Dignité (A)

Comment citer ?

Baertschi, Bernard (2017), «Dignité (A)», dans Maxime Kristanek (dir.), l'Encyclopédie philosophique, consulté le ..., https://encyclo-philo.fr/diginite-a

Résumé

La dignité fait partie des concepts moraux qui, depuis un demi-siècle, connaissent un usage croissant, particulièrement en bioéthique. Ce concept désigne la valeur intrinsèque d’un être, par contraste avec sa valeur d’utilité (une valeur extrinsèque). Cette définition est toutefois purement formelle et, quand on cherche à la préciser, on le fait dans deux directions : d’abord, en en distinguant différentes acceptions ; ensuite, en lui donnant différents contenus.

En ce qui concerne ses acceptions, on distingue le sens méritoire de la dignité, par exemple, quand on parle dans le contexte social d’un dignitaire, et son sens non-méritoire. Ce dernier se divise à son tour en un sens personnel (on peut se comporter avec dignité ou non et on peut être traité avec dignité ou non), et en un sens impersonnel ou universel : à tout être humain est conféré une dignité, par le seul fait de son humanité. C’est de cette dignité dont il est question dans les discussions éthiques et juridiques actuelles, et qui est à l’œuvre dans la Déclaration universelle des Droits de l’Homme.

En ce qui concerne le contenu du concept dans son sens universel, les désaccords viennent du fait qu’il existe plusieurs façons de concevoir en quoi consiste notre humanité. Pour certains, les libéraux, elle est constituée en premier lieu par les droits fondamentaux et par l’autonomie, si bien que la dignité est un concept qui n’apporte rien de très nouveau et dont on pourrait se passer. Ce n’est pas l’avis des conservateurs qui, au nom d’une conception souvent religieuse, pensent que la valeur de l’être humain réside moins dans son autonomie que dans sa disponibilité à accepter ce qui lui est donné : don de Dieu ou de la nature. C’est au sujet de la procréation et du statut de l’embryon que la question se fait aiguë, mais pas seulement. Dans certaines situations, la dignité humaine se voit opposée à l’autonomie de l’individu pour la limiter, ce qui est un peu paradoxal, vu que les deux notions occupent une place de choix dans la philosophie morale de Kant, dont l’influence est grande dans la question de la dignité. Mais actuellement la dignité tend à devenir un concept partisan, utilisé comme argument antilibéral.


Table des matières

1. Un concept d’usage croissant

2. Un peu d’histoire

3. Dignité, raison et personne

4. Un concept plurivoque

5. Un concept controversé en bioéthique

6. Dignité et autonomie

7. L’usage juridico-politique du concept

Conclusion

Bibliographie


1. Un concept d’usage croissant

L’article premier de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, adoptée en 1948 peu après la guerre, affirme : « Tous les hommes naissent libres et égaux en dignité et en droits ». Cela rappelle fortement la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen de 1789, avec justement cette différence que cette dernière ne comportait pas de référence à la dignité, puisqu’elle disait : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». Depuis 1948, la dignité est régulièrement mobilisée par les textes à portée juridique, au niveau national et international. Ainsi, la Constitution de plusieurs pays européens la mentionne en bonne place. Trois exemples. En Allemagne, l’article 1 stipule que « la dignité de l’être humain est intangible. Tous les pouvoirs publics ont l’obligation de la respecter et de la protéger. » En Suisse, elle apparaît un peu plus loin, à l’article 8 qui déclare : « La dignité humaine doit être respectée et protégée. » Quant à la France, si elle ne mentionne pas la dignité dans sa Constitution, la notion apparaît dans de nombreuses lois : plus de cinquante selon Philippe Cossalter (2014, p. 2). La dignité jouit en outre généralement d’un statut en quelque sorte absolu : elle est déclarée « intangible » par le texte allemand, ce qui signifie qu’elle ne peut être mise en balance avec d’autres valeurs ou d’autres principes. Son respect est inconditionnel, quelles que soient les circonstances : elle ne doit jamais être violée, même si bien sûr, elle l’est souvent dans les faits (c’est pourquoi, quand on dit qu’elle est « inviolable », on n’entend pas qu’elle ne peut être violée, mais qu’elle ne doit pas l’être).

Dans le champ contemporain de la bioéthique, le concept de dignité connaît aussi un franc succès. La Convention d’Oviedo par exemple (abréviation de Convention pour la protection des Droits de l’Homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine), texte promulgué en 1997 par le Conseil de l’Europe et qui sert souvent de référence dans les discussions et les débats, le mentionne jusque dans son titre (Andorno, 2010).

Pourquoi ce succès juridique ? Les atrocités de la dernière guerre ont joué leur rôle dans cet intérêt pour la dignité : comme le souligne Peter Lawler, « les crimes monstrueux contre la dignité humaine durant le 20e siècle [sont] si monstrueux qu’ils ne peuvent être décrits comme de simples violations de droits » (2008, p. 235). L’invocation des droits fondamentaux de l’être humain, une conquête de la Révolution française et de la Déclaration d’indépendance américaine, n’a pas suffi pour faire barrage aux traitements inhumains et dégradants. Il est dès lors apparu nécessaire pour beaucoup de personnes et de juristes d’ancrer ces droits dans une valeur plus fondamentale, la dignité justement. Celle-ci, comme le souligne encore Cossalter, constitue pour certains juristes le « principe cardinal de l’ordre constitutionnel européen », la « source de tous les droits fondamentaux », voire même « de la démocratie » (2014, p. 1).

Le propos de cette entrée n’est pas de présenter une analyse juridique du concept, mais d’examiner sa signification et sa fonction dans la philosophie morale et la bioéthique. Il est toutefois important de se rendre compte, dès le début, que cette notion est prise en étau entre plusieurs disciplines, dans chacune desquelles il est d’ailleurs l’objet de controverses. Cossalter le signale pour le domaine juridique à la suite du passage qui vient d’être cité : « L’on mesure par ce déferlement de superlatifs la part d’artifice qui soutient la notion ». Dans le champ de la bioéthique, Ruth Macklin a signé un éditorial du British Medical Journal intitulé « La dignité est un concept inutile » (2003) qui a suscité un débat nourri.

Avant d’y venir, il est nécessaire de définir le concept. Une petite enquête historique ainsi qu’un examen des liens assez étroits que la dignité entretient avec deux autres concepts, ceux de rationalité et de personne, le permettront.

2. Un peu d’histoire

Dans les débats actuels, lorsque l’on veut rattacher le concept de dignité a une autorité philosophique du passé, c’est à Kant qu’on pense immédiatement, et notamment à des passages comme celui-ci : « Dans le règne des fins tout a un prix ou une dignité. Ce qui a un prix peut être aussi bien remplacé par quelque chose d’autre, à titre d’équivalent ; au contraire, ce qui est supérieur à tout prix, ce qui par suite n’admet pas d’équivalent, c’est ce qui a une dignité. » (1980, p. 112-113) On reconnaît ici l’opposition entre les personnes et les choses, qui vient du droit romain. Une chose a un prix, c’est une marchandise, elle peut donc être achetée et vendue, échangée contre un objet de valeur monétaire équivalente ; ce n’est pas le cas d’une personne dont la valeur n’est pas monnayable, et c’est justement ce en quoi consiste la dignité.

Kant continue en précisant qu’un prix, c’est une valeur relative, alors que la dignité, c’est « une valeur interne », signifiant par là que la valeur des choses dépend de ce que l’on accepte de payer pour elles, c’est-à-dire de leur utilité pour l’être humain (on peut parler de valeur d’utilité ou de valeur instrumentale), alors que la dignité représente la valeur intrinsèque de ce dernier. Mais pourquoi l’être humain possède-t-il une dignité ? Parce que, nous dit Kant, il est capable de moralité : « La moralité, ainsi que l’humanité, en tant qu’elle est capable de moralité, c’est donc là ce qui seul a de la dignité » (1980, p. 113). Autrement dit, ce qui constitue la valeur intrinsèque de l’être humain, c’est seulement sa capacité à être moral et c’est pourquoi les vertus qui en découlent ont aussi une telle valeur : « L’habileté et l’application dans le travail ont un prix marchand ; la finesse, la vivacité d’imagination, l’humour, ont un prix de sentiment ; en revanche, la fidélité dans la promesse, la bienveillance par principe (non la bienveillance d’instinct), ont une valeur interne. » L’opposition des deux types de bienveillance montre encore que la moralité en tant que source de dignité est une capacité appartenant à la raison et non à la sensibilité.

L’idée que la dignité désigne la valeur intrinsèque d’un être et qu’elle est opposée à l’utilité est cependant bien plus ancienne. On la trouve déjà au XIIIe siècle sous la plume de Thomas d’Aquin. Dans son Commentaire sur les Sentences, il affirme : « La dignité signifie la bonté que quelque chose possède en vertu de soi-même, et l’utilité sa valeur en vertu d’un autre [dignitas significat bonitatem alicujus propter seipsum, utilitas vero propter aliud] » (2012, lib. 3, d. 35, q. 1, a. 4, q. 1, c). La bonté [bonitas], c’est-à-dire en termes contemporains, la valeur. Thomas emploie le terme dans sa signification formelle, sans limiter son emploi aux êtres (aux substances, en langage aristotélicien). C’est ainsi qu’il affirme que la vie contemplative a plus de valeur que la vie active. En outre, lorsqu’il s’agit de la dignité des substances, l’être humain ne possède aucun statut privilégié, puisqu’il n’est pas le seul à avoir une valeur intrinsèque. Dieu et les anges notamment possèdent une dignité, et elle est même plus élevée que la nôtre : « La dignité de la nature divine surpasse toute dignité » (1984, Ia, q. 29, a. 3, ad 2). En ce qui concerne la propriété qui confère cette dignité, la position de Thomas est analogue à celle que soutiendra Kant, sauf qu’il l’exprime en termes aristotéliciens de « nature » : « La nature que la personne inclut dans sa signification est la plus digne de toutes les natures, à savoir la nature intellectuelle selon son genre. » (1925, p. 305b) La raison humaine est une espèce du genre « nature intellectuelle », mais ce n’est pas la seule.

Cette structure – déterminer une propriété qui confère une valeur intrinsèque à l’être qui la possède et qui constitue la base de sa dignité – est commune à la plupart des auteurs qui utilisent ce concept. Pic de la Mirandole l’illustre aussi. Cet auteur est important en ce qu’il est le premier à avoir écrit un traité sur la dignité de l’être humain (Oratio de hominis dignitate), traité où d’ailleurs le terme « dignité » apparaît très peu. Ce qui fonde selon lui la dignité humaine, c’est la propriété qu’a l’être humain de ne pas avoir de nature déterminée et de devoir se construire lui-même : « Doté pour ainsi dire du pouvoir arbitral et honorifique de te modeler et de te façonner toi-même, tu te donnes la forme qui aurait eu ta préférence » (1486). Cette propriété, l’être humain est le seul à la posséder, vu sa place charnière entre les êtres matériels et les êtres spirituels car, en tant que composé de corps et d’âme, il participe aux deux règnes.

La dignité humaine est donc aussi caractéristique de la place qu’occupe l’être humain dans une hiérarchie des êtres, idée qui continue à être défendue de nos jours, comme lorsque Leon Kass, ancien président de la Commission du Président étasunien pour la bioéthique, affirme que, bien que le concept soit difficile à préciser et que son contenu soit souvent conçu différemment en fonction des auteurs et des traditions qu’ils représentent, « tous s’efforcent de révéler le cœur insaisissable de notre humanité, ces qualités spéciales qui font que nous sommes plus que des bêtes et cependant moins que des dieux » (2005, p. 240). Pic disait de l’être humain, juste après le passage cité : « Tu pourras dégénérer en formes inférieures, qui sont bestiales ; tu pourras, par décision de ton esprit, te régénérer en formes supérieures, qui sont divines ». Déjà Cicéron constatait, après avoir parlé de « la dignité de la nature humaine » : « Tous nous avons part à la raison et ce rang supérieur nous place au-dessus des bêtes » (1962, p. 531-532). Sous la plume des théologiens, qui eux aussi utilisent très souvent le concept, cette position moyenne entre les bêtes et les dieux tire vers le haut, et c’est le fait d’être image de Dieu qui confère à l’être humain sa dignité (Rosen, 2012, p. 2). La valeur intrinsèque de l’être humain est toujours une valeur élevée, et même éminente.

Relevons qu’il n’est pas étonnant qu’il y ait débat sur la signification de contenu de la dignité en ce qui concerne l’être humain. En effet, si ce terme désigne la valeur intrinsèque de l’entité qu’elle qualifie (c’est sa signification formelle), cette valeur sera interprétée différemment en fonction des différentes anthropologies philosophiques ou des différentes conceptions de la nature humaine. Ainsi, pour John Locke, le père du libéralisme philosophique, ce sont les libertés fondamentales qui constituent notre dignité et nous distinguent des animaux : « La liberté de conscience est ce en quoi réside notre dignité d’hommes et qui, si on pouvait la contraindre, ferait de nous des créatures très peu différentes des bêtes brutes » (1992, p. 129) ; pour Kant ce sont les vertus morales et pour les théologiens le fait que nous soyons image de Dieu.

3. Dignité, raison et personne

On l’a vu, historiquement, la dignité est très souvent liée à la possession de la raison et celle-ci caractérise la personne, à savoir l’être qui, selon Thomas, a la plus haute dignité. Ces trois concepts ont de très forts liens entre eux, comme on l’observe déjà chez les deux principaux auteurs dont il a été question, Thomas d’Aquin et Kant. Chaque fois, on retrouve la même structure : une propriété intrinsèque (la raison) est à la base de la valeur intrinsèque (la dignité) de l’être qui la possède et qui acquiert par là un statut moral éminent (la personne).

La raison étant une propriété intrinsèque générique, elle est souvent remplacée par l’une de ses espèces. Ainsi par la conscience rationnelle de soi, c’est-à-dire la capacité de former un concept de soi-même, chez Kant : « Posséder le Je dans sa représentation : ce pouvoir élève l’homme infiniment au-dessus de tous les autres êtres vivants sur la Terre. Par là, il est une personne […], c’est-à-dire un être entièrement différent, par le rang et la dignité, de choses comme le sont les animaux sans raison, dont on peut disposer à sa guise » (1984, p. 17). Ici encore, le cas des animaux sert de contraste et de point de référence. Ailleurs, c’est l’autonomie, c’est-à-dire la capacité à se donner des lois à soi-même, qui est mentionnée comme propriété de base : « L’autonomie est donc le principe de la dignité de la nature humaine et de toute nature raisonnable » (1980, p. 114). Chez Thomas, c’est la maîtrise de soi : « Le particulier et l’individu se vérifient d’une manière encore plus spéciale et parfaite dans les substances raisonnables, qui ont la maîtrise de leurs actes : elles ne sont pas simplement agies comme les autres, elles agissent par elles-mêmes [...]. De là vient que, parmi les autres substances, les individus de nature rationnelle ont un nom spécial, celui de personne. » (1984, Ia, q. 29, a. 1) De même, John Locke lie personne et raison, puisqu’il affirme de la personne : « C’est, à ce que je crois, un Être pensant et intelligent, capable de raison et de réflexion » (1972, p. 264).

Cette structure conceptuelle joue un rôle important dans les débats actuels (Baertschi, 2014) et elle est justement à l’œuvre dans l’article 1 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, dont il a été question plus haut. Si cet article dit ceci : « Tous les hommes naissent libres et égaux en dignité et en droits », il continue ainsi : « Ils sont doués de raison et de conscience. » Ce qui paraît signifier : « Tous les hommes naissent libres et égaux en dignité et en droits, parce qu’ils sont doués de raison et de conscience ». Si le « parce que » est absent, c’est pour une raison bien précise : il rendrait l’affirmation fausse. En effet, il existe des êtres humains qui ne sont pas doués de raison et de conscience. Dès lors, ce que les auteurs de la Déclaration avaient à l’esprit était sans doute ceci : « Toutes les personnes naissent libres et égales en dignité et en droits, parce qu’elles sont douées de raison et de conscience. » Mais alors se pose la question épineuse de savoir ce qu’il en est du statut moral des êtres humains qui ne sont pas doués de raison et de conscience, bref qui ne sont pas des personnes. C’est ce qu’on appelle la question des êtres humains non-paradigmatiques ou des cas marginaux. Le bioéthicien Tristram Engelhardt relève en effet : « Les fœtus, les nouveau-nés, les arriérés profonds, les gens plongés dans un coma irréversible : autant d’exemples de non-personnes qui sont pourtant des êtres humains. Ces êtres sont bien des membres de l’espèce humaine. Mais ils n’ont pas, en eux-mêmes et par eux-mêmes, de statut au sein de la communauté morale » (2015, p. 192).

L’hésitation que l’on observe entre l’être humain et la personne vient de loin ; c’est même une équivocité. On la rencontre en effet déjà chez Kant. De nos jours on trouve des auteurs qui estiment que c’est l’appartenance à l’espèce humaine qui compte pour la possession de la dignité dite humaine, d’autres que c’est le fait d’être une personne. David DeGrazia note : « Ce sont les personnes, plutôt que les êtres humains comme tels, qui sont spéciaux » (2016, p. 22). On appelle cette dernière position le « personnisme » (Goffi, 2007). Cette question ne sera discutée ici que dans la mesure où elle concerne la conception de la dignité.

Par ailleurs, certains auteurs nient que la dignité repose sur une propriété particulière possédée par l’être humain, que ce soit la raison ou une autre faculté. Robert Kraynak affirme ainsi: « La Bible évite de lier la dignité humaine avec certains traits particuliers dans le but d’enseigner que ce n’est pas un ensemble d’attributs qui confèrent la dignité humaine. » (2008, p. 74). Ce sont surtout des auteurs qui se réclament de traditions religieuses qui argumentent dans ce sens, voulant souligner par là que la dignité humaine qualifie tous les êtres humains de manière inconditionnelle, quel que soit leur état ou leur situation. Mais en fait et contrairement à ce qu’ils affirment, c’est bien une certaine propriété qui est pour eux à la base de la dignité, celle justement d’appartenir à l’espèce ou à la famille humaine ; argumenter ainsi est donc une manière de rejeter le personnisme. Ainsi, Leon Kass soutient que le combat en faveur de la dignité est un combat « pour que l’on traite les êtres humains comme ils méritent d’être traités, c’est-à-dire uniquement en vertu de leur humanité » (2008, p. 298). Si certains êtres humains ne sont pas des personnes se pose la difficile question de la manière dont nous devons moralement les traiter ; parler d’appartenance à l’espèce humaine permet de l’éviter.

4. Un concept plurivoque

La dignité désigne la valeur intrinsèque ; c’est un concept formel dont le contenu demande à être précisé, ce qui permet aussi d’en déterminer l’extension. En effet, même si on parle le plus souvent de dignité humaine, il n’y a aucune nécessité conceptuelle de limiter ainsi son application. On a vu que Thomas d’Aquin attribuait la dignité à Dieu et aux anges ; on verra que la Constitution suisse l’étend aux autres êtres vivants – et Thomas aussi d’ailleurs. Mais même si on en reste à la dignité propre à l’être humain ou à la personne, il est important de tracer certaines distinctions.

Tout d’abord, il faut distinguer le sens social et le sens moral du terme. Quand on parle d’un « dignitaire », quand la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen dit à son article 6 qu’aux yeux de la loi, tous les citoyens étant égaux, ils « sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents », on désigne des rôles sociaux, certes valorisés, mais qui n’ont pas de lien particulier avec l’éthique.

Dans son acception morale, on distingue deux sens du terme (Baertschi, 2004, p. 123-124 et 2005, p. 168-170).

Le premier est personnel : je veux, à mes propres yeux et sous le regard d’autrui, pouvoir être et continuer à être un individu digne de respect, non pas simplement parce que je suis une personne humaine, mais parce que je conserve l’estime de moi-même. Dans ce sens, la dignité est liée au respect de soi : pour conserver le respect d’elle-même, il faut qu’une personne ne soit jamais mise dans une situation, de son fait ou du fait d’autrui, où elle pourrait dire qu’elle n’a plus que du mépris ou du dégoût pour ce qu’elle est devenue, parce que, en un certain sens, elle n’a plus aucune valeur. De manière moins dramatique, chacun de nous désire conserver sa dignité par l’adoption de certaines attitudes ; par exemple, face à l’adversité, on estime qu’il est digne de ne pas perdre le contrôle de soi (Cochrane, 2010, p. 235). Comme on dit parfois : on doit pouvoir se regarder dans un miroir ; cela a un sens moral (la honte ou le remords empêchent de se regarder), mais aussi un sens humain : la déchéance physique ou psychologique peut détruire l’image de soi, de même que la douleur ou le fait d’être placé par autrui dans des situations où l’on est ridiculisé (pensons à l’infantilisation des vieillards). Il en va encore ainsi lorsqu’une personne est méprisée ou torturée.

Le second sens est impersonnel : la dignité d’un individu humain consiste en ce qu’il est une personne et non un animal ou une chose. C’est ce concept qui est à l’œuvre dans la tradition kantienne par exemple, et qui fait que la personne a une valeur particulière qui interdit de la traiter comme un simple moyen, à l’instar des choses. Respecter la dignité de quelqu’un, c’est donc le traiter comme une personne, comme un être rationnel, bref comme un individu qui, quels que soient son état et sa conduite, mérite le respect et ne saurait être instrumentalisé. Subjectivement, lorsqu’elle est vécue consciemment, cette dignité se déploie sur deux niveaux, car elle fait référence d’une part à l’ensemble des capacités qui caractérisent la personne en tant que telle (l’être humain se conçoit comme supérieur aux animaux) et d’autre part à l’ensemble des capacités qui caractérisent la personne individuelle que je suis (Einstein aurait dû se concevoir comme supérieur à l’individu lambda). Mill accordait une grande importance à ce dernier sens de la dignité, parlant du « sens de la dignité que tous les êtres humains possèdent, sous une forme ou une autre en proportion – mais pas, bien entendu, en proportion exacte – de leurs plus hautes facultés » (1998, p. 36), et qui est essentiel à leur bonheur.

Dans le premier sens, la dignité peut se perdre, à cause de ce que l’on nous fait ou à cause de ce que l’on fait. Ce n’est pas le cas dans le second : on ne peut pas perdre sa dignité de personne, elle est inaliénable, même si on le dit parfois rhétoriquement : « Le mensonge est abandon et pour ainsi dire négation de la dignité humaine » (Kant, 1985, p. 103) ; pensons aussi au thème de l’être humain qui se ravale au rang des animaux. « Pour ainsi dire » précise Kant, ce qui implique qu’il n’en va pas réellement ainsi ; Thomas d’Aquin semble, quant à lui, penser que l’être humain peut en un certain sens du moins perdre sa dignité : « Par le péché, l’homme s’écarte de l’ordre prescrit par la raison ; par là même il déchoit de la dignité humaine qui consiste à naître libre et à exister pour soi ; il en arrive ainsi, d’une certaine manière [quoddammodo], à l’asservissement des animaux privés de raison, de telle sorte qu’on peut disposer de lui selon qu’il est utile aux autres » (1984, IIa-IIae, q. 64, a. 2, ad 3). Thomas pense que cette perte de dignité justifie la peine capitale ; mais on pourrait aussi l’invoquer en faveur de l’esclavage.

Thomas dit toutefois : « d’une certaine manière » ; la dignité n’est donc pas perdue à la lettre du fait du péché ou de l’immoralité, ce qui rejoint Kant. Et si elle ne peut se perdre, c’est qu’elle est attachée à notre nature, à ce que nous sommes. Ainsi, on peut seulement cesser d’être une personne, dans la mort et peut-être dans certains autres états comme les états végétatifs permanents. Il faudrait donc dire que ce second sens est ontologique plutôt que moral, car il est attaché à la personne elle-même. Jean-Claude Wolf parle de sens méritoire de la dignité pour le premier sens et de sens non méritoire pour le second (2002, p. 62). On peut aussi dire que le premier sens est lié à ce que nous faisons et à ce que nous subissons, alors que le second est lié à ce que nous sommes.

Une difficulté qui subsiste, à laquelle Mill a fait allusion, est celle de savoir si la dignité est une notion catégorielle ou scalaire. Mill pense qu’il y a des degrés de dignité et Thomas le disait aussi (du moins Dieu a-t-il plus de dignité que l’être humain). Cela impliquerait que les êtres humains ont plus ou moins de dignité en fonction, justement, de leur plus ou mois de rationalité. Ce qui plaide en faveur de cette manière de voir est que la dignité est une valeur et que toutes les valeurs semblent bien être des notions scalaires : quelque chose peut être plus ou moins excellent, une action plus ou moins juste, une personne plus ou moins agréable. Toutefois, étant donné que depuis 1789 l’égalité joue un rôle au moins aussi fondateur que la dignité, cette notion est tenue actuellement comme un concept catégoriel. Il s’ensuit que certains auteurs distinguent deux types de valeurs, l’un scalaire, l’autre catégoriel. Un autre exemple de valeur catégorielle pourrait être le sacré, et il est intéressant de relever que, dans les débats bioéthiques, cette notion a justement été peu à peu abandonnée au profit de celle de dignité. C’est ce que souligne Jean-Yves Goffi : « Le concept de sacralité de la vie a longtemps joué un rôle architectonique en biomédecine. Devant les difficultés et les apories qu’il entraîne, on a tendance à recourir de plus en plus au concept de “dignité”, censée fonder la protection due aux êtres humains » (2008, p. 1). Si la dignité a pu succéder à la sacralité, c’est sans doute que, au-delà d’une certaine parenté de registre, ils partagent aussi des propriétés axiologiques communes.

Une autre solution serait de dire que la dignité n’est pas une valeur, mais une norme, celles-ci étant justement catégorielles. Cela serait en accord avec certaines caractéristiques de l’usage actuel de la dignité, présentée comme un principe source d’obligation et s’exprimant dans des formules à l’impératif (Ogien et Tappolet, 2008, p. 42). On pourrait alors dire que la dignité qui était une valeur est devenue une norme, s’exprimant dans des impératifs, transformation effectuée au XXe siècle, mais dans laquelle Kant a joué un rôle certain.

Lennart Nordenfelt a proposé des distinctions qui recoupent en grande partie les précédentes. Outre la dignité de mérite, c’est-à-dire le sens social du terme, il en distingue trois au plan moral : la dignité de statut moral ou existentiel, la dignité de l’identité et la dignité humaine universelle (2004, p. 69). La dignité de statut est celle qui est liée à ce que l’on fait : nous nous comportons de manière digne lorsque notre conduite est en conformité avec les exigences morales. La dignité de l’identité est « la dignité que nous attachons à nous-mêmes en tant que personnes autonomes possédant une intégrité, qui avons une histoire, un futur et entretenons de multiples relations avec les autres êtres humains » (2004, p. 75). On reconnaît dans ces deux acceptions les deux faces de la dignité personnelle définie plus haut.

Nordenfelt insiste sur le fait que la dignité humaine universelle, qu’il appelle aussi Menschenwürde, signalant ainsi l’importance de ce concept dans la pensée allemande contemporaine, est une valeur catégorielle : « La dignité fait référence à une dimension spéciale de valeur. Dans le cas de la Menschenwürde, il n’existe qu’une seule position sur cette échelle, mais avec les autres sortes, les personnes peuvent avoir des positions différentes sur l’échelle ; elles peuvent être plus ou moins dignes » (2004, p. 70). Si on prend à la lettre ce que dit ce passage, il semble qu’il affirme plutôt que la dignité n’est pas en elle-même catégorielle, mais qu’elle est scalaire en un sens spécial : l’échelle de dignité humaine n’a qu’un échelon. Elle ne serait donc catégorielle que de manière contingente.

Plus récemment et indépendamment, Michael Rosen a proposé les mêmes distinctions encore, parlant de la dignité comme statut social, de la dignité en tant que valeur inhérente et de la dignité comme désignant un comportement, un caractère ou un maintien honorables [dignified] (2012, p. 54).

Il est possible de tracer certains liens entre ces différences acceptions. D’abord il est nécessaire de bien les distinguer à l’instar de Kant lorsqu’il affirme ce qui suit : « Je ne puis refuser à l’homme vicieux lui-même tout respect en tant qu’homme, puisque tout au moins le respect qui lui est dû en sa qualité d’homme ne peut lui être ôté, bien qu’il s’en rende indigne par ses actes ; […] c’est que l’humanité elle-même est une dignité. » (1985, p. 141) L’homme vicieux perd sa dignité morale, non sa dignité humaine, qui exige le respect quoi que fasse (ou subisse) l’individu. C’est quand la dignité n’est pas respectée qu’on voir le mieux apparaître ces liens. Lorsque la dignité humaine (Menschenwürde) est violée, il arrive souvent que la victime éprouve de l’humiliation, de la honte pour elle-même et perde le respect de soi-même, bref, sa dignité d’identité.

Quant au bourreau, il perd sa dignité morale. Victime et bourreau éprouvent aussi diverses émotions l’un par rapport à l’autre : indignation et colère du côté de la victime, mépris du côté du bourreau, et parfois culpabilité s’il se rend compte de son indignité morale. Ces liens soulignent que la dignité concerne notre statut, dont la perte constitue une déchéance et une dégradation. C’est ce que souligne encore Kant à la suite du texte cité : « Aussi faut-il rejeter ces peines infamantes qui dégradent l’humanité même (comme d’écarteler un criminel, de le livrer aux chiens, de lui couper le nez et les oreilles), et qui non seulement, à cause de cette dégradation, sont plus douloureuses pour le patient (qui prétend encore au respect des autres, comme chacun doit le faire) que la perte de ses biens ou de sa vie, mais encore font rougir le spectateur d’appartenir à une espèce qu’on puisse traiter de la sorte. »

5. Un concept controversé en bioéthique

Le recours grandissant à la dignité humaine dans le droit et la bioéthique institutionnelle, « déferlement de superlatifs » disait Cossalter, a suscité des réactions elles aussi parfois virulentes. Si Ruth Macklin titrait assez sobrement « la dignité est un concept inutile », Alasdair Cochrane propose une « bioéthique sans recours à la dignité [undignified] » (2010), Ruwen Ogien parle de « la dignité humaine inutile et dangereuse » (2009, p. 87) et Steven Pinker pointe « la stupidité de la dignité » (2008). La virulence du propos masque toutefois des questions philosophiques et morales importantes.

Macklin est une philosophe libérale, défendant une théorie des droits. C’est au nom de cette approche qu’elle estime inutile le concept de dignité en bioéthique – elle ne se prononce pas pour d’autres domaines de l’éthique, mais statistiquement, on observe que c’est bien dans le domaine de l’éthique biomédicale qu’il est le plus invoqué, de la question de l’euthanasie (mourir dans la dignité) à celle des biotechnologies (le clonage, la procréation médicalement assistée ou l’homme augmenté). En effet, comme l’affirme le sous-titre de son éditorial, dignité « ne signifie rien de plus que le respect des personnes ou de leur autonomie » (2003, p. 1419). Selon Macklin, dans la plupart des débats, le concept de dignité n’est pas défini mais simplement invoqué et utilisé « comme un pur slogan ». Cela se comprend aisément, puisqu’il désigne une valeur importante dans notre tradition normative, mais n’aide en rien à clarifier un débat. Quand il est défini, « il ne désigne rien d’autre que la capacité de penser et d’agir rationnellement, qui est l’aspect central du principe du respect de l’autonomie » (2004, p. 1420). C’est d’ailleurs à cause du caractère plutôt flou du concept de dignité qu’Ogien juge son invocation dangereuse, « car cela affaiblit ces droits en les faisant dépendre d’une notion confuse » (2009, p. 88).

Respecter l’autonomie de quelqu’un, c’est effectivement respecter la personne qu’il est, puisque, comme Tom Beauchamp et James Childress le soulignent dans leur ouvrage fondateur pour la bioéthique, Les principes de l’éthique biomédicale (la première édition est de 1979) : « L’individu autonome agit librement en accord avec un projet qu’il a lui-même choisi, comme le fait un gouvernement indépendant qui administre ses territoires et met en place ses politiques » (2008, p. 92).

On pourrait penser que le recours à la dignité, s’il est inutile lorsqu’on est en présence d’un être humain en pleine possession de sa capacité de décider ce qu’il juge bon pour lui, devient très utile, voire nécessaire, lorsqu’il s’agit de protéger des personnes vulnérables et notamment les êtres humains incapables de rationalité. Mais ici encore, ce n’est pas le cas comme le relève Jukka Varelius : « Pour résoudre les questions morales suscitées par les cas d’être humains non rationnels, nous ne recourons généralement pas à la dignité, mais à des valeurs comme la santé, le bien-être, la justice et l’autonomie. Il apparaît donc que la croyance en l’égale dignité humaine n’est pas centrale dans la manière dont nous nous comportons moralement avec ces êtres humains » (2009, p 48).

Un concept inutile est un concept dont on peut se passer ; il n’est pas un concept nocif. Macklin n’est cependant pas loin de le penser quand elle parle de slogan. Pinker, lui, en est persuadé. Toutefois, ce n’est pas tant le concept lui-même qu’il critique que l’usage qui en est fait par certains milieux religieux et conservateurs, milieux qui ont même réussi à confisquer le concept à leur profit. Robert Kraynak n’affirme-t-il pas : « La dignité humaine implique que les êtres humains ont un statut moral spécial et que ce statut spécial exige en fin de compte une croyance dans l’existence de l’âme humaine » (2008, p. 62) ? Bref, la dignité est devenue un concept partisan, agité par un camp, celui qui par ailleurs s’oppose aux développements actuels des biotechnologies visant à modifier l’être humain ou à expérimenter sur lui (surtout lorsqu’il est au stade embryonnaire). Pinker estime même que le concept se laisse très facilement utiliser dans cette optique, puisqu’il affirme : « Le concept de dignité est un terrain naturel sur lequel bâtir une bioéthique obstructionniste » (2008, p. 2), car on peut aisément l’invoquer pour limiter l’autonomie et les libertés des individus, en leur opposant une dignité qu’ils se doivent de respecter. Or, « une société libre doit priver l’État du pouvoir d’imposer une conception de la dignité à ses citoyens » (2008, p. 3). Selon Pinker, la dignité se placerait donc assez naturellement au-dessus de l’autonomie, c’est pourquoi elle est une notion nocive d’un point de vue libéral. Il y a là peut-être un effet historique différé ; en effet, comme le souligne Rosen, au XIXe siècle déjà, le Magistère catholique utilisait la notion de dignité dans sa « longue guerre contre les principes de la Révolution française » (2012, p. 92).

Toutefois, à la fin de son article, Pinker reconnaît que le concept de dignité peut jouer un rôle en morale, quoique limité : il nous motive au respect des droits et des intérêts d’autrui en soulignant la valeur de ce dernier. Il nous permet donc de mieux lutter contre les humiliations que les patients notamment endurent dans les hôpitaux modernes (l’exemple qu’il donne est celui des « atroces » chemises d’hôpital ouvertes dans le dos). Mais si on y réfléchit, on se rend compte que ce n’est là rien d’autre que le respect de l’autonomie de la personne. Pinker rejoint donc Macklin.

Pinker note aussi que ce tournant conservateur doit beaucoup à Leon Kass. Que dit ce dernier précisément de la dignité humaine ? On a vu qu’il estimait que c’était un concept difficile à définir, marquant toutefois la place de l’être humain, située quelque part entre les bêtes et les dieux. Mais plus précisément ? Dans un article remarqué, reprenant les points principaux de Beyond Therapy, un ouvrage publié en 2003 sous l’égide de la Commission qu’il présidait, Kass argumente en faveur d’une bioéthique plus riche, c’est-à-dire qui n’est pas centrée uniquement sur l’autonomie et la bienfaisance. Dans cette optique, il invoque l’importance de la dignité pour la bioéthique en général – c’est à la défense de la dignité qu’une bioéthique qui se veut vraiment humaine doit donner la priorité – et à propos de plusieurs sujets en particulier : le clonage, la procréation et le corps humain.

Le clonage, dit-il, « pourrait mettre en péril la liberté et la dignité de l’enfant cloné, de ses parents et de la société tout entière. En permettant aux parents pour la première fois de prédéterminer la constitution génétique de leurs enfants, le clonage ferait de la procréation une forme de manufacture » (2005, p. 231), ouvrant la porte à un nouvel eugénisme. Pour les deux autres sujets, Kass se contente de rappeler les recommandations de la Commission, stipulant qu’il fallait notamment interdire la production de chimères et d’hybrides humain-animal, la création d’embryons dans un autre but que d’avoir un enfant, la recherche sur l’embryon après le 14e jour de son développement et le commerce (achat et vente) d’un organisme humain, quel que soit son stade de développement.

Ce qui frappe dans cette liste, c’est que les points soulevés concernent exclusivement des embryons humains ou partiellement humains, bref, des êtres humains qui ne sont pas des personnes et donc pour lesquels il n’est pas possible d’invoquer l’autonomie. Ne pourrait-on alors pas dire que la considération de la dignité vient compléter celle de l’autonomie, et qu’elle est bienvenue lorsqu’il s’agit d’êtres humains non autonomes, mais vulnérables comme les embryons, mais aussi comme les personnes en état végétatif ou les handicapés mentaux très gravement atteints (le cas extrême étant celui des bébés anencéphales) ? Ce n’est pas l’avis des libéraux. Certes, ces derniers sont en faveur de la protection des patients vulnérables, au nom de la bienfaisance – un principe cardinal de la bioéthique contemporaine –, mais dans le cas des embryons, invoquer une dignité proprement humaine revient à limiter l’autonomie des parents qui, selon eux, est la valeur la plus importante lorsqu’il est question de procréation. C’est à eux de décider si et quand ils désirent avoir des enfants, quels enfants ils désirent et quel est le destin des embryons qu’ils ont créés (seuls ou avec l’aide de la médecine). Il y a là peut-être un risque d’eugénisme (encore faudrait-il se mettre d’accord sur la signification du terme), mais c’est un prix inévitable à payer, comme de dit Diane Paul : si l’autonomie procréative est considérée comme un droit absolu, on devra accepter une certaine quantité d’eugénisme en retour (1998, p. 548).

Quelle est cette dignité susceptible de limiter la liberté et l’autonomie ? Quand il est question de chimères et d’hybrides, on voit bien qu’il s’agit du statut de l’être humain, différent de celui de l’animal. Mais si l’on modifie génétiquement l’embryon ? Ici, c’est du respect des processus naturels qu’il s’agit, de ce qui nous est donné et que nous devons respecter comme tel. Michael Sandel développe ce point, qui est au cœur de son argumentation contre l’augmentation de l’humain [human enhancement] par le génie génétique, lorsqu’il dit que devons aborder résolument les « questions du statut moral de la nature et de l’attitude appropriée de l’être humain par rapport au monde qui nous est donné » (2007, p. 9). La Modernité aurait en effet perdu ces questions de vue en estimant qu’il était nécessaire et suffisant que la volonté soit libre et autonome pour justifier moralement tout comportement. Respecter la nature telle qu’elle est, cela constitue cependant un conseil plein de difficultés, particulièrement dans le domaine biomédical, car la médecine fait précisément tout le contraire (Churchland, 2008). Sandel doit donc l’exempter, ce qu’il fait en des termes particulièrement forts : « Les interventions médicales pour soigner, prévenir la maladie ou ramener un blessé à la santé ne profanent pas la nature mais l’honorent » (2004, p. 57).

On se rend compte en définitive que les conservateurs méritent bien leur nom : ils veulent conserver ce qui fait la spécificité de l’humain naturel ; Adam Schulman note : « La marche des progrès scientifiques, qui promet de nous conférer un pouvoir de manipulation sur la nature humaine elle-même […], va nous obliger à prendre position sur la signification de la dignité humaine, entendue comme le cœur essentiel et inviolable de notre humanité » (2008, p. 17), qu’il est de notre devoir de préserver. Cette considération est assez éloignée des préoccupations des libéraux.

6. Dignité et autonomie

Ruth Macklin affirmait que la dignité n’ajoute rien à l’autonomie, et donc que l’on pouvait se passer du premier concept du moment qu’on avait le second. Le principe du respect de l’autonomie est en effet un des quatre principes de la bioéthique, avec celui de la non-malfaisance, de la bienfaisance et de la justice, et le plus important dans l’approche libérale. Steven Pinker voyait plutôt une opposition entre les deux concepts, chacun étant élevé au rang de principe architectonique par deux camps opposés : les libéraux et les conservateurs (en bioéthique, on parle de biolibéraux et de bioconservateurs). Cette controverse a eu lieu aux États-Unis, où politiquement et éthiquement, il existe deux camps bien marqués. Conceptuellement, la question soulevée est celle des rapports entre la dignité et l’autonomie : s’agit-il de concepts compatibles ou antagonistes ? C’est ce qu’il s’agit d’examiner et, à cet effet, on peut s’appuyer sur un cas qui s’est présenté en France, celui du lancer de nains. C’est un cas juridique, mais qui soulève des points proprement éthiques, même s’il concerne uniquement le respect de la dignité en soi-même et non en autrui. D’ailleurs, selon Ruwen Ogien, « dans le débat public d’aujourd’hui, la notion de dignité humaine est plutôt utilisée […] non pas pour régler le rapport aux autres, mais pour protéger les gens d’eux-mêmes » (2009, p. 83). Cette tendance existe effectivement ; toutefois la question est fondamentalement la même dans les deux cas : le respect de la dignité est-il en définitive identique au respect de l’autonomie ou les deux valeurs peuvent-elles être mises en tension ? Peut-on violer la dignité de quelqu’un qui consent à ce qu’on lui fait et peut-on violer la dignité humaine en nous-mêmes en agissant librement ?

Le cas du lancer de nains s’est développé de 1991 à 2002, date où s’est prononcé le Comité des Droits de l’homme de l’ONU après de nombreux jugements et recours. Manuel Wackenheim, atteint de nanisme, participait à des spectacles où, muni d’une combinaison et d’un casque protecteur, il était lancé le plus loin possible sur des matelas. Un tel spectacle ayant été organisé en France, il a d’abord été interdit, ce qui enclencha une longue procédure judiciaire. C’est le Conseil d’État qui, le premier, décréta que le lancer de nain portait atteinte à la dignité humaine. Guillaume Durand commente : il y a ici « appel à la dignité pour limiter les libertés individuelles, les actions qui ne concernent que soi ou des personnes consentantes » (2010, p. 28). Wackenheim était en effet pleinement consentant – il gagnait même ainsi sa vie, l’interdiction revenant à le priver de cette ressource.

Durand analyse les arguments présentés par les partisans de l’interdiction, qui sont au nombre de quatre (2010, p. 23-28) :

Un être humain ne peut se réduire au statut de projectile, même s’il y donne un consentement valable.

2° Le lancer de nains porte atteinte à la dignité de la personne handicapée.

3° Le lancer de nains porte atteinte à la dignité de la communauté des personnes handicapées.

4° Le spectacle lui-même est indigne et y assister est un affront que le spectateur fait à sa propre dignité humaine.

Comme le relève Durand, le second argument n’est pas recevable dans le cadre du respect de la Menschenwürde, puisqu’il ne se base pas sur l’humanité en tant que telle, mais sur une vulnérabilité particulière, celle des personnes handicapées ; quant au troisième, il fait appel à une notion qui est étrangère à l’individualisme moral qui caractérise la question de la dignité dans notre ordre juridico-éthique, qui est toujours la dignité d’individus. Certes, comme la dignité dénote une valeur intrinsèque, si on pense que les communautés ont une telle valeur, en plus de celle des individus qui la composent, on pourrait parler de la dignité d’une communauté : ce serait tout à fait possible dans un ordre juridico-éthique communautarien. On pourrait aussi reformuler ces arguments en disant que, par un tel spectacle, on favorise des attitudes discriminatoires et humiliantes, mais ce serait en revenir à une question de droits et de libertés, bref, à l’autonomie. Le quatrième argument et le premier s’appuient sur la question du statut de l’être humain : il n’est pas un objet (un projectile) et doit se comporter de la manière qui est propre à un être humain (plutôt qu’à une « bête »). Durand estime que le quatrième est particulièrement mauvais, puisqu’il commente : « Faut-il interdire tout ce qui n’élève pas l’âme humaine ? » (2010, p. 27), mais il est en fait révélateur du désaccord que l’on observe entre les partisans de la prééminence de l’autonomie et ceux de la priorité de la dignité. Pour les premiers, ce qui caractérise tout comportement propre à un être humain, c’est-à-dire digne de lui, c’est son autonomie. Il est nécessaire et suffisant qu’un comportement soit autonome pour qu’il satisfasse à la dignité humaine, même s’il est aussi affligeant que l’assistance à un spectacle de lancer de nains. Pour les seconds, il faut plus. Quoi exactement ? Que le comportement soit conforme à une certaine image de l’être humain et de la personne, image plus riche que celle défendue par le libéralisme, exemplifiant d’autres valeurs encore.

John Locke, le père du libéralisme, avait affirmé : « Tout homme a la propriété de sa propre personne : sur cela, personne n’a de droit, sauf lui-même » (1992a, p. 163), voulant dire par là que nous sommes les propriétaires de nous-mêmes et avons le droit de disposer de notre personne comme bon nous semble. C’est cette propriété en un sens illimitée de soi que d’autres contestent : « Du fait de cette dignité que je porte en moi, je ne m’appartiens plus » (Durand, 2010, p. 28). Les bioconservateurs américains exemplifiaient cette conception, mais ils ne sont pas seuls, comme l’affaire du lancer de nains le montre. On retrouve encore la même opposition entre l’autonomie et la dignité dans un autre débat, plus ancien, celui sur la fin de vie où s’affrontent ceux qui estiment que chacun a le droit de choisir sa mort librement et ceux qui pensent que certaines pratiques comme l’euthanasie ou l’assistance au suicide sont moralement inacceptables. Or, les deux camps invoquent la dignité humaine (Goffi, 2004, p. 87).

Pour certains, « s’acharner à maintenir en vie, contre son gré, un malade incurable et souffrant atrocement est une atteinte à sa dignité humaine » (Schaller, 1999, p. 5). On dira alors qu’une mort digne est une mort voulue et non pas subie, qui achève une existence dont la qualité de vie a été au moins supportable jusqu’au bout. Mais d’autres voient les choses différemment : « Accepter de mourir dans l’humilité de notre finitude, accompagner celui qui va s’y affronter, voilà “la plus grande dignité des sujets humains” » (Schaller, 1999, p. 5). Mourir dignement, s’est s’accepter, mais c’est aussi être accompagné. Une mort indigne, ce serait donc par exemple une mort dans la solitude ou dans le refus de sa condition humaine. Dans cette optique, mettre fin à ses jours ou recourir à une euthanasie, c’est précisément la manifestation d’un tel refus. Paula La Marne commente : « Chacune des positions défend au fond une position “métaphysique”, une vision de l’homme. Malgré leurs luttes et leurs différends, ce sont deux humanismes qui s’affrontent » (1999, p. 101), humanismes qui fournissent chacun un contenu au concept de dignité.

Chaque fois, le concept de dignité cristallise un débat plus profond concernant la manière dont on conçoit la nature humaine ou l’idéal de la personne que l’on a à être. À la réflexion, ce n’est pas étonnant, puisque c’est un concept formel dont le contenu est justement fourni par les différentes anthropologies philosophiques. Ce qui est en question, c’est le statut particulier de l’être humain en comparaison aux autres êtres qui l’entourent, bref, le propre de l’homme. Or on sait qu’il existe de profondes divergences à ce sujet dans les doctrines philosophiques. Néanmoins, au-delà de toutes ces divergences, on peut dégager un contenu minimal du concept de dignité si on regarde le statut de l’être humain par opposition à celui des autres êtres. C’est notamment ce qu’a fait Kant dans la seconde formulation de l’impératif catégorique : « Agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen » (1980, p. 105). Une chose, c’est un moyen ; un être humain n’étant pas une chose, il n’est pas un moyen mais une fin. De là dérive l’interdit très répandu de nos jours de l’instrumentalisation des personnes. On lit par exemple sous la plume de Jean-Paul II, qui se situe dans la tradition se réclamant de Thomas d’Aquin : « Parce que l’homme est une personne, sa dignité est unique parmi toutes les créatures. Chaque individu est une fin en soi et ne peut jamais être utilisé comme un simple moyen pour atteindre d’autres biens » (1999, p. 322).

L’interdit de l’instrumentalisation fait, historiquement, référence à l’esclavage, considéré comme une violation paradigmatique de la dignité humaine. Le 27 avril 1848, le gouvernement provisoire français, « considérant que l’esclavage est un attentat contre la dignité humaine ; qu’en détruisant le libre arbitre de l’homme, il supprime le principe naturel du droit et du devoir ; qu’il est une violation flagrante du dogme républicain : Liberté, Égalité, Fraternité », décrète : « L’esclavage sera entièrement aboli dans toutes les colonies et possessions françaises. À partir de la promulgation du présent décret dans les colonies, tout châtiment corporel, toute vente de personnes non libres, seront absolument interdits. » Raymond Aron affirme encore : « Les hommes se sont dressés […] contre la violence faite à leur dignité par des maîtres qui les traitent en esclaves ou en sous-hommes » (Manent, 2001, p. 84).

L’esclavage est un traitement dégradant, c’est-à-dire une pratique qui traite l’être humain comme une chose et le fait déchoir de son rang. Dans le même esprit, d’autres traitements dégradants ont été condamnés, ceux qui humilient, et notamment la torture. Allonger la liste des comportements dégradants est justement ce que certains comme Kass aimeraient faire. Les partisans de l’autonomie résistent et centrent leur propos sur l’instrumentalisation qui, effectivement, y est très liée, comme l’argument suivant le souligne (Baertschi, 2004, p. 130) :

1. Une personne est fondamentalement un être doué de raison.

2. La raison comprend la liberté et le pouvoir de diriger sa vie, c’est-à-dire de fixer ses propres buts.

3. Tout comportement qui ne respecte pas la liberté ou l’autonomie d’une personne ne la respecte pas.

4. Quand nous instrumentalisons quelqu’un, nous substituons nos propres buts aux siens ou lui imposons les nôtres.

5. Instrumentaliser une personne, c’est ne pas la respecter en tant que personne.

6. Ne pas respecter quelqu’un en tant que personne, c’est violer sa dignité.

7. Instrumentaliser une personne, c’est violer sa dignité.

On comprend aussi pourquoi dans sa critique du clonage, Kass dénonçait une manufacture de l’enfant : manufacturer quelqu’un, c’est en effet le traiter comme un objet et le façonner sans tenir compte de ses propres désirs et finalités. Toutefois, l’argument n’est pas forcément valide, car un embryon n’est pas un être autonome, et donc ne paraît pas pouvoir être considéré comme une personne, même s’il existe une controverse sur ce point.

S’ensuit-il toutefois, dans une approche centrée sur la non-instrumentalisation, que la dignité et l’autonomie ne peuvent entrer en conflit ? Non, comme le montre la question, certes assez particulière, de l’esclavage volontaire. Les libéraux, même ceux qui sont les plus fervents défenseurs de l’autonomie entendue comme la propriété de soi-même, tels les libertariens, divergent sur cette question. Friedrich von Hayek accepte de limiter ainsi le droit de propriété de soi : « Si chacun a le droit de se détruire, il n’a pas pour autant le droit de se vendre en esclavage » (Van Parijs et Arnsperger, 2000, p. 31), car c’est incompatible avec l’idéal d’une société libre. Par contre, Robert Nozick ne voit aucun inconvénient à l’esclavage volontaire, ni Peter Vallentyne, puisque les droits de propriété sont transférables (toute propriété est aliénable), ni Michael Otsuka, qui parle du droit d’« aliéner le contrôle que chacun a sur soi-même » (Vallentyne, Steiner et Otsuka, 2005, p. 212). Bref, certains suivent Rousseau lorsqu’il affirmait : « Renoncer à sa liberté, c’est renoncer à sa qualité d’homme, aux droits de l’humanité, même à ses devoirs […]. C’est une convention vaine et contradictoire de stipuler d’une part une autorité absolue et de l’autre une obéissance sans bornes » (1964, p. 356), d’autres non. Kant a même appliqué l’objection au suicide, qui « anéantit une personne morale en la sacrifiant aux intérêts d’un être humain empirique » (Goffi, 2008, p. 11), traitant ainsi l’humanité qui est en lui comme un moyen, à l’instar de celui qui se constituerait volontairement esclave. Pour Kant, se donner la mort pour sauver son honneur ou pour faire cesser des souffrances insupportables, c’est comme anéantir sa liberté pour obtenir sa subsistance ou d’autres biens nécessaires.

Peut-on dans le cas de l’esclavage volontaire opposer la dignité à l’autonomie ou faut-il continuer à soutenir que ce à quoi on consent librement est toujours conforme à la dignité humaine ? Les partisans de l’opposition proposent l’argument suivant. « Posséder » est utilisé de manière équivoque dans la thèse disant qu’on est propriétaire de soi-même. Je possède les biens qui sont miens ; mon autonomie est un bien qui est mien ; donc je la possède. Or, si je possède quelque chose, je peux m’en défaire, donc je peux me défaire de mon autonomie. L’argument est impeccable pour la plupart des biens, mais non pour tous ; plus précisément, il ne vaut pas pour les biens qui sont constitutifs de la personne (c’est-à-dire du sujet de possession), car, au sens strict, nous ne les possédons pas. Or, c’est le cas de l’autonomie : on ne la possède pas à la manière des biens dont on peut se séparer, car se séparer de son autonomie, ce serait se dissoudre comme entité voulante et décider de ne plus jamais se traiter et être traité comme un sujet de possession, mais comme un simple moyen. Ce serait donc violer sa dignité.

Bref, il existe de très rares cas ou la dignité peut s’opposer à l’autonomie et aux décisions en principes valables de la personne, à savoir les cas où l’autonomie se détruirait elle-même (Baertschi, 2009, p. 182-183). Il s’agit ici de devoir envers soi-même, car bien évidemment, mon autonomie ne peut prévaloir contre la dignité d’autrui : le fait que je décide librement de torturer mon ennemi ne saurait justifier ce que je fais. Reste à savoir si on a des devoirs envers soi-même ; certains auteurs partisans d’un minimalisme moral comme Ogien le contestent (2007, p. 57) et c’est au nom de cette conception morale qu’ils rejettent le recours à la dignité pour contrer l’autonomie. Il est vrai qu’on peut faire rebondir le problème même dans une approche minimaliste : se rendre volontairement esclave, n’est-ce pas ipso facto une destruction de ce bien constitutif qu’est l’autonomie, une sorte de contradiction performative donc, plutôt qu’une question de devoir ? La question de la dignité dépasse en conséquence celle de l’existence des devoirs envers soi-même.

7. L’usage juridico-politique du concept

On a vu que la dignité est très souvent invoquée dans les textes juridiques nationaux et internationaux, principalement en relation avec la bioéthique. On a vu aussi que c’était un concept formel, dénotant la valeur intrinsèque qui s’attache à un être, et parfois à d’autres entités, comme le genre de vie (actif ou contemplatif) ou les communautés, et donc qu’il faut lui donner un contenu. On peut rester sur un plan général et parler d’interdiction de l’instrumentalisation et de l’humiliation, mais on peut aussi lui donner un contenu plus riche, basé sur une conception plus englobante de l’être humain, qui a souvent des connotations religieuses. Dans une optique qui se veut neutre sur ce plan, il est remarquable de voir que le contenu proposé tend à se placer sous l’égide de la non-instrumentalisation. Ainsi, Kass, nonobstant son point de vue proche des religieux, condamne le clonage parce qu’il serait une manufacture de l’enfant, c’est-à-dire que les parents le créeraient selon l’image qu’ils s’en font, si du moins c’était possible, refusant d’accepter le don que la nature voudrait leur faire.

Sur le plan juridico-politique, on observe les mêmes phénomènes. Concernant le clonage, le Protocole additionnel de la Convention d’Oviedo de 1998 le condamne notamment au nom du respect de la dignité humaine, mais en faisant immédiatement le lien avec l’instrumentalisation : « L’instrumentalisation de l’être humain par la création délibérée d’êtres humains génétiquement identiques est contraire à la dignité de l’homme et constitue un usage impropre de la biologie et de la médecine ». Toutefois, le fait que la dignité soit un concept formel fait que, dans de nombreux pays, on ne peut s’en prévaloir pour saisir la justice : à cet effet, il faut qu’un droit soit violé. C’est ce que soulignent les constitutionnalistes suisses : « La garantie de la dignité humaine entretient un lien direct avec la liberté personnelle […]. Il s’agit par conséquent d’un principe objectif, qui doit être protégé et respecté dans l’ensemble de l’ordre juridique, mais qui n’est justiciable que dans la mesure où il fait partie du champ de protection d’une liberté ou d’un autre droit fondamental. » (Auer, Malinverni et Hottelier, 2000, p. 134)

Le contenu de la dignité est assuré par les droits fondamentaux, ce qui est bien en accord avec l’approche libérale, mais pourrait évidemment s’en éloigner selon la liste des droits que l’on place sous le principe du respect de la dignité. C’est d’ailleurs ce qui est en train de se passer en France. Dans ce pays, « le principe de dignité, diffusé dans les textes législatifs et réglementaires, a principalement pour objet de renforcer ou de remplacer, par un progressif glissement terminologique, des droits existants » (Cossalter, 2014, p. 3) ; toutefois ces droits sont de toute nature, nous dit Cossalter et ne se limitent pas du tout aux libertés et droits fondamentaux. Ainsi, on observe une interdiction des concours de « mini-miss », car ils portent atteinte à la dignité des enfants, et une interdiction des hébergements de salariés du génie civil dans des baraquements. Ogien souligne aussi le rôle de la dignité dans la condamnation de la prostitution : « Certains dénient aux prostituées le droit de faire certaines choses de leur corps ou de leur existence, même si c’est volontairement qu’elles le font, au nom de la “dignité humaine” » (2007, p. 130-131).

On se rend compte que le recours à la dignité quitte de plus en plus le terrain de la bioéthique et du biodroit, ce qui n’est d’ailleurs pas une surprise, vu que l’instrumentalisation et les traitements dégradants ne sauraient s’y limiter. Reste évidemment à savoir chaque fois si l’on est réellement en présence d’une violation de la dignité au sens juridique ou même moral. Certains juristes saluent cet élargissement et ce mouvement vers un usage croissant du concept, car ils y décèlent un progrès, la dignité constituant « l’instrument privilégié d’une moralisation du droit » (Levinet, 2003, p. 1035). Tous sont cependant loin de partager cette opinion.

Le fait que la violation de la dignité passe par la violation d’un droit modifie toutefois la place qu’elle occupe dans l’économie des droits. En effet, cela la situe à l’arrière-plan et au fondement des droits, alors que, lorsqu’il est question d’esclavage ou de torture, elle se présente elle-même comme un droit, à savoir le droit de ne pas être réduit à l’état d’esclave ou torturé. Michael Rosen le souligne : « Dans cette [dernière] optique, le droit d’avoir sa dignité respectée est un droit particulier – encore que ce soit un droit très important – plutôt que quelque chose qui se trouve au fondement des droits en général. » (2012, p. 62) Il y a là une certaine tension conceptuelle, soulignée aussi par Ogien (2009, p. 86), qu’on peut palper si on met d’un côté la Déclaration universelle des Droits de l’Homme ou la Constitution allemande, et de l’autre la Convention de Genève de 1949, qui concerne le droit international humanitaire : dans son article concernant le traitement des prisonniers de guerre, elle parle en effet du droit particulier à ne pas subir des traitements humiliants et dégradants, au nom du respect de la dignité du prisonnier.

Une autre particularité du concept de dignité consiste en ce que, si on s’en tient à sa définition formelle, il ne se limite pas à l’être humain mais peut s’appliquer à tout ce qui possède une valeur intrinsèque en plus ou à côté de sa valeur utilitaire. Cela vaut pour tous les êtres qui possèdent un statut moral, c’est-à-dire qui valent moralement par eux-mêmes. Si, dans l’anthropocentrisme de Kant, cela ne concerne que l’être humain, il n’en va plus de même dans des conceptions qui accordent un statut moral aux animaux, sur la base du fait qu’ils sont capables d’éprouver du plaisir et de la douleur (pathocentrisme), ou même à tous les êtres vivants, vu qu’ils possèdent un telos (biocentrisme). C’est ce qu’on observe notamment dans la Déclaration de Barcelone de 1998, qui voulait enrichir la bioéthique par l’adjonction de principes supplémentaires aux quatre classiques, notamment la dignité, l’intégrité et la vulnérabilité. La dignité y est certes définie de manière purement formelle, comme « la propriété selon laquelle les êtres possèdent un statut moral », mais il est précisé que cela ne concerne pas seulement l’être humain, vu que ce ne sont pas les seuls êtres qui importent moralement et dont les intérêts doivent être pris en compte. L’être humain a en conséquence « des devoirs envers la partie non humaine de la nature vivante », à savoir les animaux, les plantes et l’environnement.

Dans certains pays, de telles conceptions non anthropocentristes ont aussi cours. C’est le cas de la Suisse où la Constitution parle du respect de la dignité de la créature [Würde der Kreatur] (article 120). Dès lors se pose une nouvelle question : que signifie cette expression quand elle s’applique aux animaux par exemple, et que faire si les intérêts de l’être humain et le respect de la dignité non humaine entrent en conflit ? Pour y répondre, la Commission fédérale d’éthique pour le génie génétique dans le domaine non humain et la Commission fédérale pour les expériences sur les animaux ont publié une prise de position conjointe où on lit ceci : « Nous portons atteinte à la dignité d’un animal dès lors que le préjudice que nous pourrions lui causer ne fait pas l’objet d’une pondération des intérêts en présence, et que ce préjudice n’est pas pris en compte, les intérêts de l’être humain ayant été jugés naturellement prioritaires » (CENH, 2001, p. 4). La dignité animale est reliée à la pesée des intérêts, notion bien connue des juristes. Cela signifie que ne peut avoir une dignité qu’un être qui a des intérêts, un tel être ayant par ailleurs – c’est dit un peu plus bas – une « valeur intrinsèque », c’est-à-dire une valeur en vertu de ce qu’il est et non de son utilité, et qui exige le respect : « Les êtres vivants doivent être respectés et ménagés au nom de leur valeur intrinsèque ». Il faut comprendre qu’un être qui a des intérêts poursuit des buts qui lui sont propres, capacité qui lui donne une valeur indépendamment de toute relation à des tiers, et particulièrement aux êtres humains qui, sans doute, aimeraient bien l’utiliser comme une ressource.

Mais alors, cette dignité exige-t-elle un respect absolu, comme il en va pour la dignité humaine dans les différentes Constitutions des États européens, l’interdiction de l’esclavage et de la torture ne souffrant aucune exception ? En 2005, Wolfgang Daschner, chef de la police de Francfort, menace un kidnappeur de sévices corporels s’il ne révèle pas où se trouve l’enfant qu’il a séquestré et qui, laissé seul, risque de mourir (malheureusement, il a déjà été tué, mais la police ne le sait pas). Le kidnappeur cède, mais Daschner est condamné par la suite à une amende pour menace de torture, bien que la bonté de ses motifs ait été reconnue, car la dignité humaine ne doit en aucun cas être compromise (Rosen, 2012, p. 104-105).

En va-t-il de même avec les animaux ? Non, on s’en doute : comme le dit le texte des Commissions suisses, nous violons la dignité d’un animal seulement si nous ne prenons pas en compte ses intérêts. Autrement dit, si une pondération des intérêts est effectuée et que la balance penche en faveur des êtres humains, l’animal pourra être utilisé, c’est-à-dire instrumentalisé : « La dignité de l’animal est considérée comme étant respectée dès lors que dans le cadre d’une pondération des intérêts soigneusement effectuée, l’atteinte qui lui est portée a pu faire l’objet d’une justification. » (2001, p. 9) Relevons encore que ces deux Commissions identifient des sources prima facie de violation de cette dignité dans les cas suivants : les souffrances, les interventions modifiant l’apparence, l’avilissement et l’instrumentalisation abusive. Dans cette optique, la mise à mort n’est pas considérée comme une violation de la dignité des animaux, ce que critiquent certains auteurs ; toutefois, Kant non plus ne pensait pas que la peine de mort était incompatible avec le respect de la dignité humaine.

Cette tendance à attribuer une dignité aux êtres non humains va-t-elle se généraliser ? Cela est difficile à dire, mais le concept le permet tout à fait. Le Moyen Âge l’avait étendu surtout vers le haut aux anges et à Dieu, nous pourrions le voir attribué vers le bas aux bêtes, voire aux plantes – c’est du moins ainsi que l’exprimeront tous ceux qui adoptent encore, à l’instar de Pic et des Anciens, une conception hiérarchique des êtres, et c’est d’ailleurs déjà ce que pensait Thomas d’Aquin, lorsqu’il constatait que, dans les échanges marchands, la dignité des êtres vivants n’est pas forcément placée au-dessus de celle des êtres inanimés, comme il se devrait : les êtres, dit-il, « ne sont pas appréciées selon la dignité de leur nature : autrement, une souris, qui est un animal sensible, serait de plus de prix qu'une perle, qui est une chose inanimée. Mais les prix sont imposés aux êtres selon que les gens en ont besoin pour leur usage » (2008, lib. 5, l. 9, para. 981).

Conclusion

Le concept de dignité humaine est un concept très présent dans les discussions contemporaines en éthique, et particulièrement en bioéthique. Les juristes lui accordent aussi une place importante, certains le plaçant même à la source des droits humains. S’il y a des motifs historiques à cela (les atrocités commises pendant la dernière guerre mondiale), la place qu’occupe le concept dans la philosophie morale en explique la raison : la dignité désigne la valeur intrinsèque des êtres, si bien que le concept se laisse naturellement mobiliser lorsqu’on veut souligner et préserver la valeur particulière propre de l’être humain.

Toutefois, en lui-même, la dignité demeure un concept formel, car il reste à déterminer en quoi consiste la valeur intrinsèque d’un être et, en particulier, de l’être humain. Depuis l’Antiquité, il existe un accord assez large sur la réponse qu’il faut y apporter : ce qui fait la valeur de l’être humain, c’est la possession de la rationalité. Par là, l’être humain est une personne. L’être humain doit par conséquent être respecté en tant qu’il est un être doué de raison et il doit se comporter de manière rationnelle. Mais cela aussi reste général et demande à être précisé. Deux positions s’affrontent actuellement sur cette question. Pour les libéraux, respecter un être doué de raison, c’est respecter les droits fondamentaux dont il est le sujet, alors que pour les conservateurs, cela demande plus, et notamment de respecter les processus naturels caractéristiques de la vie humaine, ce qui peut impliquer la limitation de certains droits ou libertés, et donc de l’autonomie.

Plus récemment, la dignité a été étendue à d’autres êtres que l’être humain, comme les animaux. Cela est nouveau, mais pas très étonnant, puisque le concept désigne une valeur intrinsèque et que, pour beaucoup d’auteurs, les animaux en possèdent une. Cela renoue d’ailleurs avec une tradition que l’on peut faire remonter à Thomas d’Aquin au moins, mais pour des motivations souvent différentes, liées à des positions pathocentristes ou biocentristes : nous pensons de plus en plus qu’il faut protéger les êtres non humains avec lesquels nous vivons, et cela non seulement parce qu’ils nous sont utiles, mais aussi pour ce qu’ils sont et parce qu’ils valent par eux-mêmes, bref, parce qu’ils ont une valeur intrinsèque.

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Bernard Baertschi

Université de Genève

Bernard.Baertschi@unige.ch