Ville (A)

Comment citer ?

Bonicco-Donato, Céline (2017), «Ville (A)», dans Maxime Kristanek (dir.), l'Encyclopédie philosophique, consulté le ..., https://encyclo-philo.fr/descartes-gp

Publié en septembre 2017

Résumé

Alors que la majorité des habitants de la planète sont des citadins et qu’il existe un ensemble de connaissances provenant de différentes sciences humaines structurées autour de cet objet, connu dans le monde anglo-saxon sous le nom d’Urban Studies et dans le monde francophone sous celui d’études urbaines, la ville n’a pas fait l’objet d’une attention soutenue de la part des philosophes, à l’exception notable d’Henri Lefebvre qui, il est vrai, n’a cessé de dénoncer la place négligeable accordée à la ville par sa discipline. Le plus souvent, la ville apparaît moins comme l’objet d’une analyse spécifique s’efforçant de construire une philosophie de la ville, que comme un simple détour heuristique afin d’éclairer des concepts plus complexes, figurer des notions abstraites ou encore exemplifier des thèses générales. Elle est ainsi mobilisée dans des analyses célèbres de l’histoire de la philosophie, que ce soit chez Platon, Descartes ou Rousseau, mais toujours de manière marginale dans une perspective pédagogique.

Est-ce à dire que la ville ne soit pas une notion philosophique ? Nullement, en effet son usage, si secondaire et instrumental soit-il, montre qu’elle pose des questions essentielles à la philosophie en l’invitant à renouveler un certain nombre de ses schèmes conceptuels. Intéressant aussi bien la philosophie politique et morale que l’esthétique, elle met en évidence que les jeux de pouvoir, la moralité des individus et l’épanouissement de leur personnalité, ainsi que la qualité des expériences que nous pouvons vivre, gagnent à être analysés en étant ressaisis dans des ensembles de pratiques situées et contextualisées, liées à une certaine organisation sociale et matérielle. En ce sens, la ville constitue une forme de vie au sens wittgensteinien, incitant à complexifier et à pluraliser les essentialismes réducteurs et monolithiques. Les philosophes ont alors tout intérêt à se pencher sur les travaux élaborés en sociologie et en géographie urbaines pour repenser avec elles un certain nombre de concepts classiques dans leur discipline et s’emparer d’un état de fait contemporain : l’urbanisation de la planète, en montrant qu’ils ont quelque chose à en dire de spécifique. La réalité « ville » possède une conceptualité propre que la philosophie peut contribuer à élaborer.

Quels problèmes théoriques se dégagent des usages analytiques de la notion de ville que l’on trouve dans l’histoire de la philosophie antérieure au XXème siècle ? Comment la métropolisation des sociétés occidentales à l’époque contemporaine a-t-elle conduit certains philosophes, de manière marginale mais assumée, à faire de la ville un objet philosophique de plein droit ? Quelles contributions la philosophie peut-elle alors apporter au champ des Urban Studies ?


Table des matières

1. Des implications à tirer des usages heuristiques de la ville dans l’histoire de la philosophie

a. Miroir grossissant dans La République de Platon

i. Entre la cité et l’âme, un rapport d’homothétie

ii. Organisation spatiale, organisation sociale : une question de justice

b. Métaphore dans Le discours de la méthode de Descartes

i. Les règles d’urbanisme, substituts analogiques aux règles de la méthodeii. Planification et régularité : des enjeux politiques de l’esthétique urbaine

c. Cas particulier dans l’Emile de Rousseau

i. Modèle réduit de l’influence délétère de la civilisationii. Cadre de vie, situation et moralité

2. La promotion philosophique de la ville au XXème siècle : individualisme, fantasmagorie et pouvoir

a. La ville comme forme expressive de la vie moderne

i. Simmel et Berlin

ii. Walter Benjamin et les passages parisiens

b. La ville et les espaces du pouvoir

i. La ville disciplinaire

ii. La ville sécuritaire

3. Au carrefour de la politique, de l’éthique et de l’esthétique, penser philosophiquement la ville contemporaine

a. Conditions matérielles de l’individualisation et spatialisation de la justice

b. Politique des ambiances dans la ville néo-libérale

Conclusion

Bibliographie


1. Des implications à tirer des usages heuristiques de la ville dans l’histoire de la philosophie

Que la ville, avant le XXème siècle, n’ait pas retenu de manière privilégiée l’attention des philosophes n’exclut pas un certain usage de la notion dans des textes canoniques de l’histoire de la philosophie : les analyses des phénomènes urbains interviennent alors dans un souci heuristique pour appréhender des réalités difficilement saisissables de manière directe. A partir d’une typologie des situations dans lesquelles l’appel à l’étude de la ville apparaît obligatoire, il devient alors possible de comprendre les questions que pose l’urbain à la philosophie : celle du lien entre justice spatiale et justice sociale, celle des enjeux de pouvoir inhérents à la planification urbaine et enfin celle de l’influence de notre cadre de vie sur notre moralité et notre rapport à autrui.

a. Miroir grossissant dans La République de Platon

Si Platon s’intéresse à l’organisation de la cité idéale dans La République, c’est dans la mesure où elle constitue un miroir grossissant pour comprendre en quoi consiste la justice à l’échelle de l’individu. En effet, comme l’énonce Socrate dans le livre II, puisque la justice est un attribut non seulement de l’individu mais aussi de la cité toute entière, elle sera plus facile à étudier dans ce cadre plus vaste. Ainsi les protagonistes du dialogue chercheront-ils d’abord à comprendre la nature de la justice dans la cité avant de l’examiner dans l’individu, « de manière à apercevoir la ressemblance de la grande dans la forme de la petite » (Platon, 1966, p. 117).

i. Entre la cité et l’âme, un rapport d’homothétie

La République ne se penche donc sur la question de savoir comment une cité doit être organisée pour qu’y règne la justice que faute de pouvoir répondre directement à la question quand l’âme est en cause. De la cité juste à l’homme juste, la conséquence est bonne, en raison de l’identité de la forme justice, quels que soient les lieux dans lesquels elle se déploie, ce qui permet de parler d’un rapport d’homothétie entre la cité et l’âme humaine. La première apparaît ainsi comme un modèle de grande échelle pour comprendre en quoi consiste la justice. Elle n’est donc pas analysée en et pour elle-même par Platon mais comme un paradigme éclairant ou encore comme un substitut méthodologique pour résoudre une difficulté théorique.

La réponse platonicienne à la question des modalités devant régler l’organisation de la cité pour qu’y règne la justice est bien connue : chaque classe (classe dirigeante, classe des gardiens et classe des artisans et des hommes de négoce) doit accomplir la fonction qui convient à sa nature, de manière à ce que se produise dans la cité une unité d’ensemble à la place de la multiplicité, reposant sur la solidarité, la hiérarchie et l’intégration des fonctions distinctes. La première classe dont les membres sont choisis pour leurs dispositions philosophiques et leur sagesse doit délibérer et commander aux deux autres classes qui seront ses auxiliaires. La classe des gardiens dont le courage est la principale vertu la secondera pour protéger la cité et le territoire. La classe des artisans et des commerçants, gouvernée par ses besoins sensuels, devra pour sa part subvenir aux besoins élémentaires de nutrition et de conservation des deux autres. « La justice consiste à ne détenir que les biens qui nous appartiennent en propre et à n’exercer que notre propre fonction » (Platon, 1966, p. 186).

Cette analyse est-elle réitérable à l’échelle de l’âme individuelle ? Oui, dans la mesure où aux trois classes de la cité correspondent trois parties de l’âme qui, à l’instar de l’organisation précédente, seront justement ordonnées si chacune d’elle se borne à accomplir son rôle et ne prétend pas renverser la hiérarchie naturelle. L’âme est une cité de dimension réduite où le courage et les appétits sensibles doivent être gouvernés par la raison.

ii. Organisation spatiale, organisation sociale : une question de justice

Au-delà des questions que pose cette compréhension de la justice, notamment de ses implications sur les relations entre l’individu et la communauté, du type de société (hiérarchisée et inégalitaire) et d’organisation politique qu’elle engendre, est-il possible de dégager à partir d’elle un certain nombre de questions que la ville pose à la philosophie ? Peut-on indépendamment du protocole méthodologique mis en place par Platon, considérer que la nécessité dans laquelle il se trouve de recourir à l’analyse de la ville nous dit quelque chose de sa conceptualité propre et de la manière dont la philosophie peut s’en saisir de manière plus directe ?

Le premier indice permettant de répondre à cette question est l’influence du texte de Platon sur Thomas More et la rédaction de son Utopie, au XVIème siècle, présentant la description d’une société modèle s’opposant à la société anglaise de son temps, supportée par une organisation spatiale qui en est partie intégrante et nécessaire (Choay, 1980, p. 52). Si le texte de Platon s’avère extrêmement lacunaire sur l’urbanisme de la cité décrite dans La République, se contentant de préconiser une faible extension spatiale au livre IV et la suppression de la propriété privée au livre III avec la construction d’habitats partagés, et si Les lois, certes plus soucieuses de l’organisation spatiale, n’en font cependant pas l’objet premier d’une analyse qui se concentre avant tout sur les institutions et la législation, il n’en demeure pas moins que le philosophe grec montre le lien analytique qui existe entre sociétés et espaces.

Le texte platonicien met en évidence que l’on ne peut réfléchir aux exigences qu’une société doit satisfaire pour être qualifiée de juste, sans prendre en compte les conditions de vie des hommes. En effet, si sa perspective s’avère indiscutablement idéaliste puisqu’il s’agit bien pour lui de réfléchir à la Justice comme forme non localisée, il n’en demeure pas moins qu’il ne peut analyser la cité juste sans envisager, même de manière lacunaire et parcellaire, son organisation sociale. Or cette dernière implique inévitablement une dimension spatiale : la manière dont les hommes vivent, habitent et co-habitent, la manière dont ils peuvent circuler et échanger, la manière dont certains lieux leur sont ou non accessibles, etc., autant de questions qui affleurent dans La République sans avoir été directement posées pour elles-mêmes (voir Lefebvre, 2009, p.  39). En promouvant un modèle social à travers un modèle urbain, même si ce dernier ne fait pas l’objet d’une attention spécifique dans la mesure où l’analyse s’attache à comprendre l’idée de justice, Platon nous montre, malgré lui, que l’on ne peut penser l’un sans l’autre. Au-delà de l’essentialisme de sa perspective visant à proposer une définition universelle de la justice, dont la cité idéale n’est qu’un lieu de réalisation, le mérite de l’analyse platonicienne est de révéler en creux que la ville interpelle la philosophie en l’obligeant à penser l’articulation entre la justice sociale et ce qu’un géographe, Edward W. Soja, appelle la justice spatiale (Soja, 2000) : la justice entre les hommes possède une dimension spatiale pour autant que la matérialité du territoire contribue à organiser les relations sociales.

b. Métaphore dans Le Discours de la méthode de Descartes

Deuxième analyse fameuse de l’urbain dans l’histoire de la philosophie, le Discours de la méthode de Descartes déploie une métaphore entre la croissance des villes et l’élaboration des connaissances chez un individu. Ici encore, la critique de l’organisation morphologique des grandes villes n’intervient pas comme une analyse autonome montrant une conceptualité spécifique mais comme une image permettant de saisir l’imperfection d’un savoir constitué sans méthode par accumulation d’opinions provenant de différentes sources.

i. Les règles d’urbanisme, substituts analogiques aux règles de la méthode

Dans la deuxième partie du Discours de la méthode, Descartes veut montrer la nécessité de rejeter toutes les opinions tenues pour vraies que l’on n’aurait pas fondées soi-même rationnellement et donc par là-même la nécessité de se défaire de toutes les connaissances ou prétendues telles que l’on nous aurait apprises. Déployant un doute hyperbolique, il considère donc comme fausses toutes les opinions qui ne sont pas justifiées, bien qu’elles soient peut-être susceptibles de l’être, tant que cette démarche de légitimation n’aura pas été effectuée. De manière pédagogique, il prépare le lecteur à mettre en œuvre cette préconisation radicale en usant de différentes métaphores pour montrer que « souvent il n’y a pas tant de perfection dans les ouvrages composés de plusieurs pièces, et faits de la main de divers maîtres, qu’en ceux auxquels un seul a travaillé » (Descartes, 1953, p. 132). Entendons que l’édifice des connaissances détenues par un individu est chancelant dans la mesure où il est composé de multiples choses transmises par d’autres, qu’il n’a pas établies lui-même comme vraies mais simplement considérées comme telles sur la base d’une confiance injustifiée.

Le recours à la métaphore urbaine se fait dans cette perspective : nos connaissances, loin d’être à l’image d’une ville planifiée et bien organisée par un seul urbaniste (à l’instar de la ville de Richelieu construite ex nihilo en Indre et Loire au XVIIème siècle, ou de Chandigarh et Brasilia dont la conception fut projetée au XXème siècle respectivement par Le Corbusier et Lucio Costa) se révèlent bien plus proches de la ville palimpseste décrite par le philosophe Olivier Mongin, formée de différentes strates spatiales et temporelles, fruits de diverses collaborations et de multiples aléas, se superposant les unes sur les autres sans jamais disparaître (Mongin, 2007). Or Descartes discrédite ce modèle urbain qui correspond à l’évolution de la plupart des villes au nom de son esthétique : cette croissance au fil du temps et du hasard, mobilisant différents acteurs sans répondre à un plan précis, produit un résultat désordonné et laid, ceci entraînant cela.

« Ainsi voit-on que les bâtiments qu’un seul architecte a entrepris et achevés ont coutume d’être plus beaux et mieux ordonnés que ceux que plusieurs ont tâchés de raccommoder, en faisant servir de vieilles murailles qui avaient été bâties à d’autres fins. Ainsi ces anciennes cités qui, n’ayant été au commencement que des bourgades, sont devenues par succession de temps de grandes villes, sont ordinairement si mal compassées, au prix de ces places régulières qu’un ingénieur trace à sa fantaisie dans une plaine, qu’encore que, considérant leurs édifices chacun à part, on y trouve souvent autant ou plus d’art qu’en ceux des autres, toutefois, à voir comme ils sont arrangés, ici un grand, là un petit, et comme ils rendent les rues courbées et inégales, on dirait que c’est plutôt la fortune que la volonté de quelques hommes usant de raison qui les a ainsi disposés » (Descartes, 1953, p. 133).

La croissance ordinaire des villes, leur extension souvent hasardeuse soumise à différentes facteurs économiques, historiques et individuels, en lieu et place de normes bien établies, pensées en amont et déployées de manière méthodique, se voit fustigée par Descartes au nom des irrégularités qu’elle produit. Loin d’apparaître comme la concrétisation d’un plan conçu de manière rationnelle dans lequel chaque détail a été pensé et anticipé, les villes sont l’émanation d’une succession de causes se conjuguant les unes aux autres sans nécessité logique, ce qui se ressent dans leur morphologie, qui se voit disqualifiée en raison de la diversité désordonnée de ses formes. Le développement anarchique des villes et ses résultats pernicieux apparaissent comme une métaphore des connaissances qu’un individu possède sans les avoir fondées lui-même en raison, se contentant d’ajouter des opinions apprises et transmises par d’autres les unes aux autres. Le savoir des individus est à l’image de ces juxtapositions de bâtiments sans règles ni méthode qui forment les grandes villes.

ii. Planification et régularité : des enjeux politiques de l’esthétique urbaine

Quelles leçons tirer de cette métaphore cartésienne ? Est-il possible de dégager du recours pédagogique que fait Descartes à la question de la planification urbaine des éléments plus généraux susceptibles de contribuer à l’élaboration d’une philosophie de la ville ? L’élément fondamental réside dans son jugement très négatif sur la croissance ordinaire des villes lorsqu’elle n’est pas pensée et encadrée par ce que l’on appelle en urbanisme un schéma directeur.

La ville, constate-t-il, est fondamentalement le lieu du désordre, le résultat toujours provisoire de différents facteurs se conjuguant de manière aléatoire sans obéir à une logique supérieure. Elle évolue et se modifie au fil du temps et de l’histoire, des décisions individuelles et collectives, et porte la marque dans sa morphologie des multiples hasards qu’elle a traversés : styles architecturaux qui cohabitent de manière plus ou moins heureuse, monuments témoins d’une splendeur passée ou stigmates d’événements tragiques, aménagements obsolètes qui n’ont de sens que replacés dans le contexte qui les a fait naître, autant de strates, de juxtapositions et de recompositions qui dessinent un paysage urbain prolifique et hétéroclite. Descartes ne s’y trompe pas : la ville incarne le caractère irrationnel de l’histoire et de la manière dont les hommes s’organisent pour vivre ensemble sur un territoire.

Or cette irrationalité se voit disqualifiée de manière assez étonnante pour des raisons esthétiques et non pas fonctionnelles : le désordre est laid. Loin d’être perçue comme le support potentiel de l’aventure, que décriront de manière magistrale Simmel (Simmel, 2004, p. 217 sq.) et les sociologues de l’école de Chicago (Grafmeyer et Joseph, 2004), cette absence d’aménagement planifié et rationalisé est appréhendée comme un défaut auquel il faut remédier. De la même manière que l’édifice chancelant de nos connaissances en appelle à une méthode digne de ce nom, les villes demandent à être réformées : il faut les mettre en ordre. Si cette assertion ressort bien évidemment à l’esthétique dite classique, elle se révèle également porteuse d’enjeux politiques qui méritent d’être pris au sérieux pour comprendre le rêve de planification et de maîtrise de l’objet urbain porté par les théories de l’urbanisme.

Dans l’équivalence établie par Descartes entre régularité et beauté retentit l’analyse développée par Aristote dans sa Métaphysique (Aristote, 1986, p. 239) : « Les formes les plus hautes du beau sont l’ordre, la symétrie, le défini, et c’est là surtout ce que font apparaître les sciences mathématiques ». Ces critères d’ordre, de mesure et de proportion sont retenus dans l’esthétique classique et font signe vers une compréhension objective de la beauté dont les « Praenotanda » à l’Abrégé de musique de Descartes portent la marque, même si certaines analyses au fil du texte prennent en charge la dimension subjective de la beauté  : l’objet beau se voit défini, dans ce texte, en fonction des principes de proportion, d’unité et de clarté, de sorte que le plaisir esthétique est envisagé comme un plaisir de raison (Descartes, 1987, p. 56).

Mais cette appréciation négative du désordre urbain ne relève pas seulement de considérations esthétiques, dans la mesure où elle en appelle à une planification urbaine et à une intervention politique sur la ville. La croissance de la ville demande à être pensée pour être contrôlée : elle ne doit pas s’effectuer de façon aléatoire mais méthodique en répondant à un modèle logique projetant sa forme idéale. Or de manière tout à fait remarquable, c’est à partir du même constat que celui de Descartes que l’ingénieur espagnol, Ildefonso Cerdá, préconise au XIXème siècle l’invention d’une discipline nouvelle dont il forge le néologisme : l’urbanisme (Cerdá, 1979, p. 79).

La ville contemporaine est comparée à un immense chaos, formée d’ « amalgames ridicules » (Cerdá, 1979, p. 169), et de murailles « irrationnelles, funestes, tyranniques », qui après « avoir comprimé les forces urbanistiques du noyau urbain », « ont converti en désert une grande étendue de terrains qui aurait pu être urbanisée avantageusement pour la grande masse des populations qui souffrent de la dure loi du monopole foncier » (Cerdá, 1979, p. 111). Pour cette raison, il faut penser le développement urbain en appliquant un modèle idéal à l’espace réel pour mettre fin à ces proliférations anarchiques et absurdes, dont la structure quadrangulaire, régulière et ouverte (plan quadrillé hippodamien) de l’extension à la ville de Barcelone qu’il aménagea en 1860 est une illustration.

L’urbanisme apparaît sous sa plume comme la science de l’aménagement urbain substituant à une croissance chaotique un développement méthodique et ordonné d’après un modèle normatif, véritable utopie d’une cité parfaitement organisée faisant table rase du passé. C’est à partir du même constat que Le Corbusier en appelle à la formulation de règles pour élaborer des villes modèles : « La grande ville, phénomène de force en mouvement, est aujourd’hui une catastrophe menaçante, pour n’avoir plus été animée d’un esprit de géométrie » (Le Corbusier, 1927, p. 24). Il veut « arriver, en construisant un édifice théorique rigoureux, à formuler les principes fondamentaux d’urbanisme moderne. Ces principes fondamentaux, s’ils ne sont pas controuvés, peuvent constituer l’ossature de tout système d’urbanisation contemporain : ils seront la règle selon laquelle le jeu peut se jouer » (le Corbusier, 1927, p. 158).

Ainsi le désordre urbain n’est-il pas seulement l’objet d’une appréciation esthétique mais aussi de considérations pratiques qui en appellent à sa disparition, par le biais d’une intervention programmée. Mais dans la mesure où, comme l’analyse précédente l’a souligné, l’organisation spatiale est indissolublement liée à l’organisation sociale, il convient de dire que l’application totalisante de schémas directeurs visant à planifier l’urbain contribue également à mettre en ordre la société. Cerdá comme Le Corbusier se proposent explicitement de faire advenir une société idéale : le plan prédéterminé, juste et vrai devenant le support d’une organisation parfaite des actions humaines. Ainsi beauté, organisation logique géométrique et contrôle des comportements humains convergent-ils dans les théories urbanistiques qui s’élaborent à la fin du XIXème siècle et font de la ville le lieu de jeux de pouvoirs.

c. Cas particulier dans l’Emile de Rousseau

Jean-Jacques Rousseau a livré au XVIIIème siècle un réquisitoire particulièrement sévère contre le mode de vie urbain et la manière dont il constitue une perversion des mœurs, devenu un lieu commun de tous les discours moralisateurs vantant la simplicité de la ruralité. Cependant, il n’y voit qu’un effet localisé de la disjonction entre progrès technique et progrès moral qui constitue le processus de la civilisation, selon l’analyse du Discours sur les sciences et les arts.

i. Modèle réduit de l’influence délétère de la civilisation

Le cinquième livre de l’Emile déployant les préceptes éducatifs qui doivent guider l’éducation de Sophie dresse un tableau particulièrement noir de la ville et de son influence pernicieuse sur ses habitants, afin de vanter la simplicité des mœurs domestiques de la vie provinciale et de justifier la nécessité d’éduquer les enfants à la campagne. « Dans les grandes villes, la dépravation commence avec la vie » (Rousseau, 1966, p. 510) : elles sont le lieu de l’amour-propre, du faux-semblant et de l’aliénation.

De l’amour-propre, « sentiment artificiel qui porte chaque individu à faire plus de cas de soi-même que de tout autre » (Rousseau, 1964, p. 219), dans la mesure où elles sont le lieu de la coquetterie où l’on cherche à se distinguer des autres pour emporter l’avantage et dont témoignent les phénomènes de mode ; du faux-semblant, dans la mesure où les différences naturelles sont travesties en différences de rang et de talent où chacun cherche à se parer des signes d’une supériorité qu’il ne possède pas ; de l’aliénation, dans la mesure où les individus y abdiquent leur indépendance naturelle pour se trouver prisonniers du regard de l’autre et de rapports inégalitaires, socialement institués sans posséder une quelconque légitimité naturelle.

Rousseau dénonce ainsi l’hypocrisie des parisiennes et des londoniennes : « la modestie est sur leur visage et le libertinage est au fond de leur cœur : cette feinte modestie elle-même en est un signe ; elles ne l’affectent que pour pouvoir s’en débarrasser plus tôt. Femmes de Paris et de Londres, pardonnez-le moi, je vous en supplie. Nul séjour n’exclut les miracles ; mais pour moi, je n’en connais point ; et si une seule d’entre vous a l’âme vraiment honnête, je n’entends rien à vos institutions » (Rousseau, 1966, p. 510).

Mais si cette critique des villes se retrouve égrenée à diverses reprises dans le traité éducatif, Rousseau ne voit pas dans l’urbain un objet spécifique d’investigation mais un cas particulier du processus général de civilisation donnant à comprendre de manière localisée les effets de la dénaturation de l’homme. Depuis le Discours sur les sciences et les arts, Rousseau a établi un chiasme entre l’individu civilisé et l’individu accompli, faisant éclater la notion de progrès en en montrant la complexité en dehors de toute perspective téléologique et en soulignant que le raffinement des sociétés européennes au XVIIIème siècle ne saurait en aucun cas constituer un état moralement satisfaisant. Reposant sur la perfectibilité, à savoir la capacité de l’homme à devenir autre que lui-même, à produire et à développer dans le temps non seulement ce qui n’existait pas dans l’état de nature mais aussi ce qui lui est radicalement étranger, le processus de civilisation éloigne l’homme de lui-même en combinant les avancées techniques avec la corruption morale. Dans cette perspective, les analyses rousseauistes de la ville doivent être appréhendées comme des manifestations de ce processus, le donnant à comprendre avec une force particulière en raison de leur échelle.

ii. Cadre de vie, situation et moralité

Est-ce à dire que la ville ne puisse être analysée dans une perspective morale que comme épiphénomène de la socialisation humaine ? Ne peut-on pas tirer du discours de Rousseau des éléments spécifiques à une approche philosophique de la ville ? Au-delà du caractère négatif de son appréciation voyant dans le raffinement des mœurs un facteur de corruption, le mérite du développement du philosophe réside dans le lien établi entre cadre de vie et moralité. Ne se contentant pas de promouvoir une morale de l’intention en ne faisant entrer dans l’analyse que le point de vue du sujet, il montre l’influence du cadre de vie et de la manière dont il organise les relations intersubjectives sur le système de valeurs d’une société et l’accomplissement de l’individu. Il prend donc en compte l’importance de la situation spatiale dans la mise en forme de notre rapport à autrui et dans le devenir de notre personnalité. Ce faisant, il initie certains développements contemporains en philosophie de l’action se réclamant du pragmatisme (notamment de l’analyse de Georg Herbert Mead dans L’esprit, le soi et la société) et invitant à prendre en compte dans l’explication du comportement la situation dans laquelle il se déploie et les normes d’usage dont elle est porteuse, ce qui implique de ne pas privilégier l’intentionnalité du sujet mais de se pencher sur l’interaction entre l’homme et son milieu de vie (Lavergne et Mondémé, 2008).

A partir de là, il apparaît que l’analyse rousseauiste de la ville nous invite à la penser comme une situation particulière dont il convient d’interroger les normes pour mettre en évidence la manière dont elle organise les comportements des gens qui y prennent place et leur permet d’exprimer leur personnalité et leur individualité. En ce sens, la philosophie rousseauiste initie la question centrale traitée par Simmel et les sociologues de l’école de Chicago : comment analyser la teneur spatiale, sociale et morale de la ville comme situation ?

2. La promotion philosophique de la ville au XXème siècle : individualisme, fantasmagorie et pouvoir

Si ces trois analyses fort connues de l’histoire de la philosophie contribuent à nourrir la conceptualité de la ville, à condition d’aller au-delà de leur statut simplement heuristique, certains philosophes au XXème siècle ont tenté de la promouvoir comme un objet philosophique de plein de droit : notamment Georg Simmel, Walter Benjamin et Michel Foucault. Cet intérêt assumé en tant que tel s’explique d’une part en raison de l’urbanisation galopante au XXème siècle et du phénomène de métropolisation qui gagne l’Europe (les villes de Berlin et de Paris voient leur population multipliée par 5 entre 1850 et 1900) et d’autre part en raison de la montée en puissance de la discipline géographique et de l’intérêt des historiens pour l’organisation spatiale sous-tendant l’organisation sociale (Foucault, 1978, p. 576), contribuant à revaloriser dans les analyses théoriques l’espace bien trop souvent négligé au profit du temps. De cet intérêt philosophique du XXème siècle pour la ville se dégagent deux grandes lignes problématiques : d’un côté, l’appréhension de la ville dans une perspective hégélienne et marxiste comme forme de la vie moderne cristallisant de manière sensible dans sa matérialité le caractère tragique de l’époque, de l’autre l’analyse de la ville comme espace social dont l’aménagement participe de manière stratégique de dispositifs de pouvoir.

a. La ville comme forme expressive de la vie moderne

i. Simmel et Berlin

Georg Simmel consacra deux essais à la grande ville, « Les grandes villes et la vie de l’esprit » en 1903, et les « Digressions sur l’étranger » en 1908, afin d’élaborer une philosophie en prise avec le présent, soucieuse de dégager la conceptualité des phénomènes superficiels qui composent notre ordinaire : « toutes les manifestations extérieures les plus banales sont finalement liées par des lignes directrices aux décisions ultimes sur le sens et le style de la vie » (Simmel, 2004, p. 238). Héritier de la philosophie hégélienne, il se propose de traquer la réalité spirituelle des petites choses de la vie, considérant que « la tâche de la philosophie est d’envoyer une sonde qui relie le singulier à l’immédiat, soit ce qui est simplement donné à la strate des significations spirituelles ultimes » (Simmel, 1925, p. VII), si bien que sa sociologie doit être rapprochée de la philosophie de l’esprit hégélienne (voir Schnabel, 1974).

Loin d’appréhender la métropolisation qui affecte l’Europe comme un phénomène contingent dont seules les sciences empiriques auraient quelque chose à nous dire, il l’analyse au contraire comme une expression de l’esprit qui s’objective en elle. Ainsi analyse-t-il la grande ville de Berlin comme un corps culturel pour parvenir jusqu’au principe qui la fait vivre : « le corps de la culture est interrogé sur son âme – ce qui m’incombe aujourd’hui au sujet de nos métropoles - » (Simmel, 2004, p. 170). Il se rend attentif à ses phénomènes constitutifs immédiats, à son expression matérielle la plus évidente pour dévoiler son sens spirituel : la modernité comme épisode de la vie de l’esprit. Dans les « Digressions sur l’étranger », il s’intéresse au phénomène de migration depuis la campagne vers la ville qui arrache les individus à leurs appartenances traditionnelles en les plongeant dans un monde nouveau qui fait vaciller leurs repères, sans qu’ils ne puissent jamais totalement s’y intégrer. Ainsi l’habitant des grandes métropoles est-il toujours étranger à son nouveau cadre de vie, condamné à être celui pour qui le plus proche spatialement est le plus éloigné affectivement.

Dans « Les grandes villes et la vie de l’esprit », Simmel explore le mode de vie métropolitain : appelés à parcourir de vastes distances entre leur domicile et leur travail, à côtoyer des gens venus de tous horizons avec lesquels ils ne partagent rien sinon le même espace ou le même moyen de transport, à percevoir un paysage urbain particulièrement riche et contrasté en raison des mouvements, de la foule, des signaux lumineux, etc., les citadins sont soumis à une intensification de la vie nerveuse qui entraîne une attitude défensive : celle de l’adoption d’un caractère blasé qui va se manifester à la fois par une forme d’indifférence à l’égard des nouveautés et des stimulations de la vie urbaine et par l’instauration de relations sociales superficielles et éphémères avec les autres citadins, qui relèvent de ce que Simmel nomme la sociabilité (Simmel, 1991, p. 126).

Cette forme pure du social constitue une relation intersubjective sans contenu autre que la coprésence physique : résultant du hasard, elle est l’art d’être ensemble sans intérêt ni raison. Elle régule les rencontres à partir d’une réciprocité purement formelle : la reconnaissance d’une égalité de situation dans la mesure où nous sommes usagers du même espace. On peut la nommer urbanité : une forme minimale de politesse qui transcende les différences personnelles et culturelles pour configurer des relations, en-dehors de toutes les caractéristiques objectives (âge, sexe, physique, statut social, etc.) qu’elle oblitère, à partir du simple partage d’une situation. Une politesse de l’abstention conciliant à la fois le droit à la considération et le droit à l’indifférence, ce que le sociologue américain, Erving Goffman, formé au département de sociologie de Chicago imprégné des analyses de Simmel, appellera « l’inattention civile » (Goffman, 2013, p. 74 ).

A côté du flâneur blasé, l’on trouve une autre figure caractéristique du mode de vie métropolitain : l’excentrique, l’individu à nul autre pareil, faisant valoir sa singularité de manière exacerbée par un souci de différenciation radicale avec les autres êtres qui l’entourent. Cette revendication d’originalité est permise par l’accroissement des groupes sociaux dans la grande ville et le relâchement du lien d’appartenance avec son milieu d’origine, en raison de la multiplicité des rencontres et de la liberté de mouvement qu’offre la grande ville. Les citadins jouissent en son sein d’une bien plus grande indépendance que dans les petites villes provinciales grâce à l’anonymat qui y règne : ils peuvent passer d’un univers à l’autre sans se soucier de leurs actes dans la mesure où ils ne sont pas appelés à rencontrer de nouveau les personnes qu’ils croisent. Ainsi sont-ils libérés des préjugés et du regard d’autrui, ce qui peut leur permettre de prendre conscience de ce qu’ils sont en propre, et de manifester leur caractère unique, irréductible à toute comparaison, par le choix de leurs habits, de leur apparence et de leur mode de vie, choix d’autant plus faciles à assumer en l’absence de regards habilités et familiers pour les juger.

Que nous dit cette dissection de la grande ville ? Quelle réalité spirituelle fait battre le cœur de ce grand corps culturel ? Vers quoi font signe les figures de l’étranger, du blasé et de l’excentrique et le type si particulier de relations sociales qui les unit, la sociabilité ? La réponse est donnée dans les premières lignes de l’essai sur « Les grandes villes et la vie de l’esprit » : il s’agit de l’individualisme, que Simmel comprend comme une tendance générale de la vie sociale se réalisant pleinement au XXème siècle. « Les problèmes les plus profonds de la vie moderne prennent leur source dans la prétention de l’individu à affirmer l’autonomie et la spécificité de son existence face aux excès de pouvoir de la société, de l’héritage historique, de la culture et de la technique venue de l’extérieur de la vie - figure ultime du combat contre la nature que l’homme primitif doit mener pour son existence physique » (Simmel, 2004, p. 169). L’individualisme revêt ainsi deux visages, l’autonomie et la spécificité de l’existence, qui correspondent dans un autre texte à ce qu’il nomme « l’individualisme numérique » et « l’individualisme qualitatif » (Simmel, 2004, p. 215). D’un côté, le relâchement des liens traditionnels, l’ouverture aux autres émancipe l’individu de son groupe, lui permet de devenir indépendant et de prendre conscience de ce qu’il partage avec les autres, une nature commune qui les rend égaux ; de l’autre, l’élaboration de la différence personnelle qui vise précisément à faire valoir ce qui le distingue de ces autres qui par ailleurs sont ses égaux. « Ce n’est plus ‘l’être humain universel’ en chaque particulier mais le caractère unique et incomparable en qualité qui est maintenant le support de sa valeur » (Simmel, 2004, p. 183). La grande ville permet au premier visage de l’individualisme de se manifester par la liberté de mouvement et la diversité des rencontres qu’elle procure : le partage d’un même espace constitue l’occasion de faire ressortir un noyau universel commun qui se manifeste par un anonymat partagé et égalitaire, nivelant les différences. Mais elle offre également la possibilité du second puisque l’anonymat peut se révéler oppressant, de sorte que la seule manière de faire valoir sa personnalité semble l’extravagance, d’autant plus aisée que les rencontres sont brèves.

Ainsi les grandes villes manifestent-elles le caractère tragique de l’individualisation moderne écartelée entre ces deux tendances : l’indépendance de l’individu doit être rattaché à une culture objective dans laquelle triomphe une forme d’impersonnalité qui culmine dans la sociabilité, et qui en appelle à l’avènement d’une culture subjective sous la forme de l’expression singulière, venant se heurter à elle alors qu’elle en procède. « Dans le combat et les entrelacs changeants de ces deux manières de déterminer le rôle du sujet à l’intérieur de la totalité, se joue l’historie extérieure et intérieure de notre temps » (Simmel, 2004, p. 252).

La promotion de la grande ville en objet philosophique de plein droit permet à Simmel d’y voir une objectivation de l’esprit de la modernité, à savoir une tension dialectique entre l’universalité de la nature humaine et la singularité de la personne, entre la revendication d’une égalité formelle et celle d’une différenciation qualitative.

ii. Walter Benjamin et les passages parisiens

Profondément marqué par les analyses de Simmel et son attention aux phénomènes de surface et aux objets concrets, Walter Benjamin s’intéressa également au phénomène urbain, notamment à Paris et à ses transformations dans la seconde moitié du XIXème siècle, à l’image de la construction de ces rues couvertes que sont les passages. Il voit dans l’analyse urbaine une manière de saisir la modernité dans son acte de naissance même.

Adoptant le matérialisme historique de Karl Marx qu’il raffine dans l’analyse des superstructures, il se propose de mettre au jour une « corrélation expressive » (Benjamin, 2009, p. 476) et non pas simplement causale, entre l’économie et la culture pour saisir « un processus économique comme un phénomène originaire visible d’où procèdent toutes les formes de vie qui se manifestent dans les passages (et, dans cette mesure, dans le XIXème siècle) » et continuent à irriguer la situation contemporaine. Ainsi le Paris du XIXème siècle se présente-t-il comme une constellation traduisant au niveau culturel la domination qu’exerce la marchandise, l’hégémonie de la structure marchande qui anime la société capitaliste dans toutes ses manifestations et qui est le trait distinctif de la modernité selon lui. Puisqu’elle modèle les formes d’expression et de vie, il est possible de la saisir à partir de l’étude de ces dernières.

Dans cette perspective, il convient de prêter une attention particulière à sa description des passages parisiens, objet de Paris, capitale du XIXème siècle et de l’ambiance fantasmagorique qui y règne. Selon Benjamin, il s’agit là d’un cas remarquable pour montrer la corrélation entre l’avènement d’un certain type de société économique (la société capitaliste), une architecture novatrice la mettant en scène et un nouveau rapport à la ville.

Les passages constituent une architecture typique de la seconde moitié du XIXème siècle, s’inspirant des galeries du Palais-Royal construites à la fin du XVIIIème siècle : rues couvertes le plus souvent par des verrières à l’ossature métallique, offrant un éclairage zénithal en journée et au gaz en soirée, elles présentent aux piétons des raccourcis et des espaces de flânerie regroupant de nombreux commerces aux vitrines aussi luxueuses qu’exotiques, à l’abri des intempéries, de la boue et de l’encombrement des rues, inaugurant de nouvelles pratiques urbaines comme « faire les vitrines » et un rapport inédit à la ville sous le signe du plaisir et du loisir. Les passages apparaissent ainsi comme des équipements urbains à l’architecture particulièrement novatrice, tant sur le plan de la structure que des matériaux utilisés (verre et fer) et des techniques constructives (préfabrication en amont), qui font entrer Paris dans l’ère de la modernité.

Dans ces passages régnait une atmosphère très particulière qualifiée par Aragon de « lumière moderne de l’insolite » (Aragon, 1926, p. 20), une ambiance onirique et sensuelle, plongeant les citadins dans un univers séduisant hors du temps, de telle sorte que Benjamin qualifie le passage de « rue lascive du commerce, propre seulement à éveiller tous les désirs » (Benjamin, 2009, p. 73). En effet, les passages pratiquent l’ambiguïté en brouillant les repères spatio-temporels : il s’agit d’espaces publics mais revêtant l’apparence d’espaces privés en raison du toit constitué par la verrière et de leur sol carrelé de marbre, qui en font le « salon » des citadins leur donnant l’impression d’être à l’intérieur (Benjamin, 2009, p. 442) ; ils arrondissent les angles trop aigus de la réalité en tamisant la lumière crue du jour qui nimbe de manière mystérieuse le contenu insolite des vitrines en se reflétant dans leur vitrine, de telle sorte que les phénomènes sociaux dérangeants y semblent être interdits ; ils abolissent l’obscurité par un système d’éclairage artificiel qui inaugure la vie urbaine nocturne. Ils semblent ainsi former au sein de la grande ville des serres closes sur elles-mêmes, à l’atmosphère envoûtante et entêtante, où règnent le luxe, le calme et la volupté pour reprendre le triptyque de Baudelaire, flâneur parisien s’il en est. Le temps y est comme suspendu.

Pour cette raison, Benjamin dans l’exposé de 1939 parle du caractère fantasmagorique de l’expérience sensible offerte par les passages au même titre que les autres créations du XIXème siècle. Mais comment comprendre cette manifestation fantasmagorique des passages dans l’immédiateté de leur présence sensible (Benjamin, 2009, p. 47) ? En quoi sont-ils une transfiguration expressive du système économique et technique de la modernité ?

La notion de fantasmagorie est introduite par Karl Marx dans Le Capital. Critique de l’économie politique (Marx, 1975, p. 84-85) pour qualifier la valeur illusoire qui s’ajoute à la valeur d’usage de la marchandise. La valeur d’échange possède un caractère trompeur dans la mesure où elle nimbe la marchandise d’un halo mystérieux et la transforme en fétiche. Benjamin étend la notion marxienne au-delà de l’analyse économique pour se livrer à une phénoménologie de la manière dont les productions culturelles se manifestent. Elle sont fantasmagoriques dans la mesure où elles usurpent une aura qu’elles ne possèdent pas en masquant et en sublimant ce qu’elles expriment : une société marchande. Les passages par leur architecture complexe, le système des vitrines et leur jeu ambigu entre l’intérieur et l’extérieur, la rue et le salon, rapprochent les objets de consommation d’œuvres d’art et magnifient une activité consumériste en promesse de perpétuel émerveillement et de rêve éveillé. La fantasmagorie est une transfiguration et participe de l’esthétisation d’un système économique masquant sa réalité et sa violence pour séduire la foule, où la dimension réifiée de la marchandise coïncide avec sa dimension utopique et son potentiel onirique.

Plus attentive aux différents éléments matériels composant la grande ville que celle de Simmel, l’analyse de Benjamin s’inscrit néanmoins dans sa perspective en la raffinant : les différentes données culturelles composant le paysage urbain dont les passages sont un élément emblématique et qu’il traque avec le goût du détail, ne sont pas simplement appréhendées comme des corps animés par le sens spirituel de l’époque mais comme des cristallisations signifiantes de différentes données socio-économiques. Elles demandent à être analysées à partir d’une esthétique matérialiste qui voit dans leur présence sensible immédiate et toujours circonscrite l’expression transfigurée d’un système économique général et donc un certain visage de la modernité. La ville est une constellation de fragments dans laquelle les structures économiques et sociales viennent s’exprimer toutes entières mais sous une modalité à chaque fois singulière.

b. La ville et les espaces du pouvoir

A côté des analyses consacrées par l’Ecole de Francfort au phénomène urbain promu au rang d’objet philosophique, il convient de mentionner les développements de Michel Foucault. Le philosophe français rencontra la question urbaine au cours de l’interrogation sur le pouvoir qu’il entama en 1975 avec Surveiller et punir et qui le conduisit à accorder une place bien plus importante à l’espace que ne le font les autres discours philosophiques depuis Kant (Foucault, 1977, p. 193) et à montrer comment l’urbanisme participe d’une technologie politique où se déploient des jeux de pouvoir.

En effet, Foucault ne s’intéresse pas au pouvoir et à ses dynamiques en termes de légitimité mais d’effectivité : comment se déploient les relations de pouvoir ? Or l’on ne peut comprendre leur dynamique sans s’intéresser à la spatialité qui les supporte : l’organisation de l’espace participe de manière stratégique aux dispositifs du pouvoir. La première leçon de Sécurité, territoire, population, cours prononcé au Collège de France en 1977, présente deux modèles urbains correspondant à deux modalités différentes du pouvoir apparues successivement au cours du temps, bien qu’elles puissent cohabiter entre elles.

i. La ville disciplinaire

Foucault s’intéresse aux dispositifs mis en place dans les villes placées en quarantaine lors des épidémies de peste ainsi qu’au plan de la ville de Richelieu construite ex nihilo au XVIIème siècle, qui offre des similitudes avec les villes d’Oslo en Norvège et de Göteborg en Suède, pour illustrer le traitement de l’espace propre au pouvoir disciplinaire.

Le pouvoir disciplinaire correspond à un changement d’exercice du pouvoir à partir du XVIIème et XVIIIème siècle, qui substitue la surveillance à la punition et se situe en amont de l’infraction afin de la prévenir. Le pouvoir a cessé de s’exercer uniquement par la contrainte violente sur les corps et opère également par des procédures plus insidieuses qui visent à surveiller, diagnostiquer, dresser et contrôler les individus pour les uniformiser et éviter les actions déviantes. Les rapports de pouvoir se diffusent de manière capillaire et produisent un certain type d’individu que l’on qualifiera de normal. Qu’est-ce qui a provoqué ce changement ? Dans un entretien postérieur à Surveiller et Punir (Foucault, 1975 b, p. 1611), Foucault propose une hypothèse de type marxiste pour expliquer ce changement d’exercice. La montée en puissance de la bourgeoisie à l’époque moderne a instauré une nouveau rapport à la richesse qui ne passe plus par la transmission héréditaire d’un patrimoine foncier, c'est-à-dire de terres, mais suppose l’exploitation par la classe ouvrière d’une richesse investie (machines, usines, etc.), de telle sorte que c’est le travail qui produit la richesse. Il faut donc surveiller les ouvriers, les contrôler pour les empêcher de se révolter.

Or ce pouvoir disciplinaire passe notamment par l’aménagement urbain pour s’exercer, de sorte que l’on peut dire que l’urbanisme est l’un des supports de la disciplinarité. C’est dans cette perspective que Foucault en vient à s’intéresser aux dispositions ponctuelles prises dans les villes mises en quarantaine lorsqu’il y avait une épidémie de peste et au plan hippodamien de la ville de Richelieu annonçant la Barcelone de Cerdà et le plan en grille des villes américaines. Quels sont les traits généraux de l’aménagement urbain disciplinaire ? Il vise à individualiser les citadins, en les isolant en atomes observables. Cette individualisation opère par une répartition spatiale reposant sur différents dispositifs : la clôture du lieu, son quadrillage avec un système de rues orthogonales découpant des parcelles, la fonctionnalité des emplacements limitant les usages et la distribution des éléments qui les assigne à une place prévue et codifie la circulation (Foucault, 1975 b, p. 166). La ville disciplinaire est une ville découpée, figée et observable.

Lorsqu’une ville était mise en quarantaine en cas d’épidémie de peste à partir du XVIIème siècle (Foucault, 1975 a p. 228 sq. et 2004, p. 11 sq.), elle n’était pas un lieu interdit à l’image de la cité des lépreux du Moyen-Âge, mais un espace investi, contrôlé et surveillé par le pouvoir, dont on ne pouvait sortir. Elle se voyait partagée en districts, eux-mêmes divisés en quartiers et en rues. A chaque division géographique se trouvait un représentant du pouvoir : surveillant, inspecteur, responsable de district, échevin, tous chargés de surveiller la population. Ainsi le pouvoir s’exerçait-il de manière continue sans brèches où l’on puisse échapper à son emprise. Se manifestant par une observation continuelle et un enregistrement des données recueillies, il exerçait une surveillance totale. Chaque personne, assignée à résidence, ne pouvant déambuler à sa guise, devait se présenter à la fenêtre à l’appel de son nom et ainsi pouvoir sans cesse se rendre visible et montrer son état de santé. Un ensemble de règlements stipulaient les horaires de sortie, la nature des aliments à consommer, etc. Ainsi ce modèle compact de l’espace disciplinaire constitue-t-il « l’utopie de la cité parfaitement gouvernée » (Foucault, 1975 a, p. 232).

La ville de Richelieu construite ex nihilo en 1631 par le Cardinal du même nom au sud-est de Chinon en Indre et Loire a été pensée et créée en suivant le modèle du camp romain (Foucault, 2004, p. 18), à partir d’une figure géométrique qui est une sorte de module architectural, à savoir le carré ou le rectangle, subdivisés eux-mêmes par des croix en d’autres carrés ou d’autres rectangles. Organisée autour d’un axe de symétrie, la rue médiane, elle est quadrillée par un système de parallèles et de perpendiculaires, la découpant en un système de grands et de petits rectangles aux fonctions différentes selon leur taille : habitat, boutiques, marchés. Il s’agit bien d’un espace disciplinaire dans la mesure où le plan de la ville entièrement artificiel individualise la multiplicité des citadins afin de mieux les surveiller en les répartissant selon une logique qui distribue les places, hiérarchise et rationalise.

ii. La ville sécuritaire

A côté de la ville disciplinaire, Foucault distingue la ville sécuritaire, autre type d’aménagement urbain concomitant à la fois de l’évolution de la ville au XVIIIème siècle et d’un raffinement du pouvoir qui change de modalité d’exercice. La ville cesse d’être une enclave isolée pour se connecter au reste du territoire en raison de l’essor du commerce lié au développement de la société capitaliste. Elle apparaît ainsi comme un lieu de circulation par excellence (Perrot, 1975), qu’il s’agisse des biens, des gens et des idées, se caractérisant par une forte expansion tant sur le plan économique, démographique que spatial. La question qui se pose alors pour le pouvoir est de savoir comment gouverner et gérer ce lieu à la fois mouvant et grandissant, dont l’identité s’avère floue et difficilement planifiable en raison de sa dynamique intrinsèque. Ainsi le schéma d’aménagement disciplinaire apparaît-il peu à peu caduc dans la mesure où la ville constitue un phénomène trop complexe pour pouvoir être gouverné de cette manière omnipotente. Mais dans le même temps, apparaît un prolétariat urbain et les conflits dans les villes prennent le pas sur les révoltes paysannes (Foucault, 1977 b, p. 215 sq.). Ainsi le pouvoir doit-il se renouveler et aménager différemment l’espace pour s’exercer.

Ne s’exerçant plus seulement sur l’individu, de manière stratégique il doit se déployer dans des relations qui ne sont pas disciplinaires mais sécuritaires, prenant en charge la santé et la vie de la population, multiplicité trop complexe pour être maîtrisée en étant divisée en individus. Le pouvoir sécuritaire procède ainsi par la mise en place d’outils statistiques et d’outils d’enregistrement pour encadrer les phénomènes déviants de manière globale, de manière à les cantonner dans des limites acceptables. Faute de pouvoir toujours prévenir les infractions par une surveillance individualisante, le pouvoir sécuritaire s’efforce de les gérer à grande échelle. Comment le pouvoir sécuritaire s’empare-t-il dans ces conditions de la question de la ville ? Foucault s’appuie sur l’aménagement de la ville de Nantes et le développement de la médecine urbaine dont l’hygiénisme est une des manifestations.

Les villes sécuritaires, comme Nantes et son aménagement du XVIIIème siècle, ne sont pas créées ex nihilo avec idée que l’on va maîtriser et contrôler tout ce qui s’y passe mais se déploient depuis un espace déjà existant qui a une dynamique propre que l’on cherche à identifier. Elles s’élaborent en tenant compte des données déjà présentes qui sont à la fois artificielles (voirie, répartition du bâti, etc.) et naturelles (fleuves, soleil, air, etc.). Les axes les divisant ne visent pas à circonscrire des sous-espaces figés qui seraient plus facilement surveillables mais servent à faire circuler les gens et les marchandises de manière organisée pour éviter les engorgements. La volonté n’est pas de fixer les gens à leur place mais d’encadrer leur circulation inévitable. Ainsi les villes sécuritaires ne répondent-elles pas à un rêve d’organisation parfaite où tout aurait été planifié mais obéissent au principe de réalité se contentant de viser une organisation optimale où l’on s’efforce d’anticiper ce que l’on sait ne pouvoir empêcher : les événements ou séries d’événements possibles qui constituent autant de risques. On n’est pas dans une logique de planification mais de régulation.

La ville de Nantes se voit ainsi soumise à un aménagement de type hygiéniste que Foucault envisage de manière générale dans un autre texte comme une forme de médecine urbaine (Foucault, 1977 b, p. 215), définie comme « médecine des conditions de vie du milieu d’existence » (Foucault, 1977 b, p. 222). Les politiques d’aménagement hygiénistes dont l’haussmannisation de Paris participe également reposent sur l’idée que le milieu urbain est pathogène et influence de manière morbide les citadins en provoquant des maladies aussi bien physiques que morales qui sont sources de désordres. Des unes aux autres, la conséquence est bonne, c’est pourquoi il faut réguler le milieu urbain pour agir sur la population. Ainsi l’aménagement hygiéniste préconise-t-il la circulation de l’air et de l’eau en traçant de grandes perspectives et en évitant les encombrements et les stagnations, la fin de tous les phénomènes de décompositions en inventant le cercueil individualisé, en déplaçant les cimetières, en mettant en place un système de ramassage des ordures et d’égouts, etc. L’hygiène publique apparaît comme un contrôle politico-scientifique de la ville ne passant pas par la surveillance mais par la régulation des éléments du milieu ayant une efficace sur la vie des populations.

3. Au carrefour de la politique, de l’éthique et de l’esthétique, penser philosophiquement la ville contemporaine

A la lumière des analyses précédentes, quelle contribution la philosophie peut-elle apporter au champ des Urban Studies ? Quelles questions la philosophie est-elle à même d’adresser à la ville contemporaine, susceptibles d’enrichir l’approche de l’urbain développée par des sciences humaines comme la sociologie urbaine ou la géographie critique ? Les développements de Platon, Descartes, Rousseau, Simmel, Benjamin et Foucault interrogent chacun à leur manière la dimension sociale et politique de la ville : Platon, Descartes et Foucault en focalisant leur attention sur l’aménagement urbain et les questions d’organisation morphologiques ; Rousseau, Simmel et Benjamin en se concentrant, pour leur part, sur l’expérience sensible offerte par la ville. D’un côté la ville comme système bâti, de l’autre la ville comme mode de vie.

Loin d’être opposées, ces deux approches doivent être nouées, lorsque l’on aborde la ville contemporaine, dans la mesure où l’espace vécu procède inévitablement de l’espace physique, comme le montre la nouvelle phénoménologie allemande (Böhme, 2017, p. 18). Il n’est pas une projection arbitraire de la psychologie individuelle dénuée de tout fondement mais émane de la matérialité de l’environnement en tant qu’elle est ressentie. L’articulation de ces deux perspectives montre que l’aménagement urbain dans sa matérialité la plus brute (découpage de la ville, axes de circulation, accessibilité et fonctionnalité des espaces, etc.), qu’il soit pensé sous le schème de la planification ou de la régulation, est le lieu de jeux de pouvoir et de rapports de force qui sous-tendent l’organisation sociale. Elle dévoile également la manière dont la justice entendue comme la possibilité offerte aux individus par les institutions et les structures sociales d’accomplir une vie bonne (Honneth, 2002) en s’émancipant des « liens puissants devenus vides de sens, d’ordres politique et agraire, communautaire et religieux (Simmel, 2004, p. 182) peut ou non y régner. Enfin, elle souligne que la conceptualité immanente à la ville implique de ne pas s’en tenir à sa morphologie mais exige de réfléchir à ses effets comme forme de vie éprouvée de manière sensible par l’individu.

Dégager de cette manière la conceptualité de la grande ville présente un avantage aussi bien pour la discipline philosophique que pour les Urban Studies. Sur le plan de la philosophie proprement dite, dans la mesure où cette perspective montre la dimension spatiale de la justice et des relations de pouvoir et invite à complexifier les analyses de la philosophie politique en termes de légitimité par une prise en compte de la matérialité des dispositifs de pouvoir et des prises qui permettent aux individus d’être assujettis ou de se subjectiver en devenant acteurs de la vie sociale ; sur le plan des Urban Studies, dans la mesure où cette perspective enrichit l’objet de l’analyse en appréhendant la ville dans sa dimension sensible comme phénomène vécu. Elle permet ce faisant de déplacer la critique traditionnelle de l’urbain dont l’historien Lewis Mumford a donné la version la plus connue : à savoir l’idée que la mégalopolisation non contrôlée de la planète qu’il nomme une « conurbation » risque à terme de provoquer la dislocation des villes en tant que cités permettant à l’homme de s’intégrer dans une communauté (Mumford, 1964, p. 654 sq.). Il ne s’agit pas seulement de s’intéresser à la taille des villes et à leur logique de développement mais aussi à leur teneur phénoménale. Ainsi cette perspective invite-t-elle à réactiver ce que Walter Benjamin nommait l’esthétisation du politique (Benjamin, 2000, p. 314) comme esthétisation de l’économique, afin d’envisager le néo-libéralisme, dispositif prédominant dans la gouvernance des villes contemporaines selon les études urbaines, comme une configuration sensible et pas seulement comme une structure macrosociale, même s’il l’est bien évidemment en partie.

a. Conditions matérielles de l’individualisation et spatialisation de la justice

Si les Urban Studies dressent un tableau le plus souvent noir de la ville contemporaine (Davies, 2006 ; Harvey, 2011), en soulignant avec force les différentes pathologies dont elle souffre (dislocation de la ville en territoires ségrégés spatialisant des différences de classes, inaccessibilité physique et symbolique de différents lieux, pauvreté des espaces publics dévolus au tourisme et à la consommation, suppression des espaces de rassemblement au profit d’espaces de circulation, restriction des usages par la mise en place de mobiliers urbains dissuasifs, mondialisation et banalisation des styles architecturaux indifférents au contexte, logique entrepreneuriale de la fabrication des villes mises en concurrence avec d’autres métropoles, etc.), une philosophie de l’urbain peut contribuer à ce champ de manière originale en ressaisissant ces différentes analyses menées sur le plan empirique à l’aune de deux concepts : celui d’individualisation et celui de justice. Cette perspective analytique permet de montrer que les conditions matérielles dans lesquelles nous vivons jouent un rôle dans la réalisation de soi et dans la manière dont nous faisons société, et possèdent donc à ce titre une dimension éthique et politique. Il ne s’agit pas de se substituer aux analyses menées par la sociologie et la géographie mais de les croiser avec un autre appareillage conceptuel qui, en retour, se trouve également enrichi par elles.

L’analyse de Simmel montre le lien entre d’un côté la grande ville envisagée comme un cadre de vie se caractérisant par son étendue, sa densité et sa fluidité et de l’autre l’individualisation du citadin lui permettant à la fois de faire valoir son égalité avec les autres usagers et sa singularité. En effet, dans son analyse de Berlin, il souligne combien la multiplicité et la diversité des interactions offertes par l’espace public mettant en relation des gens qui ne partagent rien sinon le même usage éphémère d’un lieu ou d’un équipement contribuent d’une part à niveler les différences sociales en plaçant les usagers sur le même plan et en relâchant les liens avec leur groupe d’appartenance et d’autre part à favoriser l’expression des particularités personnelles pour autant que la brièveté des rencontres et l’anonymat de la grande ville libère du poids du regard d’autrui. En individualisant les habitants selon cette double modalité (égalité et singularité), la grande ville autorise ses usagers à réclamer un droit à l’indifférence pour leurs différences, objet de nombreuses revendications militantes.

Cette analyse simmélienne donne un contenu concret à une suggestion d’Axel Honneth dans un entretien avec son traducteur Olivier Voriol sur la réalisation de soi et la reconnaissance comme « matérialité sociale coagulée » (Honneth, 2006, p. 165) et une conceptualité philosophique au leitmotiv de la géographie critique sur les incidences des transformations de la ville sur ce que nous sommes (Harvey, 2011, p. 8). Une philosophie de l’urbain permet ainsi d’exemplifier les conditions spatiales de l’affirmation de l’identité individuelle en s’intéressant aux éléments empiriques trop souvent dédaignés par la philosophie politique (permissivité ou restriction des usages dans les espaces publics en fonction des dispositifs matériels proposés, richesse ou pauvreté des situations spatiales, diversité des moyens de transport et capacité ou non à mélanger les publics pour créer des communautés accidentelles de situation transcendant les différences sociales et culturelles, etc.). Elle montre, en effet, que l’affirmation de sa personnalité et la reconnaissance de son égalité avec les autres usagers n’est pas une question de justice qui se joue seulement au niveau des structures macrosociales, mais également dans les dispositifs spatiaux les plus anodins. Mais elle permet également de ressaisir des analyses empiriques dans une problématique plus générale mobilisant des catégories canoniques de la philosophie morale et politique.

Une philosophie de l’urbain donne également un autre éclairage aux questions d’exclusion, de ségrégation, de logique marchande d’aménagement de la ville, qui dominent la critique urbaine en les articulant dans la perspective plus large de la question de la justice posée de manière normative. Comment doit être organisée matériellement la ville pour qu’elle puisse sous-tendre une organisation sociale qui l’excède en partie, dans laquelle les citadins puissent s’individualiser grâce à des relations intersubjectives qui leur permettent de s’émanciper de leurs groupes d’appartenance, de faire valoir leur égalité d’usagers et leur personnalité propre ? Quelle doit être l’organisation spatiale de la ville pour que puissent s’y déployer des relations sociales dans lesquelles les citadins puissent s’affirmer comme individus ?

En ce sens, cette philosophie de l’urbain est initiée par la réflexion d’Henri Lefebvre dont les travaux se déploient au croisement de la sociologie urbaine et d’une philosophie d’inspiration marxiste, sans exclure une portée opérationnelle. Il s’agit bien pour lui de transformer le réel, d’œuvrer à l’enfantement du possible, en faisant entrer un ensemble de problèmes dans la conscience et les programmes politiques (voir Lefebvre, 2009, p. XVIII). Si sa réflexion sur l’urbain culmine en 1968 dans Le droit à la ville, elle s’amorce dès les années 1960 qui voient la création d’un certain nombre de villes nouvelles (voir Lefebvre, 1962, p. 121-130). Poursuivant sa critique de la vie quotidienne entamée dans l’ouvrage du même nom (Lefebvre, 1947-1961), Lefebvre envisage le quotidien des nouveaux habitants de ces villes surgies ex nihilo au cœur des Trente Glorieuses et obéissant à un fonctionnalisme extrême, comme une forme d’aliénation où chacun abandonne peu à peu ses rêves et ses possibilités créatrices. Suivant cette perspective, il préconise en 1968 une transformation de la fabrique des villes pour qu’émerge un nouvel urbanisme satisfaisant un droit à la vie urbaine transformée et renouvelée, ne reposant pas seulement sur la prise en compte de besoins anthropologiques mais aussi d’autres besoins qu’il nomme spécifiques comme celui de l’activité créatrice, de l’œuvre, du symbolisme, de l’imaginaire, des activités ludiques, etc. (voir Lefebvre, 1969, p. 96). Ainsi sa réflexion sur l’urbain est-elle indissociable de la question de la justice. Il en appelle à un dépassement du fonctionnalisme qui régit l’aménagement des villes et réduit la complexité et l’inventivité de l’activité humaine à une série de fonctions stéréotypées : c’est en favorisant l’appropriation, l’activité participante, les centralités mouvantes et les dispositifs éphémères que l’urbain pourra émanciper l’homme.

Le programme de cet urbanisme révolutionnaire se nourrit de ses échanges avec les membres de l’Internationale Situationniste (notamment Guy Debord) qui voient également dans l’urbanisme de l’après-guerre un instrument d’aliénation du prolétariat et souhaitent l’avènement d’un urbanisme dit unitaire engendrant, de manière expérimentale, des ambiances inédites propices à l’émergence de moments de vie singuliers et éphémères (voir Debord, 2000, p. 32 et Debord, 2006, p. 358). Si les analyses de Lefebvre montrent combien la problématique de l’urbain renouvellent la problématique de la philosophie, ses catégories et ses méthodes, elles demandent à être poursuivies et raffinées à l’aune de l’émergence de nouveaux phénomènes urbains : l’aseptisation des espaces publics, la ghettoïsation ethnique et symbolique et surtout la ludification consumériste et non plus émancipatrice de la ville qu’il souhaitait avec les situationnistes (voir Debord, 2000, p. 36 sq.). L’aménagement infantilisant de nombreux espaces publics montre que le jeu n’est pas nécessairement une praxis émancipatrice. Ces nouvelles problématiques impliquent de ne plus poser la question de la justice simplement en termes d’aliénation mais également en termes de reconnaissance de l’égalité des usagers les uns avec les autres et de leur singularité.

b. Politique des ambiances dans la ville néo-libérale

L’analyse de détail de Walter Benjamin sur les passages parisiens permet d’enrichir la perspective de Foucault en distinguant à côté de la ville disciplinaire et de la ville sécuritaire la ville fantasmagorique, afin de mettre l’accent sur la manière dont les dispositifs de pouvoir ne se déploient pas seulement à travers une planification et une régulation du milieu urbain mais aussi à travers sa mise en ambiances et en atmosphères (Thomas, 2012). Les politiques urbaines accordent, en effet, de plus en plus d’importance aux qualités esthétiques des milieux habités qui participent, à côté de la morphologie urbaine et de l’anticipation gestionnaire des différents phénomènes qui s’y déroulent, d’une forme inédite de gouvernance.

Accompagnant cette évolution de l’aménagement contemporain, les Urban Studies ont entamé depuis une dizaine d’années un tournant sensible dont témoigne l’intérêt pour les atmosphères urbaines et l’approche de la ville comme expérience perceptive et physique (Thibaud, 2016). Dans cette perspective, l’accent n’est pas seulement mis sur les dimensions morphologiques et économiques de la ville mais aussi esthétiques au sens large. Ces dernières permettent d’envisager une aseptisation de la ville contemporaine magistralement analysée par Richard Sennett dans sa description de différents quartiers de New York comme ensemble de scènes cloisonnées où n’émerge aucun stimulus (Sennett, 2009, p. 206 sq.), ou encore une « kitschisation » opérant par un ensemble d’équipements ludo-récréatifs dont la ville de Dubaï est la manifestation la plus extrême (Davis, 2007). Cette approche esthétique de la ville contemporaine se nourrit de manière plus ou moins implicite des travaux de la nouvelle phénoménologie allemande, notamment de Gernot Böhme, sur les atmosphères.

Gernot Böhme analyse l’atmosphère comme en entre-deux qui émane des choses, de leurs qualités objectives, physiques et matérielles, mais est éprouvé par une personne sensible. L’atmosphère apparaît ainsi comme ce qui se diffuse à partir de la manière dont les choses nous apparaissent et nous affectent, elle naît à l’intersection de différentes qualités physiques et de la sensibilité d’un sujet qui les expérimente. Dans cette perspective, son mode d’être est à la fois subjectif et objectif. Elle n’existe pas sans quelqu’un pour la ressentir mais n’est pas non plus une projection arbitraire, dans la mesure où elle ne procède pas de nous mais des choses qui nous entourent. L’atmosphère désigne donc la dimension affective d’une expérience procédant d’autres dimensions perceptives et sensibles. Elle se donne comme un tout indivisible, constituant la synthèse sui generis de ces dernières sous forme d’arrière-fond de l’expérience (Böhme, 1995).

Cette critique sensible de la ville proposée par les Urban Studies gagne à être articulée à la perspective philosophique de Walter Benjamin sur la manière dont la présence sensible immédiate des phénomènes de surface cristallise des structures socio-économiques, afin d’opérer une jonction entre le sensible et le politique qui contourne les deux risques qui gagnent cette tendance des Urban Studies : une analyse pointilliste de l’évolution des ambiances urbaines postmodernes dont le caractère microsocial exclusif interdit de réfléchir de manière générale à la modalité esthétique de la gouvernance néolibérale de la ville contemporaine, ou une analyse qui se focalise sur des aménagements extraordinaires (Davis et Monk, 2008) en négligeant la portée des expérience sensibles quotidiennes que nous vivons.

Le vocabulaire contemporain des urbanistes abonde de références aux ambiances douces, apaisées et ludiques qui se déploient depuis les « espaces civilisés partagés » de Paris jusqu’à ceux « pacifiés » de Rio. L’aménagement sensible de la ville opère par un gommage des stimuli de l’expérience urbaine, qu’ils soient olfactifs (interdiction des cigarettes, raréfaction des commerces de bouche et de l’artisanat dans les centres-villes, déplacement des industries en périphérie), sonores (réglementation des vitesses de circulation, piétonisation de nombreuses zones, arrêtés municipaux règlementant les activités nocturnes), visuels (homogénéité chromatique, standardisation de l’architecture et des enseignes) ou même sociaux (arrêtés anti-mendicité, suppression des lieux de rassemblement et des assises, monofonctionnalité des espaces qui uniformise les catégories et le comportements des usagers, etc.), et par un enchantement du quotidien du piéton à travers des aménagements ou des événements ludiques, qui donnent à vivre une expérience feutrée et lisse, extrêmement homogène.

Si cette tendance de l’urbanisme contemporain procède d’une mise en cause de la diversité urbaine déjà dénoncée par Jane Jacobs dans son livre Déclin et survie des grandes villes américaines en 1961, qui constitue encore une référence incontournable pour le courant du New Urbanism prônant un ménagement de la ville plutôt qu’un aménagement, elle n’opère pas seulement par une homogénéité fonctionnelle et sociale des espaces entraînant une monotonie des usages mais aussi par le déploiement d’une certaine esthétique. En effet, la critique de l’urban design de la ville américaine des années 60s opérée par Jane Jacobs vise avant tout à montrer l’inanité des dogmes de l’urbanisme du Mouvement moderne qu’elle présente comme l’héritier des idées de Ebenezer Howard sur la cité-jardin à la fin du XIXème siècle, exprimant selon elle une détestation de la grande ville et de sa diversité (Jacobs, 2012, p. 30). Cette critique ne rencontre pas la question des modalités sensorielles par lesquelles la ville se donne à vivre dans la mesure où la planification urbaine des années 60s n’avait pas encore fait des atmosphères un objet de programmation mais se concentrait sur l’organisation rationnelle des activités.

Aujourd’hui, cette mise en ambiances douces et divertissantes, en atmosphères ouatées et fun, dont sont souvent emblématiques les opérations de requalification des centre-ville (Bonicco-Donato, 2016) mais aussi des aménagements urbains plus ponctuels comme Paris Plages (Bégout, 2009, p. 165 sq.) participe d’une esthétisation du quotidien qui n’est pas sans incidence sur notre rapport à la ville et nos usages : notre environnement bâti se voit transformé en « images de rêve » et en « promesse de bonheur », mettant à distance toutes les réalités sociales dérangeantes et incitant à la consommation ou à la récréation avec un endormissement de nos possibilités créatrices et critiques. Alors que la ville est et a toujours été le lieu du conflit, de l’expérience potentiellement dérangeante vécue comme un choc, certaines oasis urbaines à l’esthétique léchée par le biais d’une patrimonialisation kitsch ou d’une ludification conviviale les relèguent dans leurs marges et plongent les usagers dans un état de sidération en limitant et en formatant leurs usages.

Ainsi l’analyse de la dimension politique de l’aménagement urbain et de la manière dont il ordonne les conduites en sous-tendant de manière stratégique différents dispositifs de pouvoir doit-elle s’intéresser, aux côtés de la ville disciplinaire et sécuritaire, à la ville fantasmagorique, dans la mesure où ce n’est pas seulement l’aménagement matériel qui joue sur nos corps mais aussi l’aménagement sensible. Il apparaît alors comme une configuration particulière cristallisant les structures socio-économiques du néolibéralisme comme marchandisation du monde devant se transfigurer pour masquer son cynisme.

Conclusion

Une philosophie de la ville ne voit pas dans l’urbain un simple détour heuristique pour analyser des phénomènes plus complexes comme pouvaient le faire un certain nombre de développements célèbres dans l’histoire de la philosophie, mais l’envisage comme la cristallisation sensible de structures politiques, économiques et sociales. Appréhender comme telle la ville ne signifie pas la réduire au simple effet de ces dernières mais implique de traquer avec la modestie d’un entomologiste ses composantes phénoménales pour mettre au jour leur teneur expressive. Déployant une esthétique matérialiste, elle considère que les manifestations sensibles de l’urbain, depuis la morphologie des villes jusqu’aux flâneries dans les centres piétonnisés en passant par les figures du marginal, de l’excentrique et du touriste, sont des constellations signifiantes qui ne se contentent pas de représenter des structures mais les font vivre d’une manière singulière parce qu’elles s’y révèlent sous une modalité particulière, un style inédit qui constitue leur réalité propre. Ainsi une philosophie de la ville doit-elle se pencher sur les phénomènes urbains et la manière dont leur présence sensible immédiate, loin d’être une simple apparence, constitue la transfiguration d’un certain nombre de structures, demandant à être analysée pour elle-même dans la mesure où seule la forme permet au fond d’exister.

La promotion de la ville au rang d’objet philosophique de plein droit au XXème siècle, faisant le pari d’une conceptualité spécifique à cette réalité empirique, se révèle fécond tant pour la philosophie que pour les études urbaines. Pour la philosophie, dans la mesure où elle invite à complexifier les notions de justice, de pouvoir, de société, d’individu et de reconnaissance en prenant en compte leur inscription spatiale. Pour les études urbaines, dans la mesure où elle incite à articuler différentes approches : en premier lieu, une approche descriptive de l’urbanisme en termes de planification, de régulation et de mise en ambiances avec une approche politique soucieuse des stratégies de pouvoir sous-jacentes ; en second lieu, la réflexion sur les incidences de la ville sur notre personnalité avec une réflexion normative sur la justice comprise comme les conditions qu’une société doit offrir pour affirmer son identité individuelle et enfin une analyse du néolibéralisme comme mode de gouvernance des villes contemporaines avec une approche esthétique des ressorts par lesquels il opère.

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Céline Bonicco-Donato

Université de Grenoble Alpes, ENSAG, UMR AAU

celine.bonicco@grenoble.archi.fr