Euthanasie (A)

Comment citer ?

Baertschi, Bernard (2021), «Euthanasie (A)», dans Maxime Kristanek (dir.), l'Encyclopédie philosophique, consulté le ..., https://encyclo-philo.fr/

Publié en mars 2021

Résumé

Depuis 2002, certains pays ont dépénalisé l’euthanasie et l’aide à mourir, mais ils sont à ce jour peu nombreux. Sur le plan moral, la question de savoir s’il est permis de décider soi-même d’abréger ses jours n’est pas nouvelle: depuis l’Antiquité, les philosophes se demandent ce qui caractérise une « bonne mort ». Actuellement, on entend par « euthanasie » l’acte, pratiqué par un médecin, d’ôter la vie à un patient en fin de vie et en proie à d’intenses souffrances, à sa demande.

Pendant longtemps, le terme a été employé plus largement et certaines distinctions ont été introduites: d’abord, l’euthanasie passive a été distinguée de l’euthanasie active, qui elle-même peut être indirecte ou directe, puis on a opposé l’euthanasie volontaire, l’euthanasie non-volontaire (par exemple lorsque le patient est dans le coma) et l’euthanasie contre la volonté, chacune de ces formes ayant fait l’objet de débats quant à leur caractère moral ou immoral.

Les discussions actuelles opposent les partisans et les opposants de la libéralisation de l’euthanasie et de l’aide au suicide qu’ils jugent différemment sur le plan moral. Le débat est souvent loin d’être serein, car nombre de ses protagonistes sont animés par des conviction fortes, de nature politique ou religieuse, ce qui rend d’autant plus nécessaire une approche théorique de ses enjeux. Les partisans de la libéralisation invoquent le plus souvent la qualité de vie, l’autonomie ou la liberté personnelle, ainsi que le respect de l’intégrité de la personne, alors que ses adversaires affirment le caractère sacré de la vie, s’opposent à tout homicide direct et craignent une pente glissante ou fatale. Tous cependant invoquent la dignité humaine, chacun la comprenant à sa manière.


Euthanasie et assistance au suicide: la situation juridique

Le 1er avril 2002 est entrée en vigueur aux Pays-Bas une loi dépénalisant l’euthanasie sur l’être humain. C’est à cette question qu’est consacré cet article, à l’exclusion de l’euthanasie des animaux de compagnie ou dans l’expérimentation. Les Pays-Bas sont le premier pays à avoir brisé une interdiction alors générale. La même année, la Belgique a suivi, puis, plus tard, le Luxembourg (2009), le Canada (2016) et l’État de Victoria en Australie (2019). Dans chacun de ces pays, la pratique est limitée aux situations de fin de vie et est encadrée de manière stricte. Par exemple, aux Pays-Bas, pour pouvoir être acceptée, la demande d’euthanasie doit avoir été faite à plusieurs reprises par un malade dûment informé, souffrant d’une affection incurable accompagnée de graves souffrances et un avis est demandé à un second médecin. En outre, lorsqu’elle est pratiquée, l’euthanasie doit l’être par un médecin.

Mais que faut-il entendre par « euthanasie » dans ce cadre ? L’article 293 du code pénal néerlandais dit ceci: « Celui qui, intentionnellement, ôte la vie à un autre pour répondre à sa demande expresse et sincère […] n’est pas punissable s’il […] respecte les critères de rigueur » (Welschinger, 2001, p. 3 et Goffi, 2004, p. 183). L’euthanasie est donc un homicide intentionnel pratiqué par un médecin sur un être humain à sa demande, qui doit encore être répétée. La loi belge dit de même que « l’euthanasie est l’acte par lequel un médecin met intentionnellement fin à la vie d’un patient à la demande de celui-ci, exprimée éventuellement sous la forme d’une déclaration anticipée » (CCBB, 2017, p. 5). C’est aussi la définition qu’on trouve actuellement dans la littérature bioéthique, sauf que l’exigence que l’acte soit commis par un médecin n’est pas toujours mentionnée, par exemple sous la plume de Chris Gastmans et Jan de Lepeleire: « L’euthanasie est définie comme l’interruption intentionnelle de la vie par une personne autre que l’intéressé, à la demande de ce dernier » (2010 p. 78). Cette demande doit bien sûr être libre et éclairée, c’est-à-dire précédée d’entretiens où le malade est informé de la nature et du déroulement de l’acte qu’il requiert, y compris, même si ce n’est pas partout une exigence légale, des possibilités de soins palliatifs. En France, pays qui condamne l’euthanasie, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) souligne fortement leur importance (2000, 2.1).

L’euthanasie est donc un meurtre sur demande mais qui, lorsque elle est dépénalisée, n’est pas punissable. Quand l’acte n’est pas pratiqué par un tiers, mais par le malade lui-même, il s’agit d’un suicide, et s’il est effectué avec l’assistance d’un médecin, qui fournit notamment la substance létale (du pentobarbital de sodium en général), on parle d’aide au suicide ou de suicide assisté. Les pays qui autorisent l’euthanasie ont aussi dépénalisé cette assistance. Par contre, certains États continuent à condamner l’euthanasie, mais autorisent l’aide au suicide. Il s’agit de la Suisse et de quelques États étasuniens: l’Oregon (dès 1997), Washington, le Montana, le Vermont et la Californie (en 2015).

Le cas de la Suisse est intéressant, en ce que l’assistance au suicide y est dépénalisée depuis 1918. La genèse de cette dépénalisation est décrite dans un document de la Commission nationale d’éthique suisse (CNE, 2005, p. 31 sq.). Voici ce que dit actuellement le code pénal:

« Art. 114: Meurtre sur la demande de la victime

Celui qui, cédant à un mobile honorable, notamment à la pitié, aura donné la mort à une personne sur la demande sérieuse et instante de celle-ci sera puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire.

Art. 115: Incitation et assistance au suicide

Celui qui, poussé par un mobile égoïste, aura incité une personne au suicide, ou lui aura prêté assistance en vue du suicide, sera, si le suicide a été consommé ou tenté, puni d’une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d’une peine pécuniaire. »

L’article 114 condamne l’euthanasie et l’article 115 l’incitation et l’assistance au suicide si le mobile est égoïste, c’est-à-dire, pour l’essentiel, si celui qui incite est l’héritier du malade. Dans tous les autres cas l’assistance au suicide ne tombe pas sous la loi; il s’agit donc d’une approche libérale qui vise à limiter les interventions de l’État dans la vie privée (CNE, 2007, p. 13). Cela signifie qu’il n’est pas exigé que l’aide soit apportée par un médecin, ni que la victime soit en proie à une maladie terminale, ni même à une maladie quelconque. Le raisonnement sous-jacent semble être le suivant: le suicide n’étant pas un crime, c’est un acte autorisé. Celui qui prête son concours à un acte autorisé ne saurait être poursuivi, donc il est licite pour toute personne d’aider un de ses semblables à mettre fin à ses jours, sauf circonstances particulières. Cela dit, en pratique, l’intervention d’un médecin est nécessaire dans la mesure où la substance administrée, classée comme stupéfiant, doit faire l’objet d’une prescription.

Sur la question de l’euthanasie, comme d’ailleurs sur de nombreux sujets de bioéthique, le pays où l’on habite peut donc changer notre destin: Chantal Sébire en France et Hugo Claus en Belgique sont morts le même jour, le 19 mars 2008; chacun avait demandé à être aidé à mourir, mais seul le second a été exaucé, puisqu’il habitait en Belgique alors que la première résidait en France (Pinsart, 2009, p. 98-99). Les pays qui continuent à considérer l’euthanasie et l’assistance au suicide comme des délits ou des crimes – et c’est actuellement la grande majorité des pays – promeuvent souvent activement les soins palliatifs en fin de vie: « Les soins palliatifs englobent toutes les mesures visant à soulager la souffrance d’une personne atteinte d’une affection non guérissable et à lui assurer la meilleure qualité de vie possible jusqu’à la fin. » (Palliative.ch) Ces soins sont souvent en tension avec l’aide à mourir, y compris dans la position de l’OMS qui les oppose (Downar & al., 2020, p. 177); ils peuvent toutefois mener jusqu’à la perte définitive de la conscience du malade, comme dans la sédation profonde terminale. Celle-ci est autorisée notamment en France et la Haute Autorité de Santé (HAS) a publié en 2018 un document pour en préciser les modalités et marquer sa différence avec l’euthanasie, car certains avaient parlé d’hypocrisie: « Six caractéristiques différencient la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès de l’euthanasie: l’intention, le moyen pour atteindre le résultat, la procédure, le résultat, la temporalité et la législation », les quatre premières devant être comprises ainsi: « Intention: d’un côté “soulager une souffrance réfractaire”, de l’autre “ répondre à la demande de mort du patient”. Moyen: “Altérer la conscience profondément”; “ Provoquer la mort”. Procédure: “Utilisation d’un médicament sédatif avec des doses adaptées pour obtenir une sédation profonde”; “Utilisation d’un médicament à dose létale”. Résultat: “Sédation profonde poursuivie jusqu’au décès dû à l’évolution naturelle de la maladie”; “Mort immédiate du patient” » (Nau, 2018). La question de l’intention et des moyens est importante, on y reviendra, d’autant que ce que décrit ici la HAS ressemble sur bien des points à ce qu’on a longtemps appelé « euthanasie active indirecte », dénomination qui a encore cours dans certains pays. En France, il faut relever que le CCNE avait proposé en 2000 une « exception d’euthanasie » caractérisée ainsi: « Une sorte d’exception d’euthanasie, qui pourrait être prévue par la loi, permettrait d’apprécier tant les circonstances exceptionnelles pouvant conduire à des arrêts de vie que les conditions de leur réalisation » (2000, p. 10), sans pour autant dépénaliser l’acte. Le législateur n’a pas suivi.

Selon d’autres auteurs, opposer euthanasie et soins palliatifs est une erreur, car les deux pratiques peuvent se réclamer de valeurs identiques: la réduction de la souffrance, le refus de technologiser la fin de vie, l’importance de contrôler sa vie jusqu’à la fin et l’idée que la mort n’est pas la pire de choses qui puisse nous arriver (Hurst & Mauron, 2006, p. 107). Il est toutefois intéressant d’observer que la mise sur pieds de soins palliatifs fait baisser la demande d’aide à mourir de manière significative, car, comme le disait déjà Antisthène, il s’agit pour la plupart des patients d’être libéré de leurs maux, non de la vie: « Comme [Antisthène] lui disait: “Qui pourrait me délivrer de mes maux?”, Diogène [le Cynique] lui montra la petite épée et dit: “Ceci”. Mais Antisthène reprit: “J’ai dit de mes maux, pas de la vie” » (Diogène Laërce, 1999, p. 701). Ce petit dialogue montre que le sujet de l’euthanasie déborde le domaine juridique et légal: c’est la question morale de la bonne mort, et donc de la bonne vie, qui est à sa racine.

On trouve une présentation de la législation et de textes à portée juridique de plusieurs pays occidentaux dans l’anthologie dirigée par Alberto Bondolfi, Frank Haldemann et Nathalie Maillard (2007, p. 343-407).

La bonne mort et le suicide: perspective historique

L’euthanasie et l’aide au suicide impliquent que le malade ou la victime (au sens juridique du terme) veuille mettre fin à sa vie et qu’il a besoin d’une assistance à cet effet. Il s’agit donc de problématiques proches de celle du suicide: chaque fois la personne choisit de mourir délibérément et en connaissance de cause (Pabst Battin, 1995, p. 2). Il existe toutefois une inflexion lisible dans l’étymologie du terme « euthanasie »: mettre fin à ses jours ou aux jours d’un tiers dans ce contexte, c’est procurer une bonne mort ou une mort douce. Il est clair que si on est opposé à la mort volontaire, alors on sera opposé à l’euthanasie et à l’aide au suicide, mais le contraire n’est pas vrai: l’intervention d’un tiers fait que l’acte implique deux personnes et donc que la responsabilité est double. En outre, le fait qu’un médecin fournisse seulement la substance létale (aide au suicide) ou l’administre lui-même (euthanasie) marque une différence morale selon certains auteurs, mais non pour tous, tel Dan Brock, car dit-il dans les deux pratiques, « le choix est entièrement celui du patient [et] chaque fois, le médecin joue un rôle causal actif et nécessaire » (1993, p. 204). On verra que les arguments favorables ou opposés à l’aide à mourir visent soit le patient (sa demande est moralement justifiée ou non), soit l’aidant (son acte est moralement justifié ou non); mais l’arrière-plan est chaque fois celui de la question du suicide.

Celui-ci, appelé longtemps « homicide de soi-même », a pour but de mettre fin à une vie qui, pour une raison ou une autre, est jugée comme devant se terminer. C’est Augustin d’Hippone qui a tracé un parallèle entre l’homicide d’autrui et de soi-même, les considérant tous deux comme moralement répréhensibles, par opposition au martyre (Bels, 1975, p. 169). Il n’est donc pas étonnant que le suicide ait été longtemps condamné par la loi dans nos pays, vue l’influence du christianisme. La France a été le premier pays à le dépénaliser en 1791, sous l’influence des Lumières et notamment de Beccaria qui, « dans son Traité des délits et des peines publié en 1764, montre l’inutilité de la répression du suicide » (Mullier, 2001, p. 38). En effet, avant son suicide, l’individu est innocent et après, il n’est plus là. Seule pourrait être poursuivie la tentative de suicide manquée, ce qui serait particulièrement cruel. D’autres pays ont attendu nettement plus longtemps; par exemple, en Angleterre, la dépénalisation n’est intervenue qu’en 1961 (Pabst Battin, 1995, p. 11).

Dans l’histoire de la philosophie, le thème du suicide est ancien et récurrent: a-t-on un droit moral de mettre fin à ses jours ? Et si oui, dans quelles circonstances et sur la base de quels motifs ? Platon déjà soulève la question lorsqu’il met en scène la mort de Socrate dans le Phédon. À Cébès qui lui demande: « Dis-nous donc sur quoi l’on peut bien se fonder, quand on prétend que le suicide n’est pas permis », Socrate répond: « Nous autres hommes nous sommes comme dans un poste, d’où l’on n’a pas le droit de s’échapper ni de s’enfuir, ce sont des dieux qui s’occupent de nous et, nous autres hommes, nous sommes un des biens qui appartiennent aux dieux […]. Toi-même, si l’un des êtres qui sont à toi se tuait lui-même, sans que tu lui eusses notifié que tu voulais qu’il mourût, ne lui en voudrais-tu pas, et ne le punirais-tu pas, si tu avais quelque moyen de le faire ? » (1965, p. 109-110)

Pour Platon, il est immoral de se suicider, parce que nous ne nous appartenons pas à nous-mêmes, mais aux dieux, tout comme un esclave n’a pas le droit de disposer de sa propre vie, qui appartient à son maître. Choisir l’heure de la mort est un privilège des dieux, non du libre arbitre humain.

Aristote parle du suicide, mais en passant, sans développer une argumentation proprement dite; la thèse qu’il défend, que le suicide est un acte lâche, va elle aussi connaître une grande fortune. Traitant des vertus, il note que « l’homme magnanime […] affronte le danger pour des motifs importants, et quand il s’expose ainsi il n’épargne pas sa propre vie, dans l’idée qu’on ne doit pas vouloir conserver la vie à tout prix » (1987, p. 191). La vie n’est pas un bien absolu, et nombre de choses valent mieux; toutefois se supprimer est condamnable lorsque c’est motivé par la crainte de la souffrance: « Aucun de ceux qui fuient la souffrance, comme plusieurs le font, n’est courageux; ainsi que le dit Agathon: “D’entre les mortels les médiocres, vaincus par la souffrance, désirent mourir” » (1991, p. 125). Un individu courageux contrôle et maîtrise sa peur, si bien qu’il supporte les périls. Craindre la souffrance au point de se tuer est donc une lâcheté.

Si l’on en croit ces deux philosophes, se suicider n’apparaît pas comme une conduite recommandable et, vu leur influence en Occident, on n’est pas très étonné de la réprobation presque unanime des autorités spirituelles et morales au Moyen Âge, bien qu’elle elle recoure encore abondamment à des arguments tirés de la conception chrétienne de la vie, thématisés par Augustin d’Hippone (Bels, 1975). Ainsi, Thomas d’Aquin affirme dans la Somme théologique: « La partie, en tant que telle, est quelque chose du tout. Or l’homme est dans la société comme une partie dans un tout: tout ce qu’il est appartient donc de quelque manière à la société. Par le suicide, l’homme se rend donc coupable d’injustice envers la société à laquelle il appartient. » (2019, IIa-IIae, q. 64 a. 5) Ici, la société a simplement remplacé les dieux. Cependant, dans l’Antiquité déjà, il n’y avait pas unanimité sur la question, comme en témoigne Épicure, qui écrit dans la Lettre à Ménécée: « De même que ce n’est pas toujours la nourriture la plus abondante que nous préférons, mais parfois la plus agréable, pareillement ce n’est pas toujours la plus longue durée qu’on veut recueillir, mais la plus agréable ». Ce qui compte, c’est le plaisir que la vie apporte, et s’il n’est plus suffisant, on peut quitter la partie: « C’est là en effet une chose qui est toujours à la portée [de quelqu’un], s’il veut sa mort d’une volonté ferme ». C’est que « le soin de bien vivre et celui de bien mourir ne font qu’un » comme la philosophie nous l’apprend, en nous enseignant encore qu’il ne faut pas craindre la mort; en effet, « celui de tous les maux qui nous donne le plus d’horreur, la mort, n’est rien pour nous, puisque, tant que nous existons nous-mêmes, la mort n’est pas, et que, quand la mort existe, nous ne sommes plus. Donc la mort n’existe ni pour les vivants ni pour les morts, puisqu’elle n’a rien à faire avec les premiers, et que les seconds ne sont plus » (1994, p. 193).

Épicure lie le souci de sa mort à celui de la vie bonne. Les Stoïciens en tombent d’accord. Selon eux, il n’existe qu’un seul bien: l’honnête (c’est-à-dire la sagesse et la vertu), et qu’un seul mal: son absence. Tout le reste est indifférent ou, au mieux, préférable; ainsi en va-t-il de la vie, de la santé, du plaisir, de la beauté, de la force, de la richesse, de la réputation et de la noblesse. Or, comme le dit Cicéron en rapportant l’avis des Stoïciens, la question de savoir si nous devons quitter la vie ou y demeurer concerne les préférables, si bien qu’il faut voir les choses ainsi: « Sont-ce les états conformes à la nature qui dominent chez un homme, il est alors convenable de rester en vie; si ce sont les états contraires qui paraissent dominer ou sur le point de dominer, il est convenable de quitter la vie ». Bref, selon la qualité de vie en termes de santé, de réputation, etc., la vie mérite ou non d’être poursuivie, d’où cette conclusion paradoxale: « Il apparaît que c’est parfois un devoir pour le sage de quitter la vie, quoiqu’il soit heureux, et pour l’insensé d’y demeurer, quoiqu’il soit malheureux […]. Comme les vices n’ont rien en eux-mêmes qui motive une mort volontaire, ce qui convient aux insensés, qui sont aussi les malheureux, c’est de rester en vie, si chez eux dominent ces choses qui sont, comme nous le disons, conformes à la nature » (1962, p. 284-285). La maladie ou la réputation peuvent exiger que nous quittions la vie, non l’absence de vertu, qui est un malheur que les « insensés » ne reconnaissent d’ailleurs pas comme tel: ils en sont inconscients. Le souci que nous avons de notre propre vie et de sa réussite pointe dans la même direction, d’où ce conseil de Sénèque: « Réfléchis journellement aux moyens d’abandonner paisiblement cette vie à laquelle bien des hommes s’attachent et se retiennent, comme ceux qu’un torrent emporte s’accrochent aux ronces et aux rocailles. L’humanité en général flotte misérablement entre la crainte de la mort, et les afflictions de la vie: ils répugnent à vivre et ils ne savent pas mourir. Rends-toi donc la vie heureuse en abdiquant à son égard tout souci » (1993, p. 607).

Ces diverses raisons de rester en vie ou de la quitter se retrouvent dans les Temps Modernes. Pour David Hume, quitter la vie de son propre chef est non seulement licite – car chacun peut choisir sa vie et sa mort –, mais même obligatoire, lorsque la qualité de notre vie est trop basse: « Que le suicide puisse souvent être conforme à nos intérêts et à nos devoirs envers nous-mêmes, personne ne peut le mettre en doute, s’il estime que l’âge, la maladie ou les malheurs peuvent faire de la vie un fardeau et la rendre pire même que l’annihilation » (1784, p. 26) car, continue-t-il personne ne se détruit tant que la vie garde valeur pour lui, tellement notre horreur naturelle de la mort est grande. Par contre, selon Jean-Jacques Rousseau, le suicide est généralement condamnable: dans deux lettres de la Nouvelle Héloïse (1961, 3, XXI-XXII), on voit Saint-Preux, atteint du mal de vivre, écrire à Milord Edouard que le seul principe moral à respecter est qu’il faut « chercher son bien et fuir son mal en ce qui n’offense point autrui », et donc que « quand notre vie est un mal pour nous, et n’est un bien pour personne, il est permis de s’en délivrer », puis prendre grand peine à réfuter l’argument platonicien que nous ne nous appartenons pas. Il conclut: « Quand une fois l’ennui de vivre l’emporte sur l’horreur de mourir, alors la vie est évidemment un grand mal, et l’on ne peut s’en délivrer trop tôt. Ainsi, quoiqu’on ne puisse exactement assigner le point où elle cesse d’être un bien, on sait très certainement au moins qu’elle est un mal longtemps avant de nous le paraître; et chez tout homme sensé le droit d’y renoncer en précède toujours de beaucoup la tentation ».

Edouard ne sera pas convaincu: se tuer, « c’est un vol fait au genre humain », sauf dans le cas de douleurs intenses: « Puisque la plupart de nos maux physiques ne font qu’augmenter sans cesse, de violentes douleurs du corps, quand elles sont incurables, peuvent autoriser un homme à disposer de lui; car toutes ses facultés étant aliénées par la douleur, et le mal étant sans remède, il n’a plus l’usage ni de sa volonté ni de sa raison: il cesse d’être homme avant de mourir, et ne fait en s’ôtant la vie, qu’achever de quitter un corps qui l’embarrasse et où son âme n’est déjà plus ».

Emmanuel Kant de son côté dénonce le suicide comme une forme d’égoïsme impliquant contradiction, à quoi il ramène tout calcul sur la qualité de sa vie; en effet, il argue que celui qui envisage de se détruire se trouve dans la situation suivante: « Par amour de moi-même, je pose en principe d’abréger ma vie, si en la prolongeant j’ai plus de maux à en craindre que de satisfactions à en espérer »; or ce principe n’est pas acceptable, il est même contradictoire, puisqu’il exigerait de « détruire la vie même, juste par le sentiment dont la fonction spéciale est de pousser au développement de la vie » (1980, p. 96). En effet, l’amour de soi nous pousse à survivre; il ne peut donc, du même mouvement, nous inciter à nous supprimer.

De nos jours, un usage différent est souvent fait du kantisme: si ce qui fait la dignité de l’être humain, c’est son autonomie, alors il doit avoir le loisir de faire ce qu’il veut de sa vie, y compris de la détruire s’il l’estime judicieux. C’est la position que défend Tristram Engelhardt: « Les individus compétents possèdent le droit de chercher à réaliser, autant qu’il est possible, leur conception propre de la bonne vie et de la bonne mort, en compagnie d’autres individus qui y consentent »; les en empêcher au nom de considérations qui ne sont pas les leurs serait faire preuve d’un paternalisme indu. En effet, nous vivons dans un monde où les conceptions du bien sont irréductiblement plurielles, si bien que chacun est juge de la vie qu’il veut mener et du sens qu’il désire lui donner. Bref, lorsqu’une personne est capable de discernement, il est immoral de s’opposer à la réalisation de ce qu’elle a décidé, sauf si, bien sûr, elle viole par là les droits d’autrui. Par exemple, Engelhardt souligne qu’« un État peut à juste titre, exiger de quelqu’un qu’il paye ses dettes et s’acquitte de ses obligations avant de quitter cette vie » (2015, p. 485).

Ainsi, dans cette optique, le respect de l’autonomie des personnes impose l’obligation de ne pas empêcher un suicidaire de commettre son acte; au plus, par prudence, peut-on le freiner, le temps qu’il faut pour s’assurer du caractère véritablement libre de son choix, comme le disent Tom Beauchamp et James Childress: « Les interventions paternalistes lors des tentatives de suicide peuvent être justifiées temporairement […] pour intervenir de manière bienveillante et pour déterminer si la personne agit de manière autonome » (1989, p. 226-227). Dans les faits, parler ainsi de frein ou de payement de dette est évidemment un peu surréaliste; cela vient de ce que le suicide est ici envisagé purement au plan de l’éthique, indépendamment de toute considération psychologique – les kantiens sont bien connus pour séparer fortement ces deux ordres –, mais le principe est clair.

Les variantes de l’euthanasie

La question du suicide est liée aux motifs de celui qui veut mettre fin à ses jours. Dans le cas de l’euthanasie, la question des motifs est bien sûr aussi présente et, pour celui qui demande à être délivré de la vie, ceux que le droit reconnaît comme valides lorsque l’euthanasie est licite sont les grandes souffrances et l’absence de perspectives à court terme (être affligé d’une maladie incurable au stade terminal); bref, ce sont des motifs liés à la qualité de la vie. Il paraît donc que ce seraient des motifs égoïstes. Il faudra revenir sur ce point lorsque la distinction entre suicide et sacrifice sera examinée; mais pour l’instant, il est nécessaire d’aborder un autre point, celui de la structure de l’acte euthanasique, car il a fait l’objet d’une réflexion qui continue à marquer les débats.

La définition juridique mentionnée au début insiste sur le caractère volontaire de la demande. Mais si un meurtre peut être commis sur demande, il peut aussi l’être sans demande ou même en dépit d’un refus. Ainsi, en théorie, une euthanasie, si elle doit être volontaire, pourrait être non-volontaire ou contre la volonté du patient. Cela n’est d’ailleurs pas seulement de la théorie pour le non-volontaire, car la question de l’euthanasie des mineurs et des personnes dépourvues de leur capacité de discernement, qu’ils soient des malades psychiatrique ou non, s’est posée en Belgique et y est maintenant admise (Gosseries, 2013; CCBB, 2017, p. 8-9). La question de l’aide au suicide des patients psychiatrique est aussi discutée (Kious & Battin, 2019). Peter Singer a même envisagé la possibilité qu’il soit légitime de tuer une personne contre sa volonté en imaginant la situation d’une personne dont on sait qu’elle va subir d’atroces et irrémédiables souffrances qui feront que sa vie ne vaudra plus la peine d’être vécue, ce dont elle n’est actuellement pas consciente. Ainsi, « on pourra tuer une personne qui est tombée entre les mains de sadiques homicides qui – bien qu’elle ne s’en rende pas compte – la tortureront à mort » (1997, p. 192). Singer ajoute toutefois que la probabilité de rencontrer une telle situation est proche de zéro dans la vie réelle. La question de l’euthanasie pratiquée contre la volonté de l’intéressé peut donc être laissée de côté.

Cette première distinction basée sur le caractère volontaire ou non de la demande concerne le patient. Une deuxième distinction concerne l’agent, à savoir celui qui pratique l’euthanasie: c’est la distinction entre l’action et l’omission. Y a-t-il une différence morale entre tuer et laisser mourir ? Beaucoup le pensent, et même lorsque laisser mourir est condamnable, par exemple lorsqu’on n’intervient pas pour sauver quelqu’un qui se noie alors même qu’on est un bon nageur, cela est jugé moins gravement que de plonger la tête de cette même personne sous l’eau jusqu’à ce qu’elle meure. Pourtant, dans d’autres circonstances, la distinction semble ne pas avoir d’impact moral. Peter Singer propose cette expérience de pensée: imaginons la victime hospitalisée d’un accident de la route en état de coma végétatif irréversible et dont le respirateur artificiel se débranche accidentellement; le médecin de garde, considérant la qualité de vie du patient et la charge qu’il représente pour sa famille, décide de ne pas intervenir; l’évaluation morale de cette conduite serait-elle différente si le médecin avait décidé, au vu et su des mêmes raisons, de débrancher lui-même ? On ne voit pas pourquoi même si, psychologiquement, cela ferait une différence (1997, p. 198).

Les auteurs conséquentialistes comme Peter Singer, c’est-à-dire ceux qui estiment qu’une conduite est bonne si ses conséquences le sont, nient généralement la pertinence de la distinction entre l’action et l’omission, car c’est la valeur du résultat qui compte, non la manière dont il est amené: « Il n’existe pas de différence essentielle ou intrinsèque entre tuer et laisser mourir » (1997, p. 213), dit-il encore. On n’est donc pas étonné que James Rachels et Jonathan Glover argumentent dans le même sens: pour le premier, il existe des situations dans lesquelles une euthanasie est préférable à l’inaction (laisser le patient mourir), notamment quand la décision de ne pas prolonger l’agonie a été prise (1975, p. 30), et il ajoute qu’il n’est pas vrai que, stricto sensu, le médecin ne fait rien lorsqu’il laisse un patient mourir, car en s’abstenant d’intervenir, il fait quelque chose de très important (1975, p. 34). Selon le second: « Les actes et les omissions aux conséquences identiques sont aussi [bons ou] mauvais moralement parlant » (2017, p. 129). Par contre, les auteurs déontologistes, à savoir ceux qui estiment qu’une conduite est bonne si elle est conforme à des normes (pensons aux Dix commandements ou à l’impératif catégorique kantien), soutiennent volontiers la pertinence morale de cette distinction, pensant, comme le dit Anne Fagot-Largeault, qu’« il y a […] toute la différence du monde entre consentir à la mort d’autrui et vouloir le tuer » (1991, p. 148), c’est-à-dire entre laisser mourir et tuer. Mais tous ne sont pas d’accord. Dan Brock, par exemple, qui soutient une approche morale fondée sur ces normes que sont les droits, affirme que ce qui compte est le respect de la personne et qu’il n’y a pas de raison de penser que « tuer quelqu’un manifeste moins de respect que de le laisser mourir, quand toutes les autres circonstances sont égales » (1993, p. 139). D’autres objections à l’approche conséquentialiste ont été émises dans le débat: ainsi Philippa Foot a critiqué la thèse de Rachels en soutenant qu’en plus du résultat, il faut tenir compte des dispositions morales de la personne, à savoir de vertus comme la charité et la justice (1977, p. 49).

Cette distinction concerne l’agent, mais elle caractérise aussi ce qui est fait: quelque chose ou rien. Cela permet d’introduire une troisième distinction (qui englobe la seconde) et qui est traditionnelle lorsqu’on parle d’euthanasie: l’euthanasie peut être passive ou active et, dans ce dernier cas, directe ou indirecte. Cette distinction n’apparaît plus dans les textes juridiques de nombreux pays: par exemple, on l’a vu, les Pays-Bas parlent d’euthanasie comme d’une pratique unique, mais d’autres pays, comme la Suisse, s’y réfèrent toujours (https://www.bj.admin.ch/bj/fr/home/gesellschaft/gesetzgebung/archiv/sterbehilfe/formen.html). Par ailleurs, elle est très présente dans les discussions philosophiques et bioéthiques.

L’euthanasie est passive lorsqu’on laisse faire la nature ou plutôt la maladie, en prodiguant des soins palliatifs ou de confort pour permettre une mort naturelle aussi douce que possible. Si l’on doit arrêter un traitement, on dira que la maladie a repris son cours naturel (Jansen, 2006, p. 105). Ce n’est en fait rien d’autre que le refus de l’acharnement thérapeutique, qu’on appelle maintenant « obstination déraisonnable ». Elle peut prendre deux formes: l’abstention thérapeutique, lorsqu’on renonce à commencer un traitement, et le retrait thérapeutique, lorsqu’on interrompt un traitement. L’euthanasie est active indirecte lorsqu’on fait quelque chose (action), qui ne provoque pas la mort bien qu’il puisse la hâter. Ainsi, lorsqu’un médicament est administré contre la douleur qui a pour effet secondaire de précipiter la fin du patient; on parle dans ce cas de « médicament à double effet ». Enfin, elle est active directe lorsque l’intervention a pour effet premier de causer la mort. Comme on le voit, l’euthanasie dont il est question dans les débats juridiques est l’euthanasie active directe, les deux autres formes d’euthanasie étant généralement considérées comme juridiquement non problématiques, si du moins elles sont volontaires de la part du patient.

Si on combine ces distinctions, on obtient neuf variantes d’euthanasie (Baertschi, 1995, p. 83-84), qu’on peut organiser en un tableau:

euthanasie

passive

active indirecte

active directe

volontaire

abstention ou retrait

médicament

(au centre du débat)

non-volontaire

thérapeutique

à double effet

 

contre la volonté

 

 

meurtre

Avant d’examiner le débat éthique qui oppose d’une part les partisans d’une libéralisation de l’euthanasie (active directe) et de l’aide au suicide, d’autre part ses opposants, il faut déjà souligner que ces distinctions ont une valeur morale et ne sont pas simplement des points sémantiques. Chacune d’entre elles répond effectivement à une interrogation normative.

La distinction entre le volontaire et l’involontaire est centrale pour la bioéthique contemporaine qui considère le respect de l’autonomie du patient comme l’un des quatre principes proposés par le rapport Belmont en 1978 et largement acceptés depuis (Beauchamp & Childress, 1989). D’où une question récurrente, qui se manifeste aussi ici: que faire quand le patient est incapable de formuler une volonté ? La réponse générale est que, lorsque l’autonomie est absente, c’est la bienfaisance qui l’emporte. La question est alors de savoir si laisser faire la nature ou même mettre fin à la vie d’une personne peut-être un bien pour elle.

La distinction entre l’actif et le passif, et donc la question de l’obstination déraisonnable, est une réponse à la question de savoir jusqu’où l’être humain a l’obligation de se soigner. Cette question a été posée dans le cadre d’une tradition qui considère qu’il existe une obligation morale de se soigner dans certaines circonstances, et que le suicide est interdit; cette tradition est celle de la théologie catholique, mais la distinction qui a été construite pour y répondre, celle des moyens ordinaires et des moyens extraordinaires a eu une influence bien plus large.

La distinction entre le direct et l’indirect a été tracée pour démêler des situations où une action a deux effets, l’un bon (soulager des souffrances) et l’autre mauvais (la mort du patient); il s’agit donc de situations moralement difficiles, puisqu’elles impliquent qu’un certain mal soit causé. Cela a été l’occasion pour la théologie catholique encore, de formuler des règles appelées « Principe des actions à double effet ».

Nous allons examiner ces deux dernières distinctions, ce qui permettra d’apporter une précision en ce qui concerne la distinction entre le suicide et le sacrifice, crucial aussi pour la théologie chrétienne dans la question du martyre.

Les moyens ordinaires et les moyens extraordinaires

En 1957, le pape Pie XII, après avoir rappelé que nous avons le devoir « de prendre les soins nécessaires pour conserver la vie et la santé », précise que cela « n’oblige habituellement qu’à l’emploi des moyens ordinaires (suivant les circonstances de personnes, de lieux, d’époques, de culture), c’est-à-dire des moyens qui n’imposent aucune charge extraordinaire pour soi-même ou pour un autre. Une obligation plus sévère serait trop lourde pour la plupart des hommes et rendrait trop difficile l’acquisition de biens supérieurs plus importants. La vie, la santé, toute l’activité temporelle, sont en effet subordonnées à des fins spirituelles » (Verspieren, 1987, p. 368). La santé est un bien important, mais il en existe de plus grands. Même si on est en désaccord sur l’importance qu’il faut accorder aux « fins spirituelles », interprétées en un sens religieux, on concèdera volontiers que si la santé est parfois une fin, elle est le plus souvent un moyen au service des buts ou des projets de la personne et que cette dernière n’a le devoir de se soigner, si un tel devoir existe, que tant que ces buts ou projets restent réalisables. Paul Thagard souligne en effet que « les gens sont heureux lorsqu’ils réalisent leurs objectifs. Cela implique que ce que les gens visent, ce qui donne un sens à leur vie, est en fait leurs buts: le bonheur est le produit de la satisfaction de nos buts » (2010, p. 146). Si en outre des souffrances significatives accompagnent la détérioration de la santé, se soigner peut devenir purement optionnel.

Le cas de Karen Quinlan aux États-Unis, qui a joué un rôle important dans la réflexion sur l’acharnement thérapeutique, illustre cette distinction. Au mois d’avril 1975, alors qu’elle est âgée de vingt et un ans, Karen fête l’anniversaire d’un ami dans un bar. Après avoir avalé quelques boissons alcoolisées, elle se sent mal, est ramenée à la maison, et peu après sa respiration cesse. Ranimée par un policier, elle ne reprend pourtant pas conscience et est conduite à l’hôpital, où l’on constate des lésions cérébrales irréversibles: son état est considéré comme végétatif. Après plusieurs mois de doute et de réflexion, ses parents, avec l’accord du prêtre de leur paroisse, demandent que le respirateur artificiel soit débranché. Le médecin soignant de l’hôpital refuse: Karen n’est pas cliniquement morte et doit en conséquence être soignée comme toute autre personne, ainsi que l’exigent les lois. L’affaire est alors portée devant les tribunaux, qui tranchent, après bien des vicissitudes, en faveur des parents: le 22 mai 1976, le respirateur est débranché, mais Karen se met à respirer spontanément; elle vivra inconsciente pendant plus de dix ans encore, et sera déclarée morte le 13 juin 1986 (Pence, 1990, chap. 1).

Mgr Casey, l’évêque de Paterson, a commenté ainsi ce cas: « En reconnaissant que l’appareil destiné à soutenir la vie de la jeune fille ne fait que la maintenir dans un état végétatif sans lui apporter un espoir quelconque de guérison, la Cour a placé cet appareil dans la catégorie des moyens extraordinaires pour prolonger la vie » (Verspieren, 1987, p. 387).

Le cas de Karen Quinlan ainsi que la conception de la santé comme un moyen au service des projets de la personne a incité certains auteurs à infléchir la distinction entre les moyens ordinaires et extraordinaires. En effet, renoncer aux soins est, dans ce type de situation, motivé par le fait qu’ils sont jugés inutiles, qu’il ne peuvent amener aucune amélioration et qu’il sont une charge disproportionnée. Au nom de ces considérations, on a même interrompu la nutrition et l’hydratation. Cela implique, disent Joanne Lynn et James Childress, que la distinction des moyens ordinaires et extraordinaires doit être réinterprétée, car « ce qui importe lorsqu’il s’agit de déterminer si l’on va faire bénéficier un patient inconscient d’un certain traitement n’est pas de savoir s’il est “ordinaire” en lui-même, mais plutôt s’il est susceptible de lui apporter des bienfaits suffisants pour qu’il vaille la peine d’être entrepris » (1983, p. 266). Dan Brock (1993, p. 199) et Peter Singer font la même remarque, le second justement à propos du cas de Karen Quinlan (1997, p. 200). Jean-Yves Goffi note d’ailleurs: « On a vu récemment une suggestion, émanant de la Congrégation pour la doctrine de la foi, visant à remplacer la distinction moyens ordinaires-moyens extraordinaires par la distinction moyens proportionnés-moyens disproportionnés », ce qui la rend sensible aux « effets bénéfiques possibles sur un patient » (1991, p. 104-105).

Comme on peut le voir, la distinction des moyens utilisés pour se maintenir en vie a glissé d’un contexte d’obligation de se soigner en utilisant les traitements habituellement employés à un contexte d’adéquation de ces moyens à un projet de vie impliquant que, lorsqu’ils ne le sont plus, ils n’apportent plus aucun bénéfice, deviennent inutiles et donc inappropriés. Toutefois, le retrait thérapeutique est une mesure qui est souvent l’objet de vives controverses, qui finissent parfois devant les tribunaux. Ainsi en Italie pour Piergiorgio Welby en 2006, et en France pour Vincent Lambert en 2019.

Le volontaire direct et le volontaire indirect

Tout acte volontaire ou intentionnel a des effets; ceux-ci peuvent être voulus directement ou non, d’où les expressions « volontaire direct » et « volontaire indirect », qui sont définies ainsi dans le Dictionnaire de Théologie catholique: « Est volontaire en soi, ou directement, ce que la volonté se propose immédiatement et expressément soit comme une fin, soit comme un moyen. Est volontaire dans la cause, ou indirectement, ce qu’on se propose de réaliser ni comme fin, ni comme moyen, mais qu’on prévoit comme devant résulter d’une action directement voulue et qui en conséquence est en quelque manière imputable à cette action » (Boubée, 1985, p. 76). Parmi les effets de nos actions volontaires, certains sont directement voulus, d’autres sont simplement prévus: ce sont les effets indirects ou latéraux.

À partir de cette distinction ont été formulées des règles morales, appelées « règles du volontaire indirect », constitutives du « principe des actions à double effet » (PADE). Ce principe, dont l’énoncé remonte à la scolastique du XVIe siècle, et dont on trouve des éléments dans la Somme théologique de Thomas d’Aquin déjà (2019, IIa-IIae, q. 64, a. 7), concerne les actions qui ont deux effets, l’un bon et l’autre mauvais; il s’agit de quatre conditions ou règles dont la satisfaction simultanée est nécessaire pour que l’action soit permise:

1° L’action doit être en elle-même bonne ou indifférente.

2° L’intention de l’agent doit être bonne; notamment, elle ne doit pas porter sur l’effet mauvais.

3° L’effet bon ne doit pas provenir de l’effet mauvais, ce qui signifie que l’effet mauvais ne doit pas être un moyen pour obtenir l’effet bon.

4° Il faut une raison proportionnée pour agir ainsi: qu’il n’y ait pas d’autre moyen d’obtenir l’effet bon et que l’effet bon soit supérieur ou au moins d’égale importance à l’effet mauvais.

Appliquées à la question de l’euthanasie, ces règles disent qu’elle est licite si l’action est caractérisée comme une intervention visant à supprimer ou à diminuer des souffrances (règle 1), si l’intention de l’agent (le médecin) est bien de supprimer ou de diminuer des souffrances, et non de tuer le patient (règle 2), si la mort n’est qu’un effet latéral de l’action et non son effet direct (règle 3) et si la cessation des souffrances est un bien qui peut entrer en comparaison avec le fait d’abréger la vie (règle 4).

C’est la troisième règle qui est cruciale ici et permet de déclarer permise l’administration de médicaments qui hâtent la mort, mais non pas tuer pour faire cesser des souffrances, puisque dans le premier cas l’effet mauvais n’est qu’une conséquence de l’effet bon, alors que dans le second il en est la cause ou le moyen. Son application requiert que l’on se soit mis d’accord sur la description de la structure causale de l’action, mais cela n’est pas trop difficile, car les relations causales efficientes n’ont qu’une seule direction: un effet ne peut produire sa cause.

Ces règles jouent toujours un rôle important dans le débat et sont à la source d’un argument contre l’euthanasie, comme on le verra.

Le suicide et le sacrifice

Ainsi que le Conseil pontifical romain le rappelle: « La vie dans le temps est une valeur primordiale mais non absolue et il faut, en conséquence, discerner les limites de l’obligation de se maintenir en vie » (Verspieren, 1987, p. 427). On le comprend bien, puisqu’il existe des cas où c’est un devoir de sacrifier sa vie dans une vision religieuse du monde, comme l’ont fait les martyrs. Dès lors, il est primordial de bien spécifier les différentes conduites où une personne est amenée à se supprimer ou à ne rien entreprendre pour empêcher quelqu’un de le tuer, afin de savoir lesquelles sont licites. Émile Durkheim considérait d’ailleurs le sacrifice comme un « suicide altruiste » (Kenis, 1993, p. 329). Au XVIIe siècle, les casuistes pousseront fort loin (trop loin?) ces distinctions, considérant par exemple qu’un condamné à mort peut monter à l’échelle et se laisser passer la corde autour du cou, mais non se jeter lui-même dans le vide, car ce serait un suicide (Minois, 1995).

Ici, la distinction qui importe est celle du suicide et du sacrifice; elle est tracée par la Congrégation pour la doctrine de la foi de la manière suivante: « Il faut distinguer avec soin du suicide le sacrifice par lequel, en vue d’une grande cause – comme l’honneur de Dieu, le salut des âmes ou le service de ses frères – quelqu’un donne ou expose sa propre vie », alors que le suicide « constitue de la part de l’homme un refus de la souveraineté de Dieu et de son dessein d’amour; souvent aussi [un] refus d’amour envers soi-même, [une] négation de l’aspiration naturelle vers la vie, [une] abdication devant les obligations de justice et de charité à l’égard des proches, de diverses communautés et du corps social tout entier » (Verspieren, 1987, p. 416-417). On aura reconnu ici bien des arguments classiques, dont celui de Platon – sous le titre « souveraineté de Dieu » –, de Milord Edouard et l’accusation d’égoïsme ou d’orgueil. D’un point de vue religieux, le premier est particulièrement important, d’autant que, en régime de chrétienté, il peut s’appuyer sur l’autorité de la Bible, puisqu’on y lit: « Nul autre avec moi n’est Dieu ! C’est moi qui fais mourir et qui fais vivre » (Deutéronome, 32, 39). Ce verset est souvent rappelé car, en un certain sens, toutes les religions qui affirment que le vrai bonheur viendra après la mort invitent à rechercher cette mort (Pabst Battin, 1995, p. 66).

Considérer que ce qui distingue le sacrifice du suicide est sa cause vient d’Augustin d’Hippone, dans sa polémique contre le donatisme (Bels, 1975, p. 147). La difficulté avec cette thèse dès qu’on la sort de son contexte religieux, c’est que l’expression « grande cause » n’est pas très limpide, et son sens n’est pas clarifié par l’énoncé des divers motifs de condamnation du suicide énoncés. En fait, il est possible de voir clair dans ces distinctions si l’on se reporte au sens premiers des termes « suicide » et « sacrifice »: ce qui les distingue en définitive, c’est que le premier est commis pour la sauvegarde d’un bien personnel, alors que le second vise toujours le bien d’autrui. Ce discours sur le suicide n’est donc rien d’autre que la réaffirmation de la thèse traditionnelle que seuls les actes altruistes sont moraux et qu’il faut avant tout combattre l’égoïsme. Kant caractérisait d’ailleurs le suicide ainsi, comme on a vu: « Par amour de moi-même, je pose en principe d’abréger ma vie ».

Que la réprobation de l’égoïsme fasse le fond de la condamnation romaine du suicide est encore patent si l’on observe une apparente incohérence dans la position soutenue par la Congrégation; en effet la doctrine qu’elle défend ici contredit la règle disant qu’un effet bon ne doit pas être produit par un effet mauvais. Si je me tue pour une grande cause comme, disons, sauver ma patrie, l’effet bon – sauver ma patrie – est causé par l’effet mauvais – ma mort –, tout comme lors d’une euthanasie directe. La structure causale est ici chaque fois la même, ce qui change étant simplement l’orientation vers la vie d’autrui (se tuer pour une cause ou pour sauver des autres) ou vers la sienne.

Les arguments en faveur de la libéralisation

L’Utopie de Thomas More, écrite en 1516, est le premier texte important qui parle d’euthanasie: elle y est considérée comme licite, de même que le suicide, lorsqu’une personne n’est plus capable d’accomplir les tâches qui lui incombent dans la communauté où il vit, à cause d’une maladie débilitante. Jean-Yves Goffi note que, ce disant, Thomas More retourne l’argument de Thomas d’Aquin contre le suicide (2004, p. 19). C’est la première fois que la problématique de l’euthanasie est fortement liée à la santé. Francis Bacon, au XVIIe s., parle aussi d’euthanasie dans un cadre médical, celui de l’accompagnement des malades en fin de vie, plutôt d’ailleurs que de la mort volontaire. Ces deux œuvres sont restées longtemps des exceptions; mais dans l’époque contemporaine, notamment à cause des progrès de la médecine qui permettent aux êtres humains de vivre très longtemps dans un état qu’ils peuvent juger plus ou moins désirable, la question de la libéralisation de l’euthanasie a été posée et se pose encore. « Libéralisation » signifie ici qu’être aidé à mourir devrait être considéré comme une liberté ou un choix moralement permis, ce qu’il faut distinguer de la dépénalisation qui, sur le plan juridique et non pas moral, dit simplement que cette aide n’est pas poursuivie pénalement.

Voici les principaux arguments allégués en faveur de la libéralisation de l’euthanasie.

La qualité de vie

L’argument peut-être le plus fréquent en faveur d’une libéralisation est celui qui s’appuie sur la qualité de vie ou le bien-être: il se peut que, à cause de la maladie, du handicap ou de l’âge, la qualité de vie d’une personne devienne si basse qu’il juge que sa vie ne vaut plus la peine d’être vécue et qu’il souhaite y mettre un terme. C’est un argument de type conséquentialiste, mais il dépasse en fait largement ce cadre, personne ne niant que le bien-être soit une valeur qui compte.

Le raisonnement suivant proposé par Derek Parfit dans un autre contexte (1986, p. 388) et qui aboutit à ce que Klemens Kappel et Peter Sandøe nomment « une conclusion peu séduisante » (1992, p. 300) souligne bien l’importance de la qualité de vie ou du bien-être dans la vie humaine. Imaginons que je puisse choisir entre plusieurs futurs pour ma vie, A, B, C,…,Z; dans B, la longueur de vie qui m’est réservée est le double de celle que j’aurai en A, mais la satisfaction dont je jouirai est diminuée d’un tiers; bref, l’augmentation de ma durée de vie est accompagnée d’une diminution de sa qualité, mais comme cette diminution est inférieure à une demi, la quantité totale de bien reste plus grande en B qu’en A, et donc la vie future B est meilleure que la vie future A. Cela n’est pas forcément gênant: beaucoup d’entre nous choisiraient volontiers une légère diminution de leur bien-être si cela permettait d’augmenter leur longévité. Cela se gâte, toutefois, si l’on poursuit sur cette pente et qu’on imagine les vies futures C, D,…, Z, où chaque fois la longévité croît et la qualité de vie diminue, mais où la diminution de celle-ci est plus que compensée par l’accroissement de celle-là; en Z, on aura donc une durée de vie immense dont la qualité sera proche du plus petit minimum acceptable. A est « le siècle de ravissement » et Z « la morne éternité ». La conclusion peu séduisante est alors de prétendre que la morne éternité vaut mieux que le siècle de ravissement, ce qui doit s’imposer si l’on estime que l’allongement de la vie vaut autant que la qualité de cette vie et que tout jour en vie gagné possède une valeur positive. On peut légitimement penser que c’est là une erreur. Pour le nier, il faudrait affirmer que la vie a un caractère de sacralité, ce qui est la réponse de certains auteurs, comme on verra.

Par ailleurs, on a observé que les patients qui savent que l’aide au suicide ou l’euthanasie sont des options réelles ont une meilleure qualité de vie (Pabst Battin, 1995, p. 225).

L’autonomie de la personne

Un deuxième argument fort répandu est basé sur la liberté personnelle et l’autonomie. On sait quelle importance cette dernière a acquis dans la bioéthique contemporaine et, parmi les définitions qu’on en a proposé, on trouve notamment la suivante, qui donne à chacun une pleine souveraineté sur sa propre vie, sans empiètement de la part d’autrui: « L’individu autonome agit librement en accord avec un projet qu’il a lui-même choisi, comme le fait un gouvernement indépendant qui administre ses territoires et met en place ses politiques » (Beauchamp & Childress, 1989, p. 69).

Ainsi, interdire le suicide ou l’euthanasie apparaît comme une violation d’un principe cardinal de la bioéthique et/ou comme une violation des libertés individuelles. En effet, si l’on suit le principe de non-nuisance de John Stuart Mill, disant que « la liberté de l’individu doit être contenue dans cette limite: il ne doit pas nuire à autrui » (1990, p. 146), alors on ne saurait s’opposer à un acte qui ne cause de tort, c’est-à-dire de dommage injuste, à personne, même s’il peut être source d’affliction pour les proches, ce que soulignait la Congrégation pour la doctrine de la foi, pour qui cela constituait un motif de condamnation du suicide.

Bien qu’on puisse alléguer Mill en faveur de cet argument et que Peter Singer le reprenne (1997, p. 188), il est plutôt de nature déontologiste: le respect de l’autonomie est une norme qui s’impose, de même que le respect des droits qui y sont liés, quelles que soient les conséquences de l’acte. Or nos droits sont des libertés qui exigent avant tout celle d’être laissé à soi-même, sans intervention (intempestive) de la part d’autrui (Engelhardt, 2017, p. 481). Ainsi, il faut accepter que certaines conséquences d’une décision libre et autonome puissent être dommageables pour la personne qui a pris cette décision, surtout quand la situation envisagée est dans un futur plus ou moins indéterminé: « La personne bien portante, demandant à ce qu’il soit mis fin à ses jours dans certaines circonstances, ne sait pas quelle sera sa réaction face à la maladie grave et à l’approche de la mort, ni son degré de constance. Le souhait d’en finir varie bien souvent en fonction de tel ou tel soulagement, information ou événement extérieur » (CCNE, 2000, p. 7). Paula La Marne l’illustre par cette anecdote, qui souligne que les directives anticipées, justifiées moralement par l’autonomie du patient, comporte les mêmes risques: « Retenons cet exemple du Pr Mantz, de Strasbourg: il y a quelques mois, nous avons eu un malade en détresse respiratoire, à la suite d’une insuffisance respiratoire décompensée, il a été intubé, ventilé pendant quatre mois, au terme desquels nous avons pu le sevrer. Quand il a quitté le service, remerciant l’équipe, il me dit: “J’ai eu très peur”. “Nous aussi. C’était très sérieux”. Il me dit: “Non, ce n’est pas cela, j’ai eu peur que pendant toute cette période, vous trouviez dans mon portefeuille le papier sur lequel j’avais écrit qu’en aucun cas je ne voulais être réanimé” » (1999, p. 69). Désigner à l’avance une personne de confiance, qui prendra des décisions si nous ne sommes plus capables de le faire, peut aussi déboucher sur des situations très délicates, comme ce cas que rapportent Tom Beauchamp et James Childress: « Un patient âgé de 28 ans dont les reins sont détruits décide d’interrompre toute dialyse à cause du fardeau que cela représente pour lui et pour sa famille: il a un diabète chronique, est aveugle et ne peut plus marcher à cause d’une neuropathie progressive. Sa femme et son médecin acceptent sa décision: on lui administrera des médicaments pour soulager ses douleurs jusqu’à sa mort et, même s’il demande d’être remis sous dialyse sous l’influence de l’urémie, de la morphine et de la kétoacidose (résultat ultime du manque d’insuline), on n’y satisfera pas. Pendant son agonie, le patient se plaint de douleurs et demande d’être remis sous dialyse. Sa femme et son médecin décident de s’en tenir à sa décision précédente, et il meurt quelques heures plus tard » (2001, p. 67).

Pour certains auteurs, cette possibilité qu’un individu prenne des décisions qui vont à l’encontre de ses intérêts constitue un argument contre la libéralisation. John Safranek souligne justement que « si tant l’homme vertueux que l’homme vicieux peuvent agir de manière autonome, alors la simple possession de l’autonomie est incapable de spécifier le caractère de l’agent moral ou de justifier ses actes » (1998, p. 32). L’autonomie est une condition nécessaire de la moralité, mais elle ne dit rien de la valeur des actes autonomes, ni de leur rationalité ou de leur caractère approprié. On peut donc soutenir que mettre fin à ses jours est un acte indésirable, moralement ou rationnellement, et qu’une demande d’euthanasie dénote plutôt une faiblesse morale ou cognitive qui exige que l’individu soit protégé contre ses propres décisions, bref contre lui-même. Cette considération est généralement formulée face à des patients particulièrement vulnérables et revient en fait à demander que la bienfaisance prime sur le respect de l’autonomie, parce que cette dernière ne pourrait pas vraiment s’exercer, si bien que la demande du patient manifesterait en fait un « faux désir » (Martin, 1980). D’un point de vue libéral, cela est inacceptable comme Dan Brock le souligne: « Même les choix irrationnels d’un patient autonome doivent être respectés si on ne peut persuader le patient d’en changer » (1993, p. 80). Tristram Engelhardt dit de même: « Des individus libres doivent pouvoir mourir librement, selon leur choix, même s’ils choisissent de le faire à un moment qui n’est pas idéal » (2017, p. 485).

Une autre objection est parfois dirigée contre la libéralisation de l’euthanasie conçue comme un acte autonome: le suicide revendiqué au nom de l’autonomie serait un acte pour le moins paradoxal, car il détruit l’autonomie elle-même; c’est donc un renoncement auto-destructeur à la liberté: « Les actes autonomes de suicide assisté annihilent la base de l’autonomie et, par là, minent le fondement de leur justification » (Safranek, 1998, p. 33; Kass, 1993, p. 39-40). Emmanuel Kant avait déjà objecté que le suicide est « une abomination intrinsèque, car l’homme use ici de sa liberté pour se détruire lui-même » (1997, p. 231).

Un argument secondaire en faveur de la libéralisation en tant que liée à l’autonomie est celui du contrôle de sa vie. En effet, vu que l’autonomie est conçue comme « un gouvernement indépendant », elle a une fonction de maîtrise et de contrôle « de sa vie, de l’incertitude, de l’imprévisibilité, de sa mort », impliquant de la part de la personne autonome une « volonté de maîtriser sa vie jusqu’au bout » (Pelluchon, 2014, p. 7 et 23). Pour Corinne Pelluchon, c’est toutefois là une « valorisation extrême de l’autonomie et [un] rejet de la dépendance » (2014, p. 25) qui méconnaît la vulnérabilité constitutive de l’être humain, mais pour les auteurs libéraux, cette volonté est exactement ce qu’il faut promouvoir.

L’intégrité de la personne

Bernard Williams, dans un débat fort remarqué sur l’utilitarisme avec John Smart, avait insisté, contre ce dernier, que l’éthique ne devait pas prendre en considération seulement les conséquences des actes, mais aussi certains traits de la personne que cette dernière cherche à tout prix à préserver au nom de son intégrité: il s’agit de continuer à être la personne que je suis et de refuser de poser tout acte qui ne serait pas en accord avec moi: « Celui qui est intègre agit à partir des dispositions et des motifs qui sont le plus profondément les siens, et il possède aussi les vertus qui le rendent capable de le faire » (1981, p. 49). Ainsi, ne pas tenir compte de la personne qui agit et ne se préoccuper que des résultats des actions revient à gommer l’idée de la responsabilité pour ce que l’on est et ce que l’on fait en tant que soi-même, et en conséquence « rend la valeur de l’intégrité plus ou moins inintelligible » (in Smart & Williams, 1997, p. 91). À partir de la prise en compte de l’importance morale de l’intégrité, un argument en faveur de l’euthanasie a été proposé. Alors que les deux premiers pouvaient se réclamer l’un du conséquentialisme et l’autre du déontologisme, celui-ci est dans la ligne de l’arétaïsme ou éthique des vertus: certains traits de la personne comptent moralement; ils sont même centraux.

L’argument dit simplement que, dans certaines situations, la personne peut juger qu’il ne lui est plus possible de continuer à vivre conformément aux valeurs qui ont inspiré sa vie, et donc qu’il est licite qu’elle y mette fin; l’en empêcher et l’obliger malgré tout à rester en vie constituerait une atteinte contre son intégrité (Baertschi, 1995, p. 81-82). Il est vrai que l’intégrité, tout comme l’autonomie, n’implique pas la moralité des actes qui en découlent: un harceleur ne saurait revendiquer la protection de son intégrité afin qu’il puisse continuer à harceler. Mais ici aussi, l’intégrité est une sorte de condition de possibilité, qui fait qu’il est en principe souhaitable qu’une personne puisse continuer à être la personne qu’elle est et à vivre selon ses idéaux. James Rachels a distingué la vie au sens biologique et la vie au sens biographique (1986, p. 5): à partir de cette distinction, on peut dire que la demande qu’il soit mis fin à sa vie promeut l’intégrité de la personne lorsque la vie biographique n’est plus possible et que seule subsiste la vie biologique.

L’attitude de Socrate pendant son procès et l’un des motifs qu’il allègue pour ne pas accepter une évasion et un exil illustrent aussi cette situation: il ne pourrait plus continuer à vivre comme il l’a fait jusqu’ici (Criton, 53a-54b) – certains ont d’ailleurs parlé de suicide à propos du philosophe grec. L’argument de la vie accomplie, souvent mentionné dans les débats aux Pays-Bas et en Belgique, peut aussi être compris ainsi: il arrive parfois un moment dans la vie de la personne où elle estime qu’elle est arrivée à son terme, ayant accompli tout ce qu’elle désirait faire et en étant dans l’incapacité de former de nouveaux projets signifiants, ce qui est source de souffrance. C’est toutefois un argument qui suscite des interrogations, comme le CCBB le rapporte: « Le concept de “vie accomplie” a une connotation positive dans le débat sociétal. Dans la pratique, cependant, il concerne principalement des personnes vulnérables qui souffrent de solitude et ne trouvent plus de sens à leur vie. Il s’agit ici d’une problématique complexe et tragique à laquelle il n’existe pas de solutions simples » (2017, p. 27).

Les arguments contre la libéralisation

Thomas More et Francis Bacon, en liant euthanasie et médecine, s’opposent, peut-être sans le savoir, au Serment d’Hippocrate, qui stipule: « Je ne conseillerai jamais à personne d’avoir recours au poison et j’en refuserai à ceux qui m’en demanderont » (Hottois, 1993, p. 118). L’idée que l’euthanasie et l’aide au suicide sont contraires au rôle du médecin ou aux buts de la médecine est encore répandue; ainsi, l’Académie suisse des Sciences médicales (ASSM) affirme dans un document de 2004: « L’assistance au suicide ne fait pas partie de l’activité médicale, car elle est contraire aux buts de la médecine », même si elle n’interdit pas aux médecins de prêter leur concours au nom du respect de la volonté du patient (CNE, 2005, p. 15). D’autres instances contestent toutefois cette idée d’une opposition aux buts de la médecine (Pabst Battin, 1995, p. 206). Mais il n’y a pas que des arguments de déontologie médicale qu’on peut opposer à ces pratiques; des objections philosophiques et éthiques existent aussi.

La pente fatale

Des programmes d’euthanasie ont été développés dans le cadre de politiques eugénistes coercitives, ce qui connote la pratique de manière très négative dans l’esprit de certains, parlant, en jouant sur le mot, d’« euthanazie » (Goffi, 2004, p. 27). Le procès de Nuremberg a été le témoin de ces tragiques événements. Ces programmes sont à la base d’un premier argument contre toute libéralisation, celui de la pente glissante ou de la pente fatale. Il affirme que si on accepte de mettre à mort à leur demande certaines personnes en fin de vie, parce qu’elles souffrent affreusement, on en viendra immanquablement à mettre à mort sans leur consentement d’autres êtres humains jugés « indésirables » ou « sans valeur », comme les vieillards séniles ou les malades mentaux (Beauchamp, 1978, p. 251). On pourrait même construire une objection plus forte en soutenant que la pente commence dès l’abstention ou le retrait thérapeutiques (l’euthanasie passive), ce qui explique pourquoi les opposants à l’euthanasie (active directe) refusent que l’on parle d’« euthanasie » à propos de ces deux pratiques, ainsi que de l’usage de médicaments à double effet, puisqu’ils les considèrent comme licites.

Concernant cet argument de la pente fatale, Jean-Yves Goffi précise qu’il en existe deux versions: une version logique, dans laquelle la pente est descendue parce qu’il n’existe aucune bonne raison de s’arrêter à un endroit précis, et une version psychologique qui dit que dès qu’on a cédé sur un premier point, on est amené à céder sur les suivants (2004, p. 32-33).

Bernard Williams introduit une autre distinction en disant que l’argument de la pente fatale – il parle de « pente glissante » – a deux formes: l’argument de l’horrible résultat, qui est focalisé sur ce qui est au bas de la pente (par exemple l’euthanasie des malades mentaux sans leur consentement) et l’argument du résultat arbitraire, qui dénonce le fait qu’il y ait glissade, vu que celle-ci rend arbitraire toutes les distinctions qu’on pourrait faire (1994, p. 337).

Ceux qui n’acceptent pas cet argument le font au nom de deux considérations: soit ils nient que la glissade soit possible ou probable (Varelius, 2007, p. 78-79), soit ils soulignent que c’est le propre des normes que d’introduire des limites: par exemple, les lois sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG) disent jusqu’à quel moment de la gestation une interruption de grossesse est permise; elles créent par là une frontière normative. Cette limite est bien sûr en un sens arbitraire (elle varie selon les pays et selon les époques), mais ce qui n’est pas arbitraire, c’est de fixer des limites (Williams, 1994, p. 346-347). Dans le cas qui nous occupe, une limite est facile à tracer: elle est constituée conjointement par l’existence de grandes souffrances et la demande du patient (l’euthanasie doit être volontaire), ce qui la distingue définitivement de toute « euthanazie » (Singer, 1997, p. 204).

La sacralité de la vie

Considérer que la vie humaine est sacrée semble être un argument qui n’est recevable que par ceux qui partent d’un point de vue religieux, vu que « sacré » est un concept qui ressortit à ce point de vue, et il est vrai qu’on le rencontre plus chez les croyants que dans les débats philosophiques. Toutefois, l’adjectif est parfois utilisé dans un contexte qui se veut strictement rationnel, même chez des auteurs religieux, et alors il signifie que la vie est une valeur sinon absolue, du moins suffisamment importante pour que des considérations liées à l’autonomie du patient, à son bien-être ou à son intégrité ne puissent prévaloir contre elle. Ainsi, le pape Pie XII soutient dans un discours de 1952 à propos de l’avortement et dans un langage juridique qui veut donner à son propos une validité plus générale, qu’« il n’y a aucun homme, aucune autorité humaine, aucune “indication” médicale, eugénique, sociale, économique, morale, qui puisse exhiber ou donner un titre juridique valable pour disposer directement et délibérément d’une vie humaine innocente, c’est-à-dire en disposer en vue de sa destruction. » (Verspieren, 1987, p. 19-20) Ronald Dworkin a proposé une version complètement laïque de l’argument de la sacralité, fondé sur la valeur intrinsèque de la vie humaine, valeur qui est indépendante des intérêts humains: notre vie vaut par elle-même, quel que soit notre intérêt (ou non-intérêt) à la prolonger (Ogien, 2009, p. 93).

Jean-Yves Goffi relève que, dans le langage contemporain de la bioéthique, la sacralité de la vie tend à être remplacée par la dignité humaine, concept moins absolu et qui permet plus facilement de contester l’obstination déraisonnable, que presque personne ne soutient (2008, p. 9) – ceux qui s’opposent à l’abstention ou au retrait thérapeutique dans certaines circonstances n’utilisent pas cette expression connotée négativement. On observe ce glissement conceptuel notamment dans une déclaration de la Congrégation pour la Doctrine de la foi sur l’euthanasie de 1980: « Personne ne ne peut demander ce geste homicide pour soi ou pour un autre confié à sa responsabilité, ni même y consentir, explicitement ou non. […] Il y a là violation d’une loi divine, offense à la dignité de la personne humaine, crime contre la vie, attentat contre l’humanité » (Verspieren, 1987, p. 417). Toutefois, parler de dignité humaine ne rend pas forcément l’argument plus clair, vu le peu de rigueur observée dans l’emploi de ce concept, voire le vague du concept lui-même. Leon Kass, ancien président de la Commission du Président étasunien pour la bioéthique, le reconnaît implicitement lorsqu’il affirme que, bien que le concept soit difficile à préciser et que son contenu soit souvent conçu différemment en fonction des auteurs et des traditions qu’ils représentent, « tous s’efforcent de révéler le cœur insaisissable de notre humanité, ces qualités spéciales qui font que nous sommes plus que des bêtes et cependant moins que des dieux » (2005, p. 240). Bref, la dignité désigne la valeur éminente de la vie humaine, mais celle-ci est conçue de manière plurielle étant donné la variété des conceptions de l’être humain que l’on rencontre (Baertschi, 2017).

En ce sens, la dignité est un concept formel, revendiqué par des courants opposés, tant ceux qui sont religieux, que ceux regroupant les partisans du « droit de mourir dans la dignité », comme l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) en France ou Exit en Suisse. Ces mouvements militent pour le droit à une mort digne, c’est-à-dire à la liberté de mettre fin à une vie considérée comme indigne, à savoir comme une insulte à la personne qu’on est devenu. Ainsi que l’exprime René Schaller, d’un côté « accepter de mourir dans l’humilité de notre finitude, accompagner celui qui va s’y affronter, voilà “la plus grande dignité des sujets humains” », mais d’un autre « s’acharner à maintenir en vie, contre son gré, un malade incurable et souffrant atrocement est une atteinte à sa dignité humaine » (1999, p. 5). En définitive, comme l’a souligné Paula La Marne, chacune des deux conceptions en présence « défend au fond une position “métaphysique”, une vision de l’homme. Malgré leurs luttes et leurs différends, ce sont deux humanismes qui s’affrontent » (1999, p. 101).

Ce que la notion de dignité a de particulier, c’est qu’elle peut être opposée à la liberté personnelle, parfois victorieusement. Le cas du lancer de nains l’illustre bien en France: Manuel Wackenheim, atteint de nanisme, participait à des spectacles où, muni d’une combinaison et d’un casque protecteur, il était lancé le plus loin possible sur des matelas. Le Conseil d’État ayant été saisi décréta que cette pratique portait atteinte à la dignité humaine. Guillaume Durand commente: il y a ici « appel à la dignité pour limiter les libertés individuelles, les actions qui ne concernent que soi ou des personnes consentantes » (2010, p. 28). Wackenheim était en effet pleinement consentant – il gagnait même ainsi sa vie, l’interdiction revenant à le priver de cette ressource. De manière analogue, les opposant à toute libéralisation de l’euthanasie argumentent que cette pratique viole la dignité de la vie humaine, qu’elle la dévalue (Pabst Battin, 1995, p. 117), et que la liberté de la personne doit céder le pas en ce sens que chacun d’entre nous a le devoir de respecter sa propre dignité. Cet argument est cependant à double tranchant, car d’autres auteurs conçoivent la dignité humaine comme constituée par l’autonomie et les libertés personnelles (Macklin, 2003), si bien que c’est au nom de l’idée d’une vie digne que « l’autonomie pensée comme autodétermination et même la maîtrise de soi sont des valeurs non négociables » (Pelluchon, 2014, p. 25).

Le principe des actions à double effet

Le PADE constitue un argument contre l’euthanasie active directe, à savoir contre l’euthanasie telle que les juridictions actuelles la conçoivent. Il revient à considérer que non seulement la structure intentionnelle de l’action a une valeur morale, ce qui est classique (une action est bonne si l’agent vise un effet bon), mais aussi sa structure causale, puisqu’une action est bonne si l’effet bon est la cause de l’effet mauvais (qui n’est alors qu’un effet secondaire ou latéral, permis mais non voulu directement), mais non si cet effet mauvais est un effet direct et le moyen de réaliser l’effet bon. Comme le résume Thomas Nagel: « Le principe dit que l’on est parfois autorisé en connaissance de cause à provoquer ou à permettre à titre d’effet secondaire de ses actions quelque chose qu’il ne serait absolument pas permis de provoquer ou d’autoriser délibérément comme fin ou comme moyen » (1983, p. 58).

Ces règles confèrent une importance morale aux effets ou conséquences des actes, mais dans un esprit qui n’est pas celui du conséquentialisme: « Il n’est pas question d’admettre qu’un acte intrinsèquement mauvais puisse être, en quelque façon, compensé par ses bonnes conséquences. En revanche, ce que permet le PADE, c’est de comparer les conséquences bonnes et mauvaises d’un acte reconnu comme licite de son espèce, afin de savoir s’il est approprié de l’accomplir dans une situation embrouillée » (Goffi, p. 238). Ainsi, ces règles autorisent l’euthanasie active quand elle est indirecte, mais non quand elle est directe, et ce sur la base d’une propriété intrinsèque de l’action, sa structure causale – contrairement à ce que pense Peter Singer, il ne s’agit pas seulement d’intention ici (1997, p. 199).

Ce principe a été très discuté dans la littérature. En 1967, Philippa Foot lui a opposé un argument devenu célèbre, le dilemme du wagon fou (trolley problem en anglais), à l’occasion d’une discussion de la question de l’avortement, qui peut présenter la même situation: deux effets liés, l’un bon, comme sauver la vie de la mère, l’autre mauvais, la destruction du fœtus. Voici le dilemme: un tram hors de contrôle (c’est le véhicule dont il est question dans le texte de Philipa Foot) dévale une pente à vive allure. Plus bas sur la voie travaillent cinq ouvriers qui vont être écrasés, d’autant qu’il n’y a aucun moyen de les prévenir. Toutefois, un aiguillage permettrait de faire aller le wagon sur une autre voie où un seul ouvrier travaille. Le conducteur à bord du tram a la possibilité d’actionner cet aiguillage; a-t-il moralement le droit de le faire ? Le PADE fournit une réponse en disant que c’est licite, puisque la mort de l’ouvrier n’est pas la cause du fait que les cinq autres sont épargnés. Philippa Foot, quant à elle, insiste plutôt sur l’intention de l’agent et la différence entre effet voulu et effet simplement prévu: « C’est une chose de diriger un tram en direction de quelqu’un en prévoyant que vous aller le tuer et une autre chose de viser sa mort en tant que partie de votre plan » (1967, p. 23).

Ce dilemme a été le sujet d’une littérature importante et de nombreuses variantes en ont été imaginées. Notamment la suivante (Thomson, 1976, p. 78): le tram (ou un wagon, car dans la plupart des versions, ce n’est pas le conducteur qui agit, mais une personne extérieure) dévale la pente, mais il n’y a aucun aiguillage et cinq ouvriers vont être écrasés. Toutefois, un observateur de la scène se trouve sur une passerelle qui enjambe la voie, à côté d’un homme suffisamment gros pour que, s’il est poussé et qu’il tombe sur la voie, son corps arrête le wagon et l’empêche de poursuivre sa route meurtrière. A-t-il moralement le droit de le précipiter sur les voies ? Ici encore, le PADE donne une solution, mais cette fois elle est négative, car l’effet bon est causé par l’effet mauvais (la mort du gros homme). Ce dilemme, dans les multiples variantes qu’il a engendré, a beaucoup intéressé la neuroéthique et il a fait l’objet de nombreuses études empiriques où on a demandé à des sujets ce qu’ils feraient dans de telles situations (Greene, 2017, p. 153 sq.; Baertschi, 2013, p. 27 sq.).

Sur le plan normatif, le PADE est souvent accepté par ceux qui adoptent l’impératif kantien disant qu’on n’a jamais le droit d’utiliser une personne comme un moyen ou qu’il est absolument interdit de tuer un être humain innocent (Otsuka, 2003, p. 68-71), mais il a été critiqué par de nombreux auteurs. Philippa Foot déjà estime que ce principe se heurte à des contre-exemples et qu’il faut lui préférer une approche qui distingue les devoirs positifs ou d’assistance et les devoirs négatifs (ne pas nuire), approche qui n’interdit pas de dévier un tram; elle rejette par contre une conception fondée sur la quantité de mal produit ou évité, bref la position utilitariste disant que nous avons le devoir de maximiser le bien et de minimiser le mal (1967, p. 30).

Les utilitaristes et autres conséquentialistes sont effectivement ceux qui ont le plus critiqué le PADE, car pour eux, il vaut mieux qu’un seul homme meure plutôt que cinq. C’est le cas de Jonathan Glover, qui y ajoute une objection ayant trait à la manière dont l’action est décrite: il est difficile, dit-il, de « différencier nettement un acte d’une part, et ses conséquences d’autre part » (2017, p. 107). Il l’illustre ainsi: si dans le désert j’utilise l’eau potable disponible pour laver mes vêtements, ce qui a pour effet de mettre en danger la survie des membres de l’expédition à laquelle je participe, mon action peut être décrite comme « laver mes vêtements » ou comme « mettre la vie de tous en danger ». Bref, il est aisé de modifier la valeur morale d’une action en incorporant son effet mauvais dans sa description ou en l’excluant; c’est d’ailleurs une manœuvre courante lorsqu’on veut accuser quelqu’un ou se disculper. John Mackie condamne le PADE de manière plus catégorique, car pour lui la structure causale de l’action n’a pas de signification morale: « Il paraît absurde de dire que je ne dois pas utiliser la vie de quelqu’un – par exemple pour sauver de nombreuses autres vies –, mais cependant que je peux utiliser comme moyen quelque chose qui, je le sais, provoquera inévitablement sa mort. Insister sur des distinctions aussi artificielles est non seulement peu sérieux, mais aussi moralement corrupteur. » (1977, p. 166) Mackie fait encore allusion à la direction de l’intention, difficulté aussi fréquemment soulevée: « Une question délicate pour la théorie du double effet est de savoir si les effets non voulus d’actions elles-mêmes planifiées sont des effets visés (intended effects) » (Beauchamp & Childress, 1989, p. 130). Bishop propose ce test pour déterminer cette direction: si un médecin prescrit une potion létale à un patient qui le lui demande, mais que la potion ne fait pas son effet, le médecin dira-t-il que son intention s’est réalisée ? S’il répond par la négative, c’est qu’il avait l’intention de tuer son patient (2006, p. 222).

Les arguments à double tranchant

On a vu que le recours à la dignité humaine est à double tranchant, puisqu’elle est invoquée tant par les partisans de l’aide à mourir que par ses adversaires. Mais il n’est pas le seul argument à présenter cette caractéristique.

La considération de la propriété de soi aussi est utilisée dans les deux camps, soit pour l’affirmer (nous nous appartenons à nous-mêmes), soit pour la nier (nous ne nous appartenons pas à nous-mêmes). La propriété de soi a été affirmée avec force par John Locke: « Chacun a un droit particulier (has a property) sur sa propre personne, sur laquelle nul autre ne peut avoir aucune prétention » (1984, p. 163). C’est une thèse importante dans le libéralisme, qui a joué un rôle dans la lutte contre l’esclavage, et pour beaucoup de libéraux, cette propriété s’étend à notre propre vie.

Les arguments présentés par rapport à l’euthanasie, qu’ils soient en faveur de sa libéralisation ou opposés à elle, reposent généralement sur le présupposé que la vie est un bien, et donc que, prima facie, continuer de vivre est bon. Philippa Foot note: « Le fait est que, quel que soit le point de vue sur les biens et les maux que la vie peut contenir, il semble qu’une vie avec plus de mal que de bien pourrait encore être elle-même un bien » (1977, p. 41). Cette remarque de Frances Kamm va dans la même direction: « Les gens peuvent vouloir rester vivants seulement parce que l’alternative est un néant posthume » (1993, p. 19) et qu’une vie même malheureuse reste préférable au mal du néant. Ivan Illitch, face à une mort imminente, s’exclame: « Je ne serai plus. Mais qu’y aura-t-il donc ?… Rien du tout. Et où serai-je, quand je ne serai plus ? Est-ce la mort ?… Oh ! je ne veux pas ! » (Tolstoï, 1976, p. 53)

Ainsi, la vie n’est pas un bien seulement parce qu’elle contient des biens, sinon il suffirait qu’elle contienne plus de maux pour être un mal. Seuls les utilitaristes stricts adoptent un tel point de vue agrégatif: c’est la différence de la somme des biens et des maux qui détermine la valeur positive ou négative de la vie, bref, qui dit si la vie vaut (encore) la peine d’être vécue. Pour les autres auteurs, la conclusion que la vie peut valoir la peine d’être vécue même si elle contient plus de maux que de biens a cependant des conséquences très différentes et cette thèse est à double tranchant: pour les uns, si la vie est un bien dans ce sens, c’est parce qu’elle est sacrée, alors que pour les autres, c’est parce que des considérations supplémentaires importent en plus du résultat du calcul félicitaire (la balance plaisirs / souffrances). Ainsi, pour Philippa Foot, ce qui fait que la vie continue à être un bien, c’est qu’elle possède un minimum de biens de base, comme avoir un travail, suffisamment de nourriture, une vie familiale ou communautaire décente et des espoirs pour le futur. Si ce n’est pas le cas, la vie n’est plus un bien et un suicide peut se justifier, non l’euthanasie toutefois pense-t-elle, notamment à cause de ses conséquences sociales: « La possibilité d’une euthanasie volontaire active pourrait changer la scène sociale d’une manière très néfaste » (1977, p. 59), en faisant craindre que les personnes âgées ou très malades ne soient plus correctement prises en charge ou qu’elles demandent la mort ne voulant pas être un fardeau pour leurs proches et la société.

La question du fardeau est un autre argument à double tranchant. Il est invoqué par les opposant à l’euthanasie qui affirment, comme Philippa Foot, que si cette dernière était autorisée, alors les malades, craignant d’être un fardeau, demanderaient à mourir, ce qui serait une perversion majeure de notre système de santé. D’autres par contre, estiment légitime le souci des personnes très malades de ne pas être un fardeau pour leurs proches et la société, car les premiers ont leur vie à mener et la seconde doit allouer avec justice les soins de santé sans conférer un poids disproportionné à la fin de la vie (Pabst Battin, 1995, p. 95-96). La mise sur pieds des soins palliatifs est toutefois une réponse à ce souci et évite en outre de faire porter le fardeau sur les épaules des proches.

Cette réponse ne satisfait néanmoins pas tout le monde. Ainsi John Hardwig a soutenu la thèse que mourir peut, dans certaines circonstances, être un devoir. On a déjà vu David Hume parler de « devoirs envers nous-mêmes », donc d’obligation de mettre fin à ses jours et, dans l’Antiquité, Cicéron dire, dans ce passage déjà cité: « C’est parfois un devoir pour le sage de quitter la vie, quoiqu’il soit heureux ». Mais la thèse de Hardwig se situe dans le contexte contemporain de la fin de vie et du fardeau qu’elle peut représenter pour autrui: il soutient que si l’éthique biomédicale est centrée sur le patient, elle a oublié les familles. Or, « des soins médicaux optimaux pour le patient peuvent avoir pour conséquence une diminution de la qualité de vie pour ses proches » (2000, p. 49), notamment à cause des coûts des soins à long terme, dont 75% sont à la charge des proches aux États-Unis. Selon John Hardwig, un patient responsable doit considérer les effets de ses décisions sur ses proches, si bien que « le suicide pourrait être commis dans le dessein de faire ce qui est juste; il pourrait être la seule chose à faire » (2000, p. 82). Certes, c’est une décision difficile à prendre et à réaliser, mais « une horreur bien pire serait de […] voler le futur des personnes que j’aime simplement pour pouvoir m’acheter un peu plus de temps de vie pour moi-même » (2000, p. 135). Il s’agit ici d’un suicide altruiste qui n’est pas atteint par les condamnations récurrentes d’égoïsme, même si on peut penser que ce que l’éthique exige ici, c’est plutôt une réforme du système de santé étasunien. Toutefois, il est possible de généraliser l’argument: les progrès de la médecine pourraient faire que nous vivions tous très longtemps, mais avec une qualité de vie dramatiquement basse et aux dépens de nos proches, sinon financièrement, du moins psychologiquement; il pourrait s’ensuivre que le devoir de mourir finisse par concerner une majorité d’entre nous (2000, p. 120). Si cela advenait, il y aurait là un nouvel argument en faveur de la libéralisation de l’euthanasie et de l’aide au suicide.

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