Avortement (A)

Comment citer ?

Gaudemard, Lynda (2021), «Avortement (A)», dans Maxime Kristanek (dir.), l'Encyclopédie philosophique, consulté le ..., https://encyclo-philo.fr/

Publié en octobre 2021

 

Résumé

Cet article a pour objectif de fournir un aperçu du débat relatif à l’avortement dans la philosophie contemporaine spécialisée en éthique de la reproduction. Par avortement, nous entendons toute interruption délibérée d’une grossesse mettant un terme au développement d’un embryon/fœtus humain in utero.

La question éthique centrale posée au sujet de l’avortement concerne principalement celle de la détermination du statut moral de l’embryon humain ; il s’agit en effet de savoir si les entités anténatales humaines ont un statut moral, si ce statut moral leur donne droit à la vie, et s’il est par conséquent moralement permis ou non de mettre un terme à leur développement.

Cet article sera structuré de la façon suivante. Après avoir formulé le problème éthique de l’avortement sous l’angle historique et philosophique dans la section 1, nous aborderons dans la section 2 les principaux aspects juridiques de l’avortement en France qui illustrent particulièrement bien les raisons pour lesquelles assigner à l’embryon le statut de personne juridique demeure problématique. Dans la section 3, nous présenterons les principaux arguments en faveur de l’avortement, avant d’étudier dans la section 4 les objections auxquelles ces arguments se heurtent. Les sections 5 et 6 fourniront une analyse des arguments opposés à l’avortement et des objections soulevées par ces arguments. Le fait que, d’une part, aucune position n’apparaisse plus raisonnable que l’autre et que, d’autre part, chaque position repose sur une certaine conception métaphysique de l’identité personnelle nous conduit à évaluer, dans la section 7, la pertinence de l’approche métaphysique dans le débat sur l’avortement. Dans la section 8, nous montrerons que bien que la métaphysique puisse éclairer les enjeux de l’avortement de façon neutre, elle ne peut à elle seule résoudre ce débat en raison d’autres aspects essentiels d’ordre éthique, pragmatique et empirique.

 


 

Le problème éthique de l’avortement

Le problème éthique de l’avortement, comme celui de la recherche sur les cellules souches embryonnaires, tourne principalement autour du statut moral de l’embryon/foetus humain et des droits moraux et juridiques qui en découleraient. Le désaccord entre partisans et opposants à l’avortement porte essentiellement sur les questions suivantes : l’embryon est-il un être humain ? Est-il un être humain à partir de la fécondation, ou bien ultérieurement ? Est-il aussi une personne humaine ? Si oui, à partir de quel moment ? Est-il actuellement ou potentiellement une personne humaine ? A quoi renvoie exactement la notion de personne ? Est-il nécessaire et suffisant d’être un être humain pour avoir un statut moral et avoir le droit de vivre ?

L’avortement désigne l’interruption délibérée d’une grossesse mettant un terme au développement d’un embryon/fœtus humain in utero. L’avortement fait partie des sujets traités en éthique de la reproduction. L’éthique de la reproduction humaine peut être définie comme l’étude des enjeux éthiques relatifs au don de gamètes, à l’embryon/fœtus, au nouveau-né, à la grossesse, à la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines, à la gestation pour autrui, à la contraception et à la procréation médicale assistée.

Pour être considérée comme un avortement, la mort d’un embryon/fœtus doit avoir été causée délibérément, c’est-à-dire intentionnellement. Accoucher d’un fœtus humain mort-né n’est pas considéré comme un avortement, pas plus que ne l’est la fausse couche (nommée aussi « interruption spontanée »), ou la destruction d’embryons humains in vitro. Le terme donné à l’enfant à naître qui se développe entre la conception et la huitième semaine de grossesse est « embryon ». Après la huitième semaine, et jusqu’au terme, il prend le nom de « fœtus ».

La notion de personne renvoie traditionnellement à une entité capable de manifester certaines propriétés mentales : être conscient de soi (McMahan, 2002), vouloir (Quinn, 1984), prendre des décisions et faire des choix pour le futur, communiquer, transmettre son savoir mais aussi exprimer de la frustration à être privé de liberté, ou encore entretenir des liens affectifs (Jaworska, 2007). Ces critères prennent principalement leur source dans des textes de philosophie moderne où la notion de personne humaine renvoie à « un être pensant intelligent, qui a une raison et une réflexion, et qui peut se considérer lui-même, comme étant la même chose pensante à différents moments, et en différents lieux ; ce qui ne peut se produire que par la conscience, qui est inséparable de la pensée, et qui lui est essentielle…» (Locke, 1689, II, XXVII, §9, p. 335, ma traduction). La conception lockéenne de la personne trouve ses sources au Vème siècle dans l’œuvre de Boèce qui considère qu’une personne est une « substance individuelle de nature rationnelle » (Contre Eutychès et Nestorius, III, 1, p. 75). L’autonomie, définie comme la capacité à poursuivre des fins de façon appropriée, caractérise essentiellement la personne (Kant, 1785, Ak. IV, 428). Les propriétés comme être rationnel, avoir un langage, désirer, être conscient d’être le sujet d’états mentaux (Tooley, 1972, p.44 ), attribuer à son existence une valeur telle que le fait d’en être privé représenterait une perte (Marquis, 1989), avoir le sentiment d’être lésé par une décision consistant à être privé de sa propre existence (Giubilini et Minerva, 2013), avoir une réflexion prospective (Singer, 1993), ou encore se concevoir comme un sujet qui persiste à travers le temps (Tooley, 1983), figurent parmi les critères retenus par les philosophes pour caractériser ce qu’est une personne. Ces critères sont néanmoins discutables en ce qu’ils excluent les jeunes enfants, les individus dans le coma ou ayant un handicap cognitif sévère. D’autres critères moins sophistiqués ont été proposés comme par exemple le fait d’être conscient, de ressentir le plaisir/la douleur, ou d’avoir des inclinations. Le problème est que selon cette conception, presque tous les êtres sentients devront être considérés comme des personnes.

Vers le quatorzième jour suivant la conception, un épaississement du disque embryonnaire se produit le long de l’axe céphalo-caudal, et fait apparaître la ligne primitive déterminant l’axe sur lequel se développera l’embryon humain. A ce stade, l’embryon n’est pas encore conscient, c’est-à-dire capable d’éprouver de la douleur ou du plaisir ; il faudra encore attendre la vingt-quatrième semaine de grossesse pour que la sensorialité fœtale apparaisse. Mais au terme de ce développement, cet embryon deviendra un jour une personne humaine. D’après l’article 2 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, donner la mort à une personne humaine est un homicide (volontaire ou non) sanctionné légalement. En vertu de quoi la vie d’un fœtus aurait-elle moins de valeur que celle d’un nouveau-né, d’un enfant ou d’un adulte ?

Historiquement, le début du questionnement moral au sujet de l’embryon ne coïncide pas avec la pratique de l’avortement qui était courant dans l’Antiquité gréco-romaine (Platon, Théétète, 149d ; Hippocrate, Des Chairs, 19 ; Gourevitch, 1984, p. 220), une période où la notion de personne est encore absente des textes. Platon était favorable à l’avortement et aux infanticides des nouveau-nés malformés (La République, V, 461c) en raison de leur inutilité et de leur nuisance pour la Cité. Cette recommandation concernait aussi les enfants nés de parents de catégorie inférieure qui, dans l’intérêt de la Cité, ne devaient pas être en surnombre.

Selon Aristote, l’avortement devait avoir lieu au début de la grossesse car à partir de quarante jours le fœtus commence à sentir et à se mouvoir donc à être vivant (La Politique, VII, 7, 1335b22-26 et VII, 16, 1335b23 ; De la Génération des Animaux, V, 1, 778b32-34). Tant que l’embryon ne sent pas, l’avortement peut avoir lieu. Pour Aristote, l’avortement devait être réalisé en cas de surnombre d’enfants dans une famille, le dépassement du nombre d’enfants entraînant un déficit de patrimoine, puis une hausse de la pauvreté mettant en péril l’équilibre de la Cité (La Politique, II 6, 1265b6-12 et II 7, 1266b11-13). Aristote considérait également que les parents ne devaient pas non plus avoir le droit d’élever un enfant malformé.

Dans l’Antiquité, l’avortement est toujours envisagé en vertu de ce qui est le plus avantageux pour la Cité et donc comme un devoir de citoyen. Si l’avortement était interdit, ce n’était pas en raison d’un intérêt pour un droit à la vie de l’enfant à naître mais uniquement en vertu de ce que cette interdiction pouvait apporter comme avantage à la Cité (Crahay, 1941, p. 23 ; Val Viljoen, 1959 ; Bernard et al., 1989, p. 186), comme l’équilibre démographique et la paix (Bernard et al., 1989, p. 187) ; ou bien en raison du danger que l’enfant représentait pour la vie de la mère (Bernard et al., 1989, p. 190). D’ailleurs l’avortement ne devient un délit non pas en raison d’une volonté de protéger l’enfant à naître, mais uniquement lorsque cet acte ne respecte pas le droit du père à disposer de sa descendance (Glotz, 1906 ; Crahay, 1941, pp. 10 et 21-22). Le droit de vie du nouveau-né passe en effet par la reconnaissance de son père et sa volonté de l’élever, donc par sa reconnaissance sociale. Dans le cas contraire, l’enfant est « exposé » c’est-à-dire abandonné à son sort.

L’avortement n’est pas encore associé dans l’Antiquité à un homicide puisque l’embryon est considéré comme une partie de la mère et qu’il n’est humain qu’à sa naissance ; tout comme notre droit contemporain, le Digeste de Justinien ne considère pas le fœtus comme une personne juridique (Eyben, 1980, p. 27).

L’intérêt moral pour l’embryon et le lien entre homicide et avortement serait apparu pour la première fois à partir de l’ère Chrétienne (Bernard et al., 1989, p. 193 ; Connery, 1977 ; Noonan, 1970). En effet, l’avortement et l’infanticide sont interdits légalement dès le IVème siècle après J.-C au motif que l’embryon est une créature de Dieu et qu’il est un être humain potentiel. Le critère aristotélicien de quarante jours, également repris par Thomas d’Aquin, est adopté officiellement par l’Église romaine catholique au Concile de Vienne (Rachels, 1993, p. 59) jusqu’en 1869. Ce n’est qu’après cette date que tout avortement effectué avant quarante jours sera condamné moralement par l’Église.

Les préoccupations morales au sujet de l’embryon prennent véritablement leur essor dans les années 60-70 au moment où la bioéthique fait son apparition et où des lois autorisant l’avortement sous certaines conditions sont votées. A cette époque, les cas juridiques mettant en conflit les droits des femmes et ceux de l’enfant à naître se multiplient (Rachels, 1989). Les débats soulevés par le projet de loi en faveur de l’IVG en France dans les années 70 fait émerger dans l’espace public le conflit entre le droit moral de la femme à disposer de son corps et le droit moral à la vie de l’embryon.

 

Aspects juridiques sur l’avortement et l’embryon/foetus humain en France

La loi autorisant l’interruption volontaire de grossesse ou « Loi Veil » est entrée en vigueur en France le 17 juillet 1975. La condition sous laquelle une femme pouvait recourir à l’lVG était alors la « situation de détresse » et le délai fixé à dix semaines de grossesse. Depuis 2001, ce délai a été repoussé à douze semaines et depuis 2014, la notion d’état de détresse a été supprimée. En Australie, le délai pour avorter sans justification est fixé à vingt-deux semaines et en Grande-Bretagne, il est fixé à vingt-quatre semaines, au moment où le fœtus commence très probablement à ressentir la douleur.

La législation française distingue l’avortement comme interruption volontaire de grossesse (IVG), qui se pratique par voie médicamenteuse ou par une opération chirurgicale, de l’avortement comme interruption médicale de grossesse (IMG) ou « avortement thérapeutique ». L’IMG est autorisée en France depuis 1994 sans restriction de délai et peut être pratiquée uniquement pour motif médical, lorsque la vie de la mère est en danger, ou que l’enfant à naître présente ou est susceptible de présenter une anomalie sévère.
 

Du point de vue légal, l’avortement est toujours réputé volontaire : la notion juridique d’interruption involontaire de grossesse n’existe pas. En cas d’erreur médicale, de violences commises par un tiers sur une femme enceinte ou d’un accident de la route entraînant la mort de l’enfant à naître, aucune poursuite pénale ne sera encourue pour homicide sur ce dernier (Dekeuwer-Défossez, 2018, p. 10). La raison est que les entités anténatales ne jouissent pas de droits civiques puisque la personnalité juridique ne s’octroie qu’à la naissance. Le fait que la vie de l’embryon/foetus dépende de celle de sa mère empêche de lui conférer le statut juridique de personne et les droits civils qui en découlent. Parce qu’il n’est pas considéré comme une personne, l’autorité parentale sur l’embryon/fœtus humain n’existe pas légalement. Par conséquent, une femme peut prendre la décision d’avorter sans l’accord du père de l’enfant en vertu du principe hérité du droit romain qu’ « Infans pars viscerum matris » (« l’enfant (non né) est une partie du corps de la mère »). En d’autres termes, l’embryon/fœtus ne bénéficie pas en France d’un droit légal à la vie. Le Digeste de Justinien duquel est issu notre droit positif, avait posé le même principe mais pour un motif différent. Du point de vue du droit contemporain, donner un statut juridique à l’enfant qui n’est pas encore né reviendrait à mettre en péril le droit des femmes à recourir à l’IVG et à l’IMG. La question du droit légal à l’avortement est intimement reliée à celle des droits des femmes.

Cependant, un deuxième principe juridique selon lequel « infans conceptus pro nato habetur quoties de ejus commodis agitur » (« l’enfant simplement conçu est considéré comme né s’il y va de son intérêt ») vient nuancer le premier. Par exemple, un enfant qui n’est pas encore né peut, si cela est dans son intérêt, avoir le droit d’hériter de son père décédé avant sa naissance. Cependant, il faudra attendre la naissance pour que la qualité d’héritier lui soit effectivement reconnue (elle sera dans ce cas datée au moment du décès du père). Depuis 2008, il est possible légalement d’inscrire à l’état civil français tout embryon ou fœtus mort in utero en tant qu’enfant mort-né. De plus, l’avortement est un délit en France s’il ne respecte pas certaines conditions : après douze semaines de grossesse, sauf contrainte médicale pour la mère ou l’enfant, il n’est plus permis de procéder à une IVG. A ce stade, la loi française reconnaît donc que la vie du foetus doit être respectée, sauf si la grossesse met en danger la vie de la femme, ou que le fœtus présente des anomalies graves. S’il n’existe pas dans les textes juridiques de droit à la vie pour l’embryon/foetus, dès le début de sa vie, l’embryon a droit au respect de sa dignité et l’avortement doit rester une nécessité médicale. L’article 1er de la loi sur l’IVG affirme que « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie. Il ne saurait être porté atteinte à ce principe qu’en cas de nécessité et selon les conditions définies par la présente loi ». De même, l’article 16 du Code Civil énonce que « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ». En 1994, le Conseil constitutionnel a néanmoins précisé que ces lois ne s’appliquent pas aux embryons nés in vitro (Dekeuwer-Défossez, 2018, p. 12). Si l’enfant à naître n’est pas légalement considéré comme une personne humaine par le droit civil et pénal français, mais qu’il bénéficie in utero d’un certain respect et de certains droits (qui ne seront toutefois effectifs qu’à sa naissance), est-ce à dire qu’il doit être considéré comme une personne humaine potentielle ? Les incohérences présentes dans les textes de lois juridiques reflètent les difficultés inhérentes aux raisons morales qui sont favorables ou non à l’avortement.

 

L’avortement est-il moralement acceptable ?

Les philosophes qui considèrent que l’avortement devrait être légalement permis sont appelés « libéraux » ou « pro-choicer ». Les libéraux affirment que tant que l’embryon/fœtus humain n’a pas la capacité de manifester certaines propriétés cognitives, il n’est pas une personne et que seul tuer une personne est moralement condamnable. Par conséquent, avorter n’est pas moralement condamnable. Pour les libéraux, l’embryon devient un être humain (un organisme progressivement constitué appartenant l’espèce biologique homo sapiens), et selon les critères choisis, une personne humaine, de façon progressive au fur et à mesure de son développement. Contrairement à ce que pensent certains opposants à l’avortement, le zygote n’est pas un être humain puisque l’organisme humain ne se forme en effet que vers le seizième jour après la fécondation.

L’argument général est le suivant :

-seul tuer une personne est moralement condamnable.

-pour être une personne, il faut posséder certaines propriétés mentales comme le fait de
pouvoir ressentir la douleur.

-l’embryon/fœtus n’a pas ces propriétés mentales avant au moins vingt-quatre semaines de
grossesse.

-l’embryon/fœtus n’est donc pas une personne humaine avant au moins vingt-quatre
semaines de grossesse.

-donc avorter avant vingt-quatre semaines de grossesse est moralement permis.

Les libéraux modérés affirment que l’avortement est moralement permis en cas de viol, d’inceste, ou de grossesse non désirée mais qu’il ne devrait pas intervenir après un certain délai correspondant au « seuil de la conscience ». Les libéraux radicaux pensent que l’avortement est toujours moralement permis et que l’infanticide sur des nouveau-nés lourdement handicapés devrait aussi être légalement permis : en effet, si l’on considère que pour être une personne, il faut avoir conscience de ses états mentaux, alors ni les embryons/fœtus, ni les nouveau-nés présentant des anomalies cérébrales graves ne sont des personnes. La naissance n’est pas un critère pertinent.

L’un des critères proposés pour déterminer si une entité a un statut moral permettant de lui conférer un droit de vie est celui de la sensibilité (« sentience »), c’est-à-dire de la capacité à ressentir la douleur (Sumner, 1981). Dès que le fœtus est capable d’éprouver du plaisir ou de souffrir, avorter ne devrait plus être permis par la loi. Avorter durant le premier trimestre de grossesse ne pose aucun problème moral dans la mesure où le système nerveux du fœtus n’est pas encore mature (Sumner, 1981). Au critère de sensibilité, nous pouvons aussi ajouter celui d’être capable d’avoir une inclination ou un intérêt à demeurer en vie (DeGrazia, 2005).

Mais quand bien même l’embryon/fœtus serait une personne, et aurait donc le droit de vivre, cela ne lui donne pas le droit de se servir du corps de la femme dans lequel il se développe (Thomson, 1971). Un conflit entre le droit à la vie du fœtus et celui de l’autonomie de la mère apparaît.Thomson (1971) propose une argumentation qui débute par la reformulation du principal raisonnement utilisé par les opposants à l’avortement :

-Le fœtus est une personne.

-Toute personne possède le droit de vivre.

-Par conséquent, le fœtus a le droit de vivre.

-La mère a le droit de disposer librement de son corps.

-Mais le droit à la vie du fœtus l’emporte sur le droit de la mère à disposer de son corps.

-Par conséquent, l’avortement ne doit pas être réalisé.

Les arguments conservateurs présupposent à tort que le droit de disposer du corps de la mère découle du droit à la vie du fœtus. Pour démontrer la fausseté de cette prémisse, nous pouvons faire appel à une expérience de pensée. Thomson (1971) imagine un scénario où l’on serait kidnappé par la Société des amoureux de la musique et où l’on se réveillerait avec une perfusion à notre bras reliée à celui d’un célèbre violoniste. Nos kidnappeurs nous expliqueraient alors que ce violoniste virtuose est atteint d’une maladie grave des reins et qu’il doit rester relié à nous durant neuf mois pour pouvoir continuer à vivre. En tant que personne humaine, le violoniste a certes le droit de vivre, mais ce droit ne lui donne pas le droit d’utiliser notre corps. Selon Thomson, ce scénario est similaire à une grossesse non désirée. De même que le violoniste n’a pas le droit d’utiliser notre corps pour vivre sans notre consentement, l’embryon n’a pas le droit d’utiliser le corps d’une femme pour se développer si celle-ci ne le désire pas. Utiliser le corps d’une personne sans son autorisation, est immoral, même si la survie d’une personne en dépend. Par conséquent, avorter en raison d’un viol ou d’une grossesse non désirée n’est pas moralement répréhensible. Cependant, pour Thomson, l’avortement ne devrait pas dépasser un certain délai et tous les avortements ne sont pas légitimes. La mise en danger de la vie de la mère, le viol, et la grossesse débutée malgré une contraception sont les seuls motifs qui, pour Thomson, rendent l’avortement moralement permis. Cependant, même si elle ne devrait pas moralement agir ainsi, pour Thomson, une femme devrait avoir le droit légal d’avorter durant le premier trimestre pour des raisons futiles comme un départ en vacances car tant qu’elle ne décide pas d’avoir un enfant, elle n’a pas de responsabilité spéciale envers lui.

Les philosophes libéraux modérés ne considèrent pas tous que seul tuer une personne est moralement condamnable. Pour Brody (1975), la vie des êtres humains, et pas seulement celle des personnes, doit être respectée. Selon lui, tout être humain a un droit à la vie et l’embryon devient un être humain dès le début de l’activité cérébrale, c’est-à-dire vers la sixième semaine ; après ce délai, il est immoral d’avorter, sauf si la grossesse met en danger la vie de la mère.

Il est aussi possible de défendre une conception métaphysique selon laquelle nous sommes par essence des esprits incarnés (« mind essentialism ») (McMahan, 2002, p. 68). Nous commençons à exister uniquement quand notre cerveau est capable de générer une conscience. Par « conscience », McMahan entend la capacité à manifester des propriétés telles que vouloir ou anticiper, et à éprouver une unité psychologique. Seules les personnes possèdent ces propriétés. Le fœtus humain, qui ne possède pas encore ces propriétés, ne jouit donc pas d’un « statut moral spécial ». Par conséquent, s’il survient avant vingt-quatre semaines, l’avortement n’est pas un meurtre.

Mais un fœtus de sept mois et même un nouveau-né sont-ils capables de manifester de telles propriétés mentales ? Une autre théorie libérale répond que tant qu’un individu n’est pas une personne, il est moralement permis de le tuer (Singer, 1993). Or être une personne consiste à pouvoir éprouver du plaisir, de la douleur, à se projeter dans le futur, à être autonome et à pouvoir avoir conscience d’avoir conscience. Par conséquent, les embryons, les fœtus, les nouveau-nés, les individus lourdement handicapés ou dans le coma ne sont pas des personnes. Inversement, certains mammifères comme les primates ou les dauphins, qui manifestent ces capacités, peuvent être considérés comme des personnes. Selon le philosophe, qui adopte une position antispéciste, le fait d’être humain ne nous donne pas le droit spécial de ne pas souffrir ou de vivre (Singer, 1975). Car pour avoir un droit il faut pouvoir désirer avoir ce droit. Et selon ces critères, le statut de personne ne peut être conféré à un être humain âgé de moins d’un mois ou qui aurait une anomalie cérébrale grave (Singer, 1993). Tuer un nouveau-né qui est incapable de se représenter la douleur ou le plaisir, un passé ou un futur, n’équivaut pas d’un point de vue moral à tuer une personne, et cet acte peut même être moralement permis selon Singer. En effet, la perte du nouveau né handicapé permettra à ses parents d’avoir un nouvel enfant sans handicap et d’avoir une vie plus heureuse. Si la naissance d’un enfant handicapé entraîne plus de souffrance que de joie pour les parents, alors le tuer rapidement est la meilleure solution (Singer, 1993, p. 191). D’après Singer, dans le cas où un nouveau-né serait atteint d’un sévère handicap, l’infanticide devrait être légalement autorisé. Certains enfants naissent par exemple avec des dysfonctionnements cérébraux très importants dont certains conduisent à un décès prématuré. De même, un enfant non désiré (surtout dans le cas où il est le fruit d’un viol) risque d’être maltraité parce que sa mère aura développé des troubles psychiatriques ; avorter est alors dans l’intérêt de l’embryon lui-même. Singer adopte ici une vision utilitariste de la morale héritée de Jérémy Bentham (1780) selon laquelle l’action moralement bonne est celle qui produit le plus grand bien. Puisque les nouveau-nés ne sont pas des personnes, ils n’ont pas le droit de vie (Reiman, 1998). L’embryon/fœtus, jusqu’à la fin de son développement, n’est pas une personne mais seulement un être humain ; or être un être humain n’est ni suffisant ni nécessaire pour être une personne et seul tuer une personne est moralement condamnable (Warren, 1973).

De ce point de vue, l’avortement et l’infanticide sont moralement permis. L’avortement est immoral uniquement s’il porte atteinte au droit de vie de l’embryon. Pour avoir le droit de faire quelque chose, un individu doit pouvoir désirer cette chose (Tooley, 1972). Si l’individu est capable à certains moments de désirer cette chose, alors il possède le concept de cette chose. Le droit de vie est le droit de continuer à exister en tant que sujet d’états mentaux. Par conséquent, pour avoir le droit de vivre, un individu doit d’abord désirer ce droit et donc le concevoir. Ni l’embryon, ni le fœtus, ni même le nouveau-né, ne peuvent forger un tel concept et ne peuvent donc désirer avoir le droit de vivre. Ils ne devraient pas bénéficier d’un quelconque droit de vie.

En effet, un fœtus n’est pas encore capable de prêter attention à ce qu’on lui fait subir et de ressentir des inclinations (même de façon rudimentaire). Sans sensibilité, il n’y a pas d’attention (« care ») et sans attention, il n’y a pas d’inclination ; sans inclination, le fœtus n’a pas conscience de son bien-être et, sans cela, rien ne peut être fait dans son intérêt ou pour son bien (Steinbock, 1992, p. 5). Le fœtus n’est pas capable de sensibilité avant au moins vingt-quatre semaines de grossesse. La sensibilité et la capacité à être attentif sont les conditions minimales requises pour avoir un statut moral ; sinon tous les êtres vivants sans distinction devraient avoir le droit de vivre.

 

Objections aux arguments en faveur de l’avortement

Les positions libérales modérées sont généralement critiquées lorsqu’elles essaient d’indiquer un moment biologique précis où l’embryon deviendrait une personne humaine, sans tenir compte du caractère graduel, continu et très rapide du développement foetal (plus de trois mille neurones par seconde se forment lorsque le cerveau de l’embryon se constitue).

Les arguments libéraux ne fournissent pas non plus de critère pertinent permettant de distinguer moralement un enfant sur le point de naître, d’un enfant qui vient de naître. Par conséquent, pour les opposants à l’avortement, considérer l’avortement comme un acte moralement permis reviendrait à accepter également que l’infanticide soit un acte non moralement condamnable.

De plus, les critères comme la sensibilité (la capacité à ressentir la douleur), ou le mouvement cérébral, qui feraient du fœtus une personne, ne correspondent pas à ce que la science affirme au sujet du développement cérébral de l’embryon. En effet, pour qu’il y ait conscience, les synapses doivent connecter les cellules nerveuses entre elles, ce qui se produit entre la vingt-quatrième et la trente-deuxième semaine de grossesse (Lagerkrantz et Changeux, 2009).

L’argument de Thomson (1971) en faveur de l’avortement a également été vivement critiqué (Gibson, 1984). En effet, contrairement à la femme kidnappée enlevée de force et contrainte d’être perfusée, la femme qui décide d’avorter par convenance (et non parce qu’elle a subi un viol) a consenti à un rapport sexuel. Elle savait que l’une des conséquences possibles de ce rapport sexuel est la formation d’un embryon, et ce même si elle prenait une contraception qui présente toujours un risque.

Les positions libérales radicales excluent de la notion de personne les êtres humains comme les nouveau-nés, les patients dans le coma et les individus lourdement handicapés ; leur conclusion selon laquelle il serait moralement permis de tuer ces êtres humains tandis qu’il serait immoral de tuer un gorille considéré comme une personne paraît inacceptable aux yeux du sens commun.

 

L’avortement est-il moralement inacceptable ?

Les philosophes qui s’opposent à l’avortement (« pro-lifer ») sont considérés dans la littérature comme des conservateurs. Pour tous les philosophes conservateurs, l’avortement est toujours moralement inacceptable car il revient à tuer délibérément un être humain innocent qui est une personne humaine. Le zygote, l’embryon et le fœtus doivent avoir le même statut moral qu’un nouveau-né puisque comme les deux premiers, ce dernier n’a pas conscience de lui-même. Pour les opposants à l’avortement, l’être humain existe soit dès la fécondation, soit quelques jours après (Ford, 1988), avant le premier battement cardiaque et l’activité cérébrale. Dès le début, le zygote est une cellule distincte de l’ovule et du spermatozoïde, et son développement se produit en continu et graduellement (Lee et George, 2005). Le zygote doit être considéré comme un être humain parce qu’il est une cellule individuée et qu’être humain est nécessaire et suffisant pour qu’un être humain soit une personne. L’objection courante adressée aux opposants à l’avortement consiste à affirmer que les gamètes sont aussi des personnes. Les conservateurs répondent généralement que seules les cellules embryonnaires ont la particularité d’être totipotentes, c’est-à-dire qu’elles ont en elles-mêmes la capacité de se développer en un organisme complet. L’embryon au stade de zygote est une entité totipotente, ce qui n’est pas le cas du spermatozoïde et de l’ovule (Lee et George, 2005). Les restrictions à l’égard de cette potentialité apparaissent au fur et à mesure du développement de l’embryon (Condic, 2014). 


Pour les conservateurs modérés, l’avortement est toujours moralement condamnable, sauf lorsqu’il permet de sauver la vie de la femme. L’argument standard est le suivant :

-Toutes les personnes ont un droit à la vie.

-Tous les embryons/fœtus sont des personnes.

-Tous les embryons/fœtus ont un droit à la vie.

-Le droit à la vie des embryons/fœtus doit toujours l’emporter, sauf sur le droit à la vie des femmes.

-Donc l’avortement est moralement condamnable, sauf lorsqu’il est pratiqué pour sauver la vie de la femme.

L’avortement ne devrait être autorisé qu’au cas où la grossesse mettrait en danger la vie de la mère (Noonan, 1970). Avorter parce que la grossesse est non désirée, ou parce qu’elle est le résultat d’un viol revient à préférer ses propres intérêts à la vie d’autrui, ce qui est égoïste et cruel.

Pour les conservateurs radicaux, l’avortement est condamnable dans tous les cas, y compris lorsque la grossesse met en danger la vie de la mère. Leur argument peut être reconstruit de la façon suivante :

-Toutes les personnes ont un droit à la vie.

-Tous les embryons/fœtus humains sont des êtres humains.

-Pour être une personne, il est nécessaire et suffisant d’être un être humain.

-Tous les embryons/fœtus ont un droit à la vie.

-Il n’est jamais moralement permis de tuer intentionnellement une personne innocente.

-Avorter consiste à tuer une personne innocente.

-Donc l’avortement n’est jamais moralement permis.

Avorter est toujours immoral pour les mêmes raisons qui justifient que tuer un enfant ou un adulte innocent l’est : dans les deux cas, l’embryon/fœtus possède, comme nous, un avenir ; comme l’avortement le prive de ce futur (expériences, activités, tout ce qui constitue son futur), et qu’il est immoral de tuer un individu ayant un avenir, avorter n’est pas moralement permis (Marquis, 1989).

Les positions conservatrices extrêmes à l’égard de l’avortement reposent aussi sur des motifs religieux. L’un des arguments invoqués est que nous ne devrions jamais recourir à l’avortement puisque l’embryon est une personne humaine, que chaque personne humaine est créée à l’image de Dieu, et que Dieu interdit les homicides (Schwarz, 1990). Cet argument éthique repose sur une conception philosophique théiste faisant l’objet d’importantes discussions en métaphysique contemporaine (Plantinga, 1974 ; Swinburne, 1979 ; Mackie, 1982 ; Alston, 1991). Les philosophes théistes défendent l’existence d’un être suprême créateur qui est Dieu (et dont la nature des attributs fait toujours débat). Si nous avons de bonnes raisons de croire en Dieu (Plantinga, 1983), alors nous avons de bonnes raisons de considérer sa volonté qui est de ne pas avorter.

Un autre argument est que l’avortement est toujours « injuste » et « objectivement immoral », même en cas de viol, lorsque le fœtus a une anomalie grave, ou lorsque la femme risque de mourir (Lee et George, 2005). Le fœtus humain a le même statut moral qu’une personne humaine parce qu’il est une personne potentielle. Par la relation intime qui les lie, la femme a une responsabilité spéciale envers le fœtus et porter un enfant contre sa volonté est un fardeau moins lourd que la souffrance volontairement infligée à l’embryon par le biais de l’avortement. Cet argument utilitariste est une variante de l’argument de la potentialité. D’après les défenseurs de cet argument, la responsabilité morale qui incombe à la femme enceinte n’est pas seulement due au lien biologique qui l’unit à l’embryon, mais aussi à un lien social. La responsabilité maternelle est une construction sociale. Elle fait partie des nombreuses responsabilités que chacun doit endosser, indépendamment de son opinion personnelle. La grossesse doit être poursuivie parce que c’est le seul moyen par lequel un enfant peut survivre et que cet acte est utile à la société.

L’affirmation selon laquelle le fœtus serait une personne humaine dès le début de la grossesse semble difficilement défendable compte tenu des observations empiriques montrant que les connexions neuronales nécessaires à la sensation et à la sensibilité n’apparaissent dans le cerveau du fœtus qu’à partir du cinquième mois. Mais pour Marquis (1989), comme pour Lee et George (2005), il n’y a pas de différence fondamentale entre le fait d’être actuellement une personne et la capacité à l’être. Le statut moral de personne accordé par les conservateurs à l’embryon renvoie plutôt à la potentialité d’être une personne humaine que l’embryon posséderait intrinsèquement dès le stade du zygote. L’embryon est une personne au sens non pas où il manifeste actuellement certaines fonctions mentales mais au sens où il possède intrinsèquement les propriétés qui lui permettront d’acquérir cette capacité. Marquis (1989) fait référence à des caractéristiques mentales que l’embryon/fœtus pourrait avoir dans le futur, et non qu’il a effectivement.

En effet, dès la conception, l’embryon est programmé pour devenir une personne humaine ; ce développement peut être retardé pour raisons médicales mais, sauf décès de la mère, il aura nécessairement lieu (Lee et George, p. 15). L’embryon est un animal humain qui, s’il se développe normalement, deviendra un nouveau-né puis un adulte donc une personne humaine (Stone, 1987). L’embryon n’est rien de plus qu’un très jeune adulte et nous avons l’obligation morale de ne pas l’empêcher de réaliser sa nature (Stone, 1987, p. 821). En vertu de ce raisonnement, l’embryon/fœtus est une personne potentielle qui, comme toute personne, a le droit de vivre; s’il possède la potentialité de devenir une personne, d’avoir un jour conscience de soi, alors sa destruction ne devrait pas être moralement permise (Buckle, 1988).

Ces positions conservatrices utilisent le célèbre « argument de la potentialité » qui apparaît dans les discussions philosophiques sur l’avortement à partir de 1970. D’après cet argument, si toute personne humaine a le droit de vivre et que l’embryon/fœtus humain est une personne humaine potentielle, alors l’embryon/fœtus humain a un droit de vie ; par conséquent, nous ne devrions pas interrompre le développement de l’embryon/foetus.

La version standard de l’argument de la potentialité peut être reconstruit de la façon suivante (Singer, 1993):

-Toutes les personnes potentielles ont le droit de vivre.

-L’embryon/fœtus est une personne potentielle.

-Donc l’embryon/fœtus a le droit de vivre.


L’argument de la potentialité aurait puisé son inspiration dans l’arrêt Roe v Wade de la Cour Suprême des Etats-Unis qui ordonna le 22 janvier 1973 que l’avortement durant le premier trimestre de la grossesse est un droit, que l’enfant à naître n’a pas de droits constitutionnellement reconnus, et que le fœtus « viable » a une « vie potentielle », entendue comme capacité à survivre à l’extérieur de l’utérus (Van Bogaert, 2012, p. 16). D’après cet arrêt, le fœtus n’est ni une personne morale ni une personne juridique, mais une vie potentielle lui est attribuée en vertu de sa viabilité. L’argument de la potentialité se trouvait déjà chez les pythagoriciens (Luker, I984, p. 11) qui considéraient l’embryon comme un enfant potentiel. L’idée selon laquelle l’embryon serait un être humain potentiel fait aussi écho à la théorie de la génération d’Aristote selon laquelle l’embryon, dès sa conception, possède en puissance les trois facultés de l’âme humaine (nutritive, sensitive et rationnelle), transmises par le spermatozoïde dans lequel elles se trouvent en puissance (Balme, 1990, p. 30). Nous nous garderons néanmoins de tout rapprochement hâtif entre les positions conservatrices à l’égard de l’avortement et les théories d’Aristote sur la génération des animaux. En effet, pour Aristote, si lorsque sa faculté de sentir s’actualise, l’embryon devient in utero un animal humain, il ne deviendra un être humain qu’à la naissance puisque sa fonction intellective ne peut pas s’actualiser avant (Panidis, 2015, p. 15). Les conservateurs considèrent au contraire que le fœtus est déjà un être humain in utero.

L’argument de la potentialité a sans doute inspiré le Comité National Consultatif d’Ethique en France (CCNE)  qui stipule que « L’embryon ou le fœtus doit être reconnu comme une personne humaine potentielle qui est, ou a été vivante et dont le respect s’impose à tous » (C.C.N.E., avis no 1 du 22 mai 1984 sur les prélèvements de tissus d’embryons et de fœtus humains morts, à des fins thérapeutiques, diagnostiques et scientifiques). Le CCNE ne considère pas l’embryon humain comme une personne mais en tant qu’il peut ou aurait pu devenir une personne, il doit être respecté et son utilisation pour la recherche strictement encadrée.

La notion de potentialité est à la fois utilisée pour justifier le fait de devoir traiter le fœtus avec dignité, et pour justifier le fait qu’il n’est pas encore une personne. Cette notion présente l’avantage de comprendre à la fois l’idée qu’un embryon humain deviendra un jour une personne humaine selon un développement naturel, et en même temps l’idée que l’embryon humain n’est pas encore l’adulte capable de manifester les fonctions mentales adéquates. Le fœtus n’a certes pas encore les capacités d’exercer certaines fonctions mentales complexes (raisonnement, délibération, conscience de soi) parce qu’il n’a pas encore atteint un certain degré de maturité cérébrale mais cela vaut également pour les jeunes enfants, les individus dans le coma ou lourdement handicapés. Le fait de ne pas posséder actuellement ces capacités cognitives n’implique pas que ces être humains ne sont pas des personnes et qu’elles n’ont pas le droit de vie (Lee et George, 2005, p. 18). De plus, le cerveau poursuit son développement jusqu’à la fin de l’adolescence. Une différence simplement quantitative concernant le développement cérébral ne saurait justifier une différence de traitement aussi radicale entre le fœtus et l’enfant ou l’adulte.

L’argument de la potentialité est donc central pour les opposants à l’avortement : si la capacité à devenir une personne ne confère pas une protection morale au fœtus, alors même l’infanticide pourra être moralement justifié ; mais si le fait de posséder cette potentialité lui permet d’avoir un statut moral, alors l’embryon doit être protégé dès la formation de cette potentialité (Hershenov, 2015). Cet argument est conceptuel puisqu’il ne dépend pas des données empiriques de la science. Pour savoir si l’embryon est une personne, il faut commencer par clarifier les concepts de personne, de conscience, de potentialité, ou encore d’identité personnelle. C’est la raison pour laquelle le débat moral sur l’avortement est spécifiquement philosophique.

Objections aux arguments opposés à l’avortement

Comme les arguments en faveur de l’avortement, les arguments opposés à l’avortement se heurtent à plusieurs objections.

Qu’une entité soit un être humain n’est ni nécessaire ni suffisant pour lui conférer le statut moral de personne et un droit de vivre. D’une part, tous les êtres humains, c’est-à-dire les membres de l’espèce homo sapiens, ne sont pas considérés comme des personnes humaines si l’on entend par personne une entité capable de manifester des capacités cognitives complexes. C’est le cas des embryons/fœtus, des nouveau-nés, de certains malades mentaux profonds, ou encore des gens inconscients de façon permanente et irréversible. D’autre part, il existe des créatures non humaines qui peuvent néanmoins être considérées comme des personnes : c’est le cas de certains primates, comme par exemple les gorilles. Patterson et Gordon (1993, p. 71) relatent le cas de la femelle gorille Koko capable de se désigner elle-même lorsqu’elle se trouve face à un miroir. En 2014, une femelle orang-outan du nom de Sandra, enfermée dans un zoo de Buenos Aires, a été reconnue par le tribunal argentin comme étant une personne non humaine et a été libérée d’un zoo (Bismuth et Marchadier, 2015).

La perte d’un futur potentiel qui a de la valeur est moralement condamnable uniquement si l’embryon a une connexion psychologique avec l’adulte futur ; mais contrairement à ce qu’affirme Marquis (1989), l’embryon/fœtus est dénué de cette capacité (McInerney, 1990) : il n’a ni désirs, ni croyances, ni souvenirs, ni intentions etc.

La position conservatrice attribuant le statut de personne humaine à un zygote paraît improbable. Selon ses partisans, un être humain existe dès la fécondation et cet être humain possède la propriété d’être une personne humaine. L’avortement est condamnable moralement parce que nous sommes numériquement identiques au zygote à partir duquel nous nous sommes développés. Par conséquent, les gamètes sont aussi des personnes potentielles et devraient avoir un statut moral. Mais le zygote est une cellule qui résulte de la fusion entre les gamètes mâles et femelles. Après la fusion, les gamètes cessent d’exister donc les gamètes et le zygote ne sont pas identiques numériquement. De même, la métamorphose des cellules du zygote est telle qu’il ne peut être considéré comme un organisme numériquement identique à l’embryon puis au fœtus. Il n’y a pas un seul organisme qui serait d’abord un zygote puis un embryon et enfin un foetus (Hershenov, 1999, p. 265)

Affirmer que l’avortement est immoral parce que le zygote peut devenir une personne humaine est insuffisant puisque l’on ne peut conférer des droits actuels à une entité du fait que cette entité pourrait un jour avoir ces droits. Le fait de posséder potentiellement une propriété n’implique pas logiquement la possession actuelle de cette propriété (Feinberg, 1980, p. 193). Par exemple, le président potentiel des États-Unis n’est pas le commandant en chef des forces armées (Benn, 1973, p. 102). Un enfant est un adulte humain potentiel qui aura un jour le droit de voter mais cette potentialité ne lui donne pas le droit de voter actuellement. De même, le fait qu’un embryon soit considéré comme une personne potentielle ne fait pas de lui une personne humaine qui jouirait des mêmes droits; cela implique seulement qu’il y ait de fortes probabilités que cet embryon devienne un jour une personne humaine (Engelhardt, 1996, p. 142).

L’argument de la potentialité repose sur un présupposé affirmant que l’embryon doit se développer de telle façon pour devenir une personne, comme si réaliser la propriété d’être une personne appartenait à son essence (Perrett, 2000, p. 193). Mais en réalité nous projetons sur le développement biologique naturel de l’embryon des affirmations prescriptives au sujet de l’essence de l’être humain. La science affirme seulement que les cellules embryonnaires sont totipotentes et qu’elles peuvent avoir plusieurs fonctions finales, non que le zygote est destiné à devenir une personne humaine. Si la notion de potentialité est interprétée téléologiquement (Charnet, 2002, p. 323-334), alors nous pouvons objecter qu’il s’agit d’une projection humaine qui ne correspond à rien dans la réalité.

Les défenseurs de l’argument de la potentialité pensent, à tort, que le fait d’être une personne est une potentialité active de l’embryon (Tooley, 1983). Affirmer que les gamètes, puis le zygote, puis l’embryon et le foetus ont la potentialité active d’acquérir la propriété d’être une personne veut dire que ces entités possèdent actuellement tous les facteurs permettant à cette propriété d’apparaître en elles ; dire au contraire que l’embryon a la potentialité passive de devenir une personne veut dire qu’un facteur externe à l’embryon doit initier en lui un processus qui lui permettra un jour de posséder la propriété d’être une personne (Witt, 1995). Par exemple, la capacité qu’a le feu de brûler est une potentialité active, tandis que la capacité qu’a le bois de brûler est une potentialité passive. D’après les conservateurs, pour être considéré comme une personne, il suffit que l’embryon possède la potentialité active d’avoir conscience de soi, même si cette capacité ne peut encore être actualisée (Lee, 2004, pp. 252-253). Mais supposons qu’un embryon/fœtus ait une anomalie cérébrale récupérable. Pour pouvoir se développer normalement, il devra subir une intervention médicale, ce qui veut dire que sa capacité à s’actualiser comme personne n’est pas intrinsèque (McMahan, 2002, pp. 312-315). L’embryon possède seulement la potentialité passive d’être une personne humaine, ce qui veut dire que cette propriété n’est pas intrinsèque à lui. De plus, si comme le pensent les opposants à l’avortement, cette potentialité se trouve dans le génome et l’épigénome de l’embryon humain mais que l’épigénome, essentiel au développement de l’embryon, est aussi déterminé par des facteurs extérieurs environnementaux, cela signifie aussi que cette potentialité n’est pas une potentialité intrinsèque à l’embryon (Lizza, 2014, pp. 267-268).

Si l’embryon/fœtus est une personne potentielle, alors les nouveau-nés, dont le cerveau n’est pas très différent d’un fœtus à terme, et qui ne possèdent pas la capacité cognitive d’avoir conscience d’eux-mêmes, devront aussi être considérés comme des personnes potentielles ; par conséquent, l’infanticide devrait être aussi légalement autorisé dans la mesure où l’avortement l’est (Giubilini et Minerva, 2013). Par conséquent, la notion de personne potentielle n’est ni nécessaire ni suffisante pour conférer à l’embryon/fœtus un statut moral qui implique de le protéger.

Si l’embryon/fœtus est une personne humaine potentielle au sens où il existe une forte probabilité statistique qu’il devienne une personne humaine, alors chaque gamète est potentiellement un embryon et par transitivité une personne ; donc la contraception elle-même et même l’abstinence devraient être moralement condamnable puisqu’ils empêchent la procréation (Tooley, 1983, p. 193; Harris, 1985, p. 11-12). Peu de défenseurs de l’argument de la potentialité acceptent cette conclusion, à l’exception de Hare (1975).

Ces objections montrent que la potentialité à être une personne humaine ne peut constituer le fondement du droit à la vie de l’embryon humain (Feinberg, 1984 ; McMahan, 2002).

De plus, les dernières découvertes scientifiques contredisent l’idée que la totipotence, la capacité à se développer en un organisme pleinement formé, serait une propriété appartenant exclusivement aux cellules souches embryonnaires. Le fait pour les cellules souches de posséder la propriété de totipotence de manière exclusive est un argument empirique auquel les conservateurs font appel. Or il a été montré que la totipotence n’est pas une propriété réservée aux cellules souches embryonnaires.

En 2006, des chercheurs ont mis au point une méthode de reprogrammation génétique de cellules pluripotentes en cellules totipotentes chez la souris (Takahashi et Yamanaka, 2006). La création des cellules souches pluripotentes induites consiste à reprogrammer génétiquement une cellule différenciée en la ramenant à son état pluripotent. Il s’agissait d’injecter dans la cellule adulte quatre gènes (Oct3/4, Sox2, c-Myc et Klf4) qui sont surexprimés dans les cellules souches embryonnaires. 
Une cellule pluripotente peut s’accroître à l’infini et être différenciée en des cellules types composant un organisme adulte, comme les cellules souches embryonnaires. Mais contrairement aux cellules totipotentes, les cellules pluripotentes n’ont pas la capacité de se développer en un organisme pleinement formé parce qu’elles ne peuvent organiser toutes les cellules du corps (y compris celles du placenta). Cette reprogrammation génétique signifie que n’importe quelle cellule différenciée peut désormais revenir à un état embryonnaire, ce qui remet en cause le caractère spécifique de l’embryon qui justifiait son statut moral.

Plus récemment, une équipe de chercheurs à l’institut de Riken Tsukuba a découvert une paire de protéines histones pouvant générer des cellules souches embryonnaires totipotentes induites (Shinagawa et al., 2014). S’il est possible de reprogrammer le développement potentiel de cellules différenciées comme les cellules cutanées, la génération des cellules souches totipotentes ne sera donc bientôt plus une fiction. Cette avancée scientifique remet en cause le caractère spécifique de la possession par l’embryon humain de la propriété de totipotence. Ce développement particulier, que l’on pensait être spécifique à l’embryon, ne peut plus en effet être considéré comme une propriété intrinsèque et contredit l’idée que la totipotence est un critère pertinent pour accorder à l’embryon humain le statut moral de personne humaine. Si la totipotence n’est pas spécifique aux cellules embryonnaires, alors il n’y a plus de raisons de penser que l’embryon humain est une personne humaine potentielle et qu’il devrait bénéficier d’une protection morale et juridique.

Ces expériences scientifiques consistant à reprogrammer n’importe quelle cellule ont conduit certains chercheurs à défendre l’idée qu’il faut abandonner la notion de potentialité (Fitzpatrick 2004 ; Fisher, 1994 ; Stier et Schoene-Seifert, 2013) pour débattre de l’avortement. La notion de statut moral attribuée au fœtus ne renvoie pas seulement à des propriétés intrinsèques, mais aussi à des propriétés extrinsèques, ce qui remet en cause les fondations empiriques de l’argument de la potentialité qui est central dans la défense des thèses conservatrices
(Baertschi et Mauron, 2010).

Nous avons vu que le problème de l’avortement est principalement celui de savoir de quoi dépend le statut moral de l’embryon. L’embryon ne peut pas être considéré comme étant actuellement une personne. Il semble plus raisonnable d’affirmer qu’il deviendra un jour une personne humaine. Chaque camp propose des arguments pertinents. Pour les opposants à l’avortement, cet acte n’est jamais moralement permis parce que dès la conception, il y a vie, et que la vie de l’embryon doit être respectée parce qu’il est déjà un être humain et une personne en puissance. Certains conservateurs considèrent néanmoins que la mise en danger de la vie de la mère justifie moralement l’avortement. Pour les partisans de l’avortement, l’embryon, le fœtus et le nouveau né (lourdement handicapé) ne sont pas des personnes et les tuer devrait donc être moralement permis. Certains libéraux pensent néanmoins que c’est en vertu de sa sensibilité qu’un être vivant doit avoir un statut moral et que l’avortement devrait avoir lieu avant la vingt-quatrième semaine de grossesse puisqu’à ce stade le fœtus n’a pas de sensibilité (il ne peut sentir ni plaisir ni douleur).

Face à cette impasse, il est opportun de se demander si une approche plus fondamentale du débat sur l’avortement ne permettrait pas d’apporter un éclairage supplémentaire sur les arguments pro-life et pro-choice.

 

La neutralité de la métaphysique : une solution au débat sur l’avortement ?

Les questionnements éthiques au sujet de l’avortement soulèvent la question de l’individualité (l’embryon est-il un individu ou un amas de cellules ?), mais aussi celle de l’identité personnelle. Selon David DeGrazia (2003), «[n]ous ne pouvons pas ignorer la théorie de l’identité personnelle lorsque l’on examine des cas limites» (p. 442, ma traduction). L’identité personnelle est un sujet de la métaphysique qui étudie quel genre d’être nous sommes et en vertu de quoi nous endurons ou persistons à travers le temps.

La question de savoir si la métaphysique est pertinente pour résoudre les questions éthiques telles que l’avortement a été souvent discutée en philosophie. Selon certains philosophes, le point de vue métaphysique, par son caractère neutre et fondamental, permet d’éclairer significativement les débats éthiques comme celui du statut moral de l’embryon (Chappell, 2000 ; McKitrick, 2014 ; Parfit, 1984 ; Alvarez-Manninen, 2009 ; Beckwith, 2007 ; Hershenov et Koch, 2005 ; Hershenov, 2010 ; DeGRazia, 2005 ; McMahan, 2002 ; FitzPatrick, 2004 ; Stier et Schoene-Seifert, 2013). Les théories métaphysiques sont descriptives et dénuées de jugement de valeur: affirmer, par exemple, qu’il y a une identité numérique entre l’embryon et la personne adulte, ou bien qu’un esprit immatériel endurant est uni à un corps humain est dépouillé de tout jugement de valeur; or, cette neutralité est précisément ce qui rend la métaphysique potentiellement utile pour traiter des questions éthiques liées à l’avortement. Pour d’autres philosophes au contraire, la métaphysique est épistémiquement inerte concernant le débat sur l’avortement qui est avant tout un débat éthique et empirique (Conee, 1999 ; Shoemaker, 2009).

Le débat sur l’avortement touche à la question de savoir si, à un moment donné, l’embryon/fœtus peut être une personne adulte à un autre moment du temps, c’est-à-dire si une personne adulte n’est pas numériquement identique à un embryon/fœtus. Ce qui est présupposé par les opposants à l’avortement est que l’embryon/fœtus devrait être considéré comme l’est une personne actuelle parce qu’il n’y a pas de différence fondamentale ontologique entre les deux. Ils pensent que l’individu adulte est identique numériquement à l’embryon, même s’ils ne sont pas identiques qualitativement. Il s’agit d’une thèse métaphysique qui n’est pas justifiée par les opposants à l’avortement.

Un autre exemple illustrant l’utilité que peut avoir la métaphysique dans le débat sur l’avortement concerne la notion de potentialité utilisée dans l’argument de la potentialité. Cette notion peut renvoyer au fait de posséder actuellement la propriété d’être une personne en vertu d’une connexion causale entre les tranches temporelles (Lewis, 1976 ; Heller, 1984) de l’embryon et celles d’une personne adulte (dans ce cas, il s’agit d’une dépendance causale entre tranches temporelles de deux entités) ; mais elle peut aussi renvoyer au fait d’être une âme immatérielle qui perdure à travers le temps. Clarifier cette ambivalence et analyser chaque présupposé pourrait permettre d’améliorer l’argument de la potentialité. Il paraît donc pertinent d’essayer d’évaluer la pertinence de la perspective métaphysique pour explorer le débat éthique sur l’avortement. L’approche métaphysique est-elle pertinente pour répondre définitivement au problème de l’avortement ? Peut-elle nous aider à clarifier et à évaluer objectivement certains présupposés adoptés par les positions libérales et conservatrices ?

L’identité personnelle fondée sur la continuité biologique

Affirmer que l’avortement est un acte immoral est le plus souvent motivé par l’idée qu’une relation d’identité numérique s’établit entre l’embryon/fœtus humain et la future personne humaine. L’argument peut être présenté de la façon suivante :

-Tuer un être humain est immoral.

-Un embryon n’est que le très jeune être humain qu’un jour nous étions.

-Donc tuer un embryon est immoral.

Certains philosophes conservateurs défendent l’idée qu’une telle relation d’identité existe entre l’embryon et l’adulte futur parce qu’il y a une continuité biologique entre ces deux entités (Marquis 1989). Dès le début de la conception, ou à partir d’un certain moment (l’embryon est un organisme humain à partir du seizième jour suivant la conception), l’embryon/fœtus entretient une relation d’identité numérique avec l’individu adulte.

Cet argument en défaveur de l’avortement repose sur le présupposé métaphysique selon lequel nous sommes par essence des animaux appartenant à l’espèce homo sapiens (Olson, 1997a; 1997b; 2003). 
Les métaphysiciens partisans de l’animalisme ne nient pas la distinction entre les êtres humains et les personnes humaines; de leur point de vue, le concept de personne est appliqué à une phase de notre existence qui commence lorsque nous réalisons certaines propriétés psychologiques, et qui s’achève lorsque nous les perdons (Olson, 1997b, p. 31-37; Hacker, 2007). 
De même que tous les êtres humains traversent une phase d’adolescence, ou que nous devenons à un certain moment musiciens ou philosophes, tous les êtres humains connaissent une phase de personne. Les partisans de l’animalisme ne nient pas non plus l’existence d’une continuité psychologique, mais celle-ci se fonde selon eux sur une continuité biologique plus fondamentale. Si nous sommes essentiellement des animaux, les conditions sous lesquelles nous persistons à travers le temps n’ont rien à voir avec les états mentaux. Selon les défenseurs de cette conception animaliste ou biologique de l’identité personnelle, la conscience n’est absolument pas un critère pertinent pour établir une relation d’identité numérique entre l’embryon/fœtus et l’être humain adulte. Si c’était le cas, étant donné que le fœtus n’est pas conscient au moins avant le cinquième mois, cela signifierait soit que, durant la grossesse, le fœtus a cessé d’exister et que j’ai pris sa place, soit qu’il a survécu séparément de moi et qu’il se trouve dans mon corps, ce qui est dans les deux cas absurde (Olson, 1997a). Il y a une relation d’identité numérique entre l’embryon/ fœtus et le futur individu parce qu’ils partagent le même organisme biologique. Nous persistons à travers le temps autant que notre organisme numériquement distinct persiste dans un certain état fonctionnel. Or, cette thèse sur l’identité personnelle est plutôt compatible avec l’idée que nous avons été un jour un embryon (Olson, 1997a, p. 106).

Les opposants à l’avortement s’appuient donc sur cette conception métaphysique car ils pensent que cette thèse implique nécessairement qu’il est moralement condamnable d’empêcher l’embryon/fœtus de vivre, puisqu’il est injuste d’ôter la vie à un adulte humain. Pour les conservateurs, avorter est immoral parce qu’il y a une identité numérique entre l’adulte et l’embryon ; cette identité numérique se fonde sur une continuité biologique justifiée par le fait que nous sommes essentiellement des animaux.

D’autres opposants à l’avortement s’appuient quant à eux sur l’affirmation que la vie commence dès la conception, avant même qu’un organisme ne soit formé. Ils affirment que l’avortement est condamnable parce qu’un nouvel être humain existe dès la conception. Ils présupposent donc qu’il y a une identité numérique entre l’embryon/fœtus et le futur adulte en vertu de leur code génétique unique. Selon cette position, l’identité personnelle repose sur la continuité de l’existence de ce code génétique.

Ce critère est cependant invalidé par la science. En effet, les jumeaux monozygotes partagent le même code génétique alors qu’ils sont deux individus distincts.
 

L’identité personnelle fondée sur la continuité psychologique

Les arguments défendant l’avortement affirment à l’inverse que l’on ne peut établir de relation d’identité numérique entre un embryon/ fœtus et un individu adulte parce qu’il n’y a pas entre eux de continuité ou de contiguïté psychologique (croyances, traits de caractères, souvenirs, etc.).

Cette approche psychologique de l’identité personnelle fondée sur la continuité psychologique (Lewis, 1976 ; Parfit, 1984 ; Unger, 1992), n’est pas compatible avec l’idée que nous avons été, dans le passé, un embryon non doté de conscience. Pour être une personne, il faut avoir certaines capacités mentales complexes (il ne suffit pas seulement de sentir ou d’être éveillé), capacités que ne possèdent ni l’embryon, ni le fœtus, ni même le nouveau-né. Puisque l’embryon/fœtus n’est pas une personne, aucune personne humaine n’a été un jour un embryon.

Il n’y a donc aucune relation d’identité entre d’un côté l’embryon/fœtus, le nouveau-né et, de l’autre, un individu adulte (Singer (1993, p. 171 et 188). L’embryon, le fœtus et le nouveau-né ne peuvent se projeter dans le futur et l’on ne peut reconnaître aucune des expériences vécues à cette période comme étant les nôtres. Il n’y a pas de relation d’identité entre un fœtus et un individu futur parce que le premier ne partage aucune connexion psychologique avec le second (McInerney, 1990). Par conséquent, l’avortement ne détruit pas l’existence d’un individu déjà existant. De plus, le droit à la vie concerne les personnes, non les organismes physiques (Kuhse et Singer, 1985, p. 133). Or les fœtus ne sont pas des personnes parce qu’ils sont incapables de se percevoir comme des sujets distincts qui existent continuellement à travers le temps.

L’argument empirique suivant a également été proposé: 
un blastocyte à cent cellules ne peut pas être implanté dans un utérus, contrairement à un blastocyte à huit cellules. Aussi, s’ils n’ont pas les mêmes potentialités, ils ne peuvent pas être identiques numériquement (Singer et Dawson, 1988). Cet argument est néanmoins discutable dans la mesure où ne pas avoir actuellement les mêmes potentialités que dans le passé est compatible avec le fait d’être numériquement le même individu.

L’objection de la réduplication

L’argument de la réduplication (Williams,1973) constitue une solide objection à la conception psychologique ou mentale de l’identité personnelle qui sous-tend l’argumentation de Singer.

Williams imagine l’expérience de pensée suivante: un scientifique mal intentionné donne à Charles tous les états mentaux de Guy Fawkes, un homme pendu en 1606 pour avoir tenté de faire exploser le Parlement Anglais. Charles est donc Guy Fawkes. Mais ce scientifique décide aussi de transformer de la même manière une autre personne, Robert. Charles et Robert ont donc tous les deux une continuité psychologique avec Guy Fawkes. Si l’identité personnelle est la continuité psychologique, alors Charles et Robert sont identiques à Guy Fawkes. Pourtant Charles et Robert ne sont pas identiques numériquement l’un à l’autre : il y a bien deux personnes numériquement distinctes (même si du point de vue de leurs états mentaux, elles ne sont pas qualitativement distinctes). Par conséquent, l’identité personnelle n’est pas la continuité psychologique.

Si les travaux métaphysiques sur l’identité personnelle étaient systématiquement examinés au préalable, les arguments relatifs au débat sur l’avortement gagneraient peut-être en rigueur et en efficacité. Selon Alvarez Manninen (2009), le succès de certains arguments de bioéthique dépend exclusivement du succès de la défense de certaines théories métaphysiques. Mais faire appel à des arguments métaphysiques pour résoudre des questions d’éthique appliquée rencontre des limites.

 

Les limites du rôle de la métaphysique dans les questionnements éthiques

En effet, des thèses métaphysiques rivales ne donnent pas toujours lieu à des conclusions éthiques divergentes. Par conséquent, la métaphysique ne permet pas de mieux défendre telle ou telle position à l’égard de l’avortement. Seuls les faits empiriques sont déterminants pour discuter du statut moral des entités anténatales (Conee, 1999, p. 620).

Un dualiste des substances et un physicaliste réductionniste peuvent défendre l’idée que l’identité personnelle repose sur la continuité psychologique, tout en condamnant moralement l’avortement (Shoemaker, 2010). Ces deux thèses métaphysiques sur la nature de l’être humain s’opposent, mais leur incompatibilité n’exclut pas logiquement de défendre la même position à l’égard de l’avortement. Cela signifie que les conclusions éthiques sur l’embryon humain ne dérivent pas logiquement de thèses métaphysiques et que le statut métaphysique de l’embryon ne détermine pas logiquement son statut moral.

Inversement, il est possible de défendre la même thèse métaphysique au sujet de l’identité personnelle tout en ayant des avis opposés au sujet de l’avortement. Par exemple, à l’instar d’Olson (1997a ; 1997b ; 2003), DeGrazia (2005) soutient que nous sommes essentiellement des animaux humains, que nous avons donc été un jour un embryon et que notre identité persiste aussi longtemps que notre organisme biologique fonctionne. Cette conception animaliste de l’identité personnelle est également partagée par le philosophe conservateur Marquis (1989) qui affirme que nous commençons à exister dès l’individuation, à savoir dès le seizième jour après la fécondation. DeGrazia et Marquis rejettent les conceptions psychologiques de l’identité personnelle reposant sur la capacité à être conscient, ou sur la capacité à être conscient de soi, à raisonner, à avoir des préférences etc. Ils affirment aussi que tuer un embryon le prive d’un futur. Pourtant DeGrazia, libéral, et Marquis, conservateur, ne partagent pas le même avis sur l’avortement. Selon DeGrazia (2005), notre statut moral ne dépend pas du moment à partir duquel nous existons (p. 244) mais de notre capacité à être relié psychologiquement à notre futur. Contrairement à Marquis, DeGrazia (p. 286) pense que l’avortement durant le premier trimestre est moralement permis car tant que le fœtus n’est pas conscient, il n’a pas la capacité à être relié à son futur et à être affecté par la perte de ce futur.

De plus, des thèses métaphysiques considérées traditionnellement comme rivales peuvent être équivalentes (Miller, 2005a et 2005b). C’est le cas par exemple de deux théories métaphysiques portant sur l’identité personnelle à travers le temps, le tridimensionnalisme et le quadridimensionnalisme. Selon le quadridimensionnalisme (Quine (1976) ; Armstrong (1980) ; Heller (1984) ; Lewis (1986) ; Sider (2005)), les parties des objets ordinaires et des personnes sont toutes étendues dans l’espace et dans le temps. Si une table est étendue dans l’espace avec des parties spatiales, alors elle est aussi étendue dans le temps avec des parties temporelles. Cette théorie selon laquelle les objets ont également des parties temporelles est aussi appelée « perdurantisme ». Le tridimensionnalisme (Geach (1972) ; van Inwagen (1990) ; Merricks (1994)), appelé aussi « endurantisme », soutient au contraire que tout objet est étendu en trois dimensions spatiales. Les objets n’ont pas de parties temporelles mais seulement des parties spatiales. Toutes les parties de l’objet sont présentes à chaque moment. Certaines théories mixtes soutiennent que certains objets persistants ont des parties temporelles, alors que d’autres n’en ont pas.

Supposons que nous souhaitions défendre l’idée que l’embryon/fœtus possède actuellement la propriété d’être une personne en vertu du fait qu’il possède des tranches temporelles causalement connectées aux tranches temporelles d’une personne adulte. Pour savoir si une telle interprétation est plausible, il faudra d’abord examiner les arguments en faveur et en défaveur du quadridimensionnalisme, puis les différentes conceptions quadridimensionnalistes qui ne s’accordent pas sur la façon dont les objets persistent à travers le temps. Ensuite, il faudra déterminer si les connexions entre les différentes tranches temporelles correspondant à divers moments de la vie d’un adulte, et qui entrent dans la composition d’une seule personne, sont équivalentes ou non à celles unissant un embryon/fœtus avec l’individu adulte qu’il deviendra. Si elles sont équivalentes, alors toutes les thèses sur l’avortement fondées sur l’argument de la potentialité bénéficieront d’un argument supplémentaire convaincant. Si elles ne sont pas équivalentes, alors il n’y a plus de raisons de penser que l’embryon humain est identique numériquement à la personne humaine.

En revanche, si le tridimensionnalisme est équivalent au quadridimensionnalisme (Miller 2005a et 2005b), il devient difficile de soutenir comme Alvarez-Manninen (2009) que s’appliquer à mieux défendre les thèses métaphysiques peut faire progresser le débat. Remonter jusqu’au désaccord fondamental existant entre les théories métaphysiques pour résoudre le problème du statut moral de l’embryon n’est pas suffisant (Gaudemard, 2017).

Si les positions à l’égard de l’avortement ne dérivent pas logiquement des thèses métaphysiques sur l’identité personnelle, n’est-ce pas parce que des considérations pragmatiques, empiriques et éthiques jouent un rôle décisif ? Par exemple, les propositions empiriques selon lesquelles, avant la vingt-quatrième semaine de grossesse, l’embryon ne ressent probablement pas la douleur, ou bien encore que le cœur de l’embryon commence à battre à partir de six semaines de grossesse, influencent considérablement notre point de vue sur l’avortement, indépendamment du fait d’être animaliste ou essentialiste.

Parmi ces considérations, se trouvent également des principes éthiques, comme par exemple le principe utilitariste selon lequel l’action moralement bonne est celle qui produit le plus grand bien, qui est le principe adopté par Singer (1993). La question de savoir si tuer un être humain est aussi immoral que tuer une personne humaine est également une affirmation au centre du débat de l’avortement qui ne se justifie pas métaphysiquement. L’idée que l’avortement est immoral parce que nous privons l’embryon d’un futur comme le nôtre qui a de la valeur, d’expériences, de projets, d’activités, de plaisirs, etc. (Marquis,1989) n’a aucune justification métaphysique.

Pour défendre leur cause, les militants anti-avortement soutiennent également que les femmes qui avortent développent des troubles mentaux (« syndrome post avortement »). Cet argument qui suscite la controverse dans la littérature scientifique (Steinberg et Russo, 2008) n’est pas métaphysique mais empirique. Il en est de même lorsque nous affirmons que la santé psychique et physique de la mère est plus importante que celle de l’embryon et du fœtus, que l’interdiction d’avorter pose des problèmes de santé publique et nuit à la société, ou que la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines est morale car sauver la vie d’une personne humaine a plus de valeur que la vie d’un embryon qui n’est pas encore une personne.

Ces propositions empiriques, pragmatiques et éthiques sont déterminantes lorsqu’il s’agit de prendre position sur le statut moral de l’embryon humain. Car les principales questions qui entrent en jeu dans le débat sur l’avortement sont aussi celles-ci : en quoi la perte d’un embryon humain est-elle aussi dommageable que celle d’une personne ? Pourquoi la vie de la femme a-t-elle plus de valeur que celle de l’enfant qu’elle porte ? Est-il moral de laisser naître un enfant qui grandira dans des conditions inacceptables ? Ces questions ne sont pas exclusivement du ressort de la métaphysique. Le débat sur l’avortement porte sur le statut moral du fœtus mais il touche aussi au conflit entre les droits des femmes et ceux de l’embryon/fœtus, à des problèmes de santé publique, à des aspects économiques, démographiques, éducatifs. Sa complexité fait qu’il ne peut pas être traité seulement par une approche métaphysique au détriment des aspects éthiques, psychologiques et socio-économiques.

Conclusion

Nous avons présenté le problème de l’avortement comme étant indissociable de celui du statut moral de l’embryon humain et de la question de savoir dans quelle mesure une entité est une personne humaine. S’il est possible de clarifier le débat passionné sur l’avortement en identifiant et en analysant les thèses métaphysiques neutres sur lesquels ce débat s’appuie, cette démarche rencontre néanmoins des limites. En effet, des conceptions métaphysiques opposées peuvent conduire à soutenir la même position éthique au sujet de l’avortement, et une même conception métaphysique peut aboutir à deux thèses éthiques divergentes au sujet de l’avortement. De plus, certaines des propositions métaphysiques, sur lesquelles les arguments pro ou anti-avortement sont fondés, sont équivalentes. Entre les thèses métaphysiques et les positions éthiques contre ou en faveur de l’avortement, se trouvent des propositions empiriques, pragmatiques, et éthiques qui sont décisives. Cet enchevêtrement montre toute la complexité du débat sur l’avortement dont il est régulièrement question dans l’actualité.

Rappelons que l’avortement ne fait pas partie de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Vingt pays reconnaissent actuellement ce droit, sept l’assortissent de conditions contraignantes comme le viol ou les malformations du fœtus (Chypre et la Pologne) et le huitième, Malte, l’interdit. Si, en raison de décès dramatiques, certains pays comme la Lituanie et l’Irlande ont décidé d’assouplir les conditions d’accès à l’avortement, cet accès devient au contraire plus difficile dans d’autres Etats: ainsi en 2014 le Conseil des Ministres en Espagne a tenté de faire adopter une loi restreignant l’accès pour les femmes à l’IVG. La Hongrie a décidé de restreindre considérablement l’accès à l’IVG en affirmant que l’embryon était en vie dès sa conception et que sa vie devait par conséquent être protégée. En Italie, où l’avortement est autorisé jusqu’à douze semaines, de nombreux médecins refusent encore de pratiquer cet acte. En 2014, les citoyens suisses ont été invités à se prononcer en faveur d’une loi du parlement visant à ne pas rembourser l’IVG. En 2014, le projet d’assouplissement de la loi sur l’IVG en France visant à supprimer la notion d’« état de détresse » (projet validé le 04 août 2014) a fait débat. Dans certains Etats d’Australie, comme le Queensland et la Nouvelle-Galles-du-Sud, l’avortement « non justifié » est considéré comme un crime passible d’une peine de dix ans d’emprisonnement. Toute interruption volontaire de grossesse doit être motivée par un avis médical attestant d’un risque grave pour la santé physique ou psychologique pour la femme enceinte. Dans ces Etats, ni le viol, ni les anomalies graves du fœtus ne constituent des motifs autorisant l’avortement ; toutes les tentatives de votation de lois de dépénalisation de l’avortement dans ces Etats ont échoué. Aux Etats-Unis, dans l’Etat du Mississipi, il est désormais interdit d’avorter dès que les battements du cœur de l’embryon sont détectables, c’est-à-dire à six semaines de grossesse. D’autres mesures similaires ont été votées aux Etats-Unis. En mars 2017, le Sénat de l’État du Texas a voté en faveur de deux mesures : la première interdit l’interruption médicale de la grossesse au cours du deuxième trimestre, et la seconde protège les obstétriciens qui dissimulent 
à leur patiente le handicap potentiel de leur enfant. 
Le 15 mai 2019, le Sénat de l’Alabama a adopté une loi très restrictive concernant l’avortement (« loi HB314 ») : même en cas de viol, la grossesse devra être poursuivie. Seul un risque létal pour la mère pourra justifier le recours à l’avortement. Depuis l’élection du Président Donald Trump, le gouvernement américain a cessé de financer les ONG internationales soutenant l’avortement, mais aussi le Fonds des Nations Unies pour la Population, ainsi que toutes les cliniques pratiquant les avortements aux États-Unis. 


En 2019, le refus exprimé par le gouvernement français de supprimer la clause de conscience spécifique à lVG montre que cet acte médical demeure toujours problématique. Dans ce contexte actuel où le débat sur l’avortement est saturé de discours idéologiques dans chaque camp, il devient urgent de reconsidérer les enjeux de ce débat sous l’angle de la rationalité.

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