Platonisme mathématique (A)

Comment citer ?

Bravo, Felipe (2017), «Platonisme mathématique (A)», dans Maxime Kristanek (dir.), l'Encyclopédie philosophique, consulté le ..., https://encyclo-philo.fr/platonisme-mathematique-a

Publié en janvier 2018

 

Résumé

Le platonisme mathématique est l’idée selon laquelle les mathématiques portent sur des entités abstraites, qui existent de manière indépendante de notre pensée et de notre langage. Dans cette perspective, les mathématiques sont analogues aux sciences empiriques dans la mesure où elles ont comme objectif de découvrir (à l’opposé d’inventer) les objets, les structures, les propriétés et les relations dans l’univers mathématique. La particularité des mathématiques se trouverait dans la nature de son objet : les entités étudiées par la physique, la biologie et autres sciences de la nature sont localisées spatio-temporellement ; en revanche, les entités étudiées par les mathématiques (les nombres, les ensembles, les groupes, les fonctions etc.) ne semblent être localisées nulle part dans l’espace ou dans le temps – elles sont abstraites.

Deux arguments sont avancés habituellement pour défendre le platonisme. Le premier, d’une part, provient de l’interprétation la plus littérale du discours mathématique. L’idée, en bref, est que si les mathématiques disent qu’il y a une infinité de nombres premiers, et que nous considérons qu’il est vrai de l’affirmer, alors nous devons croire qu’il y a des nombres premiers. Comment pourrions-nous sinon affirmer quelque chose de vrai d’une chose qui n’existe pas ? Le deuxième argument tire l’existence des objets mathématiques cette fois-ci de leur application et de leur omniprésence en sciences. Les entités des mathématiques (nombres, fonctions, ensembles, groupes,…) semblent faire partie intégrante de la science et sont indispensables pour le bon fonctionnement et l’efficacité de celle-ci, autant que les électrons ou les planètes. Si nous croyons qu’il existe des planètes et des électrons, il semblerait alors que nous avons aussi des raisons de croire qu’il existe des entités mathématiques.

Actuellement, le défi principal rencontré par les interprétations platonistes des mathématiques est d’ordre épistémologique. Si, comme le platoniste affirme, les entités mathématiques sont des entités abstraites, qui existent de manière indépendante, alors comment des êtres localisés spatio-temporellement (comme les êtres humains) et ayant des appareils cognitifs adaptés à ce milieu, pourraient avoir une quelconque connaissance d’entités abstraites ?


Table des matières

Introduction

1) Qu’est-ce que le platonisme ?

a) Le réalisme ontologique

b) La thèse de l’abstraitc) Indépendance

2) Arguments pour le platonisme

a) L’argument de Frege

i) Sémantique standard

i) Vérité mathématique

iii) Critiques

b) L’argument d’indispensabilité

i) Quine/Putnam

ii) Holisme de la confirmation et naturalisme

iii) Qu’est-ce cela veut dire « être indispensable » ?

iv) Critiques

3) Problèmes du platonisme

a) Qu’est-ce qu’un objet mathématique ?

b) Epistémologie

i) Le (deuxième) problème de Benacerraf

ii) Reformulations

iii) Généralisation

4) Variétés de platonisme

a) Le platonisme de Frege

b) Platonisme classique

c) Structuralisme mathématique

d) Néo-frégéanisme

e) Platonisme scientifique

Bibliographie


Introduction

Le platonisme mathématique est l’idée selon laquelle les mathématiques portent sur des entités abstraites, qui existent de manière indépendante de notre pensée et de notre langage. Il s’agit d’un des sujets les plus débattus en philosophie des mathématiques ces dernières années, non seulement pour ses importantes conséquences philosophiques, mais aussi pour l’étendue et la complexité des sujets qu’il touche. Pratiquement, tout aspect de la philosophie des mathématiques est lié d’une manière ou d’une autre au débat autour du platonisme mathématique. Cette place privilégiée s’explique en partie parce que le platonisme mathématique représente l’interprétation la plus naturelle du discours et de la pratique des mathématiques en fournissant une lecture littérale des énoncés mathématiques. Les énoncés mathématiques disent exactement ce qu’ils semblent dire : que le nombre 6 est parfait, que chaque élément d’un groupe a un inverse, qu’il y a une infinité de nombre premiers, ou que toute fonction continue sur un intervalle de réels est bornée et atteint ses bornes.

Selon le platonisme, l’objet d’étude des mathématiques serait un domaine abstrait et indépendant d’objets, dont le mathématicien ne fait que découvrir leurs propriétés et relations. Cette image de la recherche mathématique s’adapte bien aux impressions du mathématicien au travail qui se trouve confronté à une sorte de résistance à la découverte de son objet d’étude – du théorème qu’il essaye de prouver, du résultat qu’il essaye d’atteindre. Mais aussi aux impressions de toute personne commune ayant un jour pratiqué les mathématiques, même la plus simple arithmétique.

Néanmoins, dans un contexte philosophique où l’héritage de l’empirisme et du naturalisme est fort, une position comme le platonisme mathématique peut paraître étrange, archaïque, ou simplement contraire à une vision scientifique ou physicaliste du monde. Il reste, en effet, beaucoup de perplexité face au platonisme. D’une part, sans doute parce que les mathématiques sont souvent perçues uniquement comme un outil pour la science. Cette vision instrumentale des mathématiques, qui tendrait à voir en elles quelque chose d’inventé et créé sur mesure pour répondre à nos besoins de décrire le monde physique, s’adapte difficilement au platonisme. Mais aussi, d’autre part, parce que le platonisme mathématique, malgré la simplicité de sa formulation requiert tout de même une clarification, une explication.

La perspective platoniste a donc naturellement été reçue avec opposition par certains philosophes. Plusieurs formes de nominalisme se sont développées à l’encontre des interprétations platonistes des mathématiques. Le nominalisme est l’idée selon laquelle il n’existe pas d’objets abstraits : tout ce qui existe est concret. Actuellement, le fictionnalisme représente la plus grande opposition au platonisme mathématique.

Cette entrée a pour objectif d’exposer et clarifier le platonisme mathématique ainsi que les débats autour de lui. Dans la première section, une définition du platonisme mathématique sera donnée. Ensuite, les arguments en sa faveur seront exposés, ainsi que les obstacles qu’il rencontre. Enfin, un aperçu général des différentes versions que le platonisme peut adopter sera proposé.

1. Qu’est-ce que le platonisme ?

Le terme « platonisme » peut prêter à confusion ; le platonisme mathématique a en effet peu de relation avec la philosophie de Platon. Le nom est dû probablement à Paul Bernays, qui l’utilisait pour parler d’une approche particulière à la pratique des mathématiques consistant à utiliser consciemment des méthodes et pratiques non-constructives, qui semblent impliquer une certaine objectivité des mathématiques et une indépendance des objets étudiés à l’égard du mathématicien – des méthodes comme les définitions imprédicatives et le tiers-exclu, qui s’opposent à une approche constructiviste des mathématiques. Mais le « platonisme » de Bernays est plus une description de la pratique des mathématiques standard (lire, « non-constructives ») qu’une thèse métaphysique à propos de l’ontologie des mathématiques. Sur ce sujet voir Bernays, 1935, et aussi l’idée de « working realism » dans Shapiro, 1997, « Introduction ».

Il serait utile de concevoir le platonisme plutôt comme un champ théorique réunissant toute position métaphysique caractérisée par la conjonction des trois thèses suivantes :

  1. Le réalisme ontologique : les objets mathématiques existent.
  2. La thèse de l’abstrait : les objets mathématiques sont abstraits.
  3. L’indépendance : les objets mathématiques sont indépendants de notre esprit et de notre langage.

Souvent, dans les théories platonistes ces trois thèses sont accompagnées de deux autres :

  1. Le réalisme sémantique : les énoncés mathématiques ont une valeur de vérité indépendante (ou objective).
  2. La nécessité des vérités mathématiques : les vérités mathématiques sont nécessaires.

Cependant, ces deux thèses ne sont pas impliquées nécessairement par les trois premières. Par exemple, il est possible (bien que rare) d’être un réaliste en ontologie, mais un antiréaliste sémantique (voir en particulier Neil Tennant, 1987) ; il est possible également d’être antiréaliste en ontologie, mais réaliste en sémantique (voir par exemple Hellmann, 1989, ou Azzouni, 2004). Il est donc important de bien distinguer chacune de ses thèses.

a. Le réalisme ontologique

Le réalisme ontologique à propos des mathématiques, qu’on pourrait appeler aussi simplement « réalisme », est la thèse selon laquelle les objets mathématiques existent. Cette idée peut être exprimée de plusieurs manières ; on pourrait dire : « les objets mathématiques sont », « il y a des objets mathématiques », « les objets mathématiques existent », « le nombre d’objets mathématiques est différent de 0 », « les objets mathématiques sont réels », etc. L’idée reste la même : les entités mathématiques font partie de l’ensemble des entités pouvant être considérées comme existantes – de la même façon que les tables, les électrons, les lions, ou les pierres –, et à la différence des licornes, de l’actuel roi de France ou de Vulcain, qui n’existent pas.

La difficulté à ce stade est moins de savoir comment exprimer le réalisme ontologique, que de savoir ce qu’il signifie, et plus particulièrement de savoir ce que signifie qu’un objet mathématique « existe ». Sur ce point, il peut paraître surprenant que la notion d’existence n’ait été que peu traitée dans la littérature sur le platonisme. Une des raisons pour cette absence est sans doute qu’elle est considérée souvent comme une notion largement intuitive, ou trop simple pour admettre ou requérir une analyse. Une autre raison est qu’elle est perçue comme une question plus large, allant au-delà du platonisme et appartenant proprement à la métaphysique. La notion d’existence est en effet une question qui est assurément pertinente pour le platonisme, mais qui reste tout de même indépendante de ce dernier : après tout, le platonisme mathématique n’est pas une thèse à propos de ce que le prédicat « exister » signifie, mais une thèse concernant l’extension de ce prédicat.

Il serait peut être utile de distinguer le réalisme ontologique de certaines formes de pluralisme ontologique qui pourraient attribuer une « manière d’être » particulière aux objets mathématiques, ou aux objets abstraits en général. Le pluralisme ontologique, en effet, est l’idée selon laquelle il y a plusieurs manières dont un objet peut être – l’existence n’étant que l’une d’entre elles. Dans cette perspective, il serait possible de dire que les entités spatio-temporelles « existent », mais que les entités mathématiques ou abstraites ont un autre type d’être. Ce type de position est fortement lié à Alexius Meinong, mais également à Martin Heidegger (voir, par exemple, Meinong, 1904, Meinong, 1915 et Heidegger, 1927). Plus récemment, au moins un philosophe a défendu une position de cette sorte, à savoir Kris McDaniel (voir McDaniel, 2009). Le pluralisme ontologique est précisément ce que le réalisme ontologique n’est pas : il n’est pas l’idée selon laquelle les objets mathématiques existent d’une certaine façon ou d’une autre, mais seulement l’idée selon laquelle les objets mathématiques existent.

Enfin, pour clarifier la notion d’existence, il suffit d’adopter l’interprétation usuelle du réalisme otologique dans les termes de la position standard : l’approche quantificationnelle de l’existence. Celle-ci trouve son origine dans les travaux de Quine et consiste brièvement à considérer qu’exister n’est autre chose qu’être la valeur d’une variable liée, dans un énoncé quantifié vrai. Autrement dit, l’existence n’est autre chose que ce qui est exprimé par le quantificateur existentiel.

Cette approche de l’existence est consciemment adoptée, bien que sous des formes quelque peu différentes, par la plupart des versions du platonisme en vogue aujourd’hui – en particulier, le platonisme scientifique, le platonisme classique et le néo-frégéanisme (ou abstractionnisme) (voir plus loin). Les différences se trouvent surtout dans le type de discours à considérer ou la nature formelle ou non formelle de celui-ci. Par exemple, selon Quine, le discours ontologiquement pertinent est le discours scientifique régimenté – c’est-à-dire formalisé en logique du premier ordre. On dirait en outre que ce discours nous engage ontologiquement envers les entités servant comme référence des variables liées de premier ordre. Pour Frege et les néo-frégéens, en revanche, ni la restriction au discours scientifique, ni la régimentation ne sont nécessaires, il suffit de considérer dans ce cas des termes singuliers dans des énoncés vrais ; et les termes singuliers sont considérés comme dénotant des objets. Voir Eklund, 2006 pour une discussion de ces différences. Sur l’engagement quinien voir Quine, 1948, Quine, 1960 et Quine, 1981c ; Hylton, 2007 fournit une bonne introduction à l’ensemble de ces problématiques de la philosophie de Quine.

Dans cette perspective, le réalisme ontologique est l’idée selon laquelle il y a au moins un énoncé quantifié vrai de la forme suivante : «  » ou « il y a un n qui est P » où le terme n dénote un objet mathématique. Ainsi interprété, le réalisme ontologique n’est qu’une conséquence naturelle d’une interprétation littérale des énoncés mathématiques : des énoncés mathématiques habituels comme « le nombre 16 est pair », « il existe une infinité de nombre premiers » ou « 2+2=4 » disent exactement ce qu’ils semblent dire, à savoir qu’il y a (existe) certains objets (des nombres) qui ont certaines propriétés ou sont sous certaines relations.

La thèse du réalisme ontologique peut paraître à elle seule une thèse métaphysique substantielle. Cependant, elle ne caractérise pas la nature des entités mathématiques ; elle ne dit pas quel type d’entité elles sont. Le réalisme ontologique dit seulement que les termes singuliers mathématiques dénotent quelque chose, sans pourtant dire ce que cette chose est. C’est pourquoi des thèses significativement différentes du platonisme peuvent être considérées des formes de réalisme ontologique. Des exemples de cette situation sont le physicalisme mathématique de Philip Kitcher inspiré de John Stuart Mill (voir Kitcher, 1980, et Mill, 1884), la méréologie mathématique de Lewis (voir Lewis, 1991 et Lewis 1993), ou le réalisme ensembliste de Penelope Maddy (voir Maddy, 1992). Pour cette raison, il est absolument nécessaire dans le platonisme mathématiques de donner un profil métaphysique des entités considérées comme existantes. C’est précisément cela que font les thèses suivantes.

b. La thèse de l’abstrait

La thèse de l’abstrait dit que les entités mathématiques sont des entités abstraites, ceci voulant dire habituellement des entités non spatio-temporelles. Il est clair en effet que le nombre 2 ne se trouve nulle part dans l’espace ou dans le temps : on ne peut pas le pointer du doigt, se cogner contre lui ou citer sa date de naissance. Bien entendu, la pratique humaine des mathématiques a une histoire : les théorèmes ont des découvreurs, et des dates et lieux de découverte ; les conventions mathématiques que nous utilisons ont également une histoire. Mais, les nombres, ensembles et fonctions à quoi nos notations réfèrent, les entités qui rendent vrais nos théorèmes, semblent quant à elles être atemporelles et ne se trouver nulle part dans l’espace (dans le cas des ensembles, Maddy et Lewis sont une exception notable à cette position, voir Maddy, 1990 et Lewis, 1989). Pour cette raison, la thèse de l’abstrait est souvent considérée comme largement intuitive et créant consensus entre réalistes et antiréalistes, à quelques exceptions près (dont Philip Kitcher et l’intuitionnisme : voir Kitcher, 1980 ; Kitcher, 1984 ; ainsi que Brouwer, 1981 et Heyting, 1956). La difficulté principale autour de la thèse de l’abstrait se trouve plutôt dans la façon particulière de tracer la distinction entre l’abstrait et le concret : par quel critère, et à partir de quels aspects catégoriques des objets, devons-nous les ranger dans l’une ou l’autre de ces catégories ?

Le critère le plus largement répandu est formulé en termes spatio-temporels, et peut s’énoncer comme suit :

SP : Un objet abstrait est un objet non spatio-temporel

Ceci veut dire, globalement, un objet qui n’occupe aucune étendue temporelle ou spatiale. Mais un peu d’attention est nécessaire lorsqu’on formule la distinction de cette manière. Par exemple, il semblerait que les objets abstraits peuvent avoir des propriétés temporelles comme « être pensé maintenant » ou « avoir été découvert en 1765 » ; en outre, ce type de critère fait face à quelques cas problématiques. Certains objets pouvant être considérés comme abstraits semblent se trouver d’une certain façon dans l’espace ou dans le temps : les histoires, comme le Comte de Monte Cristo, ou les jeux, comme les échecs, semblent par exemple exister depuis un moment donné. La ligne de l’équateur, qu’on pourrait être tenté de qualifier d’abstraite, semble également avoir une localisation spatiale, et exister depuis que la Terre existe. Bien entendu, ces cas problématiques sont loin d’être décisifs, mais ils ont tout de même motivé la recherche de critères alternatifs pour tracer la distinction abstrait/concret (voir par exemple Hale, 1987 ; Katz, 1998 et Swoyer, 2008).

Une autre caractérisation habituelle est donnée en termes de causalité, et peut s’énoncer ainsi:

CC : Un objet abstrait est un objet qui n’a pas de pouvoirs causaux

Le critère causal semble avoir moins de cas problématiques que le critère spatio-temporel – il semble en réalité n’en avoir qu’un seul, à savoir les qualia (voir Rosen, 2014). Cependant, la causalité ne paraît pas être un aspect primaire, mais seulement dérivé de propriétés spatio-temporelles. L’incapacité des objets abstraits à participer à des relations causales ne serait alors qu’un aspect dérivé de leur non-spatio-temporalité, et en conséquence, le critère causal serait d’une certaine façon réductible au critère spatio-temporel.

D’autres critères pour tracer la distinction abstrait/concret sont possibles, et il y a un large spectre de désaccord sur ce point – Lewis fournit une excellente discussion des manières de tracer la distinction dans Lewis, 1989. Il n’en reste pas moins que l’importance et l’existence de cette distinction fait un consensus quasi-total. Ceci n’est pas surprenant étant donné que les objets abstraits sont assurément un des objets d’étude par excellence en philosophie : les valeurs morales, les propositions, les nombres, les propriétés, les faits, les universaux sont tous des objets abstraits.

Il est à remarquer tout de même que, tout comme la notion d’existence, la distinction abstrait/concret, bien que pertinente pour le platonisme, est d’une certaine façon indépendante de celui-ci. En effet, indépendamment du critère particulier utilisé pour tracer la distinction, les objets mathématiques reviennent toujours comme des cas paradigmatiques d’objets abstraits, au point où un critère pour tracer la distinction qui considérerait les objets mathématiques comme concrets, serait par là même un critère douteux.

c. Indépendance

La thèse de l’indépendance semble être la moins traitée de toutes celles qui composent le platonisme mathématique. Dans ce contexte, la notion d’indépendance pertinente semble être de deux sortes. D’une part, l’indépendance de l’esprit, et d’autre part, l’indépendance ontologique.

L’indépendance de l’esprit pourrait être exprimée par la négation du contrefactuel suivant : si il n’y avait pas eu d’êtres rationnels, alors il n’y aurait pas eu d’objets mathématiques. L’idée dans cette perspective est de tracer une distinction d’ordre ontologique entre les objets mentaux ou intentionnels d’une part, et les objets mathématiques, d’autre part. Les premiers auraient besoin de l’existence d’êtres pensants, doués d’un esprit, pour exister ; les derniers non.

Mais il est loin d’être clair ce que signifie cette forme d’indépendance, et comment elle s’applique aux objets mathématiques, en particulier. On trouve peu de commentaires concernant cette question, et ils s’accompagnent souvent de discussions concernant l’objectivité des mathématiques – un aspect plus proche du réalisme sémantique que du réalisme ontologique. Or, l’objectivité n’est pas pour autant nécessairement un aspect ontologique puisqu’on on peut soutenir l’objectivité des mathématiques sans pour autant se prononcer sur son ontologie. (Sur ce point voir Frege, 1884 ; Shapiro, 2007 ; Isaacson, 1994 et Dummett, 1978).

Si l’indépendance de l’esprit n’apparaît que rarement dans la littérature platoniste, en revanche, il est plus habituel de trouver dans les conceptions antiréalistes une défense des thèses opposées : la dépendance de l’esprit des objets mathématiques et l’antiréalisme sémantique. L’intuitionnisme en est un excellent exemple. Plus récemment Michael Dummett a défendu une telle position (voir Dummet, 1978 et Dummett, 1991).

Si le rôle de l’indépendance de l’esprit reste peu clair, les relations d’indépendance ontologique en revanche semblent un champ beaucoup plus riche pour développer et clarifier la thèse platoniste – bien que peu de platonistes aient encore réellement emprunté cette voie. Lorsque le platonisme dit, en effet, que les objets mathématiques sont indépendants, il semble vouloir dire, non seulement que les mathématiques sont objectives, mais aussi quelque chose de plus fort : que ses objets existent sans qu’ils aient besoin d’aucune autre chose pour exister.

Cette idée de « exister sans avoir besoin qu’aucune autre chose existe » fait l’objet d’une étude accrue actuellement en métaphysique à travers les notions de dépendance et indépendance ontologique, ainsi que de « fondation » (« ground ») (voir l’article « Fondation métaphysique ») . Ces notions ne sont pas uniques, elles ont plusieurs déclinaisons : il y a en effet différentes formes de dépendance ou de fondation (sur la dépendance et la fondation voir par exemple Rosen, 2010 ; Correia, 2005 ; Correia & Schnieder, 2012 ; Koslicki, 2012 ; Fine, 1994 et Fine, 2012). Il n’est reste pas moins que c’est quelque chose aux environs de ces relations que le platonisme tente d’exprimer à travers la thèse de l’indépendance. C’est pourquoi l’application de ces notions au platonisme et à la philosophie des mathématiques en général, s’avérera sans doute très riche – Linnebo, 2008 en est un excellent exemple.

2. Arguments pour le platonisme

a. L’argument de Frege

On attribue à Frege un argument pour le réalisme qu’on peut retracer dans les paragraphes 55 à 62 des Grundlagen der Arithmetik. L’argument particulier de Frege ne visait pas seulement une défense du platonisme, mais également du logicisme. Nous donnons donc ici une forme plus générale de l’argument, s’inspirant de celui de Frege:

  1. Des expressions fonctionnant comme des termes singuliers prétendant référer à des objets mathématiques apparaissent dans des énoncés mathématiques.
  2. Si un terme singulier intervient dans un énoncé[1], alors cet énoncé est vrai seulement si le terme singulier dénote un objet.
  3. (La plupart) des énoncés mathématiques sont vrais.

De ces prémisses on conclut :

  1. Des objets mathématiques existent.

Sous cette forme l’argument de Frege est valide, et reste un des arguments les plus forts pour soutenir le réalisme ontologique à l’égard des objets mathématiques. Pour une défense de l’argument de Frege voir Wright, 1983, Hale, 1987, et Hale & Wright, 2001b.

i. Sémantique standard

Les prémisses de l’argument de Frege sont assez claires, mais demandent quelques clarifications. Les première et deuxième prémisses sont une revendication de la sémantique standard pour les énoncés mathématiques. Dans la sémantique standard, la fonction sémantique des termes singuliers est de référer à des objets – c’est précisément pour cette raison que les nombres sont considérés par Frege comme des objets (Frege, 1884). Les prédicats quant à eux sont assimilés à des fonctions, vraies pour tout objet qui instancie la propriété correspondant au prédicat. Les conditions de vérité des énoncés mathématiques sont alors précisément les conditions apparentes ou de surface, c’est-à-dire les conditions qui sont dictées par leur syntaxe. Ainsi, pour tout énoncé de la forme « x est un P » ou « x a la propriété P », qu’on peut écrire « Px », il est vrai que Px si et seulement si il est le cas que l’objet x instancie P. Autrement dit, un énoncé n’est vrai que si ces termes ont effectivement une référence. Dans cette perspective, « 2 est un nombre premier » est vrai si et seulement si il est le cas qu’il y a un objet qui est le nombre 2, et qu’il instancie la propriété d’être premier. L’interprétation en sémantique standard d’énoncés mathématiques ordinaires nous oblige ainsi à reconnaître l’existence des référents putatifs de ces énoncés.

Ce traitement du discours mathématique est analogue à la sémantique habituelle du langage naturel où l’on considère par exemple que l’énoncé « il y a un chat noir sur le toit » est vrai si et seulement si il est le cas qu’il y a un chat noir sur le toit. Cette analogie se base sur le fait que la structure sémantique du langage mathématique reflète manifestement celle de langage ordinaire. Par exemple, les deux énoncés suivants semblent en effet avoir la même structure sémantique :

  1. 11 et 13 sont des nombres premiers jumeaux.
  2. Pierre et Paul sont des frères jumeaux.

Cette analogie explique pourquoi cet argument est applicable non seulement aux énoncés mathématiques, mais aussi à tout énoncé comportant des termes singuliers numériques : « 2+2=4 », autant que « le nombre de lunes de Mars est 2 », semble impliquer l’existence des objets auxquelles ils réfèrent. En outre, cette conception fournit un des avantages théoriques les plus importants du platonisme : il permet l’usage d’une sémantique universelle et uniforme sur l’ensemble du langage.

Le point fondamental de la première prémisse est donc que la forme syntaxique peut être conçue comme un guide pour la recherche ontologique, en général. L’existence, autrement dit, est tirée de l’analyse sémantique et syntaxique du langage. Pour cette raison, l’argument de Frege est alors un exemple de ce qu’on peut appeler une « approche linguistique de l’ontologie » : c’est-à-dire une méthodologie méta-métaphysique où l’analyse du langage est conçue comme un outil primordial pour répondre à la question « qu’est-ce qui existe ? ». Sur l’idée « d’approche linguistique de l’ontologie » voir Eklund, 2006.

ii. Vérité mathématique

La deuxième prémisse de l’argument de Frege semble assez évidente, au point qu’il peut paraître difficile de trouver des arguments pour la soutenir. Il suffit en effet de faire un peu de mathématiques pour se rendre compte qu’il y a une différence essentielle entre deux énoncés comme « 2+2=4 » et « 2+2=5 » ; et cette différence semble être bien exprimée en affirmant la vérité du premier, contre la fausseté du second. De même, seulement un peu de connaissance est nécessaire pour que des énoncés comme « il y a une infinité de nombres premiers » ou « le nombre 16 est pair » nous apparaissent comme vrais. Il est difficile de voir comment ils ne pourraient pas l’être. Certains énoncés mathématiques peuvent même sembler vrais immédiatement et nécessairement. C’est pourquoi les mathématiques sont parfois considérées comme a priori, nécessaires ou analytiques.

Mais il y a assurément des raisons pour douter de l’application de la notion de vérité aux mathématiques. Par exemple, il ne semble pas essentiel pour le mathématicien de parler en termes de vérité et de fausseté : peut-être qu’on pourrait, sans difficultés, continuer à faire des mathématiques uniquement en parlant en termes de « consistance », de « cohérence », d’« adéquation » ou autres notions connexes. La différence entre les énoncés « 2+2=4 » et « 2+2=5 » s’expliquerait donc par le fait que le premier est cohérent ou consistant ou adéquat et le deuxième non. En outre, notre tendance à croire à une forme ou une autre du principe de vérifaction (selon lequel toute proposition vraie à un vérifacteur – c’est-à-dire quelque chose qui la rend vraie) semble soulever des doutes à l’égard de l’idée de vérité en mathématiques puisqu’il n’est pas clair ou évident, dans un premier abord au moins, qu’est-ce qui rend vrai un énoncé comme « 2+2=4 ». De manière générale, la difficulté semble résider dans le fait que la vérité est traditionnellement conçue comme une relation entre un monde et un langage, et il n’est pas clair en quoi consiste cette relation dans le cas particulier des énoncés mathématiques. Pourquoi alors, au-delà de nos impressions, considérer que les énoncés mathématiques sont susceptibles d’être vrais ?

Il y a tout d’abord des raisons mathématiques pour le faire qui ont trait à la légitimité même des mathématiques en tant que science. L’idée dans cette perspective est de justifier le statut sémantique des énoncés mathématiques en vertu des mathématiques elles-mêmes. Après tout, les mathématiques sont une activité indépendante de la science et de la philosophie, ayant un énorme succès et constituant une véritable branche de la connaissance humaine. Il est alors tout à fait raisonnable de penser que les mathématiciens devraient avoir une certaine autorité épistémique sur l’interprétation de leur activité. Si les mathématiciens acceptent donc au moins une partie des mathématiques comme vraies pourquoi ne devrions-nous le faire aussi ?

Cette stratégie est sans doute séduisante, et a reçu de l’attention récemment (voir Burgess & Rosen, 1997 et Maddy, 1997). Mais il y a quelques obstacles à prendre en compte. Tout d’abord, est-ce qu’il est le cas qu’il y a un consensus parmi les mathématiciens pour considérer les mathématiques comme vraies, ou susceptibles d’être vraies ? Deuxièmement, même si c’était le cas que les mathématiciens considèrent les mathématiques comme étant vraies, serait-ce dans le même sens dont parle le philosophe ? Peut-être, par exemple, que « vrai » en mathématiques ne veut pas dire plus que « prouvé » ou « correct ». Et enfin, même s’il existait un consensus universel parmi les mathématiciens pour considérer que les mathématiques sont « vraies » au sens du philosophe, ceci ne montrerait pas de manière déterminante la vérité des mathématiques. La raison pour cela est que l’opinion des mathématiciens doit sans doute être prise en compte, mais ne peut pas être élevée au rang de dogme dans la philosophie des mathématiques. Les philosophes des mathématiques doivent interpréter et évaluer l’opinion des mathématiciens, mais celle-ci reste défaisable.

Une autre option c’est d’avoir recourt aux sciences empiriques. Dans cette perspective, l’idée serait plus précisément d’inférer la vérité des mathématiques en vertu des besoins des sciences empiriques. Pour cela on peut faire appel à un argument d’indispensabilité restreint à la vérité. Ce type d’argument peut être trouvé en particulier chez Michael Resnik (Resnik, 1997). L’argument de Resnik est le suivant :

  1. La pratique scientifique suppose la vérité des mathématiques qu’elle utilise.
  2. Cette supposition est indispensable pour la science. Plus précisément, une grande partie des inférences que la science opère seraient impossibles sans supposer la vérité des mathématiques.
  3. On est justifiés à faire des inférences scientifiques seulement si on est justifiés à croire que les mathématiques utilisées par la science sont vraies.

On conclut que :

  1. On est justifiés à croire que les mathématiques sont vraies.

En somme, l’idée globale de l’argument de Resnik est que, afin d’inférer des résultats scientifiques, la science présuppose de manière indispensable la vérité des mathématiques qu’elle utilise. Par conséquent, si nous pouvons légitimement opérer des inférences et établir des résultats scientifiques, alors de la même façon nous pouvons légitimement croire à la vérité des mathématiques indispensables pour ces inférences et résultats. La justification de notre croyance dans la vérité mathématique est ainsi héritée de la justification de notre pratique inférentielle en sciences.

L’argument de Resnik est formulé en termes épistémiques et concerne en particulier le rôle inférentiel des mathématiques. Il n’a pas besoin en outre de se prononcer sur la vérité de la science. Mais d’autres versions de l’argument sont imaginables. Il serait possible, par exemple, de faire appel au rôle descriptif ou explicatif de la science ; ou encore d’adopter une forme ou une autre de réalisme scientifique. Dans tous les cas l’idée d’un argument d’indispensabilité restreint à la vérité reste la même : la vérité des mathématiques est nécessaire pour le fonctionnement normal de la science ou pour son statut épistémique ; étant donné que nous devons chercher à conserver ce fonctionnement ou à reconnaître ce statut, alors nous devons croire à la vérité des mathématiques. Pour plus d’informations sur la relation entre la science et la vérité des mathématiques, voir Paseau, 2005 et Paseau, 2007.

Enfin, une troisième option serait de faire hériter aux mathématiques, le caractère épistémique d’une autre discipline, et en particulier de la logique. Telle est la stratégie entreprise par Frege et les néo-frégéens. L’idée, brièvement, est que les mathématiques sont réductibles à la logique. Or, la logique est vraie et analytique. Il suit alors que les mathématiques sont vraies et analytiques.

Le projet original de Frege consistait à réduire les mathématiques à un unique axiome logique, supposé vrai et nécessaire, la Loi Basique V. Ce projet s’est cependant avéré inconsistant – il est victime du célèbre paradoxe de Russell. Les néo-frégéens quant à eux continuent à revendiquer une forme de logicisme, moins radicale que celle de Frege. On sait maintenant que l’arithmétique est dérivable de la logique du second ordre additionnée d’un seul axiome non logique (le principe de Hume) et de quelques définitions – un résultat appelé le Théorème de Frege. Les néo-frégéens interprètent ce résultat comme un indice d’une forme allégée de logicisme : s’il est vrai que le projet de Frege est impossible, il est pourtant possible de dériver l’arithmétique avec presque uniquement de la logique. Les mathématiques resteraient vraies et analytiques – à condition que le principe de Hume soit lui-même analytique. Mais la question de savoir à quel point ce résultat est une revendication du logicisme reste une question ouverte.

iii. Critiques

Les prémisses de l’argument de Frege ont reçu des objections importantes. Tout d’abord, l’idée selon laquelle la sémantique standard est applicable aux mathématiques a été critiquée vivement par des auteurs comme Thomas Hofweber et Jody Azzouni (voir Hofweber, 2005 et Azzouni, 2005).

La thèse générale avancée dans ces critiques est que l’analogie de structure sémantique entre des énoncés mathématiques et non-mathématiques est trompeuse. L’analyse sémantique adéquate des mathématiques serait alors différente de l’interprétation standard applicable au langage naturel et n’impliquerait pas une conception réaliste des mathématiques.

Une telle position pourrait potentiellement représenter un grave obstacle à l’argument de Frege. Mais un travail considérable est encore nécessaire pour la motiver. Pour l’adopter il serait nécessaire, d’abord, de proposer une interprétation sémantique alternative non réaliste du discours mathématique, ensuite, montrer que cette interprétation est correcte, et enfin expliquer pourquoi la syntaxe de surface est trompeuse.

La deuxième prémisse a également été critiquée. L’opposition principale vient notamment d’une forme spécifique de nominalisme : le fictionnalisme. Le fictionnalisme est la position selon laquelle (i) il n’y a pas d’objets mathématiques et (ii) les énoncés mathématiques sont (littéralement) faux.

L’enjeu principal du fictionnalisme est de concilier l’utilité et le pouvoir expressif des mathématiques avec leur fausseté littérale. Les fictionnalistes sont ainsi obligés de donner une interprétation sémantique, pouvant prétendre être la plus adéquate, et qui puisse rendre compte de l’application des mathématiques dans des contextes scientifiques et ordinaires sans devoir postuler leur vérité. Ce projet est sans doute un projet considérable, mais plusieurs théories fictionnalistes ont été proposées, et le fictionnalisme reste actuellement l’adversaire le plus important du platonisme. Parmi les plus célèbres théories fictionnalistes se trouvent le figuralisme de Stephen Yablo (voir Yablo, 2001 et Yablo, 2005 ; voir aussi Yablo, 1998 pour une critique de l’approche ontologique du réalisme), et le fictionnalisme de Hartry Field (Field, 1989) et Mary Leng (voir Leng, 2010)). Voir aussi Burgess & Rosen, 1997, Stanley, 2001 et Kalderon, 2005 pour une discussion du fictionnalisme.

b. L’argument d’indispensabilité

i. Quine/Putnam

Un deuxième argument très célèbre pour le platonisme mathématique est l’argument d’indispensabilité. Cet argument a récemment reçu beaucoup d’attention, probablement parce qu’il est perçu, par beaucoup de platonistes comme de nominalistes, comme le meilleur argument pour le réalisme ontologique.

De manière générale, un argument d’indispensabilité nous exhorte à adopter une position sur la base du caractère indispensable de celle-ci pour un certain usage. Dans le cas particulier du réalisme mathématique, l’idée est donc de recommander un engagement ontologique envers les objets mathématiques sur la base de leur caractère indispensable pour la science.

Le point de départ de l’argument est le rôle fondamental et prédominant des mathématiques dans les sciences empiriques. Le rôle des mathématiques en sciences est en effet aussi important que varié, et il est très difficile d’imaginer que nos meilleures théories scientifiques puissent conserver leur pouvoir expressif, explicatif ou prédictif sans avoir recourt aux mathématiques. Dans ce sens, les mathématiques semblent être indispensables pour la science. En outre, étant donné le statut particulier de la science dans l’ensemble des activités humaines, il semble tout à fait raisonnable de considérer que la plupart de nos théories scientifiques sont vraies, ou au moins approximativement vraies. Or, si ces théories sont vraies, alors on doit considérer que les objets dont elles parlent existent – les électrons, les planètes, les champs, les cellules etc. De même, si nous avons de bonnes raisons pour croire qu’une théorie est (au moins approximativement) vraie, alors nous devons croire que les objets qui lui sont indispensables existent. Le point fondamental est que cette dernière idée s’applique indépendamment du fait que les objets en question soient physiques ou mathématiques. Nous avons, par exemple, de bonnes raison pour croire que l’électrodynamique quantique est vraie, et donc par là même nous devons croire que les photons, les électrons, les champs, mais aussi les espaces de Hilbert ou les nombres complexes existent. Telle est l’idée générale derrière un argument d’indispensabilité pour l’existence des objets mathématiques.

Cet argument est habituellement associé à Quine et Putnam, puisque ses racines peuvent être retracées dans les écrits de ces deux philosophes (voir en particulier Quine, 1981b, Quine, 1981d et Putnam, 1979). Cependant, ni Quine, ni Putnam n’ont donné de formulation précise de l’argument. La défense la plus systématique a été proposée par Mark Colyvan (voir Colyvan, 2001). L’argument de Colyvan est le suivant :

  1. On doit s’engager ontologiquement envers toutes les entités qui sont indispensables pour nos meilleures théories scientifiques, et seulement envers elles.
  2. Les entités mathématiques sont indispensables pour la science.

Il suit que :

  1. On doit s’engager ontologiquement envers les entités mathématiques.

Les versions quiniennes de l’argument – comme celle de Colyvan – font appel aux thèses du holisme de la confirmation et du naturalisme avancées par Quine, et sont exprimées en termes d’engagement ontologique.

ii. Holisme de la confirmation et naturalisme

Le holisme de la confirmation (une thèse popularisée d’abord par Pierre Duhem dans Duhem, 1906 et connue aussi sous le nom de thèse de Duhem-Quine) est une thèse qui a trait à la manière dont les théories scientifiques sont confirmées. Elle affirme que lorsqu’une hypothèse H est confirmée, celle-ci n’est pas confirmée de manière isolée, mais seulement accompagnée de l’ensemble d’hypothèses théoriques T, où H s’inscrit (qu’elle soit une théorie plus large ou même l’ensemble des théories scientifiques). Confirmer l’hypothèse H revient donc à confirmer l’ensemble théorique H+T.

Le naturalisme d’inspiration quinienne, pour sa part, est une thèse normative qui a trait à la manière dont nous devons répondre à certaines questions, notamment aux questions ontologiques. L’idée générale consiste à considérer que la science (et non la philosophie) représente le seul moyen pour répondre aux questions des constituants fondamentaux de la réalité. Si l’on veut savoir ce qui existe, alors il faut se tourner vers la science, et plus spécifiquement vers nos meilleures théories scientifiques. Sur le naturalisme et le holisme de la confirmation voir Quine, 1981a et Quine, 1951.

Le holisme et le naturalisme sont manifestes dans l’argument notamment dans la première prémisse à travers l’usage des mots « toutes » et « seulement », respectivement. Leur présence tend à renforcer considérablement l’argument d’indispensabilité. D’une part, l’apport spécifique du naturalisme est le suivant : en donnant à la science une autorité épistémique, il nous exhorte à nous engager ontologiquement envers les entités de nos meilleures théories scientifiques. Le rôle du holisme, d’autre part, est de nous engager de la même façon envers toutes les entités de la science, y compris les entités mathématiques. Autrement dit, dès qu’on accepte le holisme, il ne peut pas y avoir de doute concernant les entités envers lesquels notre engagement ontologique s’applique : il s’applique à toutes les entités de la théorie, sans restriction, indépendamment de leur nature.

Mais ces thèses quiniennes ont été la voie d’entrée à plusieurs critiques de l’argument d’indispensabilité. Penelope Maddy et Elliot Sober, notamment, ont attaqué l’argument d’indispensabilité sur la base d’une tension entre ces deux thèses (voir Maddy, 1992 et Sober 1993). En outre, le naturalisme et le holisme eux-mêmes pourraient être perçus comme des thèses discutables, et le refus d’une d’elles suffirait pour ébranler l’argument d’indispensabilité, dans sa version quinienne. Cependant, la question de savoir ce qui est vraiment nécessaire pour le formuler fait débat.

Il est possible en réalité d’avancer un argument d’indispensabilité sans faire référence au naturalisme ou au holisme. Maddy et Resnik ont suggéré la possibilité de formuler l’argument sans souscrire au holisme de la confirmation (voir Maddy, 1992 et Resnik, 1997). Putnam lui-même a nié maintenir une quelconque forme de holisme de la confirmation dans son argument (voir Putnam, 2012). Enfin, Panza et Sereni ont avancé que, non seulement le holisme mais aussi le naturalisme sont des ingrédients inessentiels de l’argument d’indispensabilité – le réalisme scientifique, une idée moins forte et plus largement acceptée, serait à lui seul suffisant pour formuler l’argument (voir Panza & Sereni, 2015). Voir également Baker, 2009 pour une défense et une formulation alternative de l’argument.

iii. Qu’est-ce cela veut dire « être indispensable » ?

Une question essentielle pour l’argument d’indispensabilité est bien entendu celle de savoir ce que signifie pour les mathématiques d’être indispensables pour la science. Mais une clarification est d’emblée nécessaire à ce stade. Dans les discussions sur l’argument d’indispensabilité on trouve souvent l’idée de l’indispensabilité des entités mathématiques pour la science. Cette formulation est cependant trompeuse ; ce qui est indispensable pour la science ce ne sont pas directement les entités mathématiques elles-mêmes, mais plutôt la référence à ces entités. Par conséquent, lorsqu’on dit que les mathématiques sont indispensables pour les sciences, on dit, plus précisément, que la référence putative à des entités mathématiques est indispensable pour la science. Pour des raisons d’économie on conserve l’expression « entités indispensables », mais cette clarification doit être gardée en tête.

Ceci étant précisé, en quoi consiste l’indispensabilité ou la dispensabilité d’une entité ? Globalement, une entité est dispensable pour une théorie T si son élimination a comme résultat une théorie T’ meilleure que T ou équivalente à T selon un standard d’évaluation théorique S. En conséquence, une entité est indispensable pour T si son élimination a comme résultat une théorie T’ qui n’est ni meilleure que T, ni équivalente à T selon S. Cette définition de l’indispensabilité est en principe correcte. Mais là où il peut y avoir du désaccord c’est dans le choix du standard d’évaluation S pertinent pour juger une théorie comme meilleure (ou non) qu’une autre. Dans ce cas, une vertu épistémique particulière pourrait être invoquée – que ce soit l’adéquation empirique, le pouvoir explicatif, la simplicité, etc. Mais il serait sans doute plus judicieux d’invoquer un ensemble de vertus. Il n’en reste pas moins que, dans cette analyse de l’indispensabilité, les mathématiques semblent d’emblée indispensables étant donné qu’il est difficile de voir comment une théorie pourrait garder ses vertus épistémiques en abandonnant le recours aux mathématiques. Sur cette question voir Colyvan, 2001, Baker, 2009 et Burgess & Rosen, 1997. Pour plus sur les vertus épistémiques voir McMullin, 1996 ; McMullin, 2008 ; Kuhn, 1977 et Hempel, 1982.

iv. Critiques

À l’encontre de la deuxième prémisse, la critique la plus influente est sans doute celle de Hartry Field dans Science without Numbers. L’objectif de Field est de reconstruire nos théories scientifiques de façon à évacuer toute référence à des entités abstraites, et en particulier toute référence aux entités mathématiques. Si le programme de Field réussit, alors nous devrions en principe rejeter la deuxième prémisse de l’argument d’indispensabilité, et l’argument serait ainsi ébranlé.

Le programme est divisé en deux étapes. La première partie du programme consiste à expliquer l’utilité et l’usage des mathématiques en sciences. L’idée centrale défendue par Field est que les mathématiques n’ont pas besoin d’être vraies pour être utiles : elles ne sont que des outils commodes pour inférer des conclusions nominalistes (c’est-à-dire, portant sur des objets physiques) de prémisses nominalistes. Les mathématiques sont, en bref, conservatives. La deuxième partie du programme, directement opposé à l’argument d’indispensabilité, est hautement technique et consiste à montrer comment les mathématiques sont dispensables pour la science. Dans cette perspective, Field s’efforce de donner un procédé pour « nominaliser » nos théories scientifiques, c’est-à-dire pour éliminer de nos théories scientifiques toute référence aux entités mathématiques. Il procède ainsi à la nominalisation d’une partie importante de la théorie gravitationnelle de Newton. L’objectif serait donc d’étendre ce programme à l’ensemble de la science. Voir Field, 1980.

L’objectif général de nominalisation de la science est bien entendu loin d’être accompli. Mais le programme de Field a tout de même reçu beaucoup d’attention. Pour des critiques et discussions de la notion de conservativité voir Shapiro, 1983 et Melia, 2006. Pour des critiques de la deuxième partie du programme voir Resnik, 1985 ; Malament, 1982 et Colyvan, 2001. Field répond à des critiques dans Field, 1989 et Balaguer donne des suggestions pour étendre le programme à la mécanique quantique dans Balaguer, 1996. Enfin, pour un bon aperçu général du débat voir Leng, 2010, Chihara, 1990 ou MacBride, 1999.

D’autres critiques ont été avancées envers l’argument d’indispensabilité ne s’attaquant pas à une prémisse spécifique (voir par exemple Melia, 2000). Mais il y a un type de critique qui semble particulièrement importante, qui insiste notamment sur la neutralité métaphysique de la science. Le pouvoir de ces critiques est surtout le fait qu’elles reconnaissent à la fois l’indispensabilité des mathématiques pour la science, et la légitimité ontologique de la science. Le point de désaccord n’est donc pas une prémisse particulière de l’argument d’indispensabilité, mais plutôt ce que l’indispensabilité des mathématiques signifie. Paseau, par exemple, soutient que, même s’il est vrai que les mathématiques sont indispensables pour la science, il n’est pas le cas qu’elles soient indispensables dans une interprétation réaliste. Voir Paseau, 2005. Dans la même perspective, Christopher Pincock affirme que tout ce qui est nécessaire pour appliquer les mathématiques en sciences est l’établissement d’une relation structurelle. Or, ceci peut être réalisé sans souscrire à aucune interprétation ontologique particulière des mathématiques. Voir Pincock, 2004.

3. Problèmes du platonisme

Le platonisme mathématique a fait l’objet de nombreuses critiques. Elles sont en général de deux types, métaphysiques et épistémologiques, et elles tirent leurs racines notamment dans les travaux de Paul Benacerraf (Benacerraf, 1965 et Benacerraf, 1973). On parle alors des problèmes de Benacerraf pour le platonisme mathématique.

a. Qu’est-ce qu’un objet mathématique ?

Le premier problème de Benacerraf est formulé dans son article « What Numbers Could Not Be » (Benacerraf, 1965). Son objection prend comme point de départ un fait mathématique bien connu : les nombres naturels peuvent être modélisés d’une infinité de manières différentes, dont des modélisations ensemblistes. Considérons une séquence de nombres naturels 0, 1, 2, 3, … , nous pouvons alors identifier cette séquence à des ordinaux de Zermelo comme suit :

Mais nous pouvons également les identifier à des ordinaux de Von Neumann :

Les deux modélisations sont équivalentes, et plus précisément, elles sont isomorphes ; elles décrivent donc la même structure, à savoir une structure satisfaisant les axiomes de Peano. Chacune de ces deux modélisations permet de dériver l’arithmétique de la théorie des ensembles. On peut alors parler d’une « réduction des nombres naturels aux ensembles ».

Le problème maintenant est qu’il y a certaines différences entre les ensembles de Von Neumann et ceux de Zermelo. Par exemple, l’ordinal de Zermelo contient, comme tout autre ensemble de la progression, un seul et unique membre correspondant à son prédécesseur, dans ce cas; en revanche, l’ordinal de Von Neumann équivalent contient deux membres correspondant à ses sous-ensembles. Mais assurément, souligne Benacerraf, si les nombres sont des ensembles alors ces deux points de vue ne peuvent pas être corrects simultanément : il doit y avoir un ensemble particulier qui est identifié au nombre 2 ; or, l’ensemble, autant que, peut être légitimement considéré comme étant le nombre 2, puisque les deux occupent la place du nombre 2 dans la structure des naturels. Il n’y a alors aucune raison structurelle pour distinguer de, et donc aucune raison de privilégier un ensemble particulier sur un autre. Chacun de ses systèmes, étant isomorphes aux nombres naturels, est un candidat à être identifié aux nombres. Mais aucun n’est un meilleur candidat qu’un autre.

Etant donné ces explications, l’objection de Benacerraf peut être formulée comme suit :

  1. Il y a des multiples modélisations de la structure des nombres naturels. Par exemple, les ordinaux de Zermelo et les ordinaux de Von Neumann.
  2. Cependant, des modélisations différentes ont des propriétés non-structurelles différentes.
  3. Or, les nombres n’ont pas de propriétés non-structurelles. On ne peut donc pas utiliser des telles propriétés pour privilégier une modélisation sur une autre.
  4. En conséquence, les nombres naturels ne peuvent pas être des ensembles puisqu’ils ne peuvent pas être identifiés à une modélisation ensembliste de la structure des nombres naturels plutôt qu’à une autre.
  5. En outre, il ne peut pas y avoir d’objet ayant uniquement des propriétés structurelles, il suit que les nombres ne peuvent pas être des objets.

Benacerraf tire donc deux conclusions principales. Premièrement, les nombres ne peuvent pas être des ensembles puisqu’il n’y a aucun ensemble particulier pouvant être identifié avec un nombre. Et deuxièmement, en fin de compte, les nombres ne peuvent pas être des objets puisque les seules propriétés qu’ils instancient sont des propriétés structurelles – des propriétés qu’ils ont en relation aux autres éléments dans la structure des nombres.

Les conclusions de Benacerraf, bien qu’elles ne soient pas strictement antiréalistes, sont aisément interprétées dans une perspective antiréaliste. Mais elles ont des impacts très différents. La première conclusion, selon laquelle les nombres ne peuvent pas être des ensembles, serait un défi considérable pour tout réalisme ensembliste voulant réduire toute entité des mathématiques aux ensembles (Quine a maintenu une conception de ce type). Mais il est rare aujourd’hui de soutenir des réductions ensemblistes, d’ordre ontologique. On parle plutôt de modélisation ou de représentation que de réduction ou identification. Sur ce point voir Hodesdon, 2014, mais aussi Moschovakis, 2006.

La deuxième conclusion, quant à elle, peut avoir un effet antiréaliste plus général. Si, comme Benacerraf prétend, les nombres ne sont pas des objets parce que tout objet a des propriétés non-structurelles, alors on peut aisément conclure qu’ils ne sont pas tout court. Cependant, cette conclusion dépend de thèses discutables : elle a besoin qu’on accepte (i) que les nombres n’ont que des propriétés structurelles et (ii) qu’un objet ne peut pas avoir uniquement des propriétés structurelles.

Tout d’abord, la thèse (ii) est vivement rejetée par les structuralistes (voir, par exemple, Shapiro, 1997, Resnik, 1997 ou Parsons, 1990). La thèse (i), quant à elle, a donné lieu à un débat important concernant l’identité dans le structuralisme. Bien que soutenue par certains structuralistes, elle a été critiquée par plusieurs auteurs, dont au moins un structuraliste, à savoir Stewart Shapiro. Sur cette question voir par exemple Resnik, 1997 et Parsons, 2004, pour une défense et Linnebo, 2008, Shapiro, 2008 et Burgess, 1999 pour des critiques. Les lecteurs intéressés peuvent consulter le débat entre Shapiro et Keränen (voir Shapiro, 2006, Shapiro, 2008, Keränen, 2001 et Keränen, 2006).

b. Épistémologie

i. Le (deuxième) problème de Benacerraf

Le problème principal du platonisme reste épistémologique. Il fut formulé en premier par Paul Benacerraf en 1973, dans un article désormais classique, « Mathematical Truth » sous la forme du dilemme suivant (Benacerraf, 1973). Selon Benacerraf, il y a une tension entre, d’une part, une sémantique standard universelle qui s’appliquerait à la fois au discours mathématique et au discours non-mathématique, et d’autre part, une explication satisfaisante de la connaissance mathématique. Il est impossible de satisfaire simultanément ces deux desiderata : soit on conserve une sémantique unifiée et on adhère au réalisme, mais alors on n’a plus d’épistémologie satisfaisante de la connaissance mathématique ; soit on adhère à une épistémologie satisfaisante pour les mathématiques, mais dans ce cas on abandonne le projet d’une sémantique unifiée.

Mais pourquoi penser qu’une épistémologie satisfaisante exclurait le réalisme mathématique ? Si le problème de Benacerraf est présenté comme un dilemme c’est parce que Benacerraf considère que la seule épistémologie satisfaisante est une théorie causale de la connaissance. Une théorie causale de la connaissance, en deux mots, est une théorie où pour qu’un sujet S ait la connaissance « que P », il ne suffit pas que P soit une croyance vraie et justifiée, mais il est requis en plus que ce qui rend P vrai soit causalement lié au sujet S. Or, étant donné que, selon le platonisme, les entités mathématiques sont causalement impuissantes, il serait alors impossible d’avoir une connaissance mathématique. Bien entendu, Benacerraf ne conclut pas qu’il soit impossible d’avoir une connaissance mathématique – ce qui serait évidemment faux. Mais plutôt qu’on est obligé de choisir : soit on garde la théorie causale, et alors on abandonne l’analyse sémantique standard, ou alors on garde cette dernière, mais alors on abandonne la théorie causale.

La théorie causale de la connaissance est cependant une grande faille dans l’argument de Benacerraf. Tout d’abord, l’adoption de la théorie causale peut motiver un reproche de pétition de principe : en effet, en l’adoptant, Benacerraf suppose comme correcte une épistémologie qui exclut d’emblée la possibilité d’une connaissance d’objets abstraits, mais cette supposition semblerait naturellement incorrecte pour un platoniste. En outre, même si la théorie permet de résoudre certains cas de Gettier (des instances de croyances vraies justifiées qui ne sont pas intuitivement des connaissances), elle impose tout de même une contrainte causale qui est à la fois trop forte et trop faible : trop forte, précisément parce qu’elle exclut la possibilité de la connaissance logique ou mathématique, par exemple ; et trop faible puisqu’elle ne parvient pas à évacuer tout cas de Gettier (voir en particulier Goldman, 1967). Depuis son apparition la théorie causale a ainsi reçu des critiques virulentes, et elle est actuellement très minoritaire. Sur la théorie causale voir Kitcher, 1984 et Goldman, 1967 pour une défense, et Wright, 1983, Klein, 1976, Goldman 1976, et Katz, 1995 pour des critiques.

ii. Reformulations

Néanmoins, le problème épistémologique n’est pas dépendant de l’adoption d’une théorie causale de la connaissance. Il peut être reformulé de beaucoup de manières. Une reformulation célèbre due à Hartry Field est la suivante (voir Field, 1989) :

  1. Les mathématiques sont fiables ; on accepte donc l’énoncé suivant: « si les mathématiciens acceptent S, alors S est vrai ».
  2. Pour qu’une croyance mathématique S soit justifiée il doit être possible d’expliquer la fiabilité des mathématiques.
  3. Il est impossible d’expliquer la fiabilité des mathématiques si elles portent sur des entités abstraites.
  4. Il suit que si le platonisme est vrai, alors on ne peut pas justifier nos croyances mathématiques.

L’avantage de l’argument de Field est qu’il ne se base sur aucune théorie de la connaissance particulière, et a donc un caractère plus général que le dilemme de Benacerraf. L’effet de l’argument n’est pas bien entendu de montrer que le platonisme est faux, mais plutôt de montrer que, si on adopte le platonisme, alors nos croyances mathématiques seraient injustifiées. Il représente ainsi un véritable défi pour le platonisme.

Mais l’argument de Field n’est pas sans failles. Dans la prémisse (3), Field suppose qu’il est impossible de donner une explication de la fiabilité de la connaissance si les entités figurant dans les conditions de vérité sont causalement impuissantes. La fiabilité, autrement dit, exigerait une explication causale. Cependant, ceci est loin d’être évident. Plusieurs critiques se sont ainsi concentrées sur cette idée (voir Burgess et Rosen, 1997, Linnebo, 2006 et Lewis, 1991).

iii. Généralisation

Indépendamment des versions particulières du problème épistémologique et de la possibilité d’en apporter des réponses convenables, il est vrai que le platonisme affronte un défi épistémologique général. Le platoniste doit expliquer comment nous pouvons former des connaissances à propos d’objets n’ayant aucune localisation spatiale ou temporelle. Bien qu’il puisse motiver une position antiréaliste, l’existence de ce défi n’est pas un argument contre le platonisme. Mais il reste tout de même l’obstacle principal à une interprétation platoniste des mathématiques.

Ce défi n’est pas exclusif au platonisme, comme Christopher Peacocke l’a bien remarqué. En réalité, tout programme métaphysique affronte le défi de s’intégrer avec une épistémologie convenable. Le projet général de concilier métaphysique et épistémologie est, dans les mots de Peacocke, un défi de l’intégration. Voir Peacocke, 1999.

4. Variétés de platonisme

Pour finir, nous ferons un survol de différents types de platonisme défendus dans la littérature. Cette liste n’est pas exhaustive, mais nous avons tâché d’y mentionner les variétés de platonisme les plus discutées ou influentes. Les différentes théories ne sont pas discutées en détail. Notre objectif est plutôt de donner un aperçu des différentes formes que le platonisme peut avoir.

a. Le platonisme de Frege

Un certain nombre de thèses caractérisent le platonisme de Frege. Premièrement, une assertion numérique est toujours une assertion à propos d’un concept. Le concept de nombre est donc un concept de second ordre. Par exemple, l’énoncé « il y a huit planètes dans le système solaire » est une affirmation à propos du concept « planète du système solaire ». En particulier, elle affirme que le concept à huit instances. Remarquons que dans cet exemple l’usage du terme « huit » est adjectival (« huit » est utilisée comme « vert » ou « grand »). Pour Frege cependant, l’usage substantival du nombre, où les termes numériques sont des termes singuliers ou des « noms propres » est toujours privilégié : la raison est que nous pouvons toujours, selon Frege, paraphraser les usages adjectivaux à partir de l’usage substantival, mais pas à l’inverse.

Deuxièmement, les nombres sont des objets. Le concept de nombre est exprimé par l’expression « le nombre de… ». Cette expression dénote une fonction : une entité « non-saturée ». Cependant, en adjoignant à cette expression un prédicat F, « le nombre de F », nous trouvons une expression qui fonctionne comme (et qui donc est) un terme singulier. Or, les termes singuliers réfèrent à des objets – des entités « saturés ». En conséquence, les nombres sont des objets.

Troisièmement, les nombres sont abstraits et indépendants de l’esprit. Pour Frege, ces caractéristiques suivent du caractère non mental et non spatial des nombres, ainsi que de l’objectivité des pensées contenant le concept de nombre.

Enfin, Frege considérait que les nombres existent en vertu de l’argument qui porte son nom : parce que des termes singuliers numériques apparaissent dans des énoncés vrais –en particulier, des énoncés d’identité numérique.

Le logicisme de Frege, quant à lui, était le projet de dériver les lois fondamentales de l’arithmétique à partir de la logique. Il tentera de le faire en utilisant un principe connu sous le nom de Loi Basique V dans ses Grundgezetse der Arithmetik, qui identifiait les nombres à des extensions de concepts. Pour Frege, l’achèvement de ce projet établissait l’arithmétique comme un corps de vérités analytiques. Cependant, le système basé sur la Loi Basique V s’avérera inconsistant : il permet d’engendrer le paradoxe de Russell. Le programme logiciste de Frege a donc échoué dans sa forme originale, mais sera ravivée, au moins dans son esprit, par le programme néo-logiciste. Il n’en reste pas moins que le platonisme de Frege reste profondément influent actuellement.

Sur la philosophie de Frege, et son programme logiciste voir Frege, 1884 ; Frege, 1892 ; Frege, 1893 ; Van Heijenoort, 1967 ; Fine, 2001 ; Wright, 1983 ; Hale, 2001a ; Hale, 2001b et Wright & Hale, 2001b.

b. Platonisme classique

Le type de platonisme qu’on appellera ici « classique » est associé à un platonisme sur des objets mathématiques et une épistémologie basée sur une intuition de ces objets. Le point fondamental du platonisme classique est sa réponse au défi épistémologique. Il considère que les êtres humains ont une faculté capable d’acquérir des informations sur les objets abstraits. Ce type de position est associé fortement à Kurt Gödel.

Gödel adoptait un platonisme à propos des objets mathématiques, ainsi qu’un réalisme sémantique assumé : selon Gödel, il existe un domaine d’objet mathématiques abstraits et indépendants, et chaque proposition mathématique douée de sens est, strictement, vraie ou fausse. En outre, Gödel expliquait la connaissance mathématique en vertu d’une faculté, qu’il appelle intuition, capable d’accéder aux objets abstraits. Cette intuition est analogue à la perception sensorielle : elle nous permet de connaître les objets abstraits, de la même façon que nos sens nous permettent de connaître les objets spatio-temporels. Sur la philosophie de Gödel voir Gödel, 1931 ; Gödel, 1944 ; Gödel, 1947 ; Kennedy & Van Atten, 2003 ; Parsons, 1995 et Van Heijenoort, 1967.

L’idée d’une intuition des objets abstraits a reçu beaucoup de critiques, la plupart se basant sur le reproche d’obscurité. L’épistémologie des mathématiques basée sur l’intuition est devenue minoritaire. Mais il y a au moins un auteur ayant fourni récemment une défense d’une forme de platonisme classique, à savoir James Rober Brown (voir Brown, 2012)

Charles Parsons est un auteur qui défend également une épistémologie basée sur l’intuition. Mais les idées de Parsons diffèrent en beaucoup d’aspects du platonisme classique (voir Parsons, 2009).

c. Structuralisme mathématique

Le structuralisme en philosophie des mathématiques considère que les entités ontologiques fondamentales des mathématiques ne sont pas des objets, mais des structures. Les mathématiques sont la science de la structure.

Le point de départ de cette conception en philosophie est l’article désormais classique de Paul Bencarraf, « What Numbers Could Not Be ». En mathématiques, en revanche, ce genre de position est plus ancienne, et a une histoire bien plus longue. Le point de vue structuraliste en mathématiques a commencé probablement avec Evariste Galois et le début de la théorie des groupes, s’est développé avec les progrès de l’algèbre abstraite, et s’est consolidé avec l’approche catégorique de mathématiciens comme Saunders MacLane et Alexander Grothenedieck.

Le structuralisme n’est pas synonyme de platonisme, et n’est pas synonyme de réalisme non plus. Bien au contraire, le structuralisme de Benacerraf été proposé comme un défi posé au platonisme, comme nous l’avons vu plus haut. Pour cette raison on distingue souvent le structuralisme ante rem, du structuralisme éliminatif. Le premier conçoit les structures comme des entités existant de manière indépendante, en accord avec le platoniste, alors que le deuxième ne le fait pas.

Le structuralisme ante rem est actuellement une des théories principales en philosophie des mathématiques. Il est défendu notamment par Stewart Shapiro et Michael Resnik (Shapiro, 1997 ; Resnik 1997). L’idée principale de ce type de structuralisme est que les théories mathématiques portent sur des structures qui existent indépendamment, et les entités mathématiques individuelles (comme le nombre 2) sont des positions dans des structures (la troisième position dans la structure des nombres naturels). Une structure est, dans les mots de Shapiro, « la forme abstraite d’un système ». Nous pouvons penser à une structure comme un réseau composé de places vides et de relations ordonnées entre ces places. Ce qui importe ce ne sont donc pas les objets qui occupent ces places, mais les relations entre elles. Quand des objets particuliers occupent ces places ont dit alors que la structure est instanciée – de la même façon que, par exemple, une suite de points ou de lignes peut instancier la série des nombres naturels. Lorsqu’on a deux systèmes qui instancient la même structure, alors on parle d’un isomorphisme. Le point fondamental du structuralisme ante rem est qu’il prétend que les structures existent indépendamment de toute instanciation : elles sont donc des entités abstraites. Certains structuralistes maintiennent en outre que les objets mathématiques n’ont pas de propriétés intrinsèques – c’est-à-dire qu’ils n’ont pas de propriétés essentielles autres que celles qui dérivent de leur place dans une structure. Cette idée a été niée par Shapiro, 2006 ; voir aussi Linnebo, 2008.

Le structuralisme éliminatif, pour sa part, est une version antiréaliste du structuralisme mathématique selon laquelle il n’existe pas de structures indépendantes comme prétend la version ante rem. Dans cette version, on conçoit toujours les mathématiques comme la science de la structure, mais les énoncés mathématiques ne sont pas interprétés de manière littérale. Le discours mathématique est traité par paraphrase de façon à éliminer la référence à des structures indépendantes. Geoffrey Hellman et Charles Chihara ont récemment fourni la meilleure défense de ce type de position en traitant les énoncés sur les structures comme des énoncés portant sur des structures possibles – on parle alors de structuralisme modal. Voir Hellman, 1989 et Chihara, 1990

d. Néo-frégéanisme

Le néo-frégéanisme, ou abstractionnisme, est une théorie complexe qui défend un platonisme largement inspirée du platonisme logiciste de Frege. Comme le platonisme de Frege, le néo-frégéanisme revendique l’existence d’objets mathématiques, et les raisons pour cette position sont les mêmes que Frege : des termes singuliers numériques apparaissent dans des énoncés vrais. Pour défendre cette idée, les néo-frégéens développent une thèse de la priorité syntaxique (qui n’est qu’une interprétation du principe du contexte frégéen comme un principe portant sur la référence) destinée à justifier la métaontologie particulière du néo-frégéanisme. En particulier, la thèse de la priorité syntaxique implique une priorité des catégories linguistiques sur les catégories ontologiques : une fois que le rôle syntaxique d’une expression est déterminé, il ne peut donc pas y avoir de doute concernant la catégorie ontologique à laquelle appartient la référence de cette expression. Or, les termes numériques sont des termes singuliers. Par conséquent, les entités mathématiques, concluent les néo-frégéens, sont des objets.

Les néo-frégéens adhèrent également à la conception frégéenne du nombre : l’expression « le nombre de F » est conçu comme un terme singulier dénotant un objet. Cette conception du nombre permet aux néo-frégéens de baser leur version du logicisme sur le principe de Hume. Ce dernier affirme que « le nombre de F est égal au nombre de G si et seulement si F et G sont équinumériques (c’est-à-dire si l’on peut établir une relation de correspondance un-à-un entre les instances de l’un et de l’autre) » ; formellement:

(HP)

Ce principe avait été considéré brièvement par Frege pour fonder l’arithmétique, mais il l’a rapidement abandonné en considérant qu’il ne fournissait pas suffisamment d’information à propos de ce que c’est qu’un nombre pour le distinguer de n’importe quel autre objet. (Ce problème est appelé le « problème de Jules César » ; pour la solution néo-frégéenne, voir en particulier Hale & Wright, 2001c) Le principe de Hume est un cas particulier de principe d’abstraction. Les principes d’abstraction sont des énoncés qui établissent une identité entre des objets associés à deux entités (concepts ou objets), et dénotés par des expressions fonctionnelles, quand les entités en question sont équivalentes selon une relation donnée. HP établit ainsi une identité entre les nombres de deux concepts quand ces concepts sont équinumériques.

Le principe de Hume est le seul axiome non logique qu’on doit adjoindre à la logique de second ordre, accompagné de quelques définitions, pour dériver l’arithmétique de Peano. Ce résultat est appelé le théorème de Frege, et permet au néo-frégéens de revendiquer une forme allégée de logicisme. Bien entendu, étant donné que HP n’est pas un principe logique, le théorème de Frege n’implique pas une forme stricte de logicisme. Il n’en reste pas moins que le programme néo-frégéen reste logiciste dans l’esprit.

Le principe de Hume est également l’outil qui permet aux néo-frégéens de donner une réponse au problème épistémologique du platonisme. Selon les néo-frégéens, le principe de Hume est un principe analytique puisqu’il peut être conçu comme une définition implicite du concept de nombre : une définition qui explique le concept « le nombre de _ » à partir de la relation d’équinuméricité entre F et G. La relation d’équinuméricité fournit alors les conditions de vérité des énoncés d’identité numérique : l’énoncé « le nombre de F = le nombre de G » est vrai si et seulement si F et G sont dans une relation d’équinuméricité. Cette perspective permet de donner une explication de comment nous arrivons à connaître la vérité d’énoncés arithmétiques : nous connaissons la vérité des identités numériques à partir de la connaissance des relations d’équinuméricité correspondantes.

De cette façon, le principe de Hume est conçu comme une voie a priori pour la connaissance arithmétique. Cette idée n’est pas avancée dans une perspective descriptive : le néo-frégéen ne prétend pas que le principe de Hume est la manière dont nous apprenons réellement l’arithmétique. Mais les néo-frégéens l’interprètent comme une preuve du caractère analytique de la connaissance arithmétique. Le statut épistémique du principe est cependant objet de débats (voir Boolos, 1998 et Wright, 1999).

Sur le néo-frégéanisme voir Wright, 1983 ; Hale, 1987 et Hale & Wright, 2001b. MacBride, 2003 fournit une excellente introduction au programme néo-frégéen. Fine 2002 propose une étude approfondie des principes d’abstraction. Les lecteurs intéressés peuvent également consulter Cook, 2007 qui présente une discussion à propos du statut du principe de Hume, la logique de l’abstraction et la possibilité d’étendre le programme néo-frégéen au-delà de l’arithmétique.

e. Platonisme scientifique

Le platonisme scientifique est le type de platonisme associé à l’argument d’indispensabilité. Il est défendu notamment par Quine, Putnam et Colyvan. Bien que l’argument d’indispensabilité ne soit qu’un argument pour le réalisme ontologique, les entités mathématiques sont considérées comme abstraites. Le résultat est donc une forme de platonisme motivé par l’usage des mathématiques en science – d’où le nom de « platonisme scientifique ». Pour plus de détails sur ce type de platonisme voir plus haut section 2.b.

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Felipe Bravo

Corporación Universitaria Minuto de Dios

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