catégories peuvent être vues comme des affections de celle-là. Comment en effet expliquer la qualité, la grandeur, le lieu, etc., sinon en les rapportant toujours à un objet (la couleur à cette table, la masse à ce poids, l’heure d’arrivée à ce train, etc.) ? En revanche, expliquer ce qu’est une substance ne réclame pas de la rapporter à autre chose qu’elle-même (Crubellier et Pellegrin 2002, pp. 350-351). En dehors du rôle privilégié dévolu à la substance dans son dispositif catégorial, Aristote ne propose pas d’articulation systématique entre les différentes catégories. Son ontologie catégoriale ne propose, de ce point de vue, qu’une simple « table des catégories » (Kategorientafel) – une liste des classes d’étants –, et non une véritable « théorie des catégories » (Kategorienlehre) (Johansson 1989, p. 2).

L’ontologie catégoriale proposée par Kant va à cet égard plus loin. Sa théorie des catégories n’a toutefois pas pour ambition de découper la réalité telle qu’elle est en elle-même, mais uniquement telle que nous la connaissons. La raison en est que, selon Kant, nous n’avons pas d’accès à la réalité en soi : le seul accès que nous ayons au domaine de l’être est celui qui est médié par notre appareillage cognitif. À l’opposé de cette conception kantienne de la tâche catégoriale, la plupart des philosophes contemporains (Grossmann 1983 ; Johansson 1989 ; Hoffman et Rosenkrantz 1994 ; Chisholm 1996 ; Lowe 2006) ont tenté d’établir un système de catégories qui à la fois soit hiérarchique et reflète la structure fondamentale de la réalité elle-même, et non telle que nous nous la représentons.

Dans ces conceptions contemporaines du projet d’ontologie catégoriale, l’influence de la théorie des catégories du Stagirite (on les qualifie parfois de « néo-aristotéliciennes » ; cf. Tahko 2012) semble avoir joué un rôle aussi important que sa réinterprétation par Brentano dans sa dissertation doctorale sur la Diversité des acceptions de l’être d’après Aristote (1992 [1862]). Nous trouvons dans cet ouvrage (p. 164) la présentation topologique des catégories aristotéliciennes suivantes :​​​​​​​

 

être

 

 

substance

 

accidents

 

 

modifications

 

relations

 

inhérences

changements

circonstances

 

 

 

qualité

quantité

faire

subir

quand

 

 

Table des catégories d’Aristote dans la version de Brentano.

Cette présentation est pour le moins étrange. Outre qu’elle semble contenir huit genres de l’être, elle subordonne ceux-ci à une catégorie unique, un seul genre suprême, en l’occurrence l’être lui-même, alors que Brentano souligne expressément que pour Aristote l’être n’est pas un genre, et donc pas non plus une catégorie. En Métaphysique B (1991, B, 3, 998b20-30), Aristote soutient en effet la thèse selon laquelle l’étant et l’un ne peuvent être des genres, car, d’une part, l’un et l’étant peuvent être prédiqués de toute chose, en particulier des différences spécifiques de chaque genre, et, d’autre part, le genre, pris à part de ses espèces, ne peut être prédiqué de ses différences. Par exemple, concernant ce deuxième point de l’argument, nous ne pouvons prédiquer le genre animal de la différence raisonnable, laquelle est génératrice de l’espèce homme, puisque dans ce cas le genre serait attribué plusieurs fois à l’espèce, une fois directement et une fois indirectement via la différence (Aristote 2004, VI, 6, 144a25-114b5). Donc, si le raisonnable était animal, il semblerait inutile de définir l’homme comme un animal raisonnable, car la rationalité impliquerait déjà l’animalité (Aubenque 2002, p. 229) ; la différence ne ferait plus aucune différence (spécifique). Il ne saurait donc pas y avoir de genre de l’être englobant tous les autres et dont le sens serait univoque. Bien qu’elle s’oppose à la lettre du texte aristotélicien, la subordination des classes d’entités à un genre est pourtant l’un des aspects de la présentation brentanienne de la théorie des catégories qui a eu un effet déterminant sur les théories contemporaines des catégories.

Quelles sont les caractéristiques des ontologies catégoriales contemporaines ? À notre avis, on peut en identifier au moins quatre (cf. Richard 2017). Nous avons tout d’abord :

  1. Une ontologie catégoriale devrait classifier tout ce qui est. Autrement dit, aucune entité existante ne peut tomber en dehors du système catégorial.

  2. Les différentes classes de la table des catégories devraient entretenir certaines relations entre elles. Par exemple, on considère généralement que les propriétés universelles (comme la sagesse) sont exemplifiées par des particuliers concrets (comme Socrate) et que ces mêmes propriétés sont instanciées par des propriétés particulières (comme la sagesse de Socrate), lesquelles inhèrent à leur tour dans les particuliers concrets.

Ces deux premières tâches constituent ce que nous pourrions appeler les tâches fondamentales de toute entreprise ontologico-catégoriale. À ces deux premières tâches, nous pouvons en ajouter deux autres :

  1. Il devrait y avoir des lois ontologiques régissant les différentes catégories et les classes qui leur sont subordonnées. Par exemple, selon la conception des universaux que l’on favorise, on pourra soutenir qu’un universel ne peut exister sans être instancié ou que tout universel existe, même s’il n’est pas instancié.

  2. La table des catégories devrait être organisée hiérarchiquement, c’est-à-dire que les ensembles de divisions catégoriales qui la composent devraient être ordonnés au moyen d’une certaine relation. Cette relation devrait notamment avoir pour conséquence qu’une classe qui se situe à un niveau donné de la hiérarchie ne se retrouve pas à un niveau inférieur. La table des catégories est alors généralement représentée sous la forme d’un « arbre de Porphyre » (cf. de Libera 1996, pp. 44-46), dans lequel on aboutit à une ou plusieurs catégories ou « genres suprêmes », c’est-à-dire « “ce qui, tout en étant genre, n’est pas espèce”, ou encore : “ce au-delà de quoi il ne saurait y avoir un autre genre” » (Porphyre 1998, II, § 8, p. 7).

La structure hiérarchique évoquée dans le dernier point peut être comprise de différentes manières. Le plus souvent, la relation d’ordre est simplement une relation d’inclusion ensembliste stricte, de sorte que toute classe d’entités se retrouve emboîtée dans une classe d’entités plus générales, pour aboutir à une ou plusieurs catégories ultimes. Cependant, on peut également concevoir la relation d’ordre entre classes d’entités comme une relation de fondation ou de dépendance ontologique (sur celles-ci, cf. la section 8). L’idée est alors que certaines classes ontologiques – typiquement celles situées plus haut dans la hiérarchie – seront jugées plus fondamentales. Finalement, par souci d’économie ontologique, on peut aussi exiger que les classes moins fondamentales puissent être réduites aux classes plus fondamentales. Par exemple, dans une théorie des particuliers concrets comme faisceaux de propriétés particulières ou tropes, les premiers se réduisent aux seconds.

Généralement, les ontologues n’envisagent qu’un seul système de catégories. De ce point de vue, leurs ontologies catégoriales peuvent être dites « unidimensionnelles ». Il est néanmoins possible d’élaborer ce que l’on pourrait appeler, avec Thomasson (1999, p. 120), une ontologie catégoriale « multidimensionnelle ». Une telle ontologie contient plusieurs systèmes catégoriaux « orthogonaux » les uns aux autres, au sens où on ne peut passer d’une catégorie relevant d’un système à une catégorie relevant d’un autre système par simple généralisation. À l’époque contemporaine, ce type d’ontologie a été introduit par Husserl. Celui-ci distingue ce qu’il appelle les « catégories ontologico-formelles » des « catégories ontologico-matérielles », chacune de ces catégories relevant d’ontologies différentes et irréductibles : l’« ontologie formelle » et les « ontologies matérielles » ou « régionales ». Les catégories ontologiques relevant du premier genre se regroupent autour de « l’idée vide du quelque chose ou de l’objet en général » (Husserl 2002a [1913], p. 36). Nous y trouvons des concepts aussi divers que ceux de quelque chose, d’objet, de chose, d’état de choses, de qualité, d’unité, de pluralité, de relation, de connexion, de nombre, de tout, de partie, ou encore de grandeur. Ces concepts sont obtenus par « formalisation » et sont « indépendants de la particularité d’une matière de connaissance quelconque » (Husserl 2002 [1913], p. 269 ; et le chapitre 3 de Richard 2014). À l’opposé, les catégories ontologico-matérielles « expriment quelque chose de concret », elles possèdent une « teneur de chose » (Sachhaltigkeit), et sont obtenues par un processus d’abstraction. Parmi ces concepts matériels, nous trouvons ceux de maison, d’arbre, de couleur, de son, d’espace, de sensation, etc. Ils culminent dans des « genres concrets suprêmes », ou « régions ontologiques ».

Ingarden, l’un des disciples réalistes de Husserl, considère qu’un troisième type d’ontologie doit être ajouté à l’ontologie formelle et aux diverses ontologies matérielles : ce qu’il appelle l’« ontologie existentielle » (Ingarden 1964-1974 ; et Richard 2016). Se fait alors jour la possibilité d’un troisième système catégorial composé de différentes catégories ontologico-existentielles. Celles-ci n’ont trait ni à la forme ni à la matière des objets, mais à leurs « modes d’être », c’est-à-dire aux différentes manières d’exister. On pourra ainsi éventuellement distinguer les catégories d’objets réels, d’objets idéaux, voire même d’objets purement intentionnels. Une ontologie catégoriale multidimensionnelle, inspirée des travaux d’Ingarden, a été développée récemment par Thomasson (cf. la deuxième partie de 1999).

L’être est-il univoque ?

Comme nous l’avons vu, chez Aristote, les catégories ontologiques trouvent leur origine dans la thèse de la non-univocité de l’être : le fait que quelque chose soit se dit de plusieurs manières. Cette thèse ne fait cependant pas l’unanimité. De nombreux philosophes ont en effet soutenu la thèse de l’univocité de l’être (Scot, Whitehead, Deleuze, Quine, van Inwagen). La manière d’interpréter cette thèse n’est pas simple. Commençons par en distinguer deux interprétations possibles, qui ne sont pas toujours distinguées. Tout d’abord, la thèse de l’univocité de l’être peut signifier la subordination des différentes classes d’entités à une catégorie unique qui les englobe toutes (thèse du « monisme ontologique »). Ensuite, la thèse de l’univocité peut être interprétée comme signifiant que les entités n’existent que d’une seule façon (thèse du « monisme existentiel »). De ce point de vue, être et exister, c’est tout un. Lorsqu’ils sont de tendance analytique, les ontologues expriment généralement cette thèse au moyen de l’équivalence entre les énoncés ‘Il y a des Fs’, ‘Les Fs sont’, ‘Les Fs existent’ et ‘F()’.

En fonction de l’acceptation ou du rejet de la thèse du monisme existentiel et de l’acceptation ou du rejet de la thèse monisme ontologique, plusieurs options ontologiques peuvent être distinguées. On peut tout d’abord combiner le pluralisme ontologique avec le monisme existentiel. Les ontologies de cette sorte affirment donc que bien qu’il puisse y avoir plusieurs catégories ontologiques, lesquelles peuvent éventuellement être elles-mêmes divisées en différentes « espèces », il n’y a qu’une seule façon d’exister.

Une thèse plus forte consiste à soutenir que non seulement les choses n’existent que d’une seule manière, mais également qu’il n’y a qu’une seule catégorie ontologique. C’est, par exemple, le cas du « réisme » de Tadeusz Kotarbiński qui ne reconnaît que la catégorie des choses matérielles étendues dans l’espace, toute autre prétendue catégorie pouvant être réduite à la seule catégorie authentique, généralement en paraphrasant le contexte propositionnel dans lequel elle apparaît. Le nominalisme, qui n’accepte comme existant que les individus, peut généralement être inclus dans ce type d’ontologie.

Le rejet de la thèse du pluralisme existentiel s’accompagne le plus souvent de celle du pluralisme ontologique. Les différentes catégories ontologiques sont alors interprétées comme autant de manières d’exister, des modes d’être irréductibles les unes aux autres. Il est toutefois possible de soutenir ces deux thèses, sans pour autant les confondre. Les ontologies catégoriales multidimensionnelles (cf. la section 5.2) soutiennent ainsi que, s’il y a plusieurs modes d’être, il y a des catégories ontologiques qui ne doivent pas être conçues comme des façons d’exister, à savoir les catégories ontologico-matérielles et les catégories ontologico-formelles.

Bien qu’elles aient dominé l’histoire de l’ontologie, les ontologies « baroques » qui reconnaissent une pluralité de modes d’être ont plutôt été minoritaires à l’époque contemporaine, laquelle a été marquée par un goût pour les ontologies austères. Parmi les ontologues ayant défendu le pluralisme existentiel au xxe siècle nous trouvons toutefois des auteurs tels que Heidegger, Russell, Ryle, Ingarden ou Meinong. Ces auteurs distinguent au minimum l’existence au sens réel (temporel) de l’existence au sens idéal (atemporel). On dira, par exemple, que la table sur laquelle je travaille existe (au sens restreint), mais que le nombre π subsiste. Certains, tel Ingarden, vont même jusqu’à attribuer un mode d’être aux objets fictifs : le mode d’être purement intentionnel. Ces objets n’existent alors qu’en tant qu’ils sont produits par des individus pourvus d’intentionnalité. Ils ont la propriété d’être « ontologiquement incomplets », c’est-à-dire d’échapper au principe ontologique du tiers exclu. Par exemple, Sherlock Holmes ne possède ni la propriété d’avoir un nombre pair de cheveux ni la propriété d’avoir un nombre impair de cheveux.

Une fois admise la thèse du pluralisme existentiel, celle-ci peut être formalisée en distinguant différentes sortes de prédicats d’existence (par exemple Routley 2018, pp 242-247) ou différents sens du quantificateur existentiel (cf. McDaniel 2017). Le problème, rétorquera-t-on, est que le langage ordinaire ne fait pas cette distinction. Ainsi, semble-t-il, c’est en un même sens que l’on affirme qu’il y a des tigres et qu’il y a des nombres. Peut-on dès lors réellement distinguer un sens formel de l’existence (l’existence simpliciter) et différents sens substantiels (cf. la section 4) de l’existence (l’existence réelle, idéale, etc.) ? La tradition a généralement résolu ce problème en affirmant que l’être est utilisé de manière « analogique » dans ces différentes utilisations. Cela signifie que les multiples usages substantiels de l’existence ne sont pas des cas de pure équivoque, au contraire de ce que l’on rencontre, par exemple, avec le mot ‘avocat’, qui peut être utilisé pour désigner un fruit ou un juriste, mais plutôt que, bien que nous n’utilisons pas le verbe ‘exister’ dans le même sens lorsque nous disons que les nombres pairs existent et lorsque nous disons que les tigres existent, ces différents usages du même verbe ont ce que Owen appelle un « sens focal » (1986, pp. 187 et 217 ; cf. également McDaniel 2017, pp. 15, 17 et 49), c’est-à-dire un sens premier (celui de l’existence générique ou formelle) au moyen duquel les sens secondaires (ceux des modes d’être) peuvent être expliqués.

Pour finir, il existe une troisième manière d’interpréter la thèse de l’univocité de l’être, que l’on retrouve, par exemple, chez Quine. Celle-ci consiste à refuser qu’il puisse y avoir des entités qui n’existent pas (rejet de la thèse du « nonéisme » ; cf. Routley 2018 [1980] ; et Priest 2005), que ce soit en un sens restreint ou large. À cet égard, les entités non existantes sont de pures fictions et il convient de montrer comment les énoncés qui portent sur ces inexistants peuvent reformulés au moyen d’énoncés qui ne font référence qu’à des entités existantes en bonne et due forme. À l’opposé, un auteur comme Meinong affirme non seulement qu’il y a des objets qui n’existent pas au sens restreint (à savoir les objets qui subsistent), mais également des objets dont on peut dire qu’ils ne sont pas en aucun sens du terme (Meinong 1999 [1904], p. 73), des objets « au-delà de l’être et du non-être ». C’est le cas des objets visés par nos représentations en tant que tels. Nous pouvons viser intentionnellement un objet existant (la table sur laquelle j’écris) ou un objet non existant (un cercle-carré), mais l’objet visé considéré en tant que tel ni n’existe ni n’existe pas. Les objets de ce type sont doués d’une forme d’« objectualité », au sens où nous pouvons dire qu’il y a des objets de ce type (ils peuvent être visés par nos représentations), mais qu’ils ne sont pas, c’est-à-dire qu’ils n’existent pas au sens large (il n’est ni vrai qu’ils existent [au sens restreint], ni vrai qu’ils subsistent). L’étude de ces objets ne relève plus alors de l’ontologie, mais de ce que Meinong appelle une « théorie de l’objet » (Gegenstandstheorie). Celle-ci a été fortement critiquée par Russell (cf. 1905), mais a depuis lors été réhabilitée par différents auteurs (Parsons, Zalta, Rappaport, Routley, Priest, Jacquette, Berto) qualifiés de « néomeinongiens » (cf. Leclercq 2010).

Dans les deux prochaines sections, nous examinons deux des débats les plus récents en ontologie contemporaine.

La métaontologie

L’expression « métaontologie » a été introduite de manière systématique par Peter van Inwagen en 1998. De manière générale, la métaontologie peut être vue comme la discipline qui a pour tâche de préciser le sens des questions que pose l’ontologie et la méthode qui doit être la sienne pour répondre à ces questions. Si l’on considère que le but de l’ontologie est de répondre à la question ‘Qu’est-ce qui existe ?’, alors la question de savoir ce que signifie exactement cette question est d’ordre métaontologique. Si, plus précisément encore, nous considérons que la tâche de l’ontologie est de mettre à jour nos engagements ontologiques, la question du sens des quantificateurs sera une question typiquement métaontologique.

L’une des questions centrales en métaontologie est celle de savoir si les questions ontologiques peuvent tout simplement recevoir une réponse. Si tel est le cas, cette réponse est-elle substantielle ou bien triviale ? De plus, comment pouvons-nous obtenir cette réponse ? Ces questions et les réponses qui leur ont été apportées sont au cœur de la métaontologie contemporaine. Elles ont été largement influencées par les débats qui ont eu lieu entre Quine et Carnap dans les années quarante et cinquante.

​​​​​​​La métaontologie quinéenne

Quine essayait avant tout de défendre une certaine forme de nominalisme dans sa philosophie. Ses héritiers contemporains ont cependant vu dans sa démarche une position méthodologique susceptible d’être adoptée en ontologie. Cette métaontologie quinéenne a pendant longtemps constitué une certaine orthodoxie. Dans la mesure où nous l’avons déjà implictement abordée dans ce qui précède, nous pouvons nous permettre d’en résumer les quatre points principaux. Premièrement, pour Quine, l’ontologie est l’étude de ce qui existe et la réponse à la question ontologique ‘Qu’y a-t-il ?’ se résume à un simple ‘Tout’ (2003 [1948], p. 25). Il n’y a pas de différence entre être et existence et il ne saurait y avoir d’entités non existantes. Que faire alors du problème de la barbe de Platon (cf. la section 4.1) ? Quine, qui a le « goût des paysages [ontologiques] désertiques », ne peut accepter la solution meinongienne à cette énigme. Pour lui, il n’y a pas « d’entité sans identité » (1981 [1975], p. 102) et les conditions d’identité, par exemple, de Pégase ne sont pas claires. C’est donc assez naturellement qu’il opte pour la théorie russellienne des descriptions définies pour disqualifier tous les supposés noms propres.

Deuxièmement, Quine défend la thèse du monisme existentiel : il n’y a pas différents modes d’être. Dès lors, si nous attribuons l’existence à des objets matériels, comme les chaises, ou à des objets abstraits, comme les nombres, ceux-ci sont supposés exister de la même manière. À l’appui de cette thèse, van Inwagen, qui se revendique explicitement de Quine, invoque la proximité, soulignée par Frege, entre l’attribution d’existence et l’attribution d’un nombre.

Le troisième point important concernant la position de Quine est que le quantificateur existentiel ‘’ de la logique des prédicats du premier ordre permet de capturer le sens univoque de l’existence. Son nominalisme l’empêche cependant d’y voir, à l’instar de Frege ou de Russell, une propriété de second ordre. Il soutient plutôt, en accord avec son critère d’engagement ontologique, qu’« être, c’est être la valeur d’une variable liée » (Quine 2003 [1948], p. 43).

Le quatrième point est d’ordre méthodologique. Il précise comment répondre aux questions ontologiques. Pour Quine, ces questions ontologiques peuvent recevoir une réponse et cette réponse n’est pas triviale. Il considère que l’enquête philosophique est « en continuité » avec l’enquête scientifique. Dès lors, la meilleure manière d’obtenir une réponse à une question ontologique consiste à adopter une attitude scientifique en ontologie (cf. Quine 2003 [1948], pp. 44-45). Cela revient, premièrement, à regarder quelles sont nos meilleures théories et, deuxièmement, à déterminer ce qu’elles affirment exister au moyen du critère d’engagement ontologique.

​​​​​​​Les questions externes et internes selon Carnap

Une bonne partie de la philosophie de Quine a été élaborée en réponse à plusieurs thèses de celui qui fut d’abord son maître : Carnap. Dans « Empirisme, sémantique et ontologie » (1997 [1950]), ce dernier soutient que pour répondre correctement aux questions ontologiques, il importe d’accepter une distinction fondamentale entre deux types de questions : les « questions internes » et les « questions externes ». Il pense que pour pouvoir nous demander si une entité d’une certaine sorte existe, nous devons disposer d’un certain langage possédant un terme permettant de nommer cette entité et de règles fixant son usage. Il faut donc disposer d’un « cadre linguistique » (linguistic framework) (Carnap 1997 [1950], p. 315) : un langage et des règles qui déterminent les conditions de vérité des phrases de ce langage. Ces règles spécifient que certaines phrases du langage sont vraies uniquement en vertu des termes qu’elles contiennent – les phrases « analytiques » – et que d’autres sont vraies lorsque certaines conditions empiriques sont remplies – les phrases « synthétiques ». Prenons l’exemple du « langage des choses » et de ses règles d’interprétation. Nous pouvons, par exemple, y formuler la phrase :

(1) Toutes les tables sont des meubles.

Cette phrase est analytiquement vraie, parce que, par définition, c’est-à-dire uniquement en vertu des règles du cadre du langage des choses, toutes les tables sont des meubles. En revanche, la vérité de la phrase :

(2) Il y a des tables,

doit être déterminé par un examen empirique. Celui-ci nous indique alors si les conditions énoncées par les règles qui régissent l’interprétation du mot ‘table’ – les conditions à satisfaire pour être une table étant donné le sens du mot ‘table’ – sont bien vérifiées.

Une question ontologique du type ‘Y a-t-il des tables ?’, conçue comme une question « théorique », est douée de sens si elle posée de manière interne à un cadre linguistique, par exemple celui des choses. Elle peut alors recevoir une réponse et la méthode pour pour la déterminer est contenue dans les règles du cadre linguistique. Cette question exigera en l’occurrence une méthode empirique. En revanche, pour répondre à la question ‘Y a-t-il un nombre premier entre 3820 et 3824 ?’ dans le cadre linguistique de l’arithmétique, nous devrons recourir à des méthodes logiques et mathématiques. Soulignons qu’il ne s’agit pas, pour Carnap, de déterminer quelles seraient les réponses à ces questions relativement à un certain cadre, mais plutôt de préciser le cadre linguistique dans lequel on peut poser ces questions de manière sensée.

On pourrait aussi vouloir se demander si le monde des choses est réel. Autrement dit, y a-t-il réellement des tables, des chaises, etc., c’est-à-dire indépendamment de tout cadre linguistique ? Les questions hautement générales de cette sorte sont celles que posent exemplairement les ontologues. Elles portent sur le cadre linguistique lui-même et ne peuvent être posées de manière interne à ce cadre linguistique ; elles exigent d’en sortir. Selon Carnap, elles sont dépourvues de sens, parce qu’il n’y a pas de règles qui permettent de leur donner du sens au sein du langage des choses ; ce ne sont que des pseudo-questions. La seule manière de leur donner du sens est de les envisager comme des « questions pratiques » (Carnap 1977 [1950], p. 316) portant sur l’opportunité d’adopter ou non un certain cadre linguistique. Les raisons pour lesquelles nous faisons le choix d’un cadre linguistique peuvent être la simplicité, l’efficacité ou la fécondité de l’usage du langage qui lui est associé. Par exemple, nous pouvons adopter la règle :

(3) ‘spin’ désigne une propriété,

qui n’implique, selon Carnap, « aucune assertion de réalité » de la propriété d’avoir un spin. Elle ne dénote qu’un choix commode de disposer d’un terme qui permet de parler d’une telle propriété et de formuler, par exemple, la question interne :

(4) L’électron possède-t-il un spin entier ?

Au final, pour Carnap, le problème de nombreux ontologues est qu’ils interprètent les questions ontologiques à la fois comme des questions internes et des questions internes.

Du point de vue philosophique, les questions ontologiques sont généralement vues comme des questions profondes, des questions auxquelles il n’est pas simple de répondre. Cependant, si Carnap a raison, ce sont soit des questions dépourvues de sens, soit des questions relativement triviales, des questions dont la réponse ne nécessite pas de grandes recherches philosophiques. Par exemple, pourvu que l’on considère la question ‘Y a-t-il des nombres ?’ comme une question interne au cadre linguistique arithmétique, cette question peut assez facilement recevoir une réponse : dans le langage de l’arithmétique, muni des règles d’introduction des termes de ce langage, ainsi que de quelques règles de déduction, on peut démontrer qu’il existe des nombres, et notamment deux nombres premiers entre 3820 et 3824 ; dans le cadre linguistique arithmétique, la question de savoir s’il y a des nombres est triviale, alors qu’en dehors de ce cadre, elle n’a pas de sens.

À l’époque où elle a été formulée, la position métaontologique de Carnap ne s’est pas réellement imposée du fait de son lien supposé avec la distinction analytique/synthétique et de la critique influente qu’en a faite Quine (cf. 2003 [1951]). La métaontologie quinéenne en est dès lors venue à occuper une position relativement hégémonique au sein de la tradition analytique depuis une soixantaine d’années (c’est, par exemple, encore celle de van Inwagen ou de Sider). Elle est toutefois aujourd’hui contestée par plusieurs auteurs qui se revendiquent d’une métaontologie d’inspiration carnapienne (Hofweber, Chalmers, Dorr, Thomasson).

​​​​​​​Le pluralisme linguistique

Selon l’interprétation de ce que l’on appelle les « néocarnapiens » (par opposition aux « néoquinéens »), Carnap aurait défendu une forme de « pluralisme linguistique » (language pluralism) : la plupart des débats en ontologie ne seraient que des « disputes verbales » (verbal disagreement), parce que les philosophes qui s’opposent dans ces débats adopteraient des cadres linguistiques différents, de sorte qu’ils n’y utiliseraient pas les mêmes termes de la même façon (cf. Putnam 2004). Prenons un exemple. Un Canadien et un Français discutent. Le premier dit au second qu’il a acheté un nouveau cartable à son fils pour qu’il puisse y ranger ses feuilles de cours. Le second lui demande alors si le cartable n’est pas trop lourd à porter sur le dos de son fils. Étonné, le Canadien lui répond qu’on ne peut porter un cartable sur le dos, ce à quoi le Français rétorque que, bien sûr, on peut porter un cartable sur le dos. Nos deux interlocuteurs soutiennent donc des propositions en apparence contradictoires, que l’on peut exprimer de la manière suivante :

(1) Tout ce qui est un cartable ne peut être porté sur le dos,

et :

(2) Tout ce qui est un cartable peut être porté sur le dos.

Le problème vient évidemment du fait que, bien qu’ils parlent tous les deux français, le Canadien et le Français n’utilisent pas le mot ‘cartable’ dans le même sens : alors que pour le Canadien il s’agit d’un classeur, pour le Français il s’agit d’un bagage destiné à transporter du matériel scolaire. C’est parce que l’un parle le français de France et l’autre le français du Canada qu’un débat semble avoir lieu. Cependant, ce débat est purement verbal, dans la mesure où, malgré les apparences, nos deux interlocuteurs ne parlent pas exactement la même langue. De la même façon, les débats ontologiques seraient souvent parasités par le fait que plusieurs cadres linguistiques différents interagissent.

Considérons par exemple le débat ontologique qui porte sur la « question spéciale de la composition » (van Inwagen 1995 [2019] ; cf. Bucchioni 2016). Celle-ci consiste à se demander: à quelles conditions un certain nombre d’objets en compose-t-il un autre ? On peut distinguer deux réponses extrêmes à cette question. Il y a tout d’abord celle de l’« universaliste », qui affirme que plusieurs objets, aussi différents et éloignés soient-ils, en composent toujours un autre. Ainsi, on pourra accepter qu’il y ait un objet, une « somme méréologique », composé de la Bataille d’Iéna et du pied bot de Talleyrand. Ensuite, nous avons les « nihilistes », qui soutiennent que plusieurs objets n’en composent jamais un autre. De leur point de vue, seuls existent les « atomes méréologiques », c’est-à-dire les objets non composés. Il existe évidemment de nombreuses positions intermédiaires entre ces deux extrêmes. Van Inwagen, par exemple, affirme que seules les choses vivantes sont composées.

L’universaliste et le nihiliste ne s’accorderont pas sur la valeur de vérité de la phrase ‘Il y a des objets composés’ : elle sera vraie pour le premier, alors qu’elle sera fausse pour le second. Hirsch (2011 [2002]) soutient qu’ils ont tous les deux raison, parce que le quantificateur ‘il y a’ ne fonctionne pas de la même manière dans le langage de l’universaliste et dans celui du nihiliste. Pour l’universaliste, le domaine du quantificateur porte autant sur les objets non composés que sur les objets composés, alors que pour le nihiliste son domaine est restreint aux objets non composés. C’est l’ignorance de cette « discrépance quantificationnelle » (quantifier variance) qui expliquerait l’apparence d’un débat ontologique profond sur la réponse à apporter à la question spéciale de la composition, alors qu’en fait ce débat est purement de nature linguistique. Du point de vue de Hirsch, la phrase ‘Il y a des objets composés’ peut être vraie dans le cadre linguistique de l’universaliste et la phrase ‘Il n’y a pas d’objets composés’ peut être vraie dans le cadre linguistique du nihiliste, mais ces deux cadres étant différents, il n’y a pas de véritable désaccord ; ils débattent sans réellement se parler l’un à l’autre (they talk past each other). Est-ce à dire pour autant que les deux camps ne peuvent se comprendre ? La thèse de la discrépance quantificationnelle semble en effet impliquer que la plupart des énoncés de l’universaliste ne veulent rien dire pour le nihiliste, et inversement. L’exemple du débat linguistique portant sur le mot ‘cartable’ suggère toutefois une solution moins radicale. En effet, le Canadien peut expliquer au Français qu’ils ne se sont pas compris, parce qu’en français du Canada le mot ‘cartable’ désigne un classeur alors qu’en français de France, il désigne un bagage scolaire. De manière similaire, bien que les tenants de positions différentes au sein d’un débat ontologique parlent des langues différentes, on pourrait soutenir que les énoncés des uns peuvent être traduits dans la langue des autres, de manière à « concilier » les différentes thèses en présence (cf. Dorr 2005).

La position des néocarnapiens est « déflationniste », dans la mesure où elle revient à soutenir que les débats ontologiques n’ont pas de contenu substantiel : ils ne portent pas sur nature de la réalité, mais uniquement sur l’usage correct du langage. Elle repose habituellement sur la thèse de la non-univocité du quantificateur. Celle-ci est inacceptable pour un néoquinéen, qui considère que l’existence est univoque. Pour Sider (2001, pp. xvii sqq ; cf. également 2011, chap. 9), par exemple, les expressions quantificationnelles ont « une seule signification privilégiée » et, selon celle-ci, la quantification est « non restreinte ». Il oppose une fin de non-recevoir à toute conception qui assimilerait les différents sens de la quantification à des restrictions du quantificateur non restreint ; il ne comprend tout simplement pas ce que ceux-ci pourraient bien être.

On soulignera toutefois que l’on peut se revendiquer de l’héritage de Carnap sans pour autant accepter la thèse de la discrépance quantificationnelle. C’est, par exemple, le cas de Thomasson (2015) qui soutient que ce n’est pas parce que l’on reconnaît la possibilité de différents cadres linguistiques qu’il s’ensuit que l’existence y a des sens différents ; l’usage de l’expression ‘existe’ peut tout à fait y être régi par le même ensemble fondamental de règles. Dans cette perspective, les questions ontologiques posées par les philosophes ne sont pas profondes, non parce qu’elles seraient purement verbales, mais plutôt parce que leur réponse est « simple » (easy) à trouver. Par exemple (Schiffer 2003), de l’affirmation ‘la neige est blanche’ et de la « vérité conceptuelle » ‘Si la neige est blanche, alors il est vrai que la neige est blanche’, on peut dériver l’affirmation ‘Il est vrai que la neige est blanche’, ce qui a son tour permet de déduire l’énoncé ‘Il y a une proposition (à savoir que la neige est blanche)’. Pour Thomasson (2015, p. 97), tout ce dont nous avons besoin pour répondre à la question ‘Est-ce que les Ks existent ?’ (les propositions, les nombres, les objets sociaux, etc.), c’est de savoir si les conditions d’application du terme ‘K’ sont remplies. Répondre à cette seconde question peut éventuellement demander un travail empirique ou conceptuel important, mais n’implique pas qu’il faille découvrir la nature profonde et substantielle de l’existence, comme, par exemple, l’indépendance eu égard à l’esprit ou la capacité à agir causalement.

Ontologie et fondement

Pour terminer cette revue des développements récents en ontologie, considérons un problème ontologique classique, à savoir celui de la statue et du morceau d’argile. Une statue, disons de Zeus, est sculptée par un artiste à partir d’un morceau d’argile. Bien que la statue et le morceau d’argile occupent la même région spatiale et soient composés des mêmes parties, ils semblent ontologiquement distincts, dans la mesure où l’on peut au moins affirmer que le morceau d’argile existait avant que la statue ne vienne elle-même à exister. Dès lors, y a-t-il un seul objet ou deux objets différents là où se trouve la statue de Zeus ? Les « perdurantistes » affirment que la statue est une partie distincte du morceau d’argile, une « partie temporelle » qui existe aussi longtemps que le morceau d’argile possède la forme d’une statue. L’autre réponse dominante au problème de la statue et du morceau d’argile revient à soutenir que la statue est une entité distincte du morceau d’argile. Selon cette position « endurantiste », la statue n’est pas une partie temporelle du morceau d’argile, mais elle est plutôt constituée par le morceau d’argile à tous les instants où ce dernier possède la forme d’une statue. Si la première position nécessite d’admettre l’existence de parties temporelles pour des objets que nous considérons ordinairement comme existant entièrement à chaque instant où ils existent, la deuxième nous demande d’admettre qu’il y a deux objets distincts qui occupent une même région spatio-temporelle.

Face à ce genre de problèmes ontologiques, certains ontologues (Fine 2017 [2009]) soutiennent qu’il faut distinguer deux sens de ce qui existe : le sens « fin » (thin), qui concerne ce qui existe simpliciter, et le sens « épais » (thick), qui concerne ce qui existe réellement. Nous pouvons dire que la statue existe, au sens où la phrase ‘La statue de Zeus existe’ est vraie, mais cette phrase n’est vraie que parce qu’il y a quelque chose de plus fondamental qui existe, quelque chose qui existe réellement et par rapport auquel l’être de la statue n’ajoute rien d’un point de vue ontologique. Nous pouvons dire avec vérité qu’il y a une statue devant moi, mais le physicien soulignera que ce qu’il y a fondamentalement devant moi ce n’est qu’un amas de particules et que c’est parce que ces particules sont arrangées d’une certaine manière, à savoir à-la-manière-d’une-statue (statuewise), que je les perçois comme formant une statue.

Plus techniquement, on dira que la somme méréologique des particules existe réellement, alors que la statue existe simpliciter et non réellement. Cette dernière n’a qu’une existence « dérivée », au sens où elle ne pourrait pas exister sans la somme méréologique des particules qui lui sert de support physique (elle en dépend ontologiquement), mais elle n’ajoute rien fondamentalement à l’ameublement du monde par rapport à la somme des particules.

Pour ce que l’on pourrait appeler les « fondamentalistes » (Cameron, Fine, Schaffer), la véritable question ontologique n’est pas alors ‘Qu’est-ce qui existe ?’, mais plutôt ‘Qu’est-ce qui existe fondamentalement ?’. Il s’agit de déterminer les entités qui constituent le « fondement de la réalité » dans laquelle nous vivons, ce sans quoi le reste n’existerait pas, ou encore ce en vertu de quoi les faits non fondamentaux de la réalité sont précisément des faits. Les fondamentalistes parlent de « fondation métaphysique » (grounding) ou de « dépendance ontologique » (cf. Carnino 2017) pour désigner la relation qui lie ce qui existe, mais qui n’est pas fondamental, à ce qui existe réellement. La relation de fondation est généralement vue comme un type de « dépendance non causale » qui permet de fournir une « explication métaphysique » de certains faits. Par exemple, qu’est-ce qui explique que la phrase ‘Emmanuel Macron est l’actuel président de la République française’ est vraie, si ce n’est le fait qu’Emmanuel Macron soit l’actuel président de la République ? Autrement dit, la vérité d’une phrase s’expliquerait par l’existence d’un vérifacteur et c’est l’existence de ce vérifacteur qui fonderait alors la vérité de la phrase en question. Si l’on soutient qu’une phrase est vraie en vertu de l’existence d’un certain vérifacteur, il est clair que l’explication de la vérité de cette phrase ne peut être de type causal, car l’existence de ce vérifacteur ne cause pas la vérité de la phrase qu’il rend vraie, au sens du moins où, par exemple, le fait de lâcher une pierre d’une certaine hauteur cause sa chute ; elle ne fait que la fonder métaphysiquement.

La question de savoir si les relations de fondation et de dépendance ontologique sont distinctes fait l’objet d’un débat chez les ontologues fondamentalistes, car si la première est asymétrique, la deuxième peut-être bilatérale (par exemple, si la couleur ne peut exister sans une étendue qu’elle recouvre, l’inverse est également vrai). Cependant, ce que critiquent les opposants du fondationnalisme ontologique, c’est surtout le fait que la notion de fondation métaphysique soit peu claire. Que veut-on dire précisément lorsque l’on affirme que quelque chose existe réellement ou est fondamental ? Il faut bien avouer que les fondamentalistes tentent rarement de répondre à cette question. Pour légitimer la relation de fondation métaphysique, ils invoquent plutôt des exemples, comme celui de la relation qui lie un vérifacteur à la phrase qu’il rend vraie ou celui de la relation qui lie un singleton à son unique élément. Par exemple, l’existence de Socrate fonde celle du singleton {Socrate}, au sens où la seconde est fondée dans la première – le singleton qui contient Socrate à titre de seul élément ne peut exister si Socrate n’existe pas.

​​​​​​​Bibliographie

​​​​​​​Introduction à l’ontologie

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