Conscience de soi (A)

Comment citer ?

Charrier, Alexandre (2021), «Conscience de soi (A)», dans Maxime Kristanek (dir.), l'Encyclopédie philosophique, consulté le ..., https://encyclo-philo.fr/

Publié en mars 2021

 

Résumé

 

Il semble que nous puissions dire que nous sommes conscients de choses variées, comme des objets (une table, une pomme, une voiture), des personnes (des proches, des inconnus, Pierre ou Marie), des qualités (des couleurs, des sons, des formes) ou encore des événements (des pommes qui tombent, des personnes qui se rencontrent ou des formes qui changent). Mais nous avons également tendance à considérer que nous sommes conscients de nous-mêmes : qu’est-ce à dire ? Parfois, nous entendons par là que nous sommes conscients des traits de caractère propres à la personne que nous sommes, ou bien des qualités de ce corps que nous considérons comme le nôtre. D’autres fois, nous comprenons par conscience de soi celle que nous avons du fait que nous existons, que nous avons une histoire et sommes doués d’une identité plus ou moins forte (car nous pouvons avoir changé ou être amené à changer, comme en témoigne les variations de notre caractère ou de notre aspect physique par exemple). D’autres fois encore, la conscience de soi désigne la conscience que nous avons de ce qui se produit en nous : des sensations, des émotions, des idées qui surviennent de manière plus ou moins volontaires, en différentes occasions. 

 

Le fait que nous puissions attribuer ainsi plusieurs acceptions à la notion de conscience de soi renvoie au paradoxe selon lequel d’un côté, la conscience de soi est une expérience intime que nous faisons quotidiennement et souvent sans grande difficulté (à de rares exceptions près, sur lesquelles nous reviendrons) ; de l’autre, nous avons du mal à déterminer quelle est la nature de la conscience de soi. En effet, cette notion renvoie à une pluralité de sens parfois antinomiques (ainsi parle-t-on, par exemple, de conscience de soi transitive et intransitive, propositionnelle et non propositionnelle) qu’il nous faut dans un premier temps identifier et distinguer (section 1). Mais elle convoque aussi un concept — le soi — qui ne va pas sans poser un certain nombre de difficultés, tandis qu’il est censé nous aider à définir la conscience de soi puisqu’il en est l’objet : s’agit-il d’une substance ou d’un faisceau de propriétés ? Et y a-t-il même quelque chose comme un soi, dont nous serions conscients ? (section 2). Une manière de parer à ces difficultés consiste alors à déterminer ce que signifie « être conscient de soi » ou « avoir conscience de soi », c’est-à-dire quelles expériences peuvent valoir comme des expériences de conscience de soi. Là encore, nous verrons qu’il n’y a pas de véritable consensus sur cette question, puisque si certains soutiennent que nos expériences de conscience de soi sont nécessairement réflexives, d’autres affirment au contraire que des expériences préréflexives ou non-réflexives sont au cœur de la conscience que nous avons de nous-mêmes (section 3). L’intérêt, toutefois, d’une telle approche, c’est qu’elle nous met sur la voie de certains traits caractéristiques de la conscience de soi et des expériences qu’elle implique : nous verrons qu’ils sont essentiellement d’ordre épistémique et sémantique (section 4). De même qu’elle nous donne les moyens de savoir quels sont les critères élémentaires et les conditions étendues à l’aune desquels nous pouvons considérer qu’un individu est conscient de lui-même (section 5).

Les réponses à ces questions sont donc loin d’être définitivement tranchées, tant par les philosophes qu’au sein de la communauté scientifique — notamment celle des chercheurs en sciences cognitives. Cet article se propose de présenter, dans cet ordre, chacun de ces axes de recherche et les problèmes qu’ils suscitent, ainsi que les principales thèses, classiques et contemporaines, qui tentent de résoudre ces difficultés, contribuant alors à nourrir les discussions particulièrement animées au sujet de la conscience de soi.

 


Que faut-il entendre par conscience de soi ? 

Une première question qu’il est légitime de se poser lorsque l’on cherche à caractériser la conscience de soi, c’est celle de savoir quel sens nous devons attribuer à cette notion, soit ce que l’on désigne lorsque l’on dit d’un individu qu’il est conscient de lui-même. Pour ce faire, il nous faut démêler différentes modalités de la conscience de soi.

Conscience de soi et conscience de ce qui se passe en soi

Il est d’usage de distinguer i) la conscience que l’on peut avoir de soi au sens où nous avons la capacité générale de produire des réflexions sur nous-mêmes, en tant que créatures conscientes ; et ii) la conscience que nous avons d’un état mental particulier dans lequel nous nous trouvons, et qui se produit en nous. Dans le premier cas (i), nous avons conscience de nous-même comme un tout, à savoir comme l’être que nous sommes et que dénote la notion de soi. Être conscient de soi signifie alors que l’objet de notre conscience, c’est nous-même et non autre chose (un autre individu ou quelque objet du monde). En disant que j’ai conscience de moi-même, je suppose que je suis l’objet dont j’ai conscience. Dans le cas de l’acception (ii), on veut désigner le fait que le sujet a simplement conscience d’un état mental particulier qui se manifeste à lui et dans lequel il se trouve, sans que cela ne requière qu’il ait conscience de lui-même au sens i). Ainsi, je peux être conscient de ma jalousie par le fait que, non seulement j’éprouve cet état actuellement, mais également parce que j’ai conscience (c’est-à-dire ici, que je sais) que je suis dans cet état particulier et non dans tel autre — après tout, j’aurais pu être jaloux sans le savoir pour diverses raisons, et prendre ma jalousie pour de l’indignation par exemple.

Il existe plusieurs manières d’expliquer ce phénomène : pour les partisans du représentationnalisme d’ordre supérieur, la conscience de ce qui se passe en soi s’explique en vertu de la capacité qu’un individu a de produire des pensées au sujet de ses états mentaux, exemplifiant ainsi une forme de méta-mentalité ou méta-intentionnalité (Rosenthal, 1986 ; Gennaro, 1996), tandis que pour les théoriciens de l’auto-représentationnalisme, les états conscients, en plus de représenter des propriétés du monde, représentent cette représentation elle-même — c’est en ce sens qu’ils sont auto-représentationnels (Kriegel, 2009). Selon la théorie de l’accointance, la conscience que nous avons de nos états mentaux comme étant les nôtres s’explique à l’aune de la relation spéciale que nous entretenons avec ces derniers (Russell, 1989 ; Levine, 2006). Pour les auteurs qui se revendiquent de la tradition phénoménologique, il est moins question d’une relation spéciale que d’une propriété (phénoménale) particulière de nos états mentaux qui fait qu’ils sont toujours donnés de façon subjective, c’est-à-dire comme étant nos états mentaux (Brentano, 1874/1973 ; Husserl, 1913/1982 ; Zahavi, 2005) ; pour une présentation de ces thèses, voir l’entrée Subjectivité, b), ii). Notons également que le sens i) de la conscience de soi fait l’objet de discussions, notamment au sujet de ce que dénote le « soi » dont nous sommes supposés avoir conscience : s’agit-il d’une chose du monde ? D’un ensemble de propriétés ? D’une simple fiction ? (Hume, 1739/1991 ; Dennett, 1991/1993 ; Olson, 1998). Nous évoquerons ces questions dans la section 2.

Conscience de soi transitive et intransitive

On a également pour habitude de distinguer iii) la conscience que nous avons de nous-même en tant qu’objet, de celle iv) que nous avons de nous-même en tant que sujet. Cette distinction tient à deux modalités de la conscience de soi : iii) celle transitive, qui traduit la capacité qu’un sujet a d’avoir des pensées au sujet de lui-même, soit de se prendre pour objet de conscience ; et iv) celle intransitive qui désigne le fait pour le sujet d’avoir conscience de ses états mentaux sans se prendre soi-même pour objet de conscience. Ainsi l’expression « je désire consciemment que p » ne signifie pas la même chose que la phrase « je suis conscient que je désire que p », puisque la première exprime un état de la conscience, ou une modification de celle-ci, alors que la seconde dénote la relation consciente que le sujet entretient avec ses états mentaux. Dans le premier cas, être conscient de soi ne signifie rien d’autre que le fait d’être conscient de l’état mental dans lequel nous nous trouvons (être conscient du désir que p), tandis que dans le second, le sujet est conscient de lui-même à condition de devenir lui-même l’objet dont il est conscient. William James (1890/2003, chap. X) a proposé de distinguer ces formes de conscience de soi en dissociant les concepts « je » et « moi » (ou « soi ») que l’on retrouve dans l’expression « j’ai conscience de moi-même ». Ainsi, tandis que le « je » désigne le sujet en tant qu’il a des pensées ou des états mentaux conscients (il désigne « le penseur » : 1890/2003, p. 151), le « moi » renvoie quant à lui au sujet en tant qu’il se constitue lui-même comme objet de sa propre conscience, et donc à la dimension transitive de la conscience de soi. Dans le premier cas, la pensée au sujet d’un état de conscience et l’occurrence de cet état sont identiques : la pensée « je désire que p » suffit pour considérer que le sujet est conscient de lui-même. Dans le second cas en revanche, le sujet conscient (le « je ») et l’objet dont il est conscient (le « moi ») apparaissent comme deux entités numériquement distinctes, si bien que le sujet pensant se distancie de lui-même et de ses états mentaux en prenant l’acte même de penser ou d’avoir tel état mental pour objet : « je suis conscient que je désire que p » ou « je suis conscient que c’est moi qui désire que p ».

Cette distinction ne va pas sans poser un certain nombre de problèmes. Faut-il considérer, par exemple, que nous avons affaire à deux types de conscience de soi de natures différentes et donc irréductibles l’une à l’autre (Kant, 1781/2006 ; Van Gulick, 2001), ou doit-on penser au contraire que la conscience de soi transitive implique nécessairement celle intransitive (Sartre, 1936/1992, 1943 ; Zahavi, 2005 ; Legrand, 2006) ? Se pose également la question de savoir si la conscience transitive et la référence à soi qu’elle suppose sont de type propositionnel, et implique donc des compétences linguistiques, dans quel cas il n’est pas dit que l’on puisse accorder aux très jeunes enfants ou aux animaux non-humains la conscience de soi au sens iv), si l’on peut la leur accorder au sens iii) : voir les sections 3.2 et 5.2.

Conscience de soi propositionnelle ou non propositionnelle

Ce dernier problème conduit à envisager une autre distinction à l’aune de laquelle se déploient les discussions au sujet de la conscience de soi, et le sens que nous devons attribuer à une telle expression. D’un côté en effet, la conscience de soi semble devoir faire appel à la capacité des individus à produire des propositions et, plus particulièrement, des propositions indexicales du type « ce que je vois dans le miroir, c’est moi » ou « c’est à moi de jouer ». Ces propositions supposant elles-mêmes des contenus conceptuels (comme « moi », « soi », « mien ») au moyen desquels nous pouvons nous référer à nous-même et ainsi, nous prendre pour objet de conscience (Dennett, 1976 ; Carruthers, 1996). Un tel constat nous conduit alors à concevoir une conscience de soi propositionnelle et conceptuelle (sens v). Pour autant, il n’est pas exclu qu’il existe une forme non-propositionnelle de conscience de soi (sens vi), qui requiert cette fois-ci des contenus mentaux de type non-conceptuels et ne suppose aucune capacité linguistique particulière (Bermúdez, 1998). C’est ce que soutiennent ceux qui conçoivent la possibilité d’une conscience de soi corporelle (Merleau-Ponty, 1945 ; Legrand, 2006), qui n’implique pas nécessairement que l’on doive se formuler, par exemple, le fait que c’est nous-même qui avons froid, ou que c’est notre jambe et non celle de notre voisin qui est pliée, pour avoir conscience que ces états mentaux nous concernent (voir la section 3.2). Pas plus que nous n’avons besoin de concepts pour distinguer notre pied du ballon que nous poussons, ou nous dissocier de la foule à laquelle nous nous mêlons dans les transports en commun.

On peut toutefois se demander ce que peut signifier au juste avoir une représentation non-conceptuelle de soi (Baker, 2000 ; Lowe, 2000). Tout comme on peut d’ailleurs se demander d’où peut venir notre capacité à acquérir des pensées se référant à soi (des I-Thoughts) : une hypothèse consistant à soutenir justement que la conscience propositionnelle et la référence à soi qu’elle suppose ne sont possibles qu’en raison d’une forme primitive et non-conceptuelle de la conscience de soi, qui se développe ensuite à travers les outils conceptuels du langage (Bermúdez, 1998, p. 269). Notons enfin que parler de conscience de soi propositionnelle semble supposer que nous nous rapportions à nous-même comme à un contenu, à travers une proposition (« je désire me connaître moi-même » ou « j’ai conscience que c’est moi qui apparais dans le miroir »). Or, certains auteurs soutiennent que la spécificité de la conscience de soi tient au mode par le biais duquel toutes nos expériences se présentent à nous (ce sont toujours nos expériences au sens où elles nous apparaissent comme les nôtres et non celles d’autrui), indépendamment du contenu dont nous aurions conscience. Si bien qu’il serait légitime de dire d’un individu qu’il est conscient de lui-même, sans pour autant que ses expériences conscientes n’aient explicitement le soi pour contenu, la conscience de soi tenant plutôt à la manière dont s’articulent ses contenus conscients (Perry, 1986 ; Recanati, 2007, part. 5, 9 et 10 ; O’Brien, 2007, chap. 6).

Quel est l’objet de la conscience de soi ? 

Comme nous venons de le voir, il est possible de considérer — bien que cela puisse être contesté — que la conscience de soi suppose une référence à soi. La question se pose alors de savoir ce qu’il faut entendre par « soi » exactement, lorsque l’on parle de « conscience de soi ». Autrement dit, comment décrire cet objet — le soi — dont nous prétendons avoir conscience ? Cette question est d’autant plus importante pour nous que l’on pourrait considérer que ce qui définit en propre la conscience de soi, par rapport à d’autres formes de conscience (comme celle qu’une créature peut avoir de la présence d’une autre, ou d’un événement qui se produit dans son environnement), c’est précisément l’objet dont elle est la conscience, ou qui se porte à la conscience, à savoir : le soi. Il est possible de définir l’objet de la conscience de soi comme une substance ou bien comme un faisceau de propriétés, positions qui s’exposent à une critique radicale de la notion même de soi.

La réponse substantialiste

Il est d’abord possible de considérer que la conscience de soi a pour objet une chose qui a la particularité d’être une substance, c’est-à-dire « une chose qui existe en telle façon qu’elle n’a besoin que de soi-même pour exister » (Descartes, 1644/2010, §51), et se définit à l’aune d’un attribut principal qui est la pensée (Id., §53). Cet attribut « se trouve en [elle] toujours de même sorte, comme l’existence et la durée en la chose qui existe et qui dure mais aussi qui demeure identique par-delà le changement de ses propriétés » (Id., §56).

Autrement dit, le « soi » serait cet objet particulier de la conscience qui la définit en propre (comme faculté de penser) et demeurerait identique à travers le temps et par-delà les différents attributs dont il peut être affublé. Ainsi le moment du cogito est-il chez Descartes celui où le sujet (l’âme ou l’ego) prend conscience de lui-même en tant que chose qui pense, indépendamment d’ailleurs de ce qu’il pense ou de quelque autre propriété particulière qui pourrait le qualifier à un moment t1 et non plus t2 : il est ce qui dure et demeure le même à travers le temps. Cette conception cartésienne du soi comme substance a fait l’objet de nombreuses critiques, tant de la part d’auteurs classiques (Hobbes, Lichtenberg, Hume, Nietzsche, Kant, pour ne citer qu’eux) que d’auteurs contemporains (Sartre, Ryle, Dennett, G. Strawson). Toutefois, et bien que cette conception paraisse désormais marginale au sein des discussions qui touchent à la notion de soi, certains philosophes semblent avoir adopté récemment encore une théorie substantialiste du soi, notamment à l’occasion de discussions à propos de l’identité personnelle. Ainsi Swinburne (1984/2015), contre les conceptions réductionnistes pour lesquelles nous pouvons reconduire les individus et ce que l’on appelle « soi » à des propriétés comme la mémoire ou à des traits de caractère, distingue-t-il d’une part ces « indices » contingents de l’identité personnelle, de l’âme qui assure l’identité primitive et inaltérable d’un individu d’autre part, à la manière d’un substrat qui demeure par-delà la diversité et le changement des propriétés mentales du sujet (pour des discussions plus générales sur la notion de substance et d’individu, voir également Chisholm, 1969 ; Wiggins, 1980).

L’hypothèse substantialiste du soi, quelle que soit la forme qu’elle puisse prendre, doit cependant se confronter à une difficulté de taille : celle-là même que Hume (1739/1991) avait formulée dans son Traité de la nature humaine, à savoir qu’il semble pour le moins ardu de penser — et à plus forte raison de caractériser — le soi (entendu comme l’être substantiel que nous sommes) indépendamment des propriétés au moyen desquelles il nous apparaît, soit encore abstraction faite des expériences particulières (ou des états mentaux particuliers) par le biais desquelles nous prenons conscience de nous-même. Avoir conscience de soi, n’est-ce pas toujours aussi avoir conscience de soi comme ayant telle pensée, telle sensation ou telle émotion, par exemple ? Autrement dit, la conscience de soi n’est-elle pas réductible à celle que nous avons de l’un ou l’autre de nos états conscients, ou à l’ensemble de nos états conscients, en dehors desquels la conscience de soi serait vide ?

L’hypothèse du soi comme faisceau de propriétés

Aussi, une autre façon de considérer le soi, toujours en tant qu’il désigne l’objet de la conscience de soi, consiste à le définir non plus en termes de substance ou de chose mais comme un ensemble ou une synthèse : celle de mes expériences, par exemple. Ainsi certains auteurs ont-ils soutenu que le soi correspond à la somme des expériences — c’est-à-dire des états mentaux, soit des pensées, des perceptions ou encore des émotions — d’un individu, et qu’il n’est rien en dehors (ou en-deçà) de cet ensemble. C’est ce que semble avoir défendu Hume à travers sa théorie du soi comme faisceau, qui s’inscrit d’ailleurs dans la continuité d’une critique des notions de substance et d’identité personnelle : « laissant de côté certains métaphysiciens de ce genre [les partisans d’une conception substantialiste du soi], je peux me risquer à affirmer que les hommes ne sont qu’un faisceau ou une collection de perceptions différentes, qui se succèdent avec une rapidité inconcevable, et sont dans un flux et un mouvement perpétuel » (Hume, 1739/1991, p. 344). Plus récemment, Parfit (1984) a défendu une hypothèse similaire, en soutenant que le soi que nous visons à travers la conscience que nous avons de nous-même n’est ni une substance, ni un fait qui se surajouterait ou précèderait l’expérience, mais désigne la connectivité psychologique qui lie des événements mentaux entre eux. Si bien que le soi, comme objet de la conscience de soi, n’est pas « une entité existant séparément » (Parfit, 1984, p. 223) ou en sus de cette relation, dont on pourrait déterminer in abstracto les propriétés : il est plutôt cette relation elle-même.

Une autre version de cette conception du soi consiste à soutenir que le soi correspond moins à la somme des expériences d’un sujet qu’à l’ensemble des traits psychologiques et des dispositions comportementales qui le caractérisent. De sorte qu’avoir conscience de soi, c’est être conscient de ces traits ou attributs qui qualifient la personne — entendue ici comme un synonyme de « soi » — que nous sommes (Jung, 1968). Ces attributs pourraient être, par exemple, d’ordre affectif, de telle manière qu’avoir conscience de soi, ce serait avoir conscience de dispositions émotionnelles comme le fait de se mettre en colère dans telle ou telle situation, ou de s’inquiéter dans telle autre. Mais ces attributs pourraient également tenir à l’ensemble de nos croyances, dont le changement voire la disparition du tout au tout signifierait notre propre disparition, c’est-à-dire celle de l’être auquel nous nous identifions. Ils pourraient encore tenir aux seules croyances que nous avons à propos de nous-même, c’est-à-dire à l’image que nous nous faisons de nous-même (Rogers, 1984 ; Marx et Hillix, 1987). À moins que ces attributs ne tiennent à la somme de nos valeurs, qui font que nous pensons et agissons d’une certaine manière plutôt que d’une autre (Frankfurt, 1999). Ou plus particulièrement à la valeur que nous nous reconnaissons à nous-même, en sorte que la conscience de soi dénoterait la conscience plus ou moins explicite de la valeur que nous représentons pour nous-même (Gerrans, à paraître). Pour Kenny (1988, p. 33), les attributs au moyen desquels s’exprime la singularité de notre « moi » se manifestent par le biais d’actions caractéristiques, à l’aune desquelles il semble que nous puissions prendre conscience de nous-même — peut-être parce qu’elles sont une manière d’exemplifier, précisément, nos croyances ou nos valeurs. Mais il n’est pas exclu que cet ensemble d’attributs dont nous prendrions conscience en prenant conscience de nous-même se révèle être commun à tous les êtres humains, en tout temps et en tout lieu, comme le suggère Solomon (1988). Si bien que ce dont nous aurions conscience lorsque nous parlons de conscience de soi, ce serait quelque chose comme une nature humaine, que chacun de nous viserait à travers les notions de « soi » ou « moi ».

D’aucuns pourraient toutefois faire remarquer qu’une telle perspective sur le soi néglige le fait que nous sommes des êtres incarnés, et par conséquent le rôle que des propriétés corporelles peuvent jouer sinon dans l’élaboration de ce que nous appelons « soi », du moins dans l’idée que nous nous faisons d’une telle chose. En sorte qu’il nous faille prendre également en considération les caractéristiques physiques du soi (sans nécessairement exclure celles psychologiques que nous venons de présenter) et considérer que nous sommes aussi un ensemble de propriétés physiques (puisque nous avons un corps) et qu’être conscient de soi, c’est aussi être conscient de ces propriétés (Cassam, 1999). Ainsi, la conscience que nous avons de la position ou du mouvement de nos membres pourrait-elle constituer une modalité de la conscience de soi : c’est ce que suggèrent les travaux de Rochat (1998), qui montrent comment les nourrissons prennent conscience d’eux-mêmes à travers le sens de la proprioception et la sensibilité vestibulaire (ou proprioception interne), comme ceux de Gibson (1976) ou Flavell, Shipstead et Croft (1980) sur le rôle de la vision dans la capacité des individus à prendre conscience de ce que Neisser (1988) appelle le « soi écologique » (ecological self), à savoir notre corps biologique en tant qu’il est ancré dans un environnement et interagit avec lui. Une telle conscience écologique de soi — ou plutôt, d’un soi écologique — n’a pas à être représentationnelle, au sens où nous nous figurerions comme étant un corps, avec telle ou telle propriété. Plutôt consiste-t-elle à faire l’expérience immédiate et non-réfléchie des caractéristiques physiques de son propre organisme, comme celle d’avoir un certain volume, d’occuper un certain espace ou d’être capable de telle action et non de telle autre (Gallagher, 2005 : voir les sections 3.2 et 5.2). »

Le problème que pose l’idée selon laquelle l’objet de la conscience de soi renverrait à un faisceau de propriétés (qu’elles soient psychologiques, corporelles ou les deux), c’est qu’il reste à expliquer d’où vient l’unité de cet ensemble parfois foncièrement hétérogène (voir Hume, 1739/1991 ; Dennett, 1992 ; Rosenthal, 2003). Par ailleurs, on pourrait se demander à partir de combien de propriétés (psychologiques, physiques ou les deux) a-t-on un soi, ou s’il est possible qu’il y ait plusieurs ensembles, et donc plusieurs sois, pour une conscience (Olson, 1998). Toutes ces questions peuvent apparaître comme des limites à la thèse selon laquelle le soi, en tant qu’il désigne l’objet par le biais duquel la conscience se vise elle-même, devrait être défini comme un faisceau de propriétés.

La critique de la notion de soi

Devant ces difficultés — qui sont d’ailleurs autant de manières d’interroger la continuité de la conscience de soi (voir 1.1) —, certains philosophes ont adopté une position radicale qui consiste à nier qu’il existe un objet particulier et à part entière de la conscience qui serait « le soi », ainsi que la pertinence même d’une telle notion. La critique la plus fameuse du concept de soi est sans doute celle de Hume : le soi est un « faisceau de perceptions », mais ce faisceau n'est jamais que l’effet de l’imagination et de la mémoire qui en produisent l’idée, ainsi que des passions qui confèrent à cette idée sa vivacité (Hume, 1739/1991, 1.4.6 et 2.1.2-3). En sorte que ce que nous appelons « soi » n’est jamais qu’une « fiction » ou une « union imaginaire » (Hume, 1739/1991, p. 355) que notre esprit est déterminé à produire en raison de notre nature humaine. Cette critique n’est toutefois pas nouvelle : on en trouve par exemple la trace dans des textes bouddhistes (voir Stcherbatsky, 1919, p. 839 ; Stcherbatsky, 1923, p. 26 ; Collins, 1982, p. 133 et pp. 182-183). On en trouve surtout des échos chez des auteurs contemporains qui soulignent tantôt la dimension fictive du soi, tantôt son caractère élusif. Ainsi Dennett (1992) emploie-t-il la métaphore du « centre de gravité narrative » pour décrire le soi : à la manière du centre de gravité que les physiciens attribuent par commodité aux objets afin de les étudier, nous nous attribuons (spontanément) un soi afin de nous rapporter à une pluralité d’expériences comme à celles d’un sujet unifié, doué d’une identité personnelle (voir également MacIntyre, 1981/2014 et Ricœur, 1990 : nous y reviendrons en 5.1). D’autres auteurs, comme Prinz (2012, p. 123, sq.), ont quant à eux insisté sur la dimension insaisissable du soi que soulignait Hume : puisque nous ne parvenons à trouver aucune qualité phénoménologique de l’expérience dont nous pourrions dire qu’elle est une manifestation du soi (une « I-quale »), attendu que toutes nos expériences peuvent être réduites à une propriété phénoménale particulière (une sensation de froid, une émotion de colère, etc.), alors nous devons conclure que rien de tel que le soi — en tant qu’il dénote le sujet d’un ensemble d’expériences, distinct de celles-ci — n’apparaît dans l’expérience (voir également Husserl, 1900-1901/1962, p. 161 ; Sartre, 1936/1992, p. 61 ; Howell, 2010).

Un tel constat pourrait avoir comme conséquence une réforme de la notion de soi et, par suite, de ce que nous devons entendre par l’expression « conscience de soi ». C’est du moins ce que propose G. Strawson (1997, 2009), pour qui une telle insaisissabilité du soi s’explique par le fait qu’il n’y a rien en dehors de la pluralité d’expériences dont il est censé assurer l’unité. Rien, c’est-à-dire aucune chose qui en garantirait la liaison et la cohésion. Dès lors, plutôt que de postuler un sujet (unique) par-delà la diversité de ces expériences, Strawson préfère atomiser le soi en soutenant qu’il y a autant de sois (selves) que d’expériences différentes. Dire que le soi est évanescent, ce serait donc moins dire qu’il n’existe pas que s’opposer aux conceptions qui en font une substance ou un ensemble, en faisant notamment valoir que ces représentations sont dépourvues d’ancrage phénoménal. Pour Strawson, le soi est évanescent, insaisissable et fugace autant que le sont les expériences qui se distinguent les unes des autres à la fois du fait de leurs propriétés phénoménales, c’est-à-dire de leur manifestation (celle de chaud n’est pas la même que celle de faim, de colère, de rêverie, etc.), mais aussi de leur dimension épisodique, puisqu’elles se succèdent, se différencient et donc aussi se particularisent temporellement — bien qu’il faille reconnaître qu’elles sont souvent enchevêtrées les unes dans les autres (je peux avoir faim et froid en même temps, ou bien glisser d’une rêverie à la colère sans pouvoir tout à fait discerner quand celle-ci a cédé la place à celle-là). Ainsi Strawson considère-t-il que si par « soi » nous désignons le sujet de l’expérience en tant qu’il est doué du sens de l’agentivité (à savoir le sens que nous avons d’être l’instigateur de nos pensées comme de nos actions) et de celui de la propriété (soit le sens que nous avons par exemple d’avoir un corps ou d’éprouver telle émotion comme étant la nôtre, nous y reviendrons à la section 3.2), alors il nous faut considérer qu’un tel sujet ne saurait exister plus de quelques secondes, puisque nous ne disposons d’une capacité d’attention que très réduite — trois secondes en moyenne (Pöppel, 1978). C’est pourquoi, plutôt que du soi (self), il convient de parler des sois (selves), comme autant d’expériences ou de « moments vécus » dont il n’est pas exclu d’ailleurs que nous puissions les corréler à des unités d’ordre physique (Strawson, 1997, p. 421). Dès lors, tout se passe comme si le sujet de l’expérience et l’expérience elle-même ne formaient qu’une seule et même chose, indécomposable (voir également James, 1890/2003). En sorte que la conscience de soi se résume à la focalisation de l’attention d’un être conscient sur une expérience particulière, de façon plus ou moins durable.

On pourrait toutefois se demander si toute expérience dont nous sommes le sujet et dont nous avons conscience suppose, pour autant, que nous ayons conscience de nous-même. Peut-on mettre sur le même plan des expériences conscientes comme celle d’écouter une mélodie, d’avoir une sensation de froid ou le souvenir de s’être disputé avec un ami, et considérer que chacune d’entre elles exemplifie la conscience de soi ? Ne faudrait-il pas distinguer des expériences de conscience de soi d’expériences où le sujet est bien conscient sans pour autant être conscient de lui-même ?

Qu’est-ce qu’être conscient de soi ?

Il se pourrait donc que la conscience de soi ne consiste pas tant dans le fait d’avoir conscience d’un objet particulier — le soi — que dans celui d’avoir un certain type d’expérience, si bien qu’une manière de définir la conscience de soi pourrait consister à s’intéresser aux expériences de conscience de soi, en tant qu’il s’agit là d’expériences d’un type particulier, à l’aune desquelles nous pouvons dire d’un sujet qu’il est conscient de lui-même ou non. Or on distingue essentiellement deux formes de la conscience de soi, qui renvoient respectivement à deux modalités de l’expérience que nous faisons de nous-même : la conscience réflexive de soi, et celle préréflexive.

La conscience de soi réflexive

À la question de savoir en quoi consiste une expérience de conscience de soi, par rapport à d’autres types d’expériences conscientes (ou d’expériences tout court), la réponse la plus classique consiste sans doute à dire qu’il s’agit là d’une expérience d’ordre cognitif et, plus spécifiquement, réflexive : être conscient de soi, c’est faire l’expérience du caractère autoréférentiel de la conscience, c’est-à-dire de la capacité pour le sujet conscient de se prendre lui-même pour objet de réflexion, et ainsi faire l’expérience subjective de sa propre vie mentale, soit de ses propres états mentaux et de soi-même comme le sujet de ces états, au moyen de l’introspection. C’est donc aussi faire une expérience de type transitif ou relationnel (l’expérience de quelque chose : soi-même ou certains états mentaux conscients — nous verrons qu’il est possible de penser une expérience non-transitive) qui semble supposer une forme conceptuelle et propositionnelle, contrairement à l’expérience perceptuelle par exemple. Pensons au moment du cogito chez Descartes (1641/2011), qui coïncide avec une expérience introspective et strictement intellectuelle, lors de laquelle le sujet Descartes, se prenant lui-même pour objet de réflexion, prend également conscience de son existence et de son essence. Pensons encore à l’aperception kantienne, qui consiste pour le sujet à se saisir comme conscience unifiée, où « le je pense doit pouvoir accompagner toutes [s]es représentations » et ce faisant, produire « une synthèse a priori de ses représentations » mentales (Kant, 1787/2006, p. 139). Tout se passe alors comme si la conscience de soi supposait un acte intentionnel et un ou des objets intentionnels, comme c’est le cas de l’expérience perceptive, avec cette particularité que son ou ses objets intentionnels ne sont pas des événements du monde physique mais des événements mentaux, qui se produisent dans l’esprit. De sorte que cette expérience consciente est d’abord celle de la dimension réflexive de l’esprit, c’est-à-dire de sa capacité à s’appréhender lui-même ou à appréhender ses propres contenus mentaux.

Cette dimension réflexive de l’esprit se manifeste à travers ce que Rosenthal (1986) appelle des pensées et des perceptions d’ordre supérieur (higher-order thoughts, higher-order perceptions), au moyen desquelles certains états mentaux sont appréhendés comme étant les nôtres (je pense que je crois ceci, sens cela, désire cette chose, etc.) et ce faisant, nous conduisent à prendre conscience de nous-même comme sujet doté de telles croyances, éprouvant telle sensation ou ayant tel désir, etc. Il s’agit alors d’une expérience judicative et méta-intentionnelle, puisqu’elle consiste à produire des états mentaux (et plus précisément, donc, des jugements) au sujet d’autres états mentaux comme des pensées de premier ordre (penser, croire, désirer que p) ou des expériences phénoménales du type avoir peur, sentir la chaleur, voir du jaune (pour une discussion sur l’intrication des pensées de premier et de second ordre, voir Kriegel, 2003 ; Van Gulick, 2004). Aussi la conscience de soi pourrait-elle bien commencer avec la capacité à produire ce type de jugements, et notamment à avoir ce que Frankfurt appelle des désirs de second ordre, auxquels un individu s’identifie attendu qu’ils satisfont l’idée qu’il se fait de lui-même — en même temps qu’ils participent à la représentation que le sujet a de lui-même (Frankfurt, 1999, p. 105). Être conscient de soi, c’est avoir une certaine idée de la personne que nous voulons être (c’est-à-dire désirer être cette personne plutôt qu’une autre) et ainsi, de ce qui importe ou doit importer pour cette personne à laquelle nous nous identifions. Frankfurt donne l’exemple d’un drogué qui a un désir de premier ordre (se droguer) qu'il récuse au nom d'un désir de second ordre (ne pas prendre de drogue) — Frankfurt parle alors aussi de « volition de second-ordre » (second-order volition). Cet individu n'a pas un regard neutre sur son désir de premier ordre, qu’il souhaite réfréner : il désire fondamentalement ne plus être cette personne qui se drogue et s’identifie à son désir de second ordre qu’il juge authentique, propre au sujet qu’il est véritablement, à tout le moins qu’il voudrait être, tandis que son désir de premier ordre lui apparaît comme une force qui n'est pas lui, à laquelle il ne saurait s’identifier et qui va contre sa volonté. Frankfurt distingue cet individu conscient d’un autre, irréflexif, qui n’aurait aucune considération sur la désirabilité de ses désirs et ne se soucierait pas de savoir lequel de ses désirs a le plus de valeur à ses yeux, se contentant simplement de suivre avec indifférence le plus fort d’entre eux. Pour Frankfurt, la conscience de soi suppose des attitudes évaluatives à l'égard de soi-même : un être conscient de lui-même est une créature prête à soutenir ou répudier des motifs à partir desquels elle agit, et organiser des préférences et des priorités à partir desquelles elle ordonne ses choix, en raison du souci qu’elle éprouve pour elle-même — soit non seulement pour son intégrité, mais également vis-à-vis de la représentation qu’elle se fait d’elle-même. Si bien que la conscience de soi semble prendre la forme d’une décision de soi, c’est-à-dire d’un acte de la volonté qui engage le sujet en vue de l’action (Frankfurt, 1999, p. 111 ; pour des réflexions au sujet du rôle de la volonté et de la raison dans la conscience pratique de soi, voir également MacIntyre, 1981/2014 ; Larmore, 2004).

Il semble que nous fassions également l’expérience de cette réflexivité de l’esprit à travers la mémoire : être conscient de soi, c’est se souvenir d’avoir vécu des événements dans le passé et ainsi, éprouver la continuité de sa propre existence. On reconnaît ici la thèse de Locke, pour qui l’homme a conscience de lui-même en ce sens qu’il peut « se consulter [lui]-même comme le même, comme une même chose qui pense en différents temps et en différents lieux » (Locke, 1690/2016, p. 522) mais aussi qui agit dans ces différents temps et lieux, si bien qu’« aussi loin que cette conscience peut s’étendre sur les actions ou les pensées déjà passées ; aussi loin s’étend l’identité de cette personne : le soi est présentement le même qu’il était alors ; et cette action passée a été faite par le même soi que celui qui se la remet à présent dans l’esprit » (Id., p. 523). Cette forme de conscience de soi que décrit Locke se fonde plus spécifiquement sur un type de souvenirs bien particulier qui appartient non seulement à la mémoire autobiographique (Berntsen et Rubin, 2012), mais plus précisément encore à la mémoire épisodique, par le biais de laquelle nous nous remémorons en première personne des expériences vécues, avec leur contexte (contrairement à la mémoire sémantique, qui est celle impersonnelle des faits et concepts : voir Tulving, 1972). Ainsi peut-on parler, selon Tulving, d’une expérience qui consiste à voyager mentalement dans le passé à travers nos souvenirs épisodiques, qui découle de la capacité du sujet conscient à se rapporter subjectivement à lui-même dans le temps, en appréhendant des informations disponibles dans sa mémoire. C’est là, pour Tulving (1985), une manifestation de la dimension autonoétique de la conscience, mais aussi de la réflexivité caractéristique de la conscience de soi — qui s’accompagne toujours, dans le cas des souvenirs épisodiques, d’une phénoménologie bien particulière : celle de la remémoration d’une expérience passée (voir Klein, 2015; pour une critique de cette hypothèse, voir les remarques de Shoemaker (1970) sur la possibilité de quasi-souvenirs, ou celles de Schacter et Addis (2007) sur le caractère simulationnel de la mémoire et l’idée de mémoire reconstructive).

Il existe au moins un autre type d’expérience qui suppose que le sujet soit conscient de lui-même de manière réflexive : c’est celle de la projection de soi. Lorsque je me soucie de ce qui pourrait m’arriver demain, que je planifie des vacances ou imagine quelle serait ma réaction dans telle ou telle circonstance contrefactuelle, je me projette (comme étant le même) dans des situations à la lumière desquelles je peux, par exemple, déterminer quelles sont mes préférences ou mes valeurs, et dès lors mieux me connaître — soit aussi prendre conscience de moi comme ayant tels désirs, telles valeurs, etc. Ainsi Lawlor (2009) montre-t-elle que ce jeu d’anticipation auquel nous n’avons de cesse de nous livrer a un rôle décisif pour la conscience de soi, puisqu’il nous aide à savoir ce que nous voulons quand nous ne parvenons pas à déterminer de manière déductive, parmi nos désirs ou nos raisons antinomiques, ceux que nous devons préférer. En nous projetant dans telle ou telle situation possible, dont nous construisons le scénario de manière plus ou moins précise, nous parvenons à savoir ce que nous voulons vraiment, et ce faisant qui nous sommes (pour des éléments empiriques allant dans le sens de l’hypothèse de Lawlor, voir Schultheiss et Brunstein, 1999; Osvath et Gärdenfors, 2005). Plus encore, cette faculté qu’ont des individus à se projeter dans le temps — dans le passé comme dans le futur — constitue selon certains auteurs une condition nécessaire voire suffisante pour leur attribuer la conscience de soi, dès lors que la conscience de soi dénote le fait pour un individu de se représenter comme étant doué de continuité et d’identité à travers le temps (Schechtman, 1996 ; Damasio, 2010). Cela, sans qu’il faille pour autant qu’une phénoménalité particulière accompagne ces expériences réflexives, ni d’ailleurs qu’une chose continue et identique à travers le temps n’existe.

Cette conception réflexive de la conscience de soi fait toutefois l’objet de nombreuses critiques. La plus sérieuse consiste à faire remarquer qu’elle conduit à deux impasses : ou bien on considère qu’un acte de réflexion suffit pour que le sujet soit conscient de lui-même, mais dans ce cas il faut reconnaître (ou présupposer) que cet acte est lui-même en état de conscience de soi, de sorte que non seulement on se donne ce qu'on est censé expliquer, mais on rejette en réalité le modèle même de la conscience de soi par réflexion, puisqu’on considère que cet acte est d’emblée conscient de lui-même, sans devoir pour cela recourir à la réflexion ; ou bien on soutient, afin d’éviter cette difficulté, qu’il faut un acte de réflexion premier qui donne à un acte de réflexion second la conscience de soi, mais notre raisonnement s’expose alors à une régression infinie (Ryle, 1949/2005, pp. 162-163 ; Zahavi, 1999, pp.17-18). Remarquons, en outre, que si l’on prend au sérieux les différentes critiques qui interrogent le sens selon lequel la conscience de soi serait transitive (c’est-à-dire qu’elle aurait la forme d’une conscience d’objet : celle d’un soi), alors on est en droit d’exiger une autre manière d’expliquer la capacité à entretenir une pensée consciente de soi que celle qui consisterait à être conscient d’un objet — le soi (O'Brien, 1995). Ces critiques plaident ainsi en faveur de l’hypothèse d’une conscience de soi préréflexive, qui pourrait être au fondement de la conscience réflexive que nous avons de nous-même.

La conscience de soi préréflexive

Une manière lever ces difficultés consiste donc à suggérer que les sujets doués d’une conscience réflexive possèdent également une forme minimale et préréflexive de conscience de soi, qui est tout à la fois immédiate, implicite, intransitive et par conséquent non-objectivante, non-conceptuelle et non-représentationnelle. Qu’est-ce à dire ?

D’abord, cela suppose que la conscience de soi préréflexive n'exige pas que l'on réfléchisse explicitement à soi (c’est-à-dire à l’ego que je suis) ou à l’un de ses états mentaux, en les prenant comme des contenus intentionnels : elle est manifeste y compris dans les situations où notre attention est dirigée vers des objets et des événements du monde. Lorsque je goûte un citron, mon attention est captée par l’acidité de l’agrume et l’expérience gustative que j’en ai. Il ne fait pas de doute que c’est bien mon expérience et ce, sans qu’il faille que je me représente comme le sujet de cette expérience et pense, par exemple, que « c’est moi qui goûte le citron ». C’est en ce sens qu’elle est implicite, mais également non-objectivante, le sujet de l’expérience ne devenant pas lui-même un objet de conscience (Sartre, 1943 ; Zahavi, 2005). Et c’est aussi en ce sens qu’elle est non-représentationnelle — le sujet ne se représente pas lui-même, et n’a à l’esprit, si l’on peut dire, que l’expérience en question (voir Musholt, 2015) — et non-conceptuelle : l’expérience subjective de l’acidité du citron (« c’est acide ! ») ne présuppose ni l’emploi du pronom de la première personne, ni même le langage tout court (Bermúdez 1998 : voir la section 5.2).

L’hypothèse d’une conscience préréflexive de soi met en fait l’accent sur la dimension phénoménale de l’expérience consciente, qui constitue la manière à travers laquelle les objets dont nous avons conscience se présentent à nous. Ainsi, toute expérience consciente est caractérisée par sa dimension subjective, c’est-à-dire par le fait que nous la sentons ou l’éprouvons, soit encore par une certaine qualité phénoménale, un « ce que cela fait » d’avoir telle ou telle expérience (Nagel, 1974/1983). Or cette qualité phénoménale dénote l’aspect subjectif de l’expérience, soit aussi le fait que cette expérience m’apparaisse toujours comme mon expérience, sans qu’il n’y ait besoin pour autant que nous produisions quelque réflexion à son égard. Si bien que ce qui qualifie la conscience préréflexive de soi, ce n’est pas le contenu conscient comme c’est le cas dans la conscience réflexive de soi — où l’on ne parle de conscience de soi qu’à condition que l’objet dont nous avons conscience soit directement le soi ou quelque état mental explicitement subjectif —, mais le mode de l’expérience consciente, à savoir l’aspect subjectif propre à toute expérience consciente (voir Recanati, 2007, part. 5 et O’Brien, 2007, chap. 6). Dire que la conscience de soi préréflexive consiste non pas dans l’expérience intentionnelle d’un contenu, mais réside entièrement dans un mode de la conscience, c’est donc considérer que la particularité de cette expérience consciente tient à la manière dont les choses nous apparaissent, indifféremment du contenu de l’expérience, c’est-à-dire de ce qui se présente à la conscience. Aussi, de même que désirer une chose, c’est la viser comme bonne sans pour autant qu’une telle caractéristique ne figure explicitement dans le contenu de cette chose (ou ne soit exemplifiée par cette chose : je peux désirer quelque chose de répugnant), de même nos expériences conscientes se présentent-elles toujours comme subjectives, c’est-à-dire comme nos expériences ou comme des expériences qui nous concernent, sans pour autant que nous ayons à être nous-même l’objet ou le contenu de cette expérience — ce que suppose la conscience de soi réflexive (voir 1.3).

Mais à quoi peut donc correspondre, concrètement, une expérience de conscience de soi préréflexive ? Et si la conscience préréflexive de soi est implicite, intransitive et non-conceptuelle, est-ce à dire qu’elle est indicible et ne saurait être ni expliquée, ni même décrite ? Peut-on alors parler d’une expérience de conscience de soi préréflexive et si c’est le cas, comment, en quels termes ? Il semble que l’on puisse présenter deux principaux types d’expériences de la conscience de soi préréflexive, dont on considère qu’ils dénotent plus largement un sens de soi qui précède toute réflexion — par opposition à l’idée de soi ou au concept de soi, que suppose la conscience de soi réflexive — et qu’ils sont intrinsèquement liés à la nature phénoménale de nos expériences. Il s’agit du sens de la propriété (sense of ownership) et du sens de l’agentivité (sense of agency).

Le sens de la propriété ou sens de la mienneté (sense of mineness) désigne le fait que toute expérience consciente m’apparaît toujours comme mon expérience, plutôt que celle d’autrui par exemple (Tsakiris, 2011 ; Guillot, 2017). Qu’il s’agisse d’une pensée, d’une émotion, d’un souvenir ou d’une sensation, ces phénomènes conscients semblent toujours empreints de subjectivité, c’est-à-dire vécus en première personne. Lorsque je suis conscient, je « sens » mon expérience, cela me fait quelque chose d’avoir cette expérience, sans que cela ne requière la médiation d’un organe sensible particulier, dédié à cela, ou un acte intentionnel d’un ordre supérieur, à l’aune duquel je saisirais cette expérience comme étant la mienne : le sens de la propriété de soi désigne précisément le fait pour une expérience d’apparaître toujours comme la nôtre. Pour certains, il s’agit là d’un fait fondamental de l’expérience : toute expérience se présente toujours comme mon expérience (qu’on entende par expérience le fait d’avoir une sensation, une émotion, un souvenir, mais également une pensée), si bien que « la manifestation de soi [serait] l'essence de la manifestation » (Henry, 1963, pp. 168-169), au sens où la transcendance de l’expérience (soit le fait que la conscience puisse se porter sur des objets du monde) ne serait possible qu'à condition d'une immanence du sujet à lui-même (c’est-à-dire de la conscience préréflexive de soi). C’est pourquoi il nous semble impossible de concevoir ce que cela fait, pour autrui, de penser telle chose avec son esprit, ou d’éprouver telle sensation avec son corps, sans en passer par le prisme de notre subjectivité, et nous représenter ce que cela ferait pour nous de penser ou d’éprouver telle chose (Martin, 1995 ; Brewer, 1995 ; Dokic, 2003). De même qu’imaginer une pensée ou une sensation en troisième personne, dénuée de toute qualité subjective, paraît de prime abord inconcevable.

Certains cas pathologiques nous enjoignent toutefois à ne pas faire du sens de la propriété une condition sine qua non de l’expérience consciente. C’est le cas par exemple du phénomène des insertions de pensées, dont souffrent certains individus atteints de schizophrénie, où les sujets sont conscients d’avoir des états mentaux sans toutefois qu’ils ne leur apparaissent comme leurs états mentaux (voir Saks, 2007 ; Parnas et Sass, 2011). C’est également le cas du syndrome de la main étrangère qui se manifeste par le fait qu’une personne nie que l’un de ses membres lui appartient, et pense n’avoir sur lui aucun contrôle tout en ayant des sensations relatives à ce membre (Vallar et Ronchi, 2009 ; Feinberg, 2009). Ces cas pathologiques ont conduit certains philosophes à passer d’une approche réductionniste, qui considère que toute expérience suppose le sens de la propriété, à celle non-réductionniste pour laquelle certaines expériences seulement exemplifient un tel sens (Zahavi et Kriegel, 2015). Par ailleurs, on est en droit de se demander s’il existe véritablement une phénoménologie du sens de la propriété distincte de la simple expérience des propriétés physiques du corps (Bermúdez, 2011 ; McDowell, 2011).

Peut-être est-il toutefois possible de rendre raison de ces cas limites en distinguant le sens de la propriété d’un autre, qui constitue une autre modalité de conscience préréflexive de soi : le sens de l’agentivité (pour une critique de cette distinction, voir Bayne et Pacherie, 2007). Ce dernier consiste, pour un individu, non pas simplement à être conscient de ses états mentaux (sens de la propriété) mais à sentir qu’il est l’auteur de ses actions ou de ses pensées, de manière non-inférentielle et non-observationnelle, c’est-à-dire sans qu’il n’ait besoin de produire un jugement réflexif ou une pensée d’ordre supérieur du type « c’est moi qui fais ceci ou pense cela » (Anscombe, 1957/2002 ; Marcel, 2003). Cela se manifeste alors par le sens du contrôle de nos mouvements corporels (Gallese et Sinigaglia, 2010 ; Davies et al., 2001) et de nos actions, que nous expérimentons à travers notre capacité à interagir de manière pertinente avec notre environnement, et à anticiper des actions sans que cela ne nécessite quelque délibération, raisonnement ou planification consciente que ce soit (Frith et al., 2000 ; Haggard, 2005). Cela se traduit également par le sentiment que nous avons d’être à l’initiative de nos actions comme de nos pensées d’ailleurs, de manière spontanée et sans recourir à un processus d’identification volontaire (Hohwy, 2007 ; Horgan, 2012). Un tel sens de l’agentivité accompagnerait alors la réalisation de nos actions conscientes, y compris celles qui ne requièrent pas la présence d’une intention consciente, comme l’action habituelle de s’habiller, d’ouvrir une porte, de descendre des escaliers et de marcher, par exemple (Gallagher, 2007). Dès lors, si l’on prend au sérieux cette distinction entre le sens de la propriété et le sens de l’agentivité — l’un et l’autre renvoyant à deux types d’expériences conscientes de soi — il devient possible de rendre raison de la difficulté que posaient des cas pathologiques comme les insertions de pensées ou le syndrome de la main étrangère, en faisant valoir le fait que les individus atteints de tels troubles ont perdu leur sens de l’agentivité, tout en conservant le sens de la propriété au moyen duquel ils peuvent identifier des pensées ou des sensations comme se produisant dans leur esprit (Stephens et Graham, 2000 ; Gallagher, 2004 ; pour une critique, voir notamment Billon, 2013).

Si le sens de l’agentivité — comme celui de la propriété — peut être considéré comme une expérience préréflexive de la conscience de soi, c’est donc en ce sens qu’il semble ne requérir aucune représentation mentale, ou aucun état mental représentationnel, comme c’est le cas pour la conscience de soi réflexive. Les auteurs qui cherchent à caractériser ces types d’expériences préréflexives de soi s’inscrivent généralement dans une approche énactiviste de l’esprit, qui conteste la pertinence de la notion de représentation mentale pour expliquer certains phénomènes conscients, dont ceux relatifs à la conscience de soi (Chemero, 2009). Or une telle hypothèse non-représentationnaliste du sens de l’agentivité ne va pas sans rencontrer des difficultés. La principale est sans doute celle qui consiste à demander ce qu’il en est des actions planifiées à long terme, lesquelles semblent supposer non seulement des représentations mentales, mais une représentation de soi, comme sujet d’actions possibles par exemple (Bratman, 1987 ; Clark et Toribio, 1994). Que faire, par ailleurs, des cas décrits par Wegner et son équipe, où les sujets prétendent être à l’initiative d’actions dont ils ne sont en réalité pas les auteurs (elles sont en fait produites subrepticement par un tiers), et qui semblent indiquer que le sens de l’agentivité survient lorsque nous interprétons une intention consciente d'accomplir une certaine action comme sa cause (Wegner et Wheatley, 1999) ? Plus encore, si l’on acceptait que le sens de l’agentivité suppose à la fois des propriétés représentationnelles (des contenus intentionnels) et des propriétés strictement phénoménales ou qualitatives, non seulement il n’est pas exclu que l’on puisse reconduire les secondes aux premières (Dretske, 1995 : pour une critique, voir Block, 1998), mais on pourrait se demander comment distinguer — et si cela est possible — les propriétés phénoménales qui instancient le sens de l’agentivité de celles qui relèvent par exemple des sens que sollicitent l’action en question.

Quels sont les traits caractéristiques de la conscience de soi ?

L’analyse des expériences de conscience de soi nous conduit à relever ce qui semble constituer des traits caractéristiques de la conscience de soi, que ces expériences, justement, rendent manifestes. Deux spécificités apparaissent de façon particulièrement saillante : elles sont respectivement d’ordre épistémique et sémantique.

Les spécificités épistémiques de la conscience de soi

Un accès privilégié

La conscience de soi, et plus précisément la conscience que nous avons de nos états mentaux (sens ii), semble bénéficier d’un avantage épistémique bien particulier, en comparaison par exemple de la conscience que nous pouvons avoir des états mentaux d’autrui ou de ce qui se passe dans le monde. Supposons que j’aie rendez-vous avec Marie : la peur que j’éprouve à l’idée qu’elle pourrait ne pas me trouver à son goût m’apparaît de manière évidente et immédiate, autant d’ailleurs que la sensation d’avoir la gorge sèche et le désir de fumer une cigarette pour reprendre mes esprits. En revanche, il m’est bien moins aisé de déterminer si je plais à Marie ou non, si elle aussi est dans tous ses états et si la fumée de cigarette l’importune : le meilleur moyen de le savoir étant encore de le lui demander, car elle est la plus à même de savoir ce qu’elle pense, éprouve, etc. De la même manière, la conscience que j’ai de mon mal de dent paraît plus directe et immédiate que la conscience que j’ai du fait qu’il a plu.

Dans le premier cas, la différence tient à ce que nous avons un accès privilégié à nos états mentaux, que n’ont pas les autres : cet accès à notre vie mentale est privilégié en ce sens que nul autre ne peut accéder d’une manière aussi directe à nos états mentaux (voir F. Brentano, 1874/2008 ; Moore, 1910). Il n’est besoin pour moi d’aucune médiation pour savoir si j’ai mal ou si je désire fumer une cigarette, comme c’est le cas lorsque je dois m’en remettre au témoignage d’autrui par exemple, pour m’assurer de ce qu’il ressent ou de ce qu’il désire. Mais ce privilège tient également à ceci que, dans le second cas comme dans le premier, l’accès à mes propres états mentaux ne suppose aucune inférence, contrairement à la nécessité dans laquelle je suis de supposer ce que Marie peut bien penser de moi (à partir de son comportement, par exemple). La relation que nous avons à nos états mentaux est une relation d’« accointance », pour reprendre l’expression de Russell, c’est-à-dire « l’expérience directe (acquaintance) d’une chose quand elle est là directement devant nous, que nous en avons conscience, sans l’intermédiaire d’aucun processus d’inférence » (Russell, 1989, p. 69 ; voir également Gertler, 2001).

Cela s’explique par le fait que la méthode pour accéder à ce qu’il se passe en moi diffère de celle que j’emploie pour déterminer ce que pense Marie ou s’il a plu. Dans ce dernier cas, je produis une inférence à partir de l’observation des phénomènes (le comportement de Marie, l’eau qui stagne sur les pavés), car je n’ai pas directement conscience de ce que pense Marie ou du fait qu’il a effectivement plu ; tandis que dans le premier, qui relève d’un jugement introspectif, je n’ai pas à inférer quoi que ce soit : j’ai immédiatement conscience que je pense ceci ou ressens cela, aussitôt et en même temps que je le pense ou le ressens (Descartes, 1641/2011, AT IX 124, p. 285). Cette conscience directe s’oppose ainsi, par nature, à la conscience indirecte que j’ai des objets du monde, et explique pourquoi « l’esprit est plus aisé à connaître que le corps » (Descartes, 1641/2011, AT IX 34, p. 93).

Or, cet accès privilégié propre à la conscience de soi et fondé pour l’essentiel sur l’introspection s’accompagne d’avantages épistémiques qui confèrent à la conscience que nous avons de nous-même — et plus précisément de ce qu’il se passe en nous — une spécificité qui tient à ce qu’elle implique une autorité sans pareille.

L’autorité épistémique : indubitabilité, incorrigibilité, infaillibilité et omniscience

La conscience de soi, lorsqu’elle désigne la conscience de nos états mentaux, est réputée tout à la fois indubitable, infaillible, incorrigible et omnisciente, ce qui en fait une source épistémiquement sûre.

D’abord, elle est considérée comme étant indubitable au sens où, dès lors que je pense que je désire, crois ou sens quelque chose, je ne peux pas douter que je désire, crois ou sens. C’est ce que faisait remarquer Descartes contre Hobbes (Descartes, 1641/2011), qui objectait aux conclusions du cogito (à savoir : puisque je doute, il s’ensuit nécessairement que j’existe) le fait que l’on pourrait tout aussi bien conclure que, puisque je marche, j’existe : la valeur épistémique du second jugement est bien moins importante que celle du premier, car il repose sur une inférence fondée sur l’observation (je perçois que je suis en train de marcher), laquelle est toujours sujette au doute (peut-être que je ne fais que rêver que je marche, tandis que je suis en train de dormir). Cela pourrait s’expliquer par le fait que lorsqu’il est question de nos états mentaux, il semble ne plus y avoir de différence entre l’apparence et la réalité de ce dont nous faisons l’expérience, comme c’est le cas dans la perception des objets (Hill, 1991). Ainsi, la douleur qui survient en moi n’est pas sujette au doute comme c’est le cas de la vision que j’ai de mes jambes en train de se mouvoir, ou du bruit de la pluie qu’il me semble entendre par la fenêtre. Plus encore, il ne fait pas de doute que je sens une brûlure sur ma main ou que je crois qu’il a plu ce matin, même si ce que je prends pour une brûlure peut s’avérer n’être qu’une sensation aiguë de froid, et ma croyance du fait qu’il a plu la conséquence d’une erreur d’interprétation (on a nettoyé le trottoir à l’eau claire au lever du jour).

Or cette indubitabilité, qui concerne le sujet vis-à-vis de ses propres états mentaux, est en quelque sorte redoublée par l’incorrigibilité ou la présomption de vérité dont paraît affublée la conscience qu’il a de ce qu’il se passe en lui (Ryle, 1949/2005, p. 14). En effet, on l’a vu, le sujet a un accès privilégié à sa vie mentale en ce sens que nul autre ne semble pouvoir connaître aussi assurément que lui ce qu’il désire, croit ou sent. Dès lors, et si l’on prend au sérieux cette thèse, il résulte que le sujet dispose, à propos de ses états mentaux, d’une autorité telle que personne d’autre que lui ne peut s’assurer de la validité ou de la fausseté des jugements introspectifs au moyen desquels il s’attribue telle sensation ou telle pensée (Ayer, 1963 ; Alston, 1971). Car lui seul a à sa disposition les justifications à même de légitimer les énoncés qui touchent à sa vie mentale. C’est là, selon Rorty, ce qui constitue la véritable « marque du mental » (Rorty, 1970). Supposons que j’éprouve le sentiment d’avoir froid, et que j’en prenne conscience de manière introspective, en dirigeant mon attention vers ce que je ressens, plutôt qu’en observant mon bras pour voir si j’ai la chair de poule, ou en demandant à autrui s’il fait effectivement froid. Si je m’interroge pour m’assurer que j’ai bien froid, et que je ne confonds pas cette sensation avec une autre, alors personne ne peut raisonnablement croire que je n’ai pas froid et ce, quand bien même mon comportement n’en laisserait rien paraître, et quand bien même l’imagerie cérébrale ne permettrait pas de corroborer cette sensation (si, par exemple, on n’observait aucune activation dans les régions du cerveau dont on aurait montré qu’elles s’activent lorsqu’un individu a froid).

Que nous ne puissions pas être corrigés par autrui au sujet de nos états mentaux ne suppose pas, cependant, que la conscience que nous avons de ces états est infaillible. Soutenir que nos jugements au sujet de nos états mentaux sont infaillibles, c’est endosser une thèse plus forte encore à propos de la particularité épistémique de la conscience de soi. Car non seulement l’incorrigibilité n’implique pas l’infaillibilité, tandis que cette dernière suppose la première ; mais l’infaillibilité requiert des critères plus contraignants que l’incorrigibilité. En effet, il est possible que je confonde une sensation (celle de brûlure) avec une autre (celle d’un froid intense), ou que je prenne un désir (celui de voir Marie) pour un autre (celui de me rendre au restaurant où travaille Marie), sans pour autant que l’on puisse me corriger à propos de cette sensation ou de ce désir, en raison de l’accès privilégié que j’ai à mes états mentaux et qui me garantit une autorité que les autres n’ont pas au sujet de ma vie mentale. En revanche, dès lors que l’on soutient que la conscience de soi est infaillible au sens où toutes les fois que j’ai conscience que j’ai mal ou que je pense que p, il est effectivement vrai que j’ai mal ou que je pense que p (et ce, quand bien même ce dont j’ai conscience ne serait qu’apparent), on exclut toute erreur de jugement possible au sujet de notre vie mentale. Cela revient à dire que la conscience que nous prétendons avoir de nos propres états mentaux (nos sensations, nos émotions, nos pensées, etc.) et par suite, les énoncés que nous faisons à leur propos, sont toujours adéquats. Dans ses Méditations métaphysiques, Descartes paraît adopter une telle position vis-à-vis de la conscience de soi, puisqu’il juge que l'on peut connaître infailliblement nos émotions comme nos appétits (Descartes, 1644/2011, AT IX 66, p. 199). Si bien que l’infaillibilité qui qualifie la conscience de soi (sens ii) semble garantir les deux spécificités épistémiques précédentes (l’indubitabilité et l’incorrigibilité).

Il existe toutefois des raisons de douter que l’on puisse étendre cette infaillibilité à l’ensemble de nos états mentaux et de nos expériences conscientes, comme le souligne Schwitzgebel à travers des contre-exemples qui révèlent que l’introspection n'est pas toujours fiable. Ainsi évoque-t-il des cas relatifs à nos expériences visuelles (2002a), dont celui selon lequel nous croyons à tort que l’extrémité de notre champ visuel est colorée, ou d’autres qui touchent à nos rêves (2002b), comme cette étude réalisée dans les années cinquante aux États-Unis, d’après laquelle environ 60% des personnes interrogées rapportent qu’elles rêvent en noir et blanc : il apparaît en fait que leur impression (sans doute fausse) s’explique par un biais spécifique (la télévision et le cinéma diffusent à l’époque des images en noir et blanc), et que la grande majorité des individus humains rêvent en couleur. Ces critiques ont conduit des auteurs contemporains à réviser la thèse de l’infaillibilité de la conscience de soi pour en proposer des versions moins fortes : il s’agit alors de soutenir que nous ne pouvons parler d’infaillibilité qu’au sujet de certains de nos états mentaux — ceux relatifs à nos seules pensées (Burge 1988), à nos sensations (Gertler, 2012 ; Siewert, 2012) ou plus largement à notre expérience phénoménale (Chalmers, 2003 ; Tye, 2009).

Une autre particularité épistémique de la conscience de soi semble toucher à l’omniscience dont nous sommes dotés vis-à-vis de nos propres états mentaux. Cette spécificité pourrait s’énoncer de la manière suivante : un individu est omniscient au sujet de ses propres états mentaux si et seulement si être dans un certain état mental suffit pour qu’il sache qu’il est dans cet état mental. L’omniscience qualifie donc la conscience intime que nous avons de nous-même (c’est-à-dire aussi de notre vie mentale), non pas simplement au sens où nous éprouvons directement et subjectivement, en première personne, nos états mentaux (quand autrui n’y aurait accès que de manière indirecte), mais en ce sens que rien de notre vie mentale ne saurait nous échapper : chacune de nos pensées, de nos émotions ou de nos perceptions nous est intime, c’est-à-dire connue (comme nous disons que nous sommes intime avec quelqu’un, plutôt qu’il ne nous est étranger). De sorte que lorsque nous croyons que x, désirons y ou éprouvons z, nous savons que nous croyons, désirons ou éprouvons ces choses. Il existe schématiquement deux manières de présenter cette spécificité épistémique. La première est une version forte de l’hypothèse de l’omniscience : elle consiste à soutenir que nous sommes toujours conscients de nos états mentaux, et même de tous nos états mentaux — soit de nos croyances, de nos désirs, de nos émotions, de nos sensations, etc. Avoir ou être dans tel état mental, ce serait nécessairement savoir que nous avons ou sommes dans un tel état. On trouve chez Locke une thèse qui n’est pas sans rappeler cette conception de la conscience de soi, puisqu’il soutient que percevoir, penser ou vouloir, et savoir que l’on perçoit, pense ou veut sont une seule et même chose. Il écrit : « [il est] impossible à quiconque de percevoir, sans percevoir qu’il perçoit. Lorsque nous voyons, que nous entendons, que nous flairons, que nous goûtons, que nous sentons, que nous méditons, ou que nous voulons une chose quelconque, nous le savons à mesure que nous le faisons. » (Locke, 1690/2016, pp. 522-523). Une version plus forte encore de cette thèse consiste à affirmer que non seulement nous sommes toujours conscients de l’ensemble nos états mentaux, mais que nous sommes également conscients du fait que nous n’avons pas ou ne sommes pas (actuellement) dans quelque autre état mental. Si bien que, tandis que je sais que j’ai mal aux dents, je sais aussi que je n’ai pas mal à la tête ou à l’estomac, de même que si je ne pense pas que p, je sais que je ne pense pas que p (Shoemaker, 1996). Une telle conception de la conscience de soi suppose donc une transparence totale de l’esprit à lui-même, en sorte que le sujet puisse rendre compte, à chaque instant, de ses états mentaux.

Or, comme le faisait remarquer Rosenthal (1986), il paraît légitime de distinguer des états mentaux simples ou de premier ordre (penser, croire, désirer que p) d’autres, plus complexes ou d’ordre supérieur (du type penser que l’on pense, croit ou désire que p), puisqu’il est tout à fait possible que nous ayons les premiers sans les seconds, et donc que nous ne soyons pas conscients que nous pensons, croyons ou désirons que p (c’est-à-dire que nous avons ou sommes dans tel ou tel état mental), dès lors que nous sommes absorbés par cette pensée, cette croyance ou ce désir. Mais cette version forte de l’hypothèse de l’omniscience censée qualifier la conscience de soi rencontre d’autres difficultés, comme celle que pose la théorie freudienne de l’inconscient (Freud, 1915/2018) ou, de manière moins controversée peut-être, les travaux en sciences cognitives où l’on distingue certaines perceptions conscientes d’autres qui ne le sont pas (voir par exemple Nelkin (1989) ou Lamme (2010) sur les sensations en général et, plus spécifiquement, les travaux de Weiskrantz (1986) ou Goodale et Milner (1995) sur la vision).

Aussi, une seconde version de cette hypothèse, plus modérée cette fois, vise à réduire la portée de cette spécificité épistémique en lui faisant subir une double inflexion. D’abord, en en réduisant l’extension, puisque certains auteurs proposent de restreindre le critère de l’omniscience de la conscience de soi à certains états mentaux seulement. Ainsi, Horgan et Kriegel limitent-ils cette particularité épistémique aux seules expériences phénoménales, attendu que « l'occurrence d'une expérience phénoménale implique déjà la prise de conscience du sujet, [de sorte que] pour que le sujet acquière une croyance sur l'expérience, il peut n'y avoir qu'un acte de déplacement ou de réorientation de l'attention. » (2007, p. 135). En effet, il semble pour le moins surprenant de soutenir qu’une expérience phénoménale puisse être inconsciente (Papineau, 2002 ; Weatherson, 2004), si bien que l’on peut a minima s’entendre sur le fait que nous ne pouvons avoir de sensations sans en avoir conscience. Mais il est également possible de modérer la thèse de l’omniscience en modifiant ses implications. C’est ce que semblent faire Siewert (1998), Peacocke (1999) ou plus récemment Smithies (2012), pour lesquels lorsque nous avons conscience d’un état mental et que nous basons la croyance que nous l’avons sur cette conscience, alors notre croyance est justifiée.

Ainsi, et bien qu’elles fassent l’objet de discussions animées, ces particularités épistémiques nous aident à distinguer la conscience de soi d’autres formes de conscience, comme celle dirigée vers autrui ou vers des faits du monde. Remettre ces particularités en question, c’est donc aussi interroger la spécificité de la conscience de soi et, par suite, la légitimité qu’il y a à distinguer cette dernière d’autres phénomènes conscients.

Les spécificités sémantiques de la conscience de soi

Des indexicaux essentiels et des pensées en première personne au cœur de la conscience de soi

On impute également à la conscience de soi un autre type de privilège, de nature sémantique cette fois-ci — privilège qui pourrait d’ailleurs n’être pas étranger aux particularités épistémiques que nous venons de présenter. La conscience de soi semble en effet reposer en partie sur le langage et nos facultés langagières : penser à soi, se référer à soi et parler de soi sont autant de manières de manifester la conscience qu’un individu a de lui-même, attendu que la conscience de soi peut être propositionnelle (voir la section 1.3), que l’on appréhende l’expression « conscience de soi » par le prisme du sens i) ou ii). Plus particulièrement, les pensées en première personne et certains des concepts qui y jouent un rôle central (comme « je » ou « moi » par exemple) sont considérés comme ayant des spécificités sémantiques telles qu’on les juge irréductibles aux autres types de pensées, comme celles qui concernent autrui ou quelque autre objet du monde. En quoi consistent donc ces spécificités ?

Dans un texte célèbre, Perry (1979) présente une fiction dans laquelle il se met en scène, en train de suivre dans un supermarché la trace d’une traînée de sucre afin de trouver lequel, parmi les clients du magasin, perd ainsi le contenu d’une de ses provisions. En cherchant, il se dit à lui-même : « le client avec le sac de sucre déchiré fait un sacré bazar ». Puis, se rendant compte que c’est son propre sac de sucre qui est déchiré, le voici qui s’exclame : « c’est moi qui fais cette pagaille ! ». D’après Perry, cette pensée en première personne (« je fais du bazar ») se distingue foncièrement de celle en troisième personne qu’il entretenait jusqu’alors (« le client avec le sac de sucre déchiré fait un sacré bazar ») en raison de son rôle fonctionnel, puisque Perry va aussitôt modifier son comportement et cesser de tourner en rond dans le supermarché. Cette pensée repose ainsi sur ce que Perry appelle des croyances localisantes (locating beliefs), soit des croyances au moyen desquelles nous sommes à même de déterminer notre situation — qui nous sommes, où nous sommes, ce que nous faisons — et supposent, par conséquent, une référence à soi et à ses propres expériences comme étant les siennes (Perry, 1977). Si bien qu’elle constitue une expression de la conscience de soi. Perry aurait pu savoir, en effet, que le client du magasin dont le sac de sucre était déchiré était responsable d’un tel bazar, de même qu’il aurait pu savoir que le philosophe présent dans la boutique était responsable de cette pagaille, sans savoir pour autant qu’il s’agissait de lui-même (dans l’éventualité où deux individus — Perry et Parfit, également présent dans le magasin — rempliraient cette description indéfinie : « un philosophe »). Peut-être même aurait-il pu croire que Perry produisait ce désordre sans comprendre, toutefois, que c’est de lui-même dont il était question (supposons qu’il ait été amnésique). Il semble que ce soit la pensée en première personne qui explique la prise de conscience de Perry et son comportement, parce qu’elle est « auto-localisante » (self-locating) en ce sens que, contrairement aux pensées qui emploient des démonstratifs (c’est ce client qui est responsable), des descriptions (c’est le client qui est philosophe qui…) ou même des noms propres (c’est J. Perry qui…), elle n’implique aucune identification d’objet par une description ou une monstration — elle est dénuée d’identification (identification-free), pour reprendre l’expression de Evans (1982) : nous y reviendrons en 4.2.2).

Or, lorsque je pense : « je suis l’auteur de cette pagaille, c’est moi qui ai renversé tout ce sucre, c’est mon sac qui s’est déchiré, etc. », c’est-à-dire lorsque je développe ces croyances auto-localisantes, j’emploie des concepts que l’on appelle des indexicaux. L’une des particularités des indexicaux (parmi lesquels on compte également des termes comme « ici », « maintenant », « hier », etc.) tient au fait qu’ils ne réfèrent à quelque chose ou à quelqu’un qu’en fonction d’un contexte donné. Contrairement à l’expression « l’auteur de La Recherche » ou au nom propre « Marcel Proust », qui réfèrent systématiquement au même individu et ce indépendamment du contexte dans lequel on les emploie, les termes « je » ou « moi » dénotent des personnes différentes en fonction de celles qui les utilisent dans un contexte précis. Le même énoncé en première personne « longtemps je me suis couché de bonne heure » pourra alors être attribué tantôt Pierre, tantôt à Paul et tantôt au narrateur de La Recherche, selon laquelle de ces personnes énonce cette phrase dans un contexte défini. Et si l’on trouvait cette phrase écrite sur la page déchirée d’un livre, ou recopiée sur une feuille vierge, et que nous ignorions qu’elle est celle de l’incipit de La Recherche, il nous serait impossible de dire qui en est l’auteur, et donc d’attribuer le terme « je » à un individu. Cette particularité des indexicaux peut alors nous conduire à considérer que les concepts « je » ou « moi » ne sont en aucun cas des expressions de référence, puisqu’ils ne remplissent dans l’économie de nos discours (qu’ils soient privés ou publics) ni une fonction descriptive (comme c’est le cas de l’expression « le narrateur de La Recherche »), ni le rôle d’un démonstratif (nous ne pouvons pointer du doigt un objet du monde en disant : voici un « je »), ni même celui d’un nom propre, de sorte qu’il n’est pas exclu que le sujet de ces discours ou de ces pensées soit en réalité dépourvu de conscience de lui-même, et emploie le mot « je » sans pour autant s’identifier au sujet (c’est-à-dire au pronom personnel « je ») de ce discours, à la manière des hommes des tribus qu’imagine Wittgenstein (1980/1989, p. 31 sq.) et qui, dépourvus d’âme, se contenteraient d'imiter nos comportements linguistiques. Toutefois, on s’entend généralement pour dire que l’usage des concepts de la première personne permet non seulement de faire référence à soi comme à l’auteur du discours ou des pensées que ces termes introduisent, mais aussi qu’ils dénotent la conscience qu’un sujet a de lui-même — précisément comme la source de certaines pensées, de certaines expériences ou de quelque action. Ainsi, pour Kaplan (1977), ces indexicaux liés à la première personne du singulier sont effectivement régis par une règle de référence selon laquelle les pensées et les discours en première personne renvoient toujours à l’individu qui les emploie. Plus encore, ils constituent une manière « particulière et élémentaire de se présenter à soi-même » (Kaplan, 1977, p. 533), et donc aussi de prendre conscience de soi, puisque notre capacité à nous référer à notre expérience comme étant la nôtre dépend de l’usage des indexicaux au moyen desquels nous pouvons nous référer à nous-même. C’est là ce que vise à montrer l’histoire que relate Perry.

Cela nous porte donc à croire que les pensées en première personne sont irréductibles à celles qui n’emploient ni le pronom « je », ni le pronom tonique « moi », en raison des représentations qu’elles supposent ainsi que des conséquences qu’elles impliquent pour l’action. Plus encore, il semble que la conscience que j’ai de mes propres états mentaux (sens ii) de la conscience de soi) suppose toujours de penser à eux comme étant mes états mentaux (P.F. Strawson, 1959, sect. 3 ; Evans, 1982, chap.7), si bien que toute tentative de paraphraser les pensées en première personne sous la forme de pensées qui emploieraient d’autres pronoms personnels paraît nécessairement vouée à l’échec. En effet, comme le montre Castañeda (1966, 1999), les énoncés qu’il appelle de se et de dicto n’ont pas les mêmes conditions de vérité et ne sauraient donc être considérés comme équivalents — à moins d’employer ce que les linguistes appellent des réfléchis indirects, comme « lui-même » ou « elle-même ». Ainsi, l’énoncé de se (1) « Je fais du bazar » n’équivaut-il pas à l’énoncé de dicto (2) « Perry pense que le client dont le sac est déchiré fait du bazar », attendu que (2) n’implique pas nécessairement (1). Pas plus qu’il n’est équivalent à l’énoncé de dicto (3) « Perry fait du bazar » puisque, quand bien même (3) serait prononcé par Perry lui-même, il n’est pas impossible que ce dernier ignore qu’il s’appelle Perry. Si bien qu’on ne peut paraphraser (1) par (2) ou (3). De la même manière, on ne saurait paraphraser l’énoncé de se (1) par des énoncés que Castañeda nomme de re, du type (4) « Perry pense, au sujet du client dont le sac est déchiré, qu’il fait du bazar » ou (5) « Perry pense, au sujet de Perry, qu’il fait du bazar ». Car là encore, Perry peut tout à fait penser (4) ou (5) sans penser (1). Aussi faut-il conclure que d’un point de vue sémantique, les pensées de se sont sans équivalent : elles ne peuvent être rapportées qu’à la première personne. Et il se pourrait même que les états mentaux que nous rapportons à travers nos discours en première personne constituent, toujours d’un point de vue sémantique, une classe irréductible d’états mentaux (pour une critique de cette thèse, voir notamment Boër et Lycan, 1980).

L’immunité contre l’erreur d’identification

On reconnaît par ailleurs une autre particularité des énoncés en première personne, à savoir que certains d’entre eux au moins sont immunisés contre l’erreur qui consiste, pour un sujet, à s’attribuer des états mentaux qui ne sont pas les siens. Il paraît absurde en effet de considérer que nous pourrions nous tromper au sujet de qui a mal lorsque nous disons « j’ai mal », de même qu’il semble pour le moins étrange de nous demander à nous-mêmes « qui a mal ? » lorsque nous pensons « j’ai mal ». C’est ce qu’a montré Wittgenstein dans Le cahier bleu et le cahier brun (1958/1996, pp. 123-128) lorsque, reprenant la distinction jamesienne entre les termes « je » et « moi » (James, 1890/2003), il a voulu souligner la différence qu’il y avait entre des énoncés dans lesquels le sujet se rapportait à lui-même comme sujet de conscience (c’est-à-dire de manière intransitive, en utilisant le terme « je ») et ceux où il se considérait comme un objet de conscience (c’est-à-dire de manière transitive, en employant le terme « moi »). Dans le second cas, il est possible en effet de se demander par exemple si le portrait photographique que nous voyons est bien le nôtre ou, mettons, celui d’un proche parent (« Qui est l’enfant sur cette image, est-ce moi ? »), et inversement : il peut nous arriver de prendre notre propre bras (lorsqu’il est engourdi) pour celui d’une autre personne (« Ah ! J’ai cru un instant que ce n’était pas mon bras »). En revanche, nous ne saurions nous tromper sur le fait que c’est bien nous qui pensons que ce portrait est le nôtre ou qui croyons, l’espace d’un instant, que ce bras appartient à un corps étranger (« j’ai cru que c’était moi » ; « j’ai pensé ce bras n’était pas le mien »).

À partir de ces remarques de Wittgenstein, Shoemaker (1968) a cherché à préciser la nature de ce phénomène sémantique, auquel il a donné le nom d’« immunité contre l’erreur d’identification relative au pronom de la première personne » (immunity to error through misidentification relative to the first-person pronoun). Elle se distingue d’autres formes d’immunité comme celles que nous avons mentionnées en 2.1.1 (immunité au doute, à la correction ou à la faillibilité) en ce sens qu’elle qualifie une particularité d’ordre sémantique plutôt qu’épistémique, puisqu’elle concerne la manière dont fonctionne la référence à soi au moyen des termes « je » ou « moi ». Une erreur d'identification se produit lorsque l'on sait qu’une chose particulière a est F et que l'on juge que b est F au motif que l'on croit à tort que a est identique à b. Ainsi, je peux savoir que la personne dont je vois la photographie (a) est un enfant (F) tout en jugeant à tort que c’est moi (b) qui suis cette personne (c’est-à-dire que a = b). Ici, j’ai donc mal identifié l’individu sur la photographie, bien que ma prédication « la personne sur cette photographie est un enfant » (ou « a est ») soit juste. Or, comme le montre Shoemaker, il semble que certaines pensées au sujet de soi (ce que Shoemaker appelle les I-Thoughts) ne puissent souffrir d’une telle erreur d’identification, à savoir : celles qui sont dirigées vers nos propres états mentaux et que nous produisons sur la base de l’introspection, ou celles qui portent sur notre corps et qui sont élaborées au moyen de la proprioception, contrairement aux jugements au sujet de soi que nous formulons à l’aune de la perception, de la mémoire ou du témoignage d’autrui. Aussi puis-je prendre par inadvertance mon propre reflet pour quelqu’un d’autre, ou croire que c’est moi que l’on appelle tandis que l’on appelle un autre Alexandre. Mais il semble que je ne puisse pas me tromper au sujet du fait que c’est bien moi qui pense que je ne suis pas cette personne, ou qui crois être appelé — l’immunité touchant donc à la source de ces jugements (ce sont mes jugements, cela est indubitable) et non aux jugements eux-mêmes, qui peuvent être erronés (j’avais tort, il s’agissait de mon reflet ; je me suis trompé, on appelait quelqu’un d’autre).

Il existe en réalité au moins deux manières de défendre la thèse d’une immunité à l’erreur d’identification des jugements en première personne. La première, qui est aussi la plus modérée, correspond à celle introduite par Wittgenstein (1958/1996). Elle consiste à soutenir que les pensées au sujet de soi, lorsqu’elles sont produites à la première personne et concernent nos états mentaux, permettent d’identifier de manière systématique et infaillible le sujet de ces pensées, contrairement à celles qui usent d’autres pronoms personnels — et ce, bien qu’elles aient toutes la même forme prédicative (sujet, copule, prédicat). Les premières parviennent toujours à associer le bon sujet au bon prédicat, ce qui n’est pas nécessairement le cas des secondes. Ainsi, chaque fois que je pense que j’ai mal ou que je désire que p, il ne peut se faire que je ne sois pas celui qui a mal ou qui croit que p, quand je peux me tromper en pensant que Pierre a mal (tandis que c’est Paul qui souffre) ou que Pierre et Paul désirent p (alors que Paul désire en réalité q). L’autre version de cette thèse, plus radicale, consiste à soutenir que les pensées en première personne (les I-Thoughts) ont une structure différente des autres pensées, en ce sens qu’elles ne supposent aucune identification. Pour les tenants de cette conception de l’immunité contre l’erreur d’identification, nous n’avons pas besoin d’identifier le sujet de ces pensées (le « je ») pour savoir si, effectivement, j’ai mal ou si je crois que p. Plus encore, ces pensées ne dénotent tout simplement pas un possesseur, à la façon d’expressions comme « il pleut » ou « il fait beau » (Evans, 1982). Shoemaker adopte cette interprétation, en faisant valoir que si nos pensées en première personne supposaient une identification du type « (i) Je suis (ii) la personne qui est inquiète », comme c’est le cas des pensées en troisième personne par exemple (« Paul est la personne qui est inquiète »), alors il faudrait déterminer quel est le critère qui justifie l’identification (i), au risque de devoir recourir à une autre identification (« (i’) Je suis (i) le Je qui (ii) est celui qui a mal »), et ainsi de suite ad infinitum (Shoemaker, 1968, p. 558). Or soutenir que certaines pensées en première personne ne supposent aucune identification permet effectivement d’éviter cette difficulté.

Evans déploie un autre argument, qui va dans le sens de cette idée selon laquelle les pensées en première personne sont non-identifiantes (identification-free). Il compare les I-Thoughts aux Here-Thoughts (les pensées au sujet de l’ici) qui se forment également au moyen d’indexicaux. Pour lui, de la même façon que nous sommes déterminés à penser, par exemple, qu’il y a, ici, un chat sur le paillasson ou qu’un arbre se trouve ici devant nous dès lors que nous recevons, à travers la perception, des informations qui vont dans ce sens — et ce sans avoir besoin de spécifier le lieu exact que dénote le terme « ici » —, de même nous sommes disposés à penser « j’ai mal à la tête » ou « j’ai envie de chocolat » dès lors que se présente à notre esprit, par le biais cette fois-ci de l’introspection, l’information « mal de tête » ou « envie de chocolat ». Ce, là encore, sans que nous n’ayons à identifier le sujet de cette pensée en première personne. Plus largement encore, « nous n’avons qu’à faire une assertion au sujet du monde pour faire une assertion au sujet de soi » (Evans, 1982, p. 231) attendu qu’être en position d’affirmer que p, c’est toujours aussi pouvoir affirmer que « je crois que p » sans qu’il faille identifier ce que dénote ce « je » en question (Evans, 1982, p. 225-226). Dès lors, l’immunité à l’erreur d’identification n’est pas une particularité sémantique qui touche à la seule conscience que nous avons de certains de nos états mentaux (sens ii), mais également à la conscience que nous avons de nous-mêmes comme sujet conscient (sens i).

L’intérêt d’une analyse de l’usage des termes « je » et « soi », ainsi que des pensées en première personne, lorsque l’on cherche à appréhender la conscience de soi, c’est qu’elle peut nous aider à comprendre d’où vient par exemple l’idée que nous avons une âme, un monde intérieur (Wittgenstein, 1958/1996, p. 66), un soi (Peacocke, 1999, p. 283 ; Coliva, 2012) ou que sommes doués d’une identité personnelle qui perdure à travers le temps (Descombes, 2013, 2014). De même que les particularités sémantiques dont il a été question pourraient constituer une piste intéressante afin de rendre raison du sentiment d’intimité qui semble caractériser la relation que la conscience entretient avec ses propres états mentaux. Mais avant de prétendre pouvoir expliquer ces phénomènes, les partisans de la thèse de l’immunité contre l’erreur d’identification doivent montrer qu’elle constitue bien une caractéristique propre à la conscience de soi, et non un trait commun à plusieurs formes de conscience. En effet, certaines pensées qui n’ont pas la forme de la première personne du singulier semblent elles aussi immunisées contre l’erreur d’identification — et même ne requérir aucune identification —, comme c’est le cas de celles qui portent sur l’état de notre corps (voir la section 3.2) ou des jugements fondés sur la perception (voir notamment Evans, 1982, chap. 6 : pour des éléments de réponse, voir Pryor, 1999 ; de Vignemont, 2012). Une autre difficulté, plus épineuse encore, nous conduit à nous demander si l’immunité contre l’erreur d’identification est une caractéristique de la conscience de soi, puisqu’il semble que certaines pensées en première personne ne bénéficient pas d’une telle immunité : pensons par exemple aux différents cas d’illusions en première personne comme celui, fameux, de la main en caoutchouc, introduit par Botvinick et Cohen (1998 ; pour d’autres exemples, voir Evans, 1982, §5.4 et §7.6).

À quelles conditions peut-on considérer qu’un individu est conscient de lui-même ?

Les différents types d’expériences de conscience de soi que nous avons évoqués dans la section 3 relèvent de conditions spécifiques : les sens de l’agentivité et de la propriété par exemple semblent intimement liés au fait que nous ayons un corps, voire un certain type de corps ; tandis que les phénomènes de conscience réflexive de soi supposent des capacités cognitives particulières. Et il en va de même des traits caractéristiques dont il vient d’être question (section 4), qui impliquent tantôt des compétences cognitives spécifiques, tantôt des propriétés et peut-être des dispositions corporelles spéciales. Aussi, une manière de comprendre ce qu’est la conscience de soi pourrait consister à élucider quelles sont ses conditions de possibilité, ce qui est également un moyen de déterminer quels sont les individus dont nous pouvons dire qu’ils sont conscients d’eux-mêmes. Deux principales conditions ont été proposées : des conditions étendues et des conditions élémentaires de la conscience de soi.

Les conditions étendues de la conscience de soi

Si l’on considère que la conscience de soi suppose une reconnaissance de soi par soi non seulement explicite, mais élaborée au moyen de pensées qui ont une forme propositionnelle et usent de concepts comme « je » ou « moi », alors notre exigence pour attribuer à un individu la conscience de soi sera élevée — du moins quant à ses facultés cognitives. Ainsi a-t-on pu considérer que la conscience de soi implique la métacognition, c’est-à-dire la capacité pour un sujet à penser ses propres pensées, à saisir, disposer et interroger ses états mentaux, mais aussi les processus cognitifs à la faveur desquels ils s’articulent (Proust, 2013). C’est le cas, typiquement, des phénomènes qui relèvent de la conscience de soi réflexive (3.1) comme celui qui consiste à former des pensées de second ordre ou d’ordre supérieur (voir Rosenthal, 1986 ; Frankfurt, 1999) afin d’évaluer, par exemple, le niveau de certitude de ses croyances, ou produire une discrimination entre ses désirs. Cela revient à dire que pour être conscient de lui-même, le sujet doit être un « raisonneur critique » (Burge, 1996), capable de reconnaître ses raisons non seulement comme des raisons, mais comme ses raisons, qu’il soumet — peut-être plusieurs fois — à un examen critique. Si cette disposition à produire de tels raisonnements est, pour Burge, une condition nécessaire de la conscience de soi, c’est parce qu’elle fonde la possibilité pour un sujet de s’attribuer une attitude (une croyance, un désir, une intention) ou un acte, au moyen de raisons ou motifs qui les justifient, de sorte qu’il puisse se les approprier. Sans doute est-ce également en vertu du rôle qu’elle semble jouer au niveau pratique, comme l’ont montré Moran (2001, chap. 2) et Korsgaard (1996), insistant tous deux sur l’implication de ce type de raisonnements dans la délibération, lors de laquelle « tout se passe comme s'il y avait quelque chose au-delà de tous vos désirs, quelque chose qui est vous, et qui choisit sur quel désir agir » (Korsgaard, 1996, p. 100).

Toutefois, la capacité à produire des raisonnements critiques sur nos états et processus mentaux n’épuise pas la métacognition : d’autres processus métacognitifs pourraient se présenter comme des conditions requises de la conscience de soi. Il en va ainsi par exemple de la mémoire, au moyen de laquelle un individu peut non seulement savoir qu’il sait (c’est-à-dire qu’il dispose d’une information au sujet de telle chose ou tel événement, quand bien même elle ne lui serait pas immédiatement accessible d’ailleurs), mais encore s’identifier lui-même à travers différents moments, comme l’auteur d’actions ou d’attitudes passées. On l’a vu, cette disposition réflexive de l’esprit que constitue la mémoire (notamment la mémoire épisodique) est souvent présentée comme une condition nécessaire voire suffisante de la conscience de soi (voir la section 3.1). On pourrait considérer, cependant, que si cette disposition métacognitive est une condition nécessaire de la conscience de soi, elle ne suffit pas, pour autant, à en rendre raison. Ainsi Nelson fait-il remarquer que « les souvenirs épisodiques eux-mêmes ne permettent pas de distinguer le sujet du contenu du souvenir », attendu « [qu’]il n'y a pas de contenus indépendants des activités et des intérêts de l'individu », si bien que « le moi est implicite dans chacun de ces souvenirs, sans être manifeste » (Nelson, 2007, p. 186). Il semble que nous retrouvions ici l’argument des sceptiques vis-à-vis de la notion de soi (section 2.3), selon lequel la conscience de soi n’est pas celle d’une chose — le soi — mais consiste pour l’esprit à se représenter ses expériences d’une certaine manière, à savoir comme si elles étaient celles d’un être substantiel. Or une telle représentation prend généralement la forme d’un discours sur soi, au moyen duquel nous articulons nos divers états mentaux, à commencer justement par nos souvenirs (on parle alors de mémoire autobiographique : voir la section 3.1). Selon la théorie narrative du soi, le soi est un objet de discours, et la conscience de soi consiste d’abord en un processus de narration à travers lequel nous construisons notre identité et la personne que nous sommes. Plus précisément, elle est une « interprétation » (Ricœur, 1986, p. 29 ; Dennett, 1992, p. 105) des données conscientes auxquelles elle confère une unité. Aussi sommes-nous pour Dennett (1992, p. 106) des « romanciers virtuoses », qui font que ces données tirées de nos expériences ou de nos comportements épars se trouvent liées en un tout cohérent, devenant alors « une bonne histoire » qui sera notre autobiographie, dont le personnage principal est le soi (self). Ricœur, quant à lui, considère que le rapport du sujet à lui-même est une « herméneutique » (1990, p. 15) médiatisée par des récits, qui sont autant de modèles de configurations narratives au moyen desquels l’individu se procure les ressources nécessaires afin de rendre intelligible — pour lui-même comme pour les autres — sa vie mentale et ses actions, précisément comme une vie mentale et comme les actions d’un sujet (voir également MacIntyre, 1981/2014, chap. XV). Cela revient à dire que la conscience de soi est conditionnée par des compétences linguistiques et conceptuelles qui rendent possibles ces pratiques narratives et la référence à soi.

Or ces pratiques narratives ne renvoient pas à de simples soliloques que les individus entretiendraient avec eux-mêmes, et pour eux seuls. La narration de soi s’inscrit et se déploie plutôt dans un environnement social où les sujets sont amenés à rendre compte de leurs actions et de leurs intentions, notamment en présentant des raisons d’agir ou d’adopter telle ou telle attitude. Plus encore, les configurations narratives qui structurent le récit de soi sont elles-mêmes tirées de l’environnement social de l’individu (Ricœur, 1990 ; MacIntyre, 1981/2014). Tout se passe alors comme si les conditions cognitives et métacognitives de la conscience de soi évoquées jusqu’ici n’étaient pas suffisantes, et devaient être complétées par une autre, à laquelle elles sont intrinsèquement liées : la disposition des individus à avoir des interactions sociales (on parle de cognition sociale : Fiske et Taylor, 1991). Cette idée selon laquelle la conscience de soi suppose toujours d’être conscient à la fois de son environnement social et d’autrui, renvoie à la conception relationaliste (relationalist view) qui considère que la conscience de soi s’acquiert au contact d’autrui et à mesure des échanges que nous avons avec lui. Cela suppose que nous disposions de compétences cognitives sophistiquées, puisque de telles interactions impliquent la maîtrise de certains concepts particulièrement complexes (Hutto et Ilundáin-Agurruza, 2018). Mais cette hypothèse est également défendue par des partisans de la théorie de l’esprit (theory of mind), qui soutiennent que la conscience de soi ne précède pas notre capacité à attribuer des états mentaux aux autres individus : plutôt est-elle une forme de théorie de l’esprit, qui consiste à s’attribuer des états mentaux, comme nous en attribuons à autrui (Gopnik et Meltzoff, 1997). Autrement dit, la conscience de soi et celle d’autrui seraient sinon contemporaines, du moins intrinsèquement liées : il s’agirait des deux faces d’une même pièce ou plutôt, de deux aspects d’un même processus métacognitif qui permet de penser des états mentaux — tantôt comme les siens, tantôt comme ceux d’un autre individu (Mead, 1934 ; Gallese, 2005) —, de sorte que la conscience de soi n’apparaisse jamais que par contraste avec celle que nous avons d’autrui. Il semble que l’on retrouve ici la vision hégélienne de la conscience, et la lecture qu’en font Kojève (1947) ou Honneth (1995/2013) selon laquelle la conscience de soi passe d’abord par celle de l’altérité, et prend la forme d’une lutte pour la reconnaissance (voir Hegel, 1807/1941, sect. A, chap. IV). Mais il est possible de défendre une version moins ambitieuse de la conception relationaliste de la conscience de soi, en soutenant qu’elle ne requiert pas des compétences cognitives aussi développées que celles décrites par Hutto et Ilundáin-Agurruza, par exemple. Certains travaux en psychologie du développement semblent montrer en effet que la conscience de soi commence avec l’intersubjectivité, et ce dès les premières heures qui suivent la naissance (Carruthers, Fletcher et Ritchie, 2012). Ainsi, les phénomènes d’imitation, de régulation des émotions ou de direction de l’attention que l’on peut observer chez les nourrissons lorsqu’ils sont au contact d’adultes suggèrent-ils que les relations intersubjectives jouent un rôle décisif au cours du développement de la conscience de soi (Meltzoff et Moore, 1977 ; Rochat, 2011).

Ces conditions valent donc pour une conception riche ou élevée de la conscience de soi : celle qui veut que l’individu entretienne des pensées plus ou moins complexes à propos de lui-même. Elles ne sont d’ailleurs pas exemptes de critiques. Ainsi, les différents tests dont nous disposons pour évaluer les compétences métacognitives des sujets (notamment chez les très jeunes enfants ou les animaux non-humains) font l’objet de nombreuses controverses (Hampton, 2009 ; Kornell, 2014). Plus encore, si l’on considère que ces conditions sont nécessaires — sans être pour autant suffisantes — afin d’attribuer à un individu la conscience de soi, alors il nous faut tenir à l’écart de l’ensemble des êtres conscients ceux qui sont démunis de l’une de ces capacités au moins, parmi lesquelles nous avons compté la faculté de produire un récit de soi. En sorte qu’il faille renoncer à reconnaître la conscience de soi chez des individus incapables de produire un discours intelligible au sujet de leurs états mentaux ou de leurs expériences, ce qui semble pour le moins discutable au regard d’un certain nombre d’études menées sur la conscience animale, par exemple (voir Gallup, 1970). De la même façon, doit-on considérer qu’une personne qui souffre de troubles de la mémoire est par conséquent dépourvue de conscience de soi ? Et comment éviter la régression à l’infini lorsque l’on adopte l’hypothèse de pensées d’ordre supérieur, pour en faire une condition nécessaire de la conscience de soi (voir la section 3.1) ? Ces difficultés ont conduit des philosophes et des chercheurs en sciences cognitives sinon à récuser ces critères, du moins à ne pas en faire des conditions sine qua non pour considérer qu’un individu est conscient de lui-même, et à proposer des conditions de la conscience de soi plus élémentaires.

Les conditions élémentaires de la conscience de soi

Une première stratégie consiste à faire reconnaître le seul fait d’être conscient — c’est-à-dire d’être non seulement en état d’éveil mais aussi en capacité d’accéder à des informations relatives à certains phénomènes donnés — comme une condition élémentaire, nécessaire mais aussi suffisante de la conscience de soi. Cela revient à soutenir que toute conscience est toujours conscience de soi, sans qu’il n’y ait besoin que le contenu de conscience (ce dont nous avons conscience) soit la conscience elle-même, l’individu ou le soi. Nous avons déjà rencontré cette thèse chez ceux qui défendent l’existence d’une forme préréflexive de la conscience de soi, notamment à travers l’idée selon laquelle la conscience de soi serait un mode de présentation — et non un contenu représentationnel — de l’expérience consciente en général (voir la section 3.2). On peut donc vouloir considérer qu’elle est au fondement de toute expérience consciente, comme sa condition : une expérience ne serait ainsi consciente qu’à condition qu’elle se présente au sujet comme son expérience, et porte par conséquent la marque de la subjectivité. Cela, sans pour autant qu’il faille supposer des compétences cognitives d’ordre supérieur, comme c’est le cas des conceptions réflexives de la conscience de soi, à l’instar de celle que développe Rosenthal. Sur quoi peut alors reposer cette conscience minimale de soi, si ce n’est justement sur des compétences cognitives supérieures comme la réflexion ?

Une réponse possible consiste à faire valoir le rôle des sensations corporelles, en tant qu’elles assurent une forme élémentaire de conscience de soi. En effet, elles permettent non seulement de distinguer son corps d’autres corps (c’est-à-dire de différencier ce qui est soi de ce qui n’est pas soi) mais, plus fondamentalement encore, de s’éprouver comme ayant un corps ou certaines propriétés corporelles, à l’occasion d’expériences comme la douleur, la faim, mais aussi la sensation de chaleur, de mouvement ou de perte d’équilibre (Neisser, 1992 ; Bermúdez, 1998). Nous retrouvons ici les deux principaux sens qui sont au fondement de la conscience préréflexive de soi (voir la section 3.2), à savoir celui de la propriété et celui de l’agentivité, dont il semble qu’on puisse les reconduire à des propriétés de l’expérience corporelle (voir Martin, 1995 ; de Vignemont, 2007). Que faut-il alors entendre exactement par « propriétés de l’expérience corporelle » ?

Pour les phénoménologues, ces propriétés ne sont pas celles du corps physique, entendu comme objet donné à la conscience à la façon d’autres objets du monde : ce sont celles du corps vécu ou corps propre (leib), qui est au cœur de l’expérience phénoménale à travers laquelle nous prenons conscience du monde ainsi que (simultanément) de nous-mêmes, et qui doit être considéré comme un corps-sujet plutôt qu’un corps-objet (korper) que l’on peut décrire en troisième personne (voir Husserl, 1913/1985 ; Merleau-Ponty, 1945). À partir des travaux de Merleau-Ponty (1945), Varela, Thompson et Rosch (1991) ont introduit le concept d’énaction (enaction) afin de décrire la manière dont l’expérience consciente et la cognition sont déterminées par des interactions entre l’organisme et ses propriétés corporelles d’un côté, et l’environnement dans lequel il évolue de l’autre. Pour les partisans de la conception énactiviste de l’esprit, le corps joue donc un rôle décisif non seulement en ce qui concerne nos actions, mais encore dans notre vie mentale — qu’il s’agisse de processus mentaux élémentaires comme ceux qui rendent possible la perception, ou d’autres bien plus complexes qui sous-tendent la conscience réflexive de soi par exemple. Parmi les nombreuses hypothèses qui découlent de la théorie énactiviste se trouve celle de l’énactivisme autopoïetique (autopoietic enactivism), selon laquelle les organismes sont capables d’autocontrôle (self-maintaining) et d’autorégulation (self-regulating), de sorte qu’ils puissent à la fois agir sur et s’adapter à leur environnement, sans devoir recourir à des capacités cognitives d’un ordre supérieur (Di Paolo et Thompson, 2014). En effet, ces facultés préréflexives que décrivent les énactivistes pourraient reposer sur le sens de l’intéroception, qui permet de détecter et sentir les états qui se produisent à l’intérieur du corps : on parle d’ailleurs de conscience intéroceptive. Plusieurs études tendent à montrer que ce sens est altéré chez les personnes sujettes à des troubles psychiques comme la schizophrénie, le désordre de la personnalité multiple (Sedeño et al., 2014) ou la dépression sévère (Furman et al., 2013 ; Harshaw, 2015), qui nuisent à l’intégrité et à l’unité de la conscience des individus — on parle parfois de trouble du soi ou de la conscience de soi (Metzinger, 2003). Les patients atteints de schizophrénie par exemple ont des difficultés à détecter des signaux internes à leur corps, ou à se les attribuer à eux-mêmes, ce qui affecte non seulement la conscience qu’ils ont de leurs propres états mentaux, mais plus largement leur intégrité psychique (Ardizzi et al., 2016).

Mais ces conditions préréflexives que décrivent les énactivistes tiennent également à l’extéroception — c’est-à-dire à l’ensemble des sensations somatiques causées par des stimuli extérieurs à l’organisme — qui joue un rôle particulièrement décisif, cette fois-ci, pour le sens de l’agentivité. Cela apparaît de façon prégnante dans les études menées sur la conscience et son développement chez les nouveau-nés. On s’entend en effet pour considérer que si les nourrissons n’ont pas une image mentale de leur corps, c’est-à-dire une représentation objective de celui-ci, pas plus qu’ils n’ont de conscience élaborée de l’espace semblable à celle des adultes ou même des enfants d’un âge plus avancé, ils ont toutefois un schéma corporel, c’est-à-dire une représentation subjective de leur corps, qu’ils peuvent situer dans l’espace et distinguer d’autres corps. C’est ce que montre leur capacité à s'orienter vers les affordances significatives de leur environnement, ou à réajuster leur posture afin de favoriser une action (cf. Ball et Tronik, 1971 ; Jouen et Gapenne, 1995). Plus encore, les nouveau-nés sont très vite capables d’imiter certaines expressions faciales (Meltzoff et Moore, 1977), ce qui pourrait signifier qu’ils ont effectivement une conscience minimale à la fois de leur propre corps, mais peut-être aussi déjà de ceux des individus qui les entourent et qui leur sont semblables. Toujours est-il que la perception du monde au moyen de l’extéroception apparaît à son tour comme une modalité fondamentale de la conscience de soi (Gibson, 1979 ; Neisser, 1988), si bien que l’on pourrait vouloir reconnaître chez des organismes doués d’un tel sens, ainsi que du sens de l’intéroception, une forme minimale de conscience de soi. Du moins sommes-nous en droit de penser qu’il s’agit là de conditions primordiales pour l’acquisition de compétences cognitives plus complexes comme celle qui consiste à former des pensées d’ordre supérieur (Gallagher, 2005, chap. X), dont on a vu qu’elles peuvent être considérées comme une modalité déterminante pour la conscience de soi réflexive.

Un réductionniste pourrait toutefois faire remarquer qu’une telle description n’est pas vraiment celle des conditions les plus élémentaires de la conscience de soi — que l’on parle de conscience de soi préréflexive ou réflexive d’ailleurs. Car parler du sens de la propriété ou de l’agentivité, et plus généralement du sens de soi dans les termes que nous avons adoptés jusqu’ici, revient à décrire ces phénomènes sans nécessairement les expliquer, et donc sans rendre raison des causes de cette phénoménologie de la conscience de soi. Or des chercheurs en sciences cognitives ont justement voulu déterminer quelles pouvaient être les conditions physiques de la conscience de soi, en tentant d’identifier un réseau neuronal dédié à cette activité de l’esprit. Ainsi, Northoff et ses collègues (2004) ont-ils mis en avant un modèle selon lequel les processus de traitement des informations relatives à soi sont produits par les structures corticales médianes (et plus précisément, par l'activation du cortex préfrontal ventromédian particulièrement actif lorsque les sujets pensent à eux-mêmes), ce que semblent corréler des études comme celles de Stuss et son équipe (2001), qui révèlent une concomitance entre la présence de lésions du cortex préfrontal ventromédian et des déficits dans la capacité à élaborer des pensées d’ordre supérieur de type se souvenir de soi, penser à soi ou planifier pour soi. D’autres chercheurs, sans nécessairement rompre avec ce modèle, insistent sur des processus cérébraux différents, comme c’est le cas par exemple de Platek et ses collègues (2002), pour lesquels le traitement de l'information relative à l'individu (comme la mémoire autobiographique ou l’identification du visage) est lié à l'activité dans le cortex frontal droit. De manière peut-être plus significative encore, Fossati et son équipe (2003) considèrent que les sentiments de continuité et d'unité de la conscience, ainsi que ceux d’avoir un corps propre, sont liés à l’activité du cortex préfrontal intérieur dans les deux hémisphères. Ces descriptions empiriques semblent alors donner à voir les conditions les plus élémentaires de la conscience de soi — qu’il s’agisse de celle dont nous faisons l’expérience de manière préréflexive ou réflexive — au moyen desquelles nous pourrions d’ailleurs distinguer des degrés de conscience de soi : ou bien un individu n’est doté d’aucun de ces réseaux cérébraux (absence de conscience de soi), ou bien il est pourvu d’un système plus ou moins complexe comme celui que possède un adulte humain non-pathologique (conscience de soi préréflexive et minimale ; conscience de soi réflexive et élaborée).

Toutefois, face aux nombreux modèles que l’on présente comme décrivant la structure neurophysiologique fondamentale de la conscience de soi, nous sommes en droit de demander s’ils sont véritablement spécifiques à la conscience de soi, ou s’ils déterminent plus largement des fonctions mentales qui peuvent jouer un rôle important dans la conscience qu’un individu a de lui-même, sans pour autant se confondre avec une telle conscience. Ainsi, s’il est vrai que le cortex préfrontal médian joue un rôle dans la capacité qu’ont les individus à formuler des jugements à leur propre sujet, il est également actif lorsque nous produisons des jugements au sujet d’autres personnes, et même de choses en général (voir Fonlupt, 2003 ; Fangmeier et al., 2006). Les neuroscientifiques n’ignorent d’ailleurs pas cette difficulté, à l’instar de Legrand et Ruby (2009) qui ont découvert un réseau neuronal systématiquement actif pour toutes les fonctions relatives à la conscience de soi (la connaissance autobiographique de soi, les pensées relatives à soi, la reconnaissance de son propre visage, etc.). Ils se demandent alors : faut-il conclure qu’il s’agit là du système cérébral spécifique à soi (self-specific), c’est-à-dire dédié à l’identification du sujet par lui-même ? Pas vraiment, répondent Legrand et Ruby, car il apparaît en fait que ce réseau a une fonction primordiale : l’évaluation, avec laquelle nous ne saurions confondre la conscience de soi pour des raisons empiriques d’abord, puisque ces processus cognitifs, s’ils sont sollicités lorsque nous nous considérons nous-mêmes, sont également mobilisés lorsque nous portons notre attention sur d'autres personnes ou sur des objets ; pour des raisons théoriques ensuite, puisqu’une telle réduction de la conscience de soi à la fonction d’évaluation pourrait nous faire manquer une partie de ce que dénote la conscience de soi, à savoir sa dimension phénoménale que supposent les sens de l’agentivité ou de la propriété par exemple. De manière plus générale encore, la question de savoir s’il est légitime de corréler des fonctions cognitives décisives pour la conscience de soi à l’activation des systèmes neuronaux dédiés demeure ouverte, comme le soulignent Gillihan et Farah (2015), qui montrent que pour une même fonction (comme la reconnaissance de son propre visage), selon la méthode appliquée ainsi que le groupe de sujet étudié, différentes régions du cerveau seront concernées. Mais au-delà de ces discussions relatives à possibilité ou à l’impossibilité de réduire les conditions fondamentales de la conscience de soi à un système neuronal spécifique, le débat demeure ouvert pour ce qui est de savoir si l’on peut se satisfaire de ces conditions pour attribuer à un sujet la conscience de soi. En effet, considérer ainsi que les conditions minimales que nous venons de présenter suffisent pour attribuer à un individu la conscience de soi, cela suppose d’adopter une conception très libérale de cette notion, au risque que l’on ne puisse plus la distinguer d’autres phénomènes conscients (voir Harman, 1990).

Conclusion

Si la conscience de soi n’est pas une notion nouvelle, elle demeure l’objet de vives discussions aujourd’hui encore, dont nous avons essayé ici de montrer à la fois la diversité et l’unité, tant au regard des problèmes qui les animent que de la tradition philosophique dans laquelle elles s’inscrivent.

Sans doute l’une des grandes difficultés qui se présente à celui qui cherche à déterminer ce qu’est la conscience de soi tient au fait qu’elle est à la croisée d’autres concepts fondamentaux, comme celui de « conscience », d’« identité personnelle » ou encore du pronom personnel « je » et de la notion de « soi », qui sont eux-mêmes au cœur de débats philosophiques intenses.

Faut-il en conclure, pour autant, que la conscience de soi ne saurait constituer un objet de recherche à part entière, si bien que toute enquête à son sujet sera vaine à moins d’être reconduite à l’étude particulière tantôt de l’un, tantôt de l’autre de ces concepts ? Au terme de cet article, il semble que nous puissions répondre que ce n’est pas le cas, et que malgré les incursions dans divers domaines (la philosophie de l’esprit et du langage, les discussions épistémologiques et les travaux en sciences cognitives, etc.) qu’une telle enquête suppose, et malgré les nombreuses difficultés qu’elle soulève — et peut-être, à vrai dire, du fait de ces difficultés —, la conscience de soi constitue un objet philosophique et scientifique spécifique qui mérite d’être étudié et discuté pour lui-même.

 

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